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Ban Zhao 班昭

(Vers 45-117)

Historienne de la dynastie des Han 

par Brigitte Duzan, 25 juillet 2019

 

Fille de l’historien Ban Biao (班彪), Ban Zhao est aussi la sœur de l’historien Ban Gu (班固) qui a poursuivi l’œuvre commencée par leur père sur l’histoire de la dynastie des Han antérieurs, Ban Zhao la terminant après la mort de son frère en la complétant de ses propres recherches. Elle a également été préceptrice des dames du palais, et à ce titre auteur d’un célèbre livre de préceptes pour les femmes, le Nüjie (《女诫》).

 

A sa mort, sa bru a recueilli l’ensemble de ses écrits, en 16 volumes. On a malheureusement perdu une grande partie de son œuvre, et en particulier ses poèmes ; elle n’est donc pas restée dans l’histoire littéraire comme une poétesse, mais comme la première historienne chinoise. Elle est un modèle à bien des égards, surtout, jusque sous les Qing, pour le rôle des femmes dans la transmission de l’histoire dans la Chine impériale.

 

 

Ban Zhao

 

Veuve très jeune

 

Née vers l’an 45 à Anling (安陵) dans le district de Fufeng (扶风县), près de Xiangyang (咸阳), dans le Shaanxi, Ban Zhao fait partie de ces filles de grandes familles de lettrés dont les filles étaient éduquées et souvent brillantes.

 

Ban Gu

 

Le général Ban Chao

 

Elle était la plus jeune des deux filles de l’historien Ban Biao, sœur cadette de l’historien et poète Ban Gu, mais aussi du général Ban Chao (班超), le « Gouverneur général des Régions de l’ouest » (西域都护) où il réussit à assurer le contrôle des empereurs Han sur le bassin du Tarim après une guerre d’une trentaine d’années contre les Xiongnu. Il ne fut rappelé à la capitale, Luoyang, qu’à l’âge de soixante-dix ans, sur requête expresse de sa sœur, parce qu’il était âgé et malade. C’est sans doute lui qui est la source des données socio-économiques et culturelles sur les Régions de l’ouest contenues dans le « Livre des Han ».

 

Ban Jieyu

 

Le père de Ban Zhao était le neveu de Ban Jieyu (班婕妤), célèbre concubine [1] de l’empereur Han Chengdi (汉成帝), poétesse de renom, mais célébrée aussi pour son respect des valeurs confucéennes : invitée par l’empereur à monter avec lui dans son palanquin, elle refusa en déclarant que les peintures anciennes montraient les rois de l’antiquité chinoise accompagnés des dignitaires de la cour, et que seuls les empereurs décadents de la dynastie des Zhou étaient accompagnés de leurs favorites ; elle se contenta donc de suivre  seule le palanquin. Elle apparaît dans le « Livre des Han » mais aussi dans les « Biographies de femmes exemplaires » ou Lienü zhuan (《列女传》), véritable manuel confucianiste pour l’éducation des femmes compilé par Liu Xiang (刘向) vers 18 avant J.C. [2].  

 

Ban Jieyu réussit à sauver son frère Ban Zhi (班稚) (le père de Ban Biao) qui avait été accusé de trahison. En

revanche, ni elle ni l’impératrice Xu (许皇后) ne pouvant donner de descendance mâle à l’empereur, celui-ci finit par accorder ses faveurs à deux danseuses dont il fit ses concubines, et qui accusèrent l’impératrice Xu et Ban Jieyu de sorcellerie. L’impératrice fut arrêtée mais Ban Jieyu réussit à plaider sa cause et se réfugia sous la protection de l’impératrice douairière. Une haute moralité n’était pas suffisante pour protéger des intrigues de la cour.

 

C’est bien l’une des raisons pour lesquelles la morale confucéenne a alors été érigée et promue, en particulier chez les femmes, sujet qui sera l’un der fers de lance de la petite-nièce de Jieyu.

 

De manière caractéristique, Ban Zhao a été mariée à l’âge de quatorze ans, à un lettré de la même région, Cao Shishu (曹世叔), dont on ne sait pas grand-chose, sauf qu’il est mort alors qu’elle était encore très jeune. Dans la grande tradition confucéenne, elle ne s’est jamais remariée, et a passé le restant de ses jours à étudier et écrire. Si la majeure partie de ses poèmes a disparu, elle a laissé une œuvre importante, dans des domaines très divers, et surtout deux : la morale confucéenne à l’égard des femmes et la recherche historique.

 

Œuvre littéraire, morale et historique

 

Le Lienüzhuan

 

·         Poèmes et commentaires

 

Quatre de ses poèmes nous sont parvenus, dont deux incomplets. Il s’agit d’un genre de poèmes en prose nommé (), caractérisé par de riches descriptions de paysages associés à des sentiments et exprimés en sentences parallèles. Le plus célèbre des de Ban Zhao qui nous sont parvenus – le « Fu de l’expédition vers l’est » (《东征赋》) - lui a été inspiré par les impressions ressenties lors d’un voyage qu’elle fit pour accompagner son fils Cai Cheng (曹成) qui allait prendre de nouvelles fonctions à Changyuan (长垣) dans le Henan [3]. Ce poème répond, comme en hommage, à celui de son père : le « Fu de l’expédition vers le nord » (《北征赋》).

 

Le célèbre Poème des deux capitales

两都赋 de Ban Gu

 

Ban Zhao a par ailleurs écrit un commentaires sur le Youtong fu ou « Poème sur la communication avec l’invisible » (《幽通赋》) de Ban Gu - poète précoce, affligé par la mort de son père en 54, alors qu’il n’avait que 22 ans, Ban Gu a alors traversé une longue période contemplative, dont date ce poème où il invoque les forces cachées qui influencent les vies humaines, concluant par des citations de Confucius et Mencius incitant l’homme épris  de morale à préserver son intégrité (bao shen 保身).

 

Ces poèmes traduisent la forte empreinte confucéenne qui est la marque de l’époque et a également fortement influencé Ban Zhao. Elle est l’auteur de commentaires sur le Lienü zhuan ou « Biographies de femmes exemplaires » de Liu Xiang, mais aussi d’un livre de préceptes pour femmes qui est l’un des textes fondateurs de la morale confucéenne pour les femmes.

 

·         Préceptes pour les femmes

 

Ban Zhao a écrit ses « Préceptes pour les femmes » (Nüjiè《女诫》) [4] pour ses filles, mais l’ouvrage a amplement circulé parmi les femmes du palais. En sept chapitres, il décrit les quatre principales qualités des femmes - vertu féminine (fùdé 妇德), parole féminine (fùyán 妇言), comportement féminin (fùróng 妇容) et travail méritoire féminin (fùgōng 妇功) – chacune étant soumise au précepte fondamental : ne pas élever la voix, ne pas chercher à briller par son intelligence ou ses dons,

 

Le Nüjie

bref rester humble et effacée (beiruo 卑弱), la douceur liée au yin étant la grande force de la femme, la qualité qui lui permet de se faire apprécier et respecter. 

 

Ban Zhao écrivant le Nüjie

 

Ce livre a ensuite été critiqué pour promouvoir la soumission de la femme, en la maintenant dans un statut inférieur au sein de la famille comme de la société. Pourtant, si le Nüjie demande effectivement de la femme obéissance absolue envers non seulement son mari, mais aussi ses beaux-parents (chapitre 5 : Dévouement total Zhuānxīn 專心 / 专心), il suppose d’abord un respect mutuel entre les époux (chapitre 3 : Respect et circonspection Jìng shèn 敬慎), ce principe dérivant de la complémentarité du yin et du yang.

 

Ban Zhao revendique donc une égalité au sein du couple, basée sur l’appréciation mutuelle des qualités propres de chacun. Et dans ce cadre, l’éducation de la femme est primordiale, pour assurer celle des enfants et soutenir son mari dans les moments difficiles.

 

Ban Zhao a été préceptrice de l’impératrice Deng (Deng Sui 鄧綏/邓绥), arrivée à la cour à l’âge de 17 ans et devenue la seconde épouse de l’empereur He (和帝) en l’an 102. Après la mort de l’empereur, Deng Sui  a assuré la régence pour son fils, l’empereur Shang (殇帝), puis, après la mort de celui-ci à l’âge d’un an, pour son neveu, l’empereur An (). Elle est restée dans les annales comme une régente avisée et diligente, réduisant les dépenses du palais et organisant des aides pour les pauvres et pour les victimes des catastrophes naturelles, inondations et sécheresses, qui affectèrent sa régence à deux reprises. Elle s’attacha aussi à mettre un terme aux guerres contre les Xiongnu et les Qiang, d’où son nom de Pacificatice (Suí ) [5].

 

C’était une femme lettrée, d’une grande intégrité, qui refusa que l’empereur nomme sa famille à des postes officiels quand elle devint impératrice, refusant également les cadeaux usuels des commanderies et peuples des frontières. A la mort de l’empereur He, l’empire traversait une crise financière, à laquelle s’ajouta la crise de succession. Deng Sui eut recours aux conseils de Ban Zhao, jusqu’à sa mort. On peut voir en elle un modèle de modération et de sagesse, mais aussi de fermeté, inspiré de l’esprit des préceptes du Nüjie. On dit que

 

Ban Zhao immortalisée par le peintre Jin Tingbiao (金廷標)
en préceptrice de la cour (surnom : Cao Dagu, tante Cao )

l’impératrice douairière observa une période de deuil à sa mort.

 

Par ailleurs, à la suite de son père et de son frère, Ban Zhao a également été historienne, dans un mode restant éminemment confucéen, de diffusion de l’histoire par les femmes.

 

·         Historienne, fille et sœur d’historiens

 

Son père Ban Biao a commencé de son vivant l’histoire officielle des Hans antérieurs (《前汉书》), ou « Livre des Han » (Hanshu《汉书》), en prenant pour modèle les « Mémoires historiques » (Shiji 《史记》) de Sima Qian (司马迁). Mais il meurt en 54 en laissant son œuvre inachevée.

 

Ban Gu entreprend de la poursuivre, mais, en 62, il est accusé par un proche de l’empereur Ming (汉明帝) de vouloir réviser l’histoire de l’empire. L’empereur le fait arrêter et fait confisquer la bibliothèque familiale. Son frère le général Ban Chao ayant intercédé en sa faveur, Ban Gu est relâché, et assigné au poste honorifique d’historien de la cour, en charge de rédiger les annales du règne du premier empereur des Han postérieurs, Guangwu (光武), prédécesseur de l’empereur Ming, ainsi que les biographies de ses principaux ministres. L’empereur est tellement satisfait de son travail que, en 66, il lui donne l’autorisation officielle de poursuivre l’histoire des Han antérieurs commencée par son père.

 

En 88, cependant, après la mort de sa mère, Ban Gu démissionne pour une période de deuil, puis revient au service du frère aîné de l’impératrice Dou, Dou Xian (竇憲). Ban Biao lui-même avait déjà servi un de ses grands-oncles, les deux familles étaient très proches. Mais, malgré ses faits d’armes contre les Xiongnu, en 92 l’empereur He (和帝) soupçonne Dou Xian de vouloir fomenter une révolte contre lui, le fait arrêter et le force au suicide. Ban Gu est arrêté à son tour et meurt en prison en 92.

 

En 97, Ban Zhao est rappelée à la capitale pour reprendre les travaux laissés inachevés par son frère. Elle complète la septième des Huit Tables ou Ba biao (八表) qui manquait, ajoute en particulier la généalogie de la mère de l’empereur et le sixième des traités, le traité d’astronomie (《天文志》) généralement attribué à son élève Ma Xu (马续).

 

Il y a là une tradition familiale qui donne toute son importance à la transmission de l’histoire, des rites, des lettres et de la culture par les femmes, à défaut des hommes, et souligne en même temps qu’elles étaient aussi érudites et brillantes, sinon plus, que leurs frères ou maris. Sous l’empire, si elle montrait des dons qui le justifiaient, une fille était éduquée par son père, qui la chérissait d’autant plus s’il n’avait pas de fils. Elle était alors chargée de transmettre (chuán ) l’enseignement familial (jiā xué 家学) dont elle avait hérité (chéng ). Dans les périodes de troubles, elles prenaient le relais des hommes.

 

Les annales chinoises ont conservé la mémoire de femmes exceptionnelles de la dynastie des Han capables de transmettre tout un corpus de traditions préservées au sein de leur famille, et qui auraient autrement disparu en raison de l’autodafé de livres ordonné par le Premier Empereur.

 

Le lettré Fu Sheng avec sa fille dans

un jardin, tableau de Da Jin

 

Ainsi un tableau célèbre du peintre Du Jin (杜堇) datant de la fin du 15e siècle montre le lettré Fu Sheng (伏生) qui a réussi à préserver une copie du très ancien Classique des Documents ou Shangshu (尚書) qu’il avait cachée ; Fu Sheng est en train de discuter du texte avec un secrétaire envoyé par l’empereur, et sa fille, Fu Nü (), est à côté de lui pour traduire dans un chinois compréhensible du secrétaire impérial ce que dit son père dans l’ancienne langue de Qi. Là encore, la fille est une érudite dont le rôle de traduction/transmission est primordial.

 

Autre exemple, Zhang Xuecheng (章学诚), lettré philosophe et historien du 18e siècle, auteur d’un essai sur l’éducation des femmes (/学》), cite le cas d’une dame Song, mère du maître de cérémonies du souverain du nouveau royaume des Qin antérieurs (前秦), pendant la période dites des Seize Royaumes (304-439) [6] : une fois qu’il eut réussi à rétablir une bonne partie des institutions, et

en particulier le système d’enseignement, le souverain se rendit compte qu’il manquait l’ensemble du classique des Rites des Zhou  ou Zhouli (周礼). Mais il s’était transmis de génération en génération, par les femmes, dans la famille de dame Song. L’empereur signa un décret faisant de sa maison un « centre de formation » pour cent cinquante lettrés, et elle les instruisit, derrière un rideau… tradition oblige. 

 

Dans le cas de Ban Zhao, c’est l’histoire impériale qui a ainsi été notée et transmise par la fille succédant à son père et à son frère. Comme elle l’a elle-même souligné dans son Nüjie, l’une des prérogatives des femmes est la parole (yán ) ; si elle se traduit souvent en termes de poésie, tout au long de l’histoire de l’empire, elle ne s’arrête pas là : Ban Zhao montre bien que son domaine peut s’étendre jusqu’à l’histoire officielle.

 

Depuis les Han, les femmes n’ont pas été seulement des poétesses, elles ont eu un rôle primordial dans la transmission des savoirs.

 


 

Eléments bibliographiques

 

- Les formes et méthodes historiques en Chine, une famille d’historiens et son œuvre, Lo Tchen-ying, thèse Lyon 1931, notice bibliographique p. 103-104.

Texte à télécharger : https://www.researchgate.net/publication/35271798_Les_formes_et_les_

methodes_historiques_en_Chine_Une_famille_d'historiens_et_son_oeuvre

- Pan Chao: foremost woman scholar of China, Nancy Lee Swann, 1ère publication: New York: The Century Co, 1932.

Extraits des traductions de cet ouvrage en ligne, annotées et commentées :

https://web.archive.org/web/20050405213037/http://home.infionline.net/~ddisse/banzhao.html

#anchor53416

 

 - Precious Records, Women in China’s Long Eighteenth Century, Susan Mann, Stanford University Press, 1997, ch. 4 Writing, pp. 76-83.


 


[1] Le nom de Jieyu désignant une concubine de troisième rang.

[2] Dans le rouleau 8, « Biographies supplémentaires » (续列女传).

[3] Vers l’an 95 : ce poste loin de la capitale était peut-être un exil. Ban Zhao avait une cinquantaine d’années, ce qui, à l’époque, était considéré comme âgé pour une femme. Elle ne savait pas si elle reverrait jamais la capitale ; dans son poème, elle traduit donc sa grande tristesse, mais sans se laisser abattre.

[4] C’est le premier des quatre classiques pour les femmes (女四书"), les autres étant les « Instructions domestiques » (《内训》) de l’impératrice Xu, les « Analectes pour les femmes » (《女论语》) des sœurs Song et les « Ebauches d’un modèle pour les femmes » (《女范捷录》).

[5] Suí : pacifier par une politique d’apaisement (suíjìng 绥靖).

[6] Royaumes fugaces fondés dans le nord de la Chine par les « Cinq Barbares » (五胡).

 

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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