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Du Qinggang 杜青钢

Présentation

par Brigitte Duzan, 4 mai 2020 

 

Parfaitement francophone, auteur d’innombrables ouvrages de recherche littéraire et linguistique, mais aussi d’un roman, « Le Président Mao est mort », paru en France en 2002 [1], Du Qinggang est professeur de littérature comparée et président de l’Institut des langues étrangères de l’université de Wuhan.

 

Elève de français pendant la Révolution culturelle

 

Du Qinggang

 

Il est né en 1959 dans un village près de Wuhan. Il avait seize ans à la mort de Mao.

 

Apprendre le français grâce à l’Huma

 

Il raconte dans son roman « Le Président Mao est mort » qu’il a commencé à apprendre le français en 1972, à l’âge de douze ans, à l’Ecole des langues étrangères de Wuhan. En pleine Révolution culturelle, ce n’était pas ordinaire pour un enfant d’ouvrier – son grand-père, dit-il, « avait mendié pour survivre » et son père avait été « saisonnier » avant 1949. En fait, sa mère était aussi ouvrière, mais à l’époque, être ouvrier représentait l’élite montante ; elle était conseillère dans cette école qui étaient réservée aux enfants de cadres… et d’ouvriers et paysans. 

 

Du Qinggang dut quand même passer un concours d’entrée, mais il s’agissait seulement d’un examen oral qui se réduisit à une unique question : « Pourquoi voulez-vous apprendre le français ? ». L’histoire ne dit pas si sa mère l’avait soigneusement briefé auparavant, mais il répondit du tac au tac ce qui de toute façon était un cliché à l’époque : « Pour appliquer la politique du président Mao et sauver les Français de la misère. » Car les Chinois étaient le peuple le plus heureux du monde, et le reste de la population mondiale vivait dans la pauvreté, dont les Français qui crevaient de faim et de froid.

 

Faute de mieux, et pour ne pas devenir « expert blanc » mais bien rouge, il apprit le français certes grâce à un vieux Larousse, mais aussi grâce à l’Huma… Ce qui ne l’a pas empêché de travailler en usine, puis à la campagne, avec une période dans l’armée en terminale. Les cours se poursuivaient à la caserne, quatre heures par jour, avec, pour changer de l’Huma, les bulletins d’information de l’agence Xinhua… et « Le Rouge et le Noir », strictement interdit, qu’on lui avait offert.

 

En 1976 encore, il doit s’engager à « s’enraciner à la campagne », la ville n’ayant pas d’emplois à offrir à tous les jeunes instruits qui auraient aimé y revenir.

 

Et puis, le 8 septembre, rassemblés dans la cour de l’école, ils apprennent, sidérés, par le haut-parleur, que le président Mao est mort.

 

Fini la campagne, carrière à Wuhan

 

L’année suivante, en 1977, Du Qinggang passe le gaokao, l’examen d’entrée à l’université réinstauré par Deng Xiaoping de retour au pouvoir. Il est le seul de l’école à apprendre le français ; l’épreuve est couplée avec celle d’anglais, il n’a que l’épreuve de thème à faire. Il finit très vite et passe le reste du temps à écrire l’histoire de sa vie au village. Il est ainsi admis à l’Institut des langues étrangères du Sichuan (四川外语学院).

 

En 1986, il est allé poursuivre ses études à Paris pendant un an, puis, en 1988, a intégré l’université de Wuhan pour y préparer un doctorat. En 1997, il a obtenu une bourse pour des recherches postdoctorales à l’université de Montréal.

 

En 1999, il est entré au département de français de l’Institut des langues étrangères de l’université de Wuhan (武汉大学外语学院法语系), et, en 2001, en est devenu le directeur.  Mais il est aussi vice-président de l’Association de recherche sur la littérature étrangère de Chongqing, secrétaire général adjoint de la Société de littérature comparée du Sichuan, et directeur de l’Association nationale de recherche sur la littérature française tout en assurant d’autres fonctions de nature pédagogique ou dans le domaine de la traduction.

 

A l’origine : Henri Michaux

 

Si Du Qinggang s’est fait connaître grâce à son roman « Le Président Mao est mort », succès de librairie en France lors de sa publication en 2002, chez Desclée de Brouwer, il n’est pas d’abord romancier : ses ouvrages portent sur l’écriture, dans une approche qu’il qualifie lui-même de « caractérologie » : l’art de brosser le destin d’un personnage à travers les traits d’un caractère chinois [2].

 

La glyphomancie

 

Zixing tianxia

(Presses universitaires de Wuhan)

 

En 2015, il a publié un roman très original, fondé sur le thème de la glyphomancie, ancienne technique de divination par l’analyse des traits des caractères qui a connu son apogée sous les Song [3]. Intitulé Zixing tianxia (《字行天下》) et préfacé par Bi Feiyu (毕飞宇), le roman dépeint la vie de quatre disciples d’un maître spirituel. Ces quatre disciples ont commencé enfants à apprendre les classiques autour de ce maître reclus. Mais, à la fin de la Révolution culturelle, ils sont admis dans des universités prestigieuses. Des années plus tard, le plus brillant d’entre eux est à son tour devenu un professeur universitaire, maître de glyphomancie, tandis que les trois autres ont fait fortune ou ont acquis une renommée mondiale, dans les lettres, les affaires ou la politique. Tous quatre mènent des vies totalement différentes, mais tous continuent d’utiliser la technique qui leur a été enseignée par leur maître dont ils font un patrimoine culturel.

 

Pour Du Qinggang, cette technique n’est pas tant utile en tant que procédé divinatoire, mais intéressante en tant que méthode d’évocation de souvenirs latents. L’écueil était bien sûr de signer un ouvrage ésotérique, difficile à lire ; il a donc cherché à concilier souci de rigueur académique et littérature populaire, remontant aux sources de Balzac et Hugo qui restent pour lui des modèles. 

 

Or, la glyphomancie, Du Qinggang l’a apprise au départ en France, non en Chine. C’est à l’occasion de la préparation de sa thèse de doctorat, thèse en langue et littérature française sous la direction de Jean-Claude Mathieu à l’université Paris 8, soutenue en 1993 : « Entre Occident et Orient : Henri Michaux et le vide » [4]. Il a découvert que Michaux était un mordu de cette pratique, et il a donc commencé à étudier le poète et son œuvre.

 

Un Barbare en Asie

  

Henri Michaux est connu et même étudié en Chine depuis le début des années 1980. En 1984, en effet, après un premier article sur Henri Michaux paru dans la revue Etudes sur la littérature étrangère (《外国文学研究》), François Cheng (程抱一) a publié un ouvrage intitulé « Henri Michaux, sa vie et son œuvre » (《亨利·米肖,他的生平和著作》) qui suivait un « Entretien avec Henri Michaux » (《和米肖晤谈记》) accompagné de seize poèmes de Michaux traduits en chinois par lui-même [5]. C’est cette série de textes et de poèmes qui, en fournissant les premiers documents en chinois sur le poète, a suscité un immense intérêt et déclenché une vague d’études et de publications chinoises sur Michaux, tout au long des années 1990.

 

En 1991, les éditions Lijiang (丽江出版社) ont publié des « Poèmes choisis d’Henri Michaux » (《米修诗选》) traduits par Du Qinggang avec une préface présentant le poète. En 1995, Du Qinggang a publié dans la Revue de littérature étrangère un article sur les relations de Michaux avec le taoïsme, suivi d’un article de Jin Siyan sur la conception du vide chez Michaux, comparée à celle de la pensée chinoise [6].

 

Henri Michaux et la culture chinoise

 

Entre-temps, en 1993, Du Qinggang avait soutenu à Bordeaux sa thèse sur Henri Michaux « entre Orient et Occident » dont il a repris les idées de base dans sa monographie publiée en Chine en janvier 2000 : « Henri Michaux et la culture chinoise » (《米修与中国文化》).

 

Cependant, si le nom de Du Qinggang est ainsi lié en Chine à la poésie de Michaux, en France il évoque plutôt son roman satirique « Le Président Mao est mort » (《毛主席去世了》).

 

Le Président Mao est mort 

 

Ecrit en français puis traduit en chinois, ce n’est pas vraiment un roman stricto sensu, mais une série d’une vingtaine de courts récits de la vie quotidienne pendant la Révolution culturelle. Ce sont des vignettes pleines d’humour qui offrent une satire de la vie et de la propagande de l’époque, avec en contrepoint l’évocation de l’espoir apporté par la langue française, tout au long de ces années difficiles :

 

« Demain, je dois déménager. Je range mes livres. Dans un coin de ma bibliothèque, un vieux dictionnaire attire mon regard : c’est le Petit Larousse. Sa couverture est abîmée, on peut à peine y lire le titre doré. Le passé soudain m’envahit. Comme un compagnon intime, ce dictionnaire m’accompagna fidèlement durant toute la Révolution culturelle. Il témoigne de mon ignorance passée et de mon réveil. Il témoigne aussi d’un espoir entretenu dans la nuit… »

 

En le relisant aujourd’hui, dans la « vague de froid » dont nous parle Yan Lianke dans l’un de ses derniers essais,

 

Le Président Mao est mort

on revit, entre sourire et larmes, le bonheur que furent les lendemains de la Révolution culturelle.

 

Langue et culture

 

Présentation du « Diseur de mots » à l’université Paris Diderot le 15 mars 2019

 

Au-delà de l’aspect technique de ses recherches, Du Qinggang travaille sur le langage comme essence d’une culture, et en particulier la langue chinoise ; mais c’est le caractère qui est pris comme essence de la culture chinoise, l’essence du caractère étant dans le radical. La culture chinoise ne prend tout son sens, selon lui, qu’à travers l’histoire des caractères, comme mode idéal de communication culturelle.

 

En mars 2019, il a terminé la traduction en français du Zixing tianxia (《字行天下》), traduit « Le Diseur de mots » et préfacé en français par Le Clézio [7].

 

Le 13 novembre 2015, le professeur Du Qinggang s’est vu remettre les insignes d’officier dans l’ordre des Palmes académiques.

 


 


[1] Le Président Mao est mort, Desclée de Brouwer, 2002, 177 p.

[2] Comme il l’a expliqué dans un entretien en 2010 :

https://mail.yahoo.com/d/folders/1?reason=invalid_cred

Il annonçait alors la préparation d’un nouveau roman bâti autour de cinquante caractères chinois et cinq personnages principaux qu’il espérait publier chez Gallimard.
Dans cet entretien, parmi les auteurs représentatifs du Hubei, il cite Liu Xinglong
(刘醒龙), autre auteur représentatif du courant néoréaliste aux côtés de Fang Fang, dont quelques nouvelles ont été traduites en français dans les années 1990.

[3] Le même terme désigne aussi une méthode de « lecture des empreintes de l’invisible », à travers le marc de café, les feuilles de thé ou les taches d’encre.

[4] Voir : https://www.theses.fr/068630255

Son étude porte sur Henri Michaux, le poète auteur d’Un Barbare en Asie, devenu le « médium inspiré » de la culture et de la pensée chinoises.
Voir aussi, dans l’ouvrage d’Eric Benoit Harmonie et disharmonie dans l’esthétique occidentale et cans l’esthétique chinoise à l’époque de la modernité : Entre destruction et construction : un parcours vers l’harmonie intérieure chez Henri Michaux, par Du Qinggang et Cheng Jing.
https://books.openedition.org/pub/9378?lang=fr

[5] Dans le recueil de 1983 « Poèmes choisis de sept poètes français » (《法国七人诗选》) traduits par François Cheng, voir : https://www.douban.com/group/topic/5732391/

[6] Jin Siyan, La langue informative ou évocatrice : symbole, poète, lecteur, in Culture : diversité et coexistence dans le dialogue Chine-Occident, actes du colloque international de Nankin, Nankin, éditions Yilin, 1998.

[7] Le livre a été publié aux éditions Charles Moreau mais reste introuvable.

 

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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