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				Cao Naiqian 曹乃谦 
				
				
				Présentation 
				
				par Brigitte Duzan, 20 mars 2012 
				
						  
				
					
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						Ecrivain 
						profondément ancré dans la réalité brute de son Shanxi 
						natal, Cao Naiqian est une découverte relativement 
						récente bien qu’il ait commencé à écrire en 1986. 
						 
						
						
						  
						
						
						Les 
						publications de ses œuvres se multiplient depuis 2006 en 
						Chine même. Ses sujets le rattachent à une lignée 
						
						
						d’auteurs 
						prestigieux, peintres de la réalité de leur terre 
						natale, comme 
						
						Shen Congwen (沈从文) 
						et
						
						Wang Zengqi 
						
						(汪曾祺), dont il apparaît comme un disciple et héritier ; son style, en 
						revanche, lui est propre et le met résolument à 
						
						
						l’écart de tout courant.  
						
						
						  
						
						
						Enfant du 
						Shanxi 
						
						
						  
						
						
						Cao Naiqian (曹乃谦)
						
						est né en 1949, le jour de la fête des Lanternes, dans 
						le village de Xiamayu (下马峪村), 
						dans le district de Yingxian, au Shanxi (山西应县).
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						Cao Naiqian  | 
					 
				 
				  
				
				
				Tout petit, il est enlevé ; élevé plus ou moins en cachette par 
				sa mère adoptive à Datong, la capitale de la province, il trouve 
				chaleur et affection à la campagne auprès de sa grand-mère 
				(adoptive) avec laquelle il passe toutes ses vacances. Après une 
				première éducation rudimentaire, il entre en 1962 au collège à 
				Datong.  
				  
				
					
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						L’entrée de la mine de Jinhuagong  | 
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						Il termine le 
						lycée en 1968 et commence alors à travailler : il 
						devient mineur de fond dans la principale mine de 
						charbon de Datong, la mine 
						de Jinhuagong 
						(晋华宫) 
						(1). Mais il se fait remarquer par ses talents de 
						musicien : il joue du erhu, du tympanon (扬琴) 
						et même du violon. Or nous sommes en pleine Révolution 
						culturelle, à un moment où se multiplient partout les 
						troupes de chant et de danse : en 1969, il est affecté à 
						celle du Bureau des mines de Datong (大同矿务局文工团) 
						dont il devient membre de l’ensemble musical. 
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				Sa vie change à nouveau en octobre 1972 : il est transféré au 
				Bureau de la Sécurité publique de Datong (大同市公安局). 
				Il est d’abord chargé de l’état civil, puis passe à la police 
				criminelle. Il est aujourd’hui membre de l’équipe de 
				« propagande politique » du Bureau.  
				  
				
						
						Ecrivain par 
						hasard 
						
						  
				
						
						Cao Naiqian est 
						venu à la littérature par hasard, à la suite 
						
						
						d’un pari avec 
						un ami : une invitation au restaurant contre une 
						nouvelle. Il gagne son pari, et se trouve en même temps 
						une vocation nouvelle. C’était en 1986, il avait 
						trente-sept ans.  
				
						  
				
					
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						Ses premiers 
						textes sont publiés dès juin 1988, dans la revue 
						mensuelle « Littérature de Pékin » (北京文学). 
						Il s’agit de cinq récits très courts dont la publication 
						est accompagnée de louanges chaleureuses de
						
						
						
						Wang Zengqi
						
						(汪曾祺) 
						qui était alors à la rédaction de la revue. Ils font 
						partie des trente textes regroupés sous forme de roman, 
						aujourd’hui traduit en français sous le titre 
						
						« La nuit quand tu me manques, 
						j’peux rien faire » (《到黑夜想你没办法》) 
						(2). 
						  
						
						
						La nuit quand 
						je pense à toi… 
						
						  
						
						
						Ce roman a 
						d’abord été publié à Taiwan, puis en Chine continentale 
						en 2007 ; il est à la base de la redécouverte récente de 
						son auteur. Constitué de courtes vignettes qui procèdent 
						par effet cumulatif pour dresser le tableau d’une 
						communauté rurale dans le Shanxi des années 1970, il 
						offre une vision à valeur emblématique et loin des 
						clichés habituels. C’est le sens du sous-titre : « 
						Panorama du village des Wen » (《温家窑风景》) 
						(3). 
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						La nuit quand tu me 
						manques 
						
						
						(original chinois) 
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						C’est d’abord 
						Wang Zengqi qui a attiré l’attention sur un auteur dont 
						on a fait depuis l’un de ses héritiers et successeurs ; 
						il a souligné en quelques mots les deux caractéristiques 
						principales de l’œuvre de Cao Naiqian - le ton général 
						et le style : 
						
						
						“他的小说贯穿了一个痛苦的思想:无可奈何……他的语 
						
						
						言带有莜麦味儿……” 
						
						
						« Ses récits sont traversés par une pensée douloureuse : celle d’une 
						totale impuissance … La langue qu’il utilise a la saveur 
						de l’avoine… » 
				  
				
				Le 
				ton général de ce roman est concis et caustique, comme empreint 
				de l’atmosphère de désolation qu’il décrit ; il nous dépeint une 
				communauté paysanne réduite à une vie misérable, frustrée dans 
				ses aspirations, bridée à la fois par les coutumes 
				traditionnelles et les réseaux d’obligations et réglementations 
				imposés par le régime communiste, et subsistant dans une 
				tentative désespérée 
				
				
				d’assouvir les deux besoins fondamentaux qui lui restent dans ce 
				désert affectif et moral : la nourriture et le sexe. 
				 
				
				  
				
				Le 
				premier récit donne le ton : en deux pages, il raconte comment 
				un paysan, incapable de payer la dot de sa belle-fille, doit 
				accepter, pour compenser, de « prêter » sa femme à son beau-père 
				un mois par an. Dans les pages qui suivent, les hommes tentent 
				de « partager » les femmes des uns et des autres (« partager la 
				marmite »), et les femmes ne sont pas en reste, pratiquant 
				allègrement la polyandrie : « la femme est comme une charrette 
				que l’homme tire, dit l’une d’elles. II vaut mieux qu’il y ait 
				deux bêtes pour tirer, plutôt qu’une seule, la charrette avance 
				plus facilement… » 
				
				  
				
				
				C’est un monde brutal, sauvage, où les animaux semblent faire 
				preuve de plus d’humanité que les hommes eux-mêmes, mais aussi 
				un monde clos et sans espoir : l’homme est un « papillon 
				malheureux », fait dire l’auteur à l’un de ses personnages, 
				dérisoire papillon qui n’a d’autre but que de se brûler les 
				ailes à la flamme délétère de ses fantasmes féminins. Nous 
				sommes à des années lumières de ce monde, et pourtant, Cao 
				Naiqian nous le dépeint avec tant de chaleur, tant d’humour 
				aussi, qu’on se sent pris par son récit, qu’on y adhère. Et cela 
				tient en grande partie à son style, à la langue imagée qu’il 
				utilise, qui est celle du terroir, de la vie au ras du sol qu’il 
				nous fait découvrir.  
				
				  
				
				
				Cao Naiqian est un « cul terreux » (乡巴佬
				
				xiāngbalǎo), 
				a dit amicalement de lui son traducteur suédois, Göran 
				Malmqvist, qui a largement 
				contribué à sa découverte en Occident (4). Mais c’est un 
				cul terreux qui sait remarquablement manier le dialecte 
				local, avec ses savoureuses expressions imagées, en 
				
				
				l’intégrant dans son texte, et surtout dans ses dialogues. En ce 
				sens, il participe de tout un mouvement de réappropriation des 
				dialectes locaux qui marque également le cinéma chinois dans son 
				évolution récente et qui n’est pas sans rappeler, aussi, les 
				recherches linguistiques de 
				
				Han Shaogong (韓少功). 
				
				  
				
				Le 
				réalisme y acquiert là une dimension nouvelle, une authenticité 
				à la fois immédiate et profonde, qui passe aussi par la 
				répétition à l’identique de bouts de phrase, comme si les mots 
				étaient si rares, si comptés, qu’on ne pouvait que répéter ceux 
				que l’on a trouvés pour s’exprimer. La langue de Cao Naiqian est 
				d’un minimalisme primitif, comme les êtres qu’il dépeint, mais 
				capable en même temps d’une étincelle soudaine, pleine d’humour, 
				au détour d’une image fortuite, l’homme gardant au fond de lui 
				la formidable capacité de rire.  
				
				  
				
				Le 
				roman se rapproche d’une autre tendance actuelle, valable 
				également dans le domaine du cinéma, qui tend à s’éloigner des 
				thèmes étroitement ou directement politiques pour privilégier la 
				peinture de la nature humaine sous un aspect plus universel, à 
				la manière de Faulkner ou García Márquez : en approchant du 
				mythe. 
				
				  
				
				
				Une foison de nouvelles 
				à découvrir 
				
				  
				
					
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				Cao Naiqian n’est cependant pas l’auteur de cet unique roman. Il 
				a écrit de nombreuses nouvelles qui, toutes, portent la marque 
				de son amour de sa terre natale et de la même primordiale 
				concision, et dont les titres mêmes constituent un exercice 
				lexical de termes ruraux locaux qui fleurent bon l’avoine, eux 
				aussi. 
				
				
				  
				
				
				Citons, 
				parmi les nouvelles courtes : « Dans les meules de paille 
				d’avoine » (《莜麦秸垛里》yóumài 
				jiēduò lǐ), 
				« Les pommes de terre » (《山药蛋》shānyaodàn), « Les lis sauvages » (《山丹丹》shāndāndān) (5), « La louche de laiton accrochée sur le bord de la jarre » (《铜瓢瓮上挂》tóngpiáo 
				wèngshàng guà) 
				ou encore « Trente-trois grains de sarrasin, quatre-vingt 
				dix-neuf arêtes » (《三十三颗荞麦九十九道棱》).
				 
				
				
				  
				
				
				Là encore, 
				mises bout à bout, elles constituent un tableau de la vie sur le 
				plateau de loess, vie qui semble  
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						Le recueil de nouvelles « L’ultime 
						village »  | 
					 
				 
				
				
				
				immémoriale, 
				au contact de la 
				nature, et réglée par coutumes et traditions. Elles sont 
				complétées de nouvelles plus longues, dont le recueil qui porte  
				le titre de la plus connue : « La solitude du Bouddha » (《佛的孤独》), 
				ainsi que de textes relevant de ce qu’on appelle « la 
				littérature de reportage » (报告文学), 
				le tout édité en Chine à partir de l’année 2006. 
				 
				
				  
				
				
				C’est la date de publication de son principal recueil de 
				nouvelles courtes, « L’ultime village » (《最后的村庄》), 
				qui marque donc sa redécouverte récente. Il comporte vingt et 
				une nouvelles. La première, « Jujube sauvage » (《野酸枣》yě 
				suānzǎo), a 
				été traduite par Noël Dutrait sous le titre « Jujube la 
				sauvageonne », traduction que l’on peut lire en ligne, sur le 
				site « Impressions d’Extrême Orient » de 
				
				
				l’équipe « Littérature chinoise et traduction » de l’université 
				de Provence : 
				
				
				
				http://ideo.revues.org/78 
				
				  
				
				
				Les autres restent à découvrir…. 
				  
				  
				
				
				
				Notes 
				
				
				(1) La mine de 
				charbon de Jinhuagong est la plus importante de Datong, située à 
				12 kilomètres à l’ouest de la ville. L’exploitation a commencé 
				en 1956, et la mine est aujourd’hui ouverte aux touristes. On la 
				voit sur le côté gauche de la route quand on va aux grottes de 
				Yungang.  
				
				
				(2) La nuit quand tu me 
				manques, j’peux rien faire, traduit du chinois par Fu Jie et 
				Françoise Bottéro, éditions Gallimard/Bleu de Chine, octobre 
				2011. 
				
				
				
				(3) Le caractère 
				窑
				yáo 
				du sous-titre désigne les habitations 
				troglodytes du Shanxi. Dans un sens dérivé et dialectal, il 
				désigne aussi un bordel. On ne peut pas exclure le clin d’œil 
				dans le contexte du roman. 
				
				
				
				(4) La traduction en suédois est parue dès 2006, suivie d’une 
				traduction en anglais :  
				
				
				
				There’s Nothing I Can Do 
				
				
				when I Think of You Late at Night, traduit du chinois par John 
				Balcom, Columbia University Press, avril 2009. 
				
				
				
				(5) Ce sont des « lilium pumilum » ou lis corail. C’est aussi le 
				titre d’un chant populaire révolutionnaire qui sous-tend 
				l’atmosphère de la nouvelle : les fleurs de lis s’ouvrent, 
				écarlates… (山丹丹花开红艳艳).  
				
				   
				
				  
				
				A lire en 
				complément : 
				
				  
				
						
						《老银银》 (曹乃谦) « Vieux-Lingot » (Cao Naiqian) 
				
				  
				  
				  
				  
				  
				  
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