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Cai Yuanpei
蔡元培
1868-1940
Présentation
par
Brigitte Duzan, 4 mai 2019
Cai Yuanpei a été l’un des grands intellectuels qui
ont soutenu la Réforme des Cent Jours (wùxū
biànfǎ
戊戌变法),
mouvement de réforme avorté de la fin de la dynastie
des Qing qui a duré du 11 juin au 21 septembre 1898.
Il est resté dans l’histoire pour son rôle, à partir
de 1916, à la tête de l’université de Pékin où il a
introduit un vent de libéralisme et recruté de
grands intellectuels et hommes de lettres. Dans les
années 1920, il a été l’une des grandes figures du
mouvement du 4 mai
et de l’esprit d’ouverture qu’il représente.
Dans ce cadre, il a défendu et promu l’usage du
baihua, ou langue vernaculaire, en littérature.
Son influence là aussi a été déterminante.
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Un lettré moderne à l’aube du 20e siècle |
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Cai Yuanpei |
Education traditionnelle
Cai Yuanpei (蔡元培)
est né en janvier 1868 dans le district de Shanyin de la ville
de Shaoxing (绍兴府的山阴县),
dans le Zhejiang. En 1878, son père meurt et l’année suivante, à
l’âge de douze ans, il va vivre avec sa tante maternelle grâce à
laquelle il peut poursuivre ses études. En 1884, à l’âge de 17
ans, il est reçu au premier niveau des examens impériaux, celui
de xiucai (秀才).
Il commence à enseigner l’année suivante.
En 1889, il se marie avec sa première épouse, Wang Zhao (王昭).
L’année suivante, il obtient le titre de gongshi (贡士)
– c’est-à-dire les meilleurs parmi les xiucai, admis à
l’Académie impériale ou Guozijuan (国子监).
En 1892, il entre comme membre provisoire à l’Académie Hanlin (翰林院),
l’institution impériale qui regroupait l’élite des lettrés -
membre provisoire en attendant la prochaine session d’examen,
qui lui permet d’accéder au poste de rédacteur impérial.
L’éveil d’un réformateur
En 1894, il s’intéresse au Mouvement pour l’étude de l’Occident
(洋务运动)
et il est gagné par les idées de réforme. En 1898, il soutient
la Réforme des Cent Jours (wùxū
biànfǎ
戊戌变法).
Lancée par l’empereur Guangxu que le lettré réformateur Kang
Youwei (康有为)
était parvenu à convaincre du bien-fondé de ses idées, la
réforme est brutalement stoppée par le coup d’Etat mené par
l’impératrice douairière Cixi et sa « clique » de conseillers
ultra-conservateurs ; l’empereur est mis aux arrêts, six des
principaux artisans des réformes sont décapités tandis que Kang
Youwei et son disciple Liang Qichao parviennent à s’enfuir au
Japon.
Les « armes » du Collège Nanyang
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Dans le contexte de répression qui s’ensuit, Cai
Yuanpei se retire à Shaoxing mais sans abandonner
ses nouvelles convictions dont il entreprend la
promotion d’abord dans le domaine éducatif. Nommé
contrôleur de l’Ecole sino-occidentale (中西学堂监督),
il y défend une réforme de l’enseignement.
En 1900, séparé de son épouse qui représente les
idées rétrogrades qu’il combat, il se plonge dans
l’histoire des droits de la femme, et écrit un
premier ouvrage : « Du pacte entre mari et femme » (夫妻公约).
En septembre 1901, il est nommé directeur des études
de la section économie du Collège public Nanyang (南洋公学)
de Shanghai
.
En 1902, il se remarie avec l’une de ses anciennes élèves,
Huang Zhongyu (黄仲玉).
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En 1904, il crée le Guangfuhui (光复会)
ou Société de restauration, qui fusionne avec le
Tongmenghui (同盟会)
de Sun Yat-sen l’année suivante et comptera parmi
ses membres les grandes figures de martyrs
révolutionnaires que sont la poétesse Qiu Jin (秋瑾)
et son cousin Xu Xilin (徐锡麟)
.
De l’Allemagne à la France, et retour
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Cai Yuanpei avec sa seconde épouse et
ses deux enfants |
Histoire de l’éthique chinoise, rééd.
2003 |
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En 1907, grâce à l’aide de l’ambassadeur Sun Baoqi (孙宝琦),
il part à l’université de Leipzig où il fait des
études de philosophie, de psychologie et d’histoire
de l’art. Il reste quatre ans en Allemagne pendant
lesquelles il rédige le premier volume de sa
monumentale « Histoire de l’éthique chinoise » (《中国伦理学史》)
qui sera achevée et publiée en 1937, en trois
volumes.
Il rentre en Chine en novembre 1911, après la chute
de l’empire. Le 4 janvier 1912 est établi à Nankin
un gouvernement provisoire dont il accepte d’être le
ministre de l’Education. Le 19 janvier, il publie un
« plan provisoire d’enseignement général » (《普通教育暂行办法》),
en s’appuyant sur le système éducatif occidental, en
supprimant l’étude des classiques et en déclarant
l’égalité d’accès à l’enseignement des filles et des
garçons. Puis il promulgue les premières
règles d’application concernant |
l’enseignement
secondaire et universitaire (《大学令》/《中学令》).
Mais il démissionne en févier 1912 quand Yuan Shikai devient
président. L’année suivante, il part poursuivre des recherches
en France où il reste trois ans – période pendant laquelle il
écrit plusieurs ouvrages sur la philosophie et les arts.
Beida et la révolution littéraire
A la demande instante du gouvernement, il rentre en
Chine en novembre 1916, et, le 26 décembre, est
nommé président de l’université de Pékin ou Beida
(北大).
Fondée dans le cadre de la Réforme des Cent jours,
en juillet 1898, mais encore très conservatrice,
l’université devient sous la conduite de Cai Yuanpei
un bastion d’idées libérales.
Il recrute les plus éminents intellectuels pour
venir y enseigner, en particulier Chen Duxiu
(陈独秀)
qui devient le doyen de la faculté de lettres :
c’est lui qui a fondé la revue « La Jeunesse »
(Xin Qingnian
《新青年》)
le 15 septembre 1915, à Shanghai, avant de la
transférer à Pékin en janvier 1917, lors de sa
nomination à Beida. |
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Le sceau de l’université de Pékin,
dessiné par Lu Xun |
La revue initie le mouvement pour la Nouvelle Culture après
le 4 mai et devient le principal organe de promotion de la
littérature en langue vernaculaire ou baihua (白话),
véritable révolution littéraire dont Cai Yuanpei est
également l’ardent promoteur. C’est « La Jeunesse » qui
publie en 1918 la nouvelle de
Lu
Xun (鲁迅)
« Le Journal d’un fou » (《狂人日记》),
nouvelle qui donne ses lettres de noblesse à la littérature
en baihua.
Chen Duxiu, fondateur de La Jeunesse |
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La Jeunesse, premier numéro |
Cai Yuanpei (2ème à g.) en mars 1920
à Pékin
avec les « modèles universels » “人世楷模”
de l’éducation nouvelle “新学”
Hu Shi 胡适, Li Dazhao 李大钊 et Jiang Menglin 蒋梦麟 |
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Autre recrue de marque à Beida, et également l’un
des premiers rédacteurs de la revue : Hu Shi
(胡适)
que Cai Yuanpei fait revenir des Etats-Unis en
juillet 1917. Hu Shi est en particulier l’auteur
d’un article fondamental publié dans les pages de
« La Jeunesse » le 18 avril 1918, « De
l’instauration d’une révolution en littérature » (《建设的文学革命论》),
dans lequel il fait de la langue le facteur
essentiel qui peut permettre de donner une nouvelle
vie à la littérature chinoise, car, contrairement au
wenyan, la langue classique qui a contribué à
stériliser les formes littéraires, le baihua
est une langue en évolution, adaptée à la vie
moderne.
Cai Yuanpei fait aussi revenir du Japon le peintre
Xu Beihong (徐悲鸿)
pour diriger la faculté des beaux-arts de
l’université et nomme |
Li Dazhao (李大钊)
bibliothécaire en chef – il aura comme assistant un dénommé
Mao Zedong…
En 1919, Cai Yuanpei démissionne pour protester contre
l’incarcération d’étudiants lors des
manifestations du 4 mai.
Le 15 juin, il publie une lettre ouverte : « Je déclare ne pas
souhaiter reprendre la présidence de l’université de Pékin » (《不愿再任北京大学校长的宣言》).
Il y affirme nettement :
我绝对不能再作不自由的大学校长:思想自由,是世界大学的通例。
Je ne peux absolument pas assumer des fonctions où je ne suis
pas libre : la liberté de penser est un principe de base dans
les universités du monde entier.
Cependant, pressé par l’ensemble du corps
enseignant, il accepte de rester comme directeur des
études de l’université. En février 1920, c’est à son
initiative que trois étudiantes sont admises à
l’université pour une période d’essai : Wang Lan (王兰),
Xi Zhen (奚浈)
et Cha Xiaoyuan (查晓园).
Elles sont définitivement admises à l’automne : ce
sont les premières étudiantes à entrer à
l’université en Chine.
Après Beida, toujours l’enseignement
A la fin de l’année, Cai Yuanpei part en Europe. En
septembre 1921, il participe à la fondation de
l’Institut franco-chinois de Lyon (里昂中法大学)
et |
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Les trois premières étudiantes
à être admises à l’université en Chine
De g. à droite Cha Xiaoyuan, Xi Zhen et Wang Lan |
fait ensuite partie de l’association qui gère
l’établissement.
Xiao Youmei |
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Au printemps 1923, mécontent de la politique du
gouvernement Beiyang en matière d’éducation et
frustré dans ses efforts de modernisation du système
d’enseignement, il démissionne à nouveau et part
dans le sud, où, en 1924 à Canton, il participe au
premier Congrès du Guomingdang, avec Sun Yat-sen. A
partir de 1927, il assume des fonctions au sein des
institutions du gouvernement nationaliste de Nankin.
Il continue surtout ses activités dans le domaine de
l’enseignement. En novembre 1927, il fonde le
Collège national de musique, futur Conservatoire de
musique de Shanghai (上海音乐学院),
dont il confie la direction à un musicien diplômé du
Conservatoire de Leipzig qu’il avait connu là quand
il y était étudiant, le compositeur |
Xiao Youmei (蕭友梅)
qui avait également été membre du Tongmenhui.
En avril 1928, à Nankin, Cai Yuanpei fonde encore l’Academia
Sinica (中央硏究院)
dont il devient le premier président et qui sera transférée à
Taipei en 1949.
Différend avec le Guomingdang et retrait à Hong Kong
Il devient cependant de plus en plus critique du gouvernement
nationaliste et de sa politique de répression sanglante. Après
l’Incident de Mukden, le 18 septembre 1931 (九·一八事变),
qui marque le début de l’invasion de la Mandchourie par les
Japonais, il prône la coopération entre forces nationalistes et
communistes pour lutter contre l’envahisseur.
En 1932, il participe à la création de la Ligue chinoise pour
les droits de l’homme (中国民权保障同盟)
dont il est un temps vice-président aux côtés de la présidente
Song Qingling (宋庆龄).
Cai Yuanpei vient en aide à Xu Dezhen (许德珩),
ancien leader étudiant et diplômé de l’université de Lyon, mais
aussi à
Ding
Ling (丁玲)
et à d’autres membres du Parti communiste. Mais la situation
empire, et la Ligue est impuissante à obtenir la libération de
Chen Duxiu, détenu par le gouvernement nationaliste de 1932 à
1937.
En juin 1933, l’administrateur de l’Academia Sinica et
cofondateur de la Ligue chinoise pour les droits de l’homme est
abattu en pleine rue devant les bureaux de Shanghai de
l’Académie. C’est un choc pour Cai Yuanpei qui, après un temps
de silence et de réflexion, se retire de toute fonction
officielle en dénonçant la répression violente du gouvernement
de Nankin.
Après le déclenchement de la guerre sino-japonaise, le 28
juillet 1937, il participe à la fondation de l’Association de
Shanghai pour la sauvegarde de la culture (上海文化界救亡协会)
et mène des actions de défense de la culture et de
l’enseignement.
Cependant, en grande partie en raison de problèmes de santé, il
se retire à Hong Kong où il vit solitaire jusqu’à sa mort en
mars 1940, à l’âge de 72 ans.
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Influence littéraire
Cai Yuanpei a une carrière tellement riche et a
exercé une telle influence sur son époque que l’on
omet souvent de souligner l’influence qu’il a
exercée en matière littéraire. Convaincu de
l’importance de revivifier la langue écrite pour
redonner vie à la littérature, sclérosée par
l’utilisation de la langue classique incapable
d’évoluer avec son temps, il a activement œuvré en
faveur du développement du baihua et de son
utilisation par les écrivains.
Et non seulement il a promu le baihua, mais
il a lui-même écrit une nouvelle en baihua :
« Le Rêve du Nouvel An » (《新年梦》),
nouvelle courte d’environ
9 000
caractères publiée à partir du 17 février 1904 dans
un journal de Shanghai dont Cai Yuanpei était l’un
des rédacteurs.
Elle fait ainsi figure de prototype des nouvelles en
baihua telles qu’elles seront développées par
Lu Xun près
de quinze ans plus tard.
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La statue de Cai Yuanpei sur
le campus de l’université de Pékin |
L’ancienne résidence de Cai Yuanpei à
Shaoxing, devenue musée
Des deux côtés de la porte, sentences parallèles :
champion de l’éducation / modèle
universel |
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Le personnage principal est un « homme du peuple
chinois » (‘中国一民’),
en fait fils d’une famille du « sud du fleuve », le
Jiangnan, mais qui devient artisan, Cai Yuanpei en
profitant pour valoriser au passage l’apprentissage
pratique. Cet homme voyage, apprend beaucoup de
langues, le rêve du titre étant celui d’avoir un
pays fort et unifié, mais aussi un pays réformé, ce
qui correspond à l’idéal du moment en Chine, surtout
celui de l’auteur, mais n’est pas près de se
réaliser. |
Ce qui est intéressant, c’est l’écriture : un baihua
encore dans les limbes. Ainsi la nouvelle commence avec les vœux
de Nouvel An exprimés à six heures du matin par l’homme qui se
réveille :
“公喜!公喜!新年了,到新世界了,真可喜!真可喜!…
Soit !
恭喜!
恭喜!
新年快乐,
…
Bravo ! Bravo ! Bonne année, voilà vraiment de quoi se réjouir,
de quoi se réjouir…
C’est amusant car il faut presque lire le texte à haute voix
pour comprendre ce qu’il veut dire, car Cai Yuanpei n’utilise
pas les caractères qui sont devenus courants, ou les expressions
consacrées. On mesure le travail qu’il reste à faire pour
arriver au baihua de
Lu Xun.
A lire en
complément
Comment les premières étudiantes ont été
admises à l’université en Chine
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