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Langue et littérature persanes en Chine : une longue histoire

par Brigitte Duzan, 30 septembre 2020 

 

L’histoire des contacts culturels entre la Chine et la Perse remonte au premier siècle avant Jésus-Christ, avec des premiers témoignages dans des textes de la dynastie des Han ; mais ils se sont surtout développés après la conquête de la Perse par les musulmans puis avec le développement de la Route de la soie. Le persan a été lingua franca dans une bonne partie de l’Asie sous les Mongols, et langue officielle en Chine sous la dynastie mongole des Yuan. On peut dire que la présence de Persans – et du persan - en Chine est une marque du degré d’ouverture de l’empire chinois au cours des siècles, et de sa politique expansionniste vers l’ouest [1].

 

·         Premiers contacts

 

On trouve la plus ancienne mention de la « Perse » dans les « Mémoires historiques » (Shiji 《史记》) de Sima Qian (司马迁), chef-d’œuvre autant littéraire qu’historique achevé en 91 avant Jésus-Christ. Sima Qian évoque le voyage de Zhang Qian (张骞), émissaire spécial de l’empereur Han Wudi (汉武帝) qui l’a envoyé en mission en Asie centrale en 139 avant Jésus-Christ. C’est le premier diplomate officiel à rapporter des informations concrètes et authentiques sur l’Asie centrale à la cour impériale

 

Zhang Qian prenant congé de l’empereur Wudi

lors de son départ pour l’Asie centrale en -139.

Peinture murale sur la grotte 323 à Dunhuang

chinoise. Il a visité les territoires iraniens à la fin de sa première mission, en 126 avant Jésus-Christ ; dans son rapport, il mentionne un pays nommé Anxi (安息), qui pourrait être une translittération d’Arsak, et renvoyer aux Arsacides (dynastie parthe qui a gouverné l’Iran de 250 avant J.C. à 226 après). 

 

On a d’ailleurs une mention de la Perse aussi dans le « Livre des Han » (Hanshu 汉书) achevé après la mort de l’historien Ban Gu (班固) par sa sœur Ban Zhao (班彪), en l’an 111 [2].

 

C’est la diffusion du bouddhisme qui a ensuite contribué au développement des contacts. Ce sont en effet deux moines iraniens (parthes) qui ont été parmi les premiers à introduire le bouddhisme en Chine [3] : An Shigao (安世高) et An Xuan (安玄) – le premier caractère dérivant probablement de cet ancien nom d’Anxi utilisé par Zhang Qian dans son rapport à l’empereur. An Shigao a été l’un des premiers traducteurs de textes bouddhistes en chinois. La tradition fait de lui un prince parthe qui se serait fait moine ; il s’est installé à Luoyang, la capitale des Han, en 148, et a traduit une trentaine de textes dont il reste une vingtaine.

 

Quant au terme désignant la Perse en chinois, bōsī  (波斯), translittération probable de pārsīfārsī, on le trouve pour la première fois dans le « Livre des Wei » (《魏书》), la dixième des 24 annales dynastiques, rédigée entre 551 et 554.

 

C’est cependant à partir de la conquête de la Perse par les armées arabes en 651 que des communautés de marchands perses (et autres musulmans) sont venues s’établir en Chine, en suivant la Route de la soie, et que se multiplient les références à la Perse et à sa culture dans les textes chinois les plus divers.  

 

·         Vestiges épigraphiques (6e/9e siècle)

 

La période Sui-Tang (581/618-907), mais aussi la période de division – et de migrations - qui précède[4], sont des périodes d’ouverture et d’enrichissement au contact d’autres cultures, et de leurs religions. On en a des témoignages gravés dans la pierre : dans les inscriptions bi- voire multilingues sur les pierres tombales.

 

La tombe de Wirkak

 

Ainsi, en 2003, on a découvert dans le district de Weiyang (未央区), près de Xi’an, la tombe d’un Sogdien nommé Wirkak et de sa femme, en chinois tombe de maître Shi (Shǐ Jūn Mù 史君墓), avec un riche sarcophage de pierre portant une épitaphe bilingue en sogdien et en chinois – le sogdien appartenant au groupe des langues est-iraniennes. L’inscription explique que Wirkak, mort à l’âge de 86 ans en 579 [5]), était comme son père un sabao (薩保), translittération d’un terme sogdien signifiant chef caravanier. Il s’était d’abord installé

 

Le sarcophage de Wirkak avec la place de la double épitaphe

à Chang’an où il avait eu un poste au département juridique du bureau des sabao, puis avait été nommé à Liangzhou, dans le Gansu.

 

Le sarcophage porte par ailleurs des symboles zoroastriens, religion des Sogdiens qui ont joué un rôle notoire d’intermédiaires commerciaux le long de la Route de la soie. Il s’agit là d’une preuve de l’importance dès le 6e siècle des communautés d’origine perse en Chine. Elles vont se multiplier sous les Tang.

 

La tombe de Mashi

 

 

Estampage de l’inscription en sogdien

 

 

L’une des plus anciennes inscriptions en persan en Chine est celle gravée sur la pierre tombale de l’épouse d’un général également découverte près de Xi’an : datant de 874, elle est inscrite en pahlavi [6] et en chinois. Elle illustre les liens qui existaient entre les souverains sassanides et les empereurs chinois, et les tentatives de rapprochement des descendants de ces rois après la mort du dernier.

 

Estampage de l’inscription en chinois 

 

En 651, Peroz, fils du dernier de ces rois [7], établi dans le Sistan, au sud-est de l’Iran, avec l’aide des Turcs, envoie une ambassade en Chine pour demander l’assistance militaire de l’empereur Gaozong ; l’aide est refusée, mais le royaume de Peroz officiellement reconnu. Peu de temps

après, cependant, Sistan tombe aux mains des Arabes. En 673 et 675, Peroz revient deux fois à Chang’an. L’empereur le nomme officier et membre de sa garde personnelle, mais Peroz meurt vers 678 ; son fils Narseh continue la lutte contre les Arabes pendant vingt ans, mais sans succès ; finalement, en 708-709, il revient en Chine et y meurt.

 

D’autres descendants de la cour des Sassanides ont cependant continué de jouir d’un grand prestige en Chine, et même à avoir des rangs prestigieux dans l’armée. C’est ce dont témoigne l’inscription funéraire découverte pendant l’hiver 1955 à environ deux kilomètres de Xi’an. L’inscription en moyen persan comporte six lignes horizontales au-dessus de l’inscription en chinois qui est en sept lignes verticales. La pierre tombale, très endommagée par le temps, est au musée historique du Shaanxi. Elle a fait l’objet d’une première publication en chinois en 1964. La traduction du texte persan a suivi, avec de nouvelles interprétations en 1971 et 1988 [8].

 

Le texte chinois rend compte de la mort de Mashi (dame Ma), épouse du commandant Suliang (苏凉妻马氏) de l’aile gauche de l’armée « de la divine stratégie » (fondée vers le milieu du 8e siècle) : il était membre d’une des grandes familles de la période arsacide de l’empire parthe (précédant les Sassanides) qui étaient chargées de l’administration des régions de Sistan et Nisapur. Le décès, à l’âge de 26 ans, de la jeune femme est intervenu « la 15e année de l’ère Xiantong (唐咸通十五年) du règne de l’empereur Yizong », soit en 874.

 

L’inscription bilingue sur la tombe de Dame Ma,

épouse du commandant Suliang

  

·         Poétesse et concubine impériale au 10e siècle

 

Pendant la période des Cinq dynasties et des Dix royaumes (907-960), certains empereurs chinois ont épousé des femmes persanes. Selon l’historien Chen Yuan (陈垣) [9], « pendant les Cinq dynasties, les empereurs préféraient épouser des femmes persanes, et pendant la dynastie des Song, les hauts fonctionnaires aimaient épouser des femmes arabes. »

 

Le Haiyao bencao, édition de 1997

 

L’un des Dix royaumes était celui de Shu antérieur (前蜀 907-925), sur le territoire de l’actuel Sichuan, avec pour capitale Chengdu. Chassées par la rébellion de Huang Chao (黄巢 875-884), à la fin des Tang, des familles iraniennes établies dans la capitale Chang’an vinrent s’installer au Sichuan en prenant le nom de Li, dont celle de l’herboriste Li Xun (李珣), auteur du Haiyao bencao (《海药本草》) ou « Traité de pharmacopée étrangère », qui vint se réfugier au Sichuan en 880.

 

Li Xun avait une sœur, Li Shunxian (李舜弦), née vers 900 dans la préfecture de Zi (Zizhou 資州), au Sichuan ; elle était poète, comme son frère, mais aussi la concubine de l’empereur Wang Yan (王衍), deuxième et dernier souverain de l’Etat de Shu antérieur, célèbre pour ses mœurs dissolues. C’est alors qu’elle était dans

le harem impérial qu’elle a commencé à écrire ses poèmes. Parmi les « Dix mille quatrains des Tang » (《万首唐人绝句》) de l’anthologie compilée par Hong Mai (洪迈) sous les Song du sud, de 1180 à 1190, trois sont de Li Shunxian. Elle est la seule poétesse non chinoise de ce qu’il est convenu d’appeler la Chine médiévale (6e-13e siècle). Elle est morte en 926, massacrée avec l’empereur Wang Yan et ses autres concubines, par Li Zhuangzong (李庄宗), fondateur de la dynastie des Tang postérieurs.

 

Pendant cette même période, mais un peu plus tard, une autre jeune femme d’origine persane, nommée Mei Zhu (), fut la favorite du jeune empereur Liu Chang (刘𬬮, 942-980) de la dynastie des Han du Sud (南汉), avec pour capitale Canton. Liu Chang est resté célèbre pour ses orgies ; les femmes de son harem étaient pour la plupart réputées d’origine persane. Cela montre bien l’importance de la communauté persane établie, cette fois, dans la région de Canton. Il semble bien qu’il y avait des familles persanes partout en Chine, non seulement dans les capitales du nord, mais aussi dans les provinces de l’ouest et du sud, du Sichuan au Guangdong. 

 

·         Période mongole : le persan langue officielle

 

Pendant la dynastie mongole des Yuan (1260-1368), il y eut pendant près de deux siècles une certaine unité politico-culturelle dans une vaste zone allant du littoral chinois aux confins occidentaux en passant par les steppes d’Asie centrale. La dynastie des Yuan entretenait des rapports étroits avec les souverains ilkhanides de Perse, l’Ilkhanat étant un khanat perse fondé en 1256 par le grand khan Möngke avec à sa tête son frère Houlagou, petit-fils de Gengis Khan [10]. Dans cette vaste zone, la langue persane a été une sorte de lingua franca et la période a connu d’importants flux migratoires vers la Chine.

 

Langue officielle, enseignement et traductions

 

Sous la dynastie des Yuan, le persan était, avec le chinois et le mongol, l’une des trois langues officielles en Chine, utilisées par l’administration et le secteur éducatif. En 1289, sur recommandation du Département des Affaires d’Etat (Shangshu Sheng 尚書省) [11], Kubilai Khan créa à Dadu (aujourd’hui Pékin) un institut rebaptisé en 1314 « Collège impérial pour les huihui » (回回国子监) afin d’enseigner une langue destinée aux échanges avec les peuples d’Asie centrale. 

 

C’était un enseignement réservé à l’élite, les « fils de hauts dignitaires et familles riches » (gongqing dàifu ji fumin zhi zi 公卿大夫既富民). Après leurs études, les jeunes étaient envoyés dans divers bureaux gouvernementaux comme interprètes et traducteurs. La langue enseignée est désignée dans les documents officiels par « yi si ti fei wen » (亦思替非文) c’est-à-dire « langue choisie », renvoyant à l’Islam ; mais certains experts pensent que le terme désignait probablement le persan, ou le sogdien [12].

 

Conversion de Ghazan Khan, 7ème

souverain de l’Ilkhanat de l’empire

mongol (1295-1304), bouddhiste

converti à l’islam lors de son

accession sur le trône

   

Le Huihui yaofang en quatre volumes

 

Il fallait des traducteurs car nombre de livres persans ont été traduit pendant la période mongole, et en particulier des livres d’herboristerie pour la médecine traditionnelle. Ainsi le Hui-hui yaofang (《回回药方》) ou “prescriptions huihui”, compilé et traduit par des chinois musulmans, en quatre volumes, contient les noms de nombreuses plantes écrits en persan, certains dans le script original, d’autres

en translittération, et certains traduits. Les quatre volumes sont à la bibliothèque de l’université de Pékin.

 

Persans dans l’administration

 

Par ailleurs, une trentaine de musulmans ont été à la tête d’importants postes administratifs sous Kubilai Khan, et beaucoup étaient persans. Huit des douze districts administratifs avaient des gouverneurs musulmans nommés par l’empereur. L’un des plus connus est Sayyid Ajall Shams al-Din Omar, d’origine iranienne : il était originaire de Boukhara. Il a participé à la conquête du Sichuan aux côtés de Möngke, et a été nommé gouverneur provincial du Yunnan après la conquête du royaume de Dali en 1274. Son fils Nasr al-Din lui succéda à sa mort en 1279. Il est considéré comme l’ancêtre de nombreuses lignées hui du Yunnan, ainsi que du Ningxia et du Fujian.

 

Kubilai Khan a également fait venir des savants musulmans : l’astronome Jamal ad-Din qui a permis de corriger le calendrier chinois était également originaire de Boukhara. Des cartographes musulmans d’origine iranienne ont contribué à l’établissement de cartes des nations le long de la Route de la soie. Des médecins ont organisé des hôpitaux ; ils avaient leur propre institut de médecine à Pékin et Shangdu, la capitale d’été des Yuan. Pour la conquête des Song du sud, Kubilai s’est aussi entouré d’ingénieurs d’origine persane spécialistes des sièges, dont Al al-Din qui, avec son collègue Ismail originaire d’Irak, a aidé Kubilai à conquérir Hangzhou et d’autres villes des Song du sud en perfectionnant l’art du trébuchet.

 

·         Apogée sous les Ming

 

Traductions

 

Sous les Ming (1368-1644), la politique de traduction est poursuivie par les empereurs. Le « Bureau des quatre Barbares » ou Si Yí Guan () est établi pour fournir des traductions officielles et former des traducteurs.

Le persan, apparemment, n’était requis que de manière occasionnelle pour traduire des livres et des documents diplomatiques. Mais le premier empereur de la dynastie, Taizu (太祖 r. 1368-1397), a chargé un groupe de traducteurs de la traduction en chinois de plusieurs livres persans, dont un traité d’astronomie. Lors des combats menés pour établir la dynastie, il avait été aidé par un général né dans l’Anhui, mais d’origine persane, nommé Hu Dahai (胡大海 mort en 1362).

 

En 1407, l’empereur Chengzu (成祖 r. 1403-1425) émet une ordonnance en chinois, mongol et persan visant à la protection des minorités musulmanes en Chine. Le Si Yí Guan a ensuite produit un manuel pour enseignants et traducteurs avec un lexique d’un millier de termes [13].

 

Inscriptions

 

On peut voir une inscription en persan datant du 15e siècle dans la mosquée de Niujie ou rue du Buffle (牛街礼拜寺), dans le district de Xicheng (西城区) à Pékin. C’est la plus ancienne et la plus grande mosquée de la capitale, construite en 996 par Nazruddin, un savant arabe fonctionnaire des Liao, ou Khitans ; détruite par les armées de Gengis Khan en 1215, elle a été restaurée en 1496 et agrandie en 1696 sous l’empereur Kangxi des Qing. Elle a conservé le style des monastères bouddhistes et taoïstes par souci de ne pas se distinguer.

 

Au sud-est de la tour qui sert de minaret se trouvent la tombe du fondateur, mais aussi celles de deux voyageurs venus de Perse aux 13e et 14e siècles. Malheureusement les inscriptions ont été à moitié effacées par le temps, mais c’est encore pire pour celle qui était sur un mur de la mosquée de Sanli He (三里河清真寺), dans le quartier de Qianmen.

 

Déclin à la fin des Ming

 

Vers le milieu de la période Ming, cependant, après la mort de l’empereur Yongle, en 1424, le pays se referme en partie en raison de la menace mongole au nord. Les contacts avec les pays du monde islamique commencent à se raréfier. Dans le Si Yi Guan, il reste peu e spécialistes parlant le persan. Au milieu du 16e siècle, des madrasas sont créées ; quelques musulmans enseignent encore en persan, mais surtout chez eux ; l’enseignement religieux se fait de plus en plus en arabe et peu de mosquées le dispensent dans les deux langues. Le chinois devient de toute façon la langue généralement parlée.

 

Le cas de Liu Zhi (刘智 1660­-1730) est caractéristique : c’est un grand penseur sunnite de Nankin qui, à la fin des Ming, a vécu la prise de la ville par les Mandchous, en juin 1645, si bien que sa vie littéraire s’est déroulée en majeure partie sous le règne de l’empereur Kangxi ; il a contribué à rapprocher l’islam des religions chinoises en essayant de l’expliquer en empruntant au bouddhisme, au taoïsme et au confucianisme ; il est très étudié aujourd’hui. Mais il avait appris l’arabe.

 

·         Ouvrages en persan sous les Qing

 

Au début de la dynastie des Qing (1644-1911), presque plus personne ne parlait bien le persan à la cour, et le processus s’est accéléré après l’abandon du calendrier musulman en 1669.

 

A la fin du 17e siècle, des manuels de langue persane sont écrits et publiés. C’est le cas de l’ouvrage fait par Chang Zhimei (常志美 1610-1670), un musulman du Shandong qui avait créé une école islamique où il enseignait le persan pour pouvoir lire la littérature islamique dans le texte ; il a compilé une grammaire persane (《波斯语文法》) considérée comme l’une des plus anciennes écrites en persan, sinon la plus ancienne, dont on a retrouvé un exemplaire dans la bibliothèque de la mosquée Dongsi (东四清真寺) à Pékin [14] ; elle est intitulée Menhāg aṭ-ṭalab (« La voie de la recherche »).

 

D’autres traduisent ; certains manuscrits sont copiés, et préservés dans des mosquées. Le Musée national du Palais de Pékin, pour sa part, possède quatre tablettes de bois inscrites en persan. Certains y voient des cadeaux présentés comme tributs par des Persans [15] - pratique du tribut illustrée par un poème d’un recueil de Li Shengzhen’s (李声振) écrit sous le règne de l’empereur Qianlong, « Cent branches de bambou illustrant des jeux » (Baixi zhuzhi ci 《百戏) [16] ; l’un des poèmes décrit un acteur en costume persan accompagné d’autres déguisés en éléphants qui dansent sur « l’air de la présentation du tribut » (Gongbao qu 《贡报曲》). Il y a là toute une imagerie « exotique » qui remonte à la grande période d’expansion vers l’Asie centrale de l’empire chinois, sous les Tang.

 

·         Début du 20e siècle

 

Au début de la période républicaine, à partir des années 1920, des madrasas sont créées où le persan était enseigné. Mais c’est aussi une grande période de traductions de poèmes, avec deux grands traducteurs : Ha Decheng (哈德成) (1887-1943) et Wang Jingzhai (王静斋 1879-1948).

 

Traductions de poésie classique

 

Qiangwei yuan

 

Traduction de l'anglais : The Rose Garden

 

Outre diverses traductions de l’arabe, dont le Coran (《古兰经译解》), Wang Jingzhai a traduit le Golestān de Saadī [17] : son Zhēnjìng huāyuán (《真境花园》) a été publié en 1947 aux Presses musulmanes de Pékin. Mais une autre traduction du Golestān a été réalisée à la même époque, par Shui Jianfu (水建馥 1925-2008) : « Le jardin des roses » (Qiangwei yuan 《蔷薇园》 [18]) ;  bien que réalisée à partir de la traduction en anglais (“The Rose Garden”), cette traduction a été publiée par les éditions Littérature du peuple, dans la collection des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. Ces deux traductions ont donné lieu à des lectures à la radio et à la télévision, contribuant à la vulgarisation de l’œuvre de Saadi en Chine.

 

Langue de la sinologie moderne

 

En même temps, en Occident, le persan était devenu langue indispensable pour les sinologues. Son importance pour les premiers grands sinologues français modernes est indéniable. Une anecdote montre les liens persistants entre persan et chinois. Lorsqu’une chaire de « langues et littératures chinoises et tartares-mandchoues » est créée en novembre 1814 au Collège royal, aujourd’hui Collège de France, c’est un jeune sinologue de 26 ans, brillant, mais autodidacte, qui est nommé titulaire du poste : Jean-Pierre Abel-Rémusat. Il n’avait encore publié que deux essais, mais ils avaient été remarqués par l’orientaliste Silvestre de Sacy, qui était professeur de persan au Collège royal depuis 1806. C’est en grande partie grâce à son appui qu’Abel-Rémusat fut choisi…

 

Abel-Rémusat est le père de la sinologie moderne française. Parmi les sinologues-archéologues-explorateurs du début du 20e siècle en France, l’un des plus célèbres est Paul Pelliot, le découvreur en mars 1908 des fameux

 

Paul Pelliot examinant des manuscrits

dans la grotte de Mogao en 1908

(photo musée Guimet)

manuscrits de Dunhuang, qui comportaient des textes en chinois, tibétain, sanscrit, koutchéen, khotanais, sogdien et ouïgour. Hyperpolyglotte, capable de lire treize langues, dont les langues iraniennes anciennes, Pelliot étudia lui-même les manuscrits.

 

Parmi les Collections de manuscrits orientaux de la BnF figurent des collections de manuscrits en persan dont la constitution remonte à la politique d’acquisition de Colbert, à partir de 1667. Parmi les collections patrimoniales, le fonds Pelliot persan compte 2 600 manuscrits.
 

 

 

[1] Nous nous intéressons ici à la langue et à la littérature, mais on pourrait aussi aborder le sujet sous l’angle des influences croisées en peinture. Voir :

http://www.teheran.ir/spip.php?article2086#gsc.tab=0

[3] Après les émissaires impériaux envoyés en mission avec une délégation en 65 vers « Tianzhu » (天竺), soit le nord-ouest de l’Inde, par l’empereur Han Mingdi (汉明帝) ; ils inviteront deux moines indiens rencontrés en chemin – en Afghanistan - à venir à Luoyang.

[4] C’est la période dite des « dynasties du nord et du sud ». Voir le rappel historique dans les Histoires dynastiques.

[5] Soit à la fin de la dernière des dynasties du nord, celle des Zhou du Nord, juste avant la fondation de la dynastie des Sui en 581.

[6] Pahlavi ou moyen perse, langue iranienne parlée à l’époque sassanide, ancêtre du perse moderne. C’est la langue de la littérature zoroastrienne, religion d’Etat de la Perse sassanide (224-250).

[7] Une statue (aujourd’hui décapitée) de Peroz accompagné d’un noble persan se trouve à l’entrée du mausolée de l’empereur Gaozong et de l’impératrice Wu Zetian sur le site des tombes impériales de Qianling (乾陵) près de Xi’an ; l’inscription au dos de la statue le présente comme grand général et « roi de Perse » (波斯).

[9] Chen Yuan (1880-1971) : l’un des « quatre grands historiens de la Chine moderne » (现代四大史学家”), spécialiste d’histoire religieuse.

[10] Mais la politique de conquête dégénéra en dissensions, puis division en 1335, les princes mongols conservant l’ouest du pays et les dynasties iraniennes les remplaçant à l’est.

[11] L’un des trois grands départements de l’administration impériale chinoise, institués par les Sui. Le Shangshu Sheng a connu une existence précaire sous les Yuan, aboli une première fois en 1272, restauré en 1287, etc…

[13] Voir : The Uses of Persian in Imperial China, the Translation Practices of the Great Ming, by Graeme Ford, in The Persianate World: The Frontiers of a Eurasian Lingua Franca, ed. by Nile Green, University of California Press, 2019, 368 p.

https://www.jstor.org/stable/j.ctvr7fdrv.10?seq=1#metadata_info_tab_contents

[14] L’une des plus anciennes mosquées de Pékin, construite, dit une légende, pendant la dynastie des Liao dont Pékin était la capitale secondaire. D’après les documents, cependant, elle a été construite en 1346, pendant la dynastie des Yuan, puis agrandie et rénovée sous les Ming, en 1447 et 1486.

[15] Voir : Persian Language and Literature in China viii

https://iranicaonline.org/articles/chinese-iranian-viii

[16] Courts poèmes lyriques dans le style zhuzhi ci () ou « chants des branches de bambou », interprétés accompagnés d’un instrument à cordes comme le yangqin.

[17] Célèbre recueil de poèmes en prose écrit en 1259, présenté comme une collection de roses dans une roseraie. Il comporte huit chapitres comme les huit portes du Paradis.

[18]  Terme littéraire, qiangwei 蔷薇 désigne des petits rosiers multiflores du genre polyanthas – ceux que l’on voit sur les tapis persans.

 

 

[Etude réalisée pour la table ronde « Nouvelles persanes et chinoises » du festival VoVf du 4 octobre 2020]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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