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La revue « La
littérature de Pékin » fête son soixantième anniversaire
par Brigitte Duzan, 25 septembre
2010
« La
littérature de Pékin » (ou Beijing wenxue
《北京文学》)
a fêté ce mois-ci ses soixante ans d’existence avec un
numéro spécial de quelque deux cents pages célébrant
l’événement.
Aujourd’hui l’une des revues littéraires les plus
importantes de Chine, elle a subi les aléas de
l’histoire et, contrainte à s’adapter pour survivre, a
connu un parcours représentatif de toute une profession
brusquement privée de ses soutiens institutionnels et
confrontée à la dure loi du marché.
Revue des lettres et des arts
L’une des
premières tâches du Parti, après la fondation de la
République populaire, fut d’organiser le secteur de la
presse, et en particulier de la presse littéraire ; il
lui incombait en effet la fonction primordiale assignée
par Mao à la littérature et aux arts dès son discours de
Yan’an, en |
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N° de septembre 2010 |
1942 : fonction éducative auprès du
peuple, fondée sur les principes du réalisme socialiste.
1er numéro septembre 1950 |
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La première
revue littéraire à être créée dans ce cadre, dès octobre
1949, fut « La littérature du peuple » (ou Renmin
wenxue 《人民文学》).
La revue lancée à Pékin l’année suivante avait un champ
plus vaste puisqu’elle était intitulée « La littérature
et les arts de Pékin » (《北京文艺》),
et elle avait à sa tête deux grands noms de la
littérature chinoise de l’époque :
Lao She (老舍) comme rédacteur général et
Wang Zengqi
(汪曾祺)
comme chef du bureau éditorial. Le premier numéro sortit
le 10 septembre 1950.
Peu de temps
auparavant, en janvier 1950, avait été lancée une autre
revue, intitulée « Histoires et chants » (《说说唱唱》),
dont la direction avait été confiée à l’écrivain Zhao
Shuli (赵树理).
L’objectif était de plonger aux sources de la culture
populaire, en publiant un florilège de récits et de
chants dépeignant, dans un langage accessible, la vie
dans les campagnes et ses changements récents. Le choix
de Zhao Shuli comme rédacteur en chef |
était emblématique : né en 1906 dans le
Shanxi, ses récits avaient pour thème la vie du paysans des
campagnes du Nord, et il était considéré comme « l’écrivain du
peuple ».
Les deux revues
avaient été lancées par la
fédération des Cercles littéraires et artistiques de
Pékin ; en 1951, elle décida de supprimer « La
littérature et les arts de Pékin » pour se concentrer
sur « Histoires et chants ». La politique fut inversée
quelques années plus tard : « Histoires et chants »
cessa de paraître en mars 1955, et « La littérature et
les arts de Pékin » fut réinstaurée sous le même titre (《北京文艺》),
avec un contenu élargi mais en conservant l’approche
populaire de l’autre revue.
Lao She, reprenant le poste de rédacteur en chef,
expliqua les objectifs de la revue |
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Lao She |
nouvelle mouture dans
l’éditorial du premier numéro, celui d’avril-mai 1955 :
« ..在文字上,《北京文艺》将力求通俗。无论是创作,还是理论,我们希望在文字上都能够作到简明浅显,容易阅读。我们切盼每一篇作品都能够深入浅出,既有充实的内容,又不晦涩难懂。我们知道,广大的读者需要这样的作品。因此,虽然深入浅出,通俗易懂,需要很高的艺术技巧,不是一时就能作到好处的,可是我们希望与投稿者共同努力,逐渐树立起这一风格... »
« Pour ce qui est
de l’expression, ‘La littérature et les arts de Pékin’ devra
s’efforcer d’être populaire. Que ce soit dans le travail de
création ou dans le domaine théorique, nous souhaitons que les
textes soient concis et faciles à comprendre. Comme notre
souhait le plus cher est d’aborder les sujets en profondeur mais
en termes simples, chaque texte doit être riche et clair. Nous
savons qu’un grand nombre de lecteurs ont besoin d’œuvres de ce
genre. C’est pourquoi, bien qu’il faille un degré élevé de
compétences littéraires pour écrire sur des sujets profonds de
façon succincte et lisible, et bien que l’on ne puisse maîtriser
une telle capacité du jour au lendemain, nous espérons néanmoins
que nos contributeurs accepteront de travailler avec nous à
construire ce nouveau style. »
La revue parut
jusqu’à la Révolution culturelle, jusqu’à ce que
Lao She se noie,
un jour d’août 1966, dans un lac de Pékin…
Renaissance sous le signe du marché
Rebaptisée « La
nouvelle revue des lettres et des arts de Pékin », elle
reparut en 1971 : ce fut la première à le faire. Elle
retrouva son nom initial en 1973, avant de devenir « La
littérature de Pékin » (《北京文学》)
en octobre 1980. Pendant toute cette période de
transition, la revue fut |
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Wang Zengqi |
dirigée par un simple
« responsable principal » (主要负责人),
le poste de rédacteur en chef n’étant réinstauré qu’en 1981.
« Lecteurs »
(《读者》) |
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A partir de
1983, cependant, la presse littéraire, comme le secteur
culturel dans son ensemble, connut une crise financière
aiguë causée par le retrait des financements publics, à
un moment où se faisait de plus en plus pressante la
concurrence des nouveaux médias populaires, la
télévision, puis internet. A partir du début des années
1990, cette pression entraîna l’émergence de magazines
littéraires grand public, comme « Lecteurs » (《读者》)
ou « Histoires contées en réunion »
(《故事会》). |
Ces évolutions
conjuguées se traduisirent par un effondrement de la diffusion
des revues littéraires traditionnelles, comme « La littérature
de Pékin ». Chacune chercha alors à se réorganiser et à
développer de nouvelles rubriques pour attirer plus de lecteurs
tout en faisant évoluer son image dans un sens plus populaire.
C’est ainsi que la devise de « La littérature de Pékin » passa de
"Littérature pékinoise de premier ordre" (一流的北京文学)
à "Littérature
pékinoise agréable à lire" (好看的北京文学).
En même temps,
de nouvelles rubriques populaires, ciblant des lectorats
spécifiques, furent introduites : "Réalité de la Chine"
(现实中国),
dédiée au reportage,
"Informations actuelles sur des auteurs qui ont eu leur
heure de célébrité" (
新时期走红作家今何在),
pour les nostalgiques d’écrivains
maintenant âgés, ou encore, à l’autre extrême de la
pyramide des âges, "Histoires incroyables d’internet" (网络奇闻),
pour la jeune génération.
Grâce à cette
conquête de nouveaux lecteurs, la revue a pu conserver
la qualité des nouvelles qu’elle continue à publier.
Telle celle qui ouvre le numéro spécial de ce
soixantième anniversaire : « Nuit de printemps traversée
par le vent »
(《春风夜》), de
Tie Ning (铁凝),
actuelle présidente de
l’Association
nationale des Ecrivains chinois.
Mais ce
numéro est surtout l’occasion de revenir sur l’histoire
de ces soixante années, avec des témoignages personnels,
ou des rééditions |
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« Histoires
contées en réunion »
(《故事会》) |
de textes, comme les
cinq histoires de
Cao Naiqian (曹乃谦)
intitulées
« Pensant
à toi la nuit venue sans trouver de solution
»
(《到黑夜想你没办法》)
qui, lorsqu’elles furent publiées initialement en juin 1988,
dit-on, furent l’objet d’une critique élogieuse de
Wang Zengqi.
C’est tout un pan de
l’histoire littéraire chinoise qui défile ainsi...
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