Actualités

 
 
 
     

 

 

Le 11e prix Mao Dun (2023) et ses cinq lauréats : retour en force du récit épique

par Brigitte Duzan, 11 août 2023

 

Les cinq lauréats du 11e prix Mao Dun (第十一届茅盾文学奖) ont été annoncés le 11 août (2023) par le vice-président de l’Association des écrivains et président du comité de sélection de ce 11e prix, Zhang Hongsen (张宏森) :

- « Le vaste pays des montagnes enneigées » (《雪山大地》) de Yang Zhijun (杨志军),

- « Baoshui » (《宝水》) de Qiao Ye (乔叶),

- « Bomba » (《本巴》) de Liu Liangcheng (刘亮程) [1],

- « Mille lis de monts et de fleuves » (《千里江山图》) de Sun Ganlu (孙甘露),

- « Echo » (《回响》) de Dong Xi (东西).

 

La liste des dix nominations [2] avaient été annoncées le 7 août  (2023) par l’Association des écrivains :

 

« Echo » (《回响》) de Dong Xi (东西), juin 2021.

« Food Is Heaven » (《燕食记》) de Ge Liang (葛亮), juillet 2022.

« Yousheng » (《有生》) de Hu Xuewen (胡学文), janvier 2021.

« Bomba » (《本巴》) de Liu Liangcheng (刘亮程), janvier 2022.

« La Rivière d’or » (《金色河流》) de Lu Min (鲁敏), mars 2022.

« Baoshui » (《宝水》) de Qiao Ye (乔叶), novembre 2022.

« Mille lis de monts et de fleuves » (《千里江山图》) de Sun Ganlu (孙甘露), avril 2022.

« Dans la brume » (《烟霞里》) de Wei Wei (魏微), décembre 2022.

« Le vaste pays des montagnes enneigées » (《雪山大地》) de Yang Zhijun (杨志军), décembre 2022.

« Le Cheval blanc parti au loin » (《远去的白马》) de Zhu Xiuhai (朱秀海), février 2021.

 

Ce qui frappait tout de suite en parcourant cette liste, c’est le retour en force d’un genre que l’on croyait plus ou moins révolu : la saga révolutionnaire étendue maintenant à la période dite de réforme et d’ouverture, et dans les terres tibétaines du Qinghai. La tonalité épique était expressément énoncée dans le titre même annonçant les nominations cette année : «  Liste des œuvres présélectionnées pour le 11e prix Mao Dun : dix œuvres représentatives de la poursuite du style épique » (《第十一届茅盾文学奖提名名单公布 10部作品呈现出史诗性追求》). Comme si c’était une injonction, ou une stipulation, plutôt qu’une synthèse…

 

Dans l’ensemble, ce sont des récits pleins de l’enthousiasme, voire de l’idéalisme d’une autre époque. Comme s’il fallait bien cela, aujourd’hui, pour lutter contre la morosité ambiante.

 

La grande saga révolutionnaire

 

- « Food Is Heaven » (《燕食记》)

Dans ce roman, Ge Liang suit le développement de la culture culinaire en parallèle avec les vicissitudes de l’histoire du Guangdong et de Hong Kong après la Révolution de 1911. A travers des portraits de marchands, révolutionnaires, politiciens, membres de confréries, chefs de clans et autres figures légendaires, c’est une histoire des bouleversements humains et sociaux que dépeint Ge Liang, qui a fait pour cela des recherches sur les grands classiques de la culture gastronomique cantonaise … Derrière tout cela, dit-il, « il n’y a pas seulement la nourriture, c’est aussi un miroir du temps » (…其背后不仅仅是食物,而是时代的投射。)

 

 

 

 

- « Yousheng » (《有生》)

Le titre signifie littéralement « il y a la vie ». Le livre est en effet une histoire de naissances : les quelque 12 000 auxquelles a présidé la vieille grand-mère qui est au centre du récit. L’histoire couvre plus de cent ans, à partir de la fin de la dynastie des Qing, mais elle est condensée dans la narration de la vieille femme en un jour et une nuit.

 

 

 

 

- « Bomba » (《本巴》)

Bomba est un endroit paradisiaque dans l’épopée mongole Jangar  (《江格尔》) [3] : personne n’y connaît ni la vieillesse ni la mort. Liu Liangcheng y situe l’enfance perdue de l’humanité. Les personnages de son roman sont trois enfants, il est question de jeux, de rêves et des souvenirs qu’il en reste au réveil. Liu Langcheng dit que c’est là le récit le plus heureux qu’il ait jamais écrit : une épopée pleine de l’innocence de l’enfance, écrite pour lui-même. 

 

 

 

 

- « Mille lis de monts et de fleuves » (《千里江山图》)

Le roman relate une opération secrète organisée par le Parti communiste à Shanghai dans les années 1930. Un groupe de travailleurs clandestins affrontent la mort dans un esprit de sacrifice et d’abnégation. Un nouvel épisode de la Légende rouge, tout particulièrement à Shanghai.

 

 

 

 

C’est le genre de roman à la gloire des héros anonymes du Parti dont on peut imaginer une adaptation cinématographique, ou au moins télévisée, dans une superbe reconstitution de décors d’époque…

 

- « Le vaste pays des montagnes enneigées » (《雪山大地》)

Yang Zhijun retrace dans ce roman l’évolution des modes de vie des nomades tibétains dans les prairies du haut plateau du Qinghai dans la deuxième moitié du 20e siècle. L’histoire se situe dans la zone où se trouve la source du fleuve Jaune (沁多草原). C’est là qu’est venu le personnage du « père », un cadre envoyé en 1949 enquêter sur les conditions de vie dans la commune de Qinduo.

 

 

 

 

Yang Zhijun décrit les changements intervenus dans la région à travers l’histoire de ce trio de personnages : le « père » (han) en mission et ses deux interlocuteurs tibétains, le chef du village et le nomade qui lui sert de guide, en quelque sorte. Une histoire d’entraide sur le front du développement économique de la région, avec création de la première école, d’une réserve naturelle, et du premier hôpital, une léproserie créée par la « mère »… Une vision de pionniers han « innocents et enthousiastes » dans les zones tibétaines des hauts plateaux du Qinghai dans les années 1950 et 1960… Une fable pour leurs descendants.

 

- « Le Cheval blanc parti au loin » (《远去的白马》)

Ce « Cheval blanc » est une autre histoire légendaire de femme : celle de Zhao Xiuying (赵秀英),  ancienne cheffe de la section du district du Parti du village de Zhaojianao (赵家垴村), pendant la guerre de libération du nord-est de la Chine. Histoire légendaire de la bru d’une femme qui a perdu son fils dans des conditions héroïques. Le roman est inspiré d’une histoire réelle, dans le contexte de la Guerre de Libération, avec descriptions de batailles. L’auteur Zhu Xiuhai a rencontré une centaine d’anciens combattants dans onze provinces au cours d’une recherche de treize mois. C’est peu à peu, au cours de ces entretiens, que lui est venue à l’idée l’image de l’héroïne Zhao Xiuying 

 

 

 

 

La grande saga révolutionnaire étendue à la période de réforme

 

- « La Rivière d’or »  (《金色河流》)

Voici un très long roman de Lu Min – le plus long à cette date - qui relate l’histoire de plus de quarante ans de la période dite « de réforme et d’ouverture » en partant des deux dernières années de la vie de Mu Youheng (穆有衡), surnommé Youzong (有总), l’un des chefs d’entreprise privés de la première génération. Son frère He Jixiang (何吉祥) est mort en lui laissant la fortune qu’il a accumulée pour nourrir les enfants qu’il n’aura jamais. C’est le pactole originel (“第一桶金”)…

 

 

 

 

Le roman est dans la ligne de la critique sociale des œuvres de Lu Min, mais transposée dans un autre registre, en termes de roman épique. On peut y voir un exercice d’écriture et imaginer une adaptation en série télévisée.

 

- « Baoshui » (《宝水》)

Baoshui est le nom d’un vieux village perdu dans les monts Taihang (太行山), sur la bordure est du plateau de lœss ; il signifie « eau précieuse ». Le roman de Qiao Ye conte l’histoire de la transformation du village, par le tourisme. L’originalité tient au personnage principal : une femme d’âge moyen en retraite anticipée qui, souffrant d’insomnie, vient au village aider une amie à gérer un gîte rural. Elle finit par participer activement aux affaires du village et, guérie de son insomnie, par s’y installer.

 

 

 

 

Qiao Ye a expliqué son titre en disant que ce sont les femmes, à l’époque actuelle, qui sont l’eau précieuse qui fait resplendir le monde autour d’elles (在这个时代中,美好的女性如同宝水,光芒照耀自身之外的世界。) [4].

 

- « Dans la brume » (《烟霞里》)

Wei Wei raconte la vie de son héroïne, Tianzhuang (田庄), née dans un village de montagne en 1970. Elle fait des études, se marie, a des enfants et meurt jeune à Canton. Nouvel épisode de la vie d’une femme dans les années d’ouverture. Sagement chronologique.

 

 

 

 

L’outsider

 

Dans ce contexte, le roman de Dongxi se distinguait par l’originalité de son propos et de son écriture :

 

- « Echo » (《回响》)

Le roman se présente comme un roman policier : il commence par le meurtre d’une femme dont l’enquête fait émerger une série de suspects. Mais ce n’est pour Dong Xi qu’un prétexte à construction sophistiquée.

 

 

 

 

Le cas est confié à une femme, Ran Dongdong (冉咚咚), dont l’enquête recoupe et exacerbe la crise de couple. Mais c’est la manière dont Dong Xi a structuré son récit qui en fait tout l’intérêt : les problèmes de l’enquêtrice, mariée avec un professeur de littérature, sont relatés dans les chapitres pairs tandis que son travail d’enquête sur le meurtre est dépeint dans les chapitres impairs, les uns répondant aux autres en « échos » et les deux lignes narratives se rejoignant dans le chapitre final.

 

On ne peut que se réjouir que ce roman ait été récompensé aux côtés des autres œuvres primées. Il y a toujours un outsider parmi les cinq prix annuels, mais ils ne sont pas toujours aussi originaux.

 

 


[1] Liu Liangcheng est récompensé après avoir été présélectionné déjà pour le précédent prix Mao Dun, le 10e prix en 2019, pour son roman « Livrer le message » (捎话).

[2] Classées par ordre alphabétique des transcriptions pinyin des noms des auteurs.

[3] C’est le grand poème épique de la littérature orale mongol, ou tuuli, comme l’épopée tibétaine de Gesar.  L’épopée commence en racontant l’histoire de l’arrière-grand-père de Jangar qui a mené son peuple dans un pays nommé Bomba en espérant pouvoir y créer un endroit où plus personne ne serait plus soumis à la souffrance et à la mort. Au bout de dix ans de lutte, il arrive à bâtir ce paradis, mais, alors qu’il était allé voir son troupeau de chevaux dans un pâturage, il est surpris par une tempête ; il doit se réfugier dans une vallée, mais, quand la tempête s’apaise, au bout de dix jours, et qu’il tente de repartir, il est enseveli dans une avalanche. L’épopée raconte ensuite l’histoire de ses descendants et de leur lutte contre les éléments aussi bien que contre les hommes…

[4] Déclaration lors de la 11e « Lecture dans la brise de printemps » (第十一届春风悦读颁奖).

[une manifestation littéraire créée en 2012 par les instances du Parti du Zhejiang et divers acteurs de la scène littéraire, dont la presse, pour créer des liens entre auteurs, éditeurs et lecteurs ; décernant une dizaine de prix, c’est devenu un tremplin pour les prix Mao Dun et Lu Xun]

 

     

   

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.