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				Le 6ème prix
				Hongloumeng décerné à Yan Lianke pour son roman « La Mort 
				du soleil » 
				par 
				Brigitte Duzan, 22 juillet 2016, 
				actualisé 25 février 2020   
					
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						Créé en 2006 
						par l’Université Baptiste de Hong Kong pour distinguer 
						les meilleurs romans écrits en langue chinoise 
						
						
						, 
						le prix Hongloumeng, ou prix du Rêve dans le 
						pavillon rouge (“红楼梦奖:世界华文长篇小说奖”) 
						a été décerné, pour l’année 2016, à
						
						
						Yan Lianke (阎连科) 
						pour son roman Rixi (《日熄》), 
						traduit en français 
						
						« La Mort du soleil » 
						et paru aux éditions Philippe Picquier en février 2020. 
						  
						Initialement 
						paru fin décembre 2015 aux éditions Rye Field (麦田出版社), 
						à Taiwan, ce roman a été annoncé par son auteur comme un 
						tournant dans son œuvre, marqué par l’abandon de la 
						grande narration historique et une recherche stylistique 
						visant à trouver le mode d’expression le plus approprié 
						à cette nouvelle forme narrative.  
						  
						
						Somnambules dans l’obscurité 
						  
						Un monde 
						somnambule |  | 
						 
						Rìxī / Death of the Sun |  
				  
				L’histoire est celle 
				d’un petit village de montagne qui, un soir d’août caniculaire, 
				la nuit tombée, devient somnambule, comme sous l’effet d’une 
				épidémie. Le somnambulisme, cependant, devient vite une 
				allégorie du monde réel, de l’effondrement des valeurs et de 
				l’ordre moral ; libérés des contraintes morales et sociales 
				usuelles, les somnambules commencent à faire ce dont ils 
				rêvaient mais qu’ils n’ont jamais osé faire : ils volent et 
				tuent sans vergogne.  
				  
				Dans le désordre 
				général, ils espèrent que tout cela n’est qu’un cauchemar qui va 
				s’achever quand le soleil va se lever. Mais le jour qui 
				s’annonce n’est pas plus clair que la nuit. En fait, les 
				somnambules semblent être plongés dans une nuit sans fin, comme 
				le suggère la structure même du récit, articulé en douze 
				chapitres comme autant de « veilles » (gēng
				更), 
				qui étaient autrefois la manière de compter les heures de la 
				nuit ; le récit commence avec la première des cinq veilles de 
				nuit (yīgēng
				一更), 
				entre 19 et 21 heures, mais le chapitre neuf est intitulé 
				« après la (dernière) veille (更后), 
				et le dixième « plus de veille » (无更). 
				  
				Il semble donc bien 
				que l’on soit désormais hors du temps, et qu’il n’y ait pas 
				d’échappatoire à cet état de somnambulisme délétère. On ne peut 
				espérer la salvation classique de la fin des temps.  
				  
				Une narration en 
				miroir 
				  
				L’originalité du roman 
				tient en grande partie à son mode narratif. L’histoire est 
				contée par un jeune villageois de quatorze ans, Li Niannian (李念念), 
				dont la famille tient un magasin d’articles funéraires (冥店).
				  
				  
				Il est le voisin d’un 
				écrivain nommé Yanba (“阎伯”)
				
				
				
				, 
				qui est évidemment un double de Yan Lianke, mais qui est à court 
				d’inspiration et n’arrive plus à écrire ; alors le jeune 
				Niannian invoque tous les esprits du monde pour qu’ils lui 
				viennent en aide et qu’il puisse finir son roman, intitulé « Une 
				nuit pour les hommes » (《人的夜》). 
				Mais c’est une tache sans fin comme cette nuit est sans fin.
				 
				  
				C’est un récit à 
				tiroirs autant qu’en miroir, qui a été d’autant plus difficile à 
				écrire qu’il représente, de la part de Yan Lianke, une volonté 
				initiale de rompre avec la grande tradition narrative qui est 
				celle de sa génération. 
				  
				Du mythoréalisme 
				à l’hypnoréalisme 
				  
				Fin de la narration 
				historique 
				  
				Yan Lianke dit avoir 
				révisé son manuscrit une bonne dizaine de fois pour trouver le 
				ton juste, le mode d’expression qui convienne à ce qu’il a conçu 
				dès le départ comme une œuvre de rupture et de forme 
				expérimentale : rupture avec la grande narration historique qui 
				est la forme traditionnelle du grand roman chinois de la période 
				contemporaine, et recherche d’une narration différente, plus 
				près du réel, pour la remplacer.  
				  
				Le récit lui a été 
				inspiré très concrètement par ses souvenirs d’enfance. Il a 
				expliqué que, quand il était petit, dans son village, il a 
				souvent vu des phénomènes de somnambulisme. L’été, quand il 
				faisait très chaud, que les moissons étaient terminées, les 
				villageois dormaient parfois sur l’aire de battage, et il y en 
				avait régulièrement qui étaient somnambules ; on les tapait pour 
				les réveiller, dit-il. Dans « Les jours, les mois, les années » 
				(《年月日》), 
				l’un des récits, d’ailleurs, est l’histoire d’un vieil homme 
				somnambule.  
				  
				Ce n’est donc pas une 
				invention fortuite. Quand Yan Lianke a décidé de se libérer de 
				la narration historique, et a cherché quelque chose pour 
				remplacer l’Histoire, il pensé au somnambulisme. La soumission 
				des esprits à l’Histoire en Chine – à travers les codes, la 
				morale et autres - est quelque chose de très profond et 
				d’insidieux, qui bride la créativité. Dans l’état de 
				somnambulisme, les gens en sont libérés, et ils peuvent réaliser 
				tout ce qu’ils veulent, que ce soit bien ou pas.  
				  
				L’hypnoréalisme 
				comme uchronie 
				  
				Cette idée a donc 
				amorcé un récit fondé non plus sur l’Histoire, mais sur une 
				fresque allégorique du quotidien.
				
				« Les 
				chroniques de Zhalie » (《炸裂志》) 
				amorçait déjà ce tournant, et le début d’une autre narration, où 
				la satire socio-politique se fait allégorie pour remplacer la 
				fresque historique.  
				  
				« La Mort du soleil » 
				est - dans son principe - une histoire très simple qui se passe 
				une nuit, dans un village, avec peu de personnages : une dizaine 
				tout au plus, outre Li Niannian et sa famille qui en sont le 
				centre. Il n’y a aucun souvenir, aucun flashback, qui puisse 
				introduire, indirectement, un élément d’histoire. 
				  
				Yan Lianke, il est 
				vrai, ne peut s’empêcher de revenir à l’Histoire, mais ce sont 
				plutôt ses personnages qui ne peuvent s’en détacher, comme s’ils 
				étaient formatés par l’Histoire jusque dans leur inconscient. 
				Dans son roman, l’un des villageois amorce une révolte calquée 
				sur celle du célèbre rebelle paysan de la fin des Ming Li 
				Zicheng (李自成), 
				en se proclamant à sa suite « Roi intrépide » - ou Roi vagabond 
				selon les interprétations (Chuǎng wáng
				闯王). 
				On nage en plein délire, en fait, dans ce roman, le 
				somnambulisme ayant supprimé toute restreinte et toute 
				contrainte.  
				  
					
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						Coucher de soleil en été |  | 
						Parallèlement 
						à la narration historique, Yan Lianke a abandonné le 
						mythoréalisme (“神实主义”) 
						des
						
						« Chroniques 
						de Zhalie » comme 
						mode narratif. Avec « La Mort du soleil », on peut 
						parler d’hypnoréalisme, un récit somnambulique aux 
						confins du réel, ou qui le transcende en considérant la 
						réalité à distance, comme on le ferait du royaume des 
						morts.  
						  
						En même temps, 
						« La Mort du soleil » semble faireêtre un clin 
						d’œil à son premier roman, en 1994 : « Coucher de soleil 
						d’été » (《夏日落》), 
						comme s’il avait réussi, en amorçant une nouvelle phase 
						narrative, à revenir à ses sources. Il est significatif 
						que le prix Hongloumeng ait couronné ce roman, 
						c’est une reconnaissance.   
						Tout le 
						problème va être maintenant de poursuivre au-delà de ce 
						roman. Yan Lianke dit avoir la tête pleine d’idées de 
						récits, mais il lui faut trouver le meilleur mode 
						d’expression pour les dire. |    
				  
				          
				  
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