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« Au pays du cerf
blanc » : après le roman, la bande dessinée
par
Brigitte Duzan, 08 février 2015
Au retour du
42ème festival de la bande dessinée
d’Angoulême, le dessinateur de
lianhuanhua
Li Zhiwu (李志武)
s’est arrêté à Paris le temps de présenter la traduction
française de sa seconde bande dessinée à la librairie du
Phénix et au Centre culturel de Chine. Il s’agit d’une
adaptation en lianhuanhua du roman de
Chen Zhongshi (陈忠实)
« Au pays du cerf blanc » (《白鹿原》),
publiée par les Editions de la Cerise.
Li Zhiwu, dessinateur original |
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Li Zhiwu et l’un de ses dessins pour
Bailuyuan |
Li Zhiwu n’est pas un dessinateur ordinaire de lianhuanhua :
d’abord parce qu’il dessine comme il respire, et que l’air qu’il
respire est celui du nord de son Shaanxi natal, le Shaanbei (陕北) ;
ensuite parce qu’il a un penchant affirmé pour les longs romans
de chez lui, et de préférence ceux qui ont été couronnés du prix
Mao Dun.
Dessinateur du Shaanbei
Li Zhiwu au travail |
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Li Zhiwu (李志武)
est né en 1962 dans le district de Yanchang de la ville
de Yan’an (延安市延长县),
dans le nord du Shaanxi. Enfant, son plus grand plaisir
était de feuilleter des bandes dessinées, ces
xiaorenshu qui se sont multipliés en Chine à partir
des années 1950. Il aimait tellement ces dessins qu’il
les copiait. A l’âge de 15 ans, il a dessiné lui-même
un lianhuanhua qui a été exposé au musée de la
culture du district. Cela n’a fait que le rendre encore
plus passionné de dessin. |
Tout naturellement, il s’est créé un style personnel: « Les gens
qui voient mes dessins se disent tout de suite que ce sont les
dessins de quelqu’un du Shaanbei. Les dessins des artistes des
autres endroits n’ont pas la même saveur locale (味道).»
Le style de Li Zhiwu est influencé par les vastes espaces
austères du plateau du loess où il est né.
Pour vivre, cependant, il travaille dans une société
d’assurance dont il est le directeur adjoint de la
branche publicitaire ; il se précipite sur son encre et
son pinceau dès qu’il rentre du travail, et dessine
jusqu’à une ou deux heures du matin. « Mon pinceau ne
reste jamais à l’abandon », dit-il ("画笔从未荒废").
Dessinateur d’adaptations de romans primés
Il a commencé par réaliser l’adaptation en
lianhuanhua d’un long roman de
Lu Yao (路遥),
autre grand écrivain du Shaanxi, mort |
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Les trois tomes de « Une vie ordinaire » |
prématurément en 1992 : « Un monde ordinaire » (《平凡的世界》).
Publié en trois parties entre décembre 1986 et octobre 1989, le
roman a été couronné du 3ème prix
Mao
Dun en 1991.
Li Zhiwu au travail avec Chen Zhongshi |
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C’est alors que Li Zhiwu a commencé à travailler sur ses
dessins. Quand il montra ce qu’il avait fait à
l’écrivain déjà très malade, celui-ci lui dit d’un air
appréciatif que c’était « pas mal du tout » (“水准不低”).
Les 656 pages du lianhuanhua ont d’abord été
publiées en 1999 dans le Journal des lianhuanhua
(《连环画报》),
un des rares mensuels spécialisés dans la bande dessinée
en Chine. L’œuvre a participé à la 9ème
Exposition nationale des Beaux-arts (全国美展)
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qui a lieu une fois tous les cinq ans à Pékin, et y a obtenu la
médaille de bronze.
Li Zhiwu a commencé à préparer un nouvel opus dès 1999,
cette fois en décidant d’adapter le roman de
Chen Zhongshi (陈忠实)
« Au pays du cerf blanc » (《白鹿原》) :
autre œuvre magistrale représentative de la littérature
du Shaanxi, parue en partie fin 1992 dans la revue
littéraire Dangdai (当代),
puis en entier aux éditions Littérature du peuple en
juin 1993. Couronné du prix Mao Dun en 1997, le roman a
été aussitôt salué par la critique unanime comme l’une
des œuvres les plus importantes de la littérature
chinoise contemporaine.
Cela valait bien quelques dessins…
Au pays du cerf blanc
Le lianhuanhua chinois
Le roman l’a attiré par sa galerie de personnages hauts
en
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Le roman de Chen Zhongshi, édition 2009
(pour le 60ème anniversaire
de la fondation de la RPC) |
couleur, et il s’est senti en phase avec le récit et
l’auteur. Quand le Journal des lianhuanhua lui a
demandé de dessiner un lianhuanhua adapté du
roman, il a accepté sans hésiter. Il y a ensuite passé
Les planches de dessins à l’état brut |
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tous ses moments de libre, fournissant au journal 60
planches de dessins par mois pendant 12 mois, soit au
total quelque 700 pages de dessins.
Le style du dessin est du même genre que celui de « Un monde
ordinaire », mais il l’a encore mieux adapté au roman: un dessin
épais à l‘encre noire, et des compositions complexes, donnant
des tableaux denses et sombres, dégageant une impression de
foisonnement (闷、满、黑之感).
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Puis il relut encore le roman, et fit trois voyages sur
les lieux où se passe l’histoire, pour mener de longues
recherches préparatoires sur le terrain. Parallèlement,
il a réuni deux malles de livres et documents ainsi que
des albums de vieilles photos sur les coutumes locales,
les vêtements, les bâtiments ; il a également acheté des
antiquités – vieilles théières, lampes à huile, et
toutes sortes de vieux objets qui lui ont permis de
recréer visuellement l’atmosphère du roman. |
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Des dessins comme des scènes de pièce de
théâtre |
Le lianhuanhua Bailuyuan, édition
chinoise |
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Il a ainsi dessiné pendant deux ans, totalement absorbé, sans
pratiquement s’accorder de pause, travaillant avec l’auteur du
roman et un scénariste pour l’adaptation du texte. Et
finalement, un jour de la fin de l’année 2001, il a achevé le
lianhuanhua : c’était le 17 novembre, à deux heures du
matin.
Chen Zhongshi, comme Lu Yao, a apprécié son travail ; il a
trouvé que le dessin, simple, comme primitif, correspondait
parfaitement au monde rural du Shaanbei pendant la première
moitié du 20ème siècle, et que la peinture rendait
très bien l’esprit de son œuvre ; les personnages, en
particulier, sont
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plus vrais que nature : Li Zhiwu leur a
apporté une attention particulière, s’attachant à montrer le
passage naturel du temps sur les visages, les silhouettes.
La version française
La version
française publiée aux Editions de la Cerise est fidèle à l’original, dans une
traduction sobre et claire
et une belle impression.
Comme dans l’original, et dans l’esprit du
lianhuanhua, c’est l’image qui prévaut, c’est elle
qui narre l’histoire et guide le lecteur, dans un rythme
insufflé par les blancs autant que le trait, les
quelques lignes de texte n’étant là qu’à titre
complémentaire. On peut juste regretter que celui-ci
n’ait pas été conçu dans une version bilingue, qui
aurait ajouté au caractère spécifique du dessin voulu
par Li Zhiwu celui du trait calligraphié.
Mais le livre s’adresse aux lecteurs françaisde bande
dessinée. L’éditeur a pensé qu’il toucherait ainsi un
public plus large. |
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Le lianhuanhua dans sa traduction
française sur le site de l’éditeur |
C’est déjà très bien que l’édition française vienne relayer
l’édition chinoise qui, dans le domaine du lianhuanhua, a
de plus en plus de mal à trouver des lecteurs.
Et après
Les Editions de la Cerise préparent pour la fin de
l’année 2015 un recueil d’une cinquantaine de poèmes
Song, qui, lui, sera publié dans une version bilingue.
Li Zhiwu avec les représentants des
Editions de la Cerise
au Centre culturel de Chine à Paris, le 7
février 2015 |
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Quant à Li Zhiwu, il s’est déjà lancé dans l’adaptation
d’un troisième roman, de l’autre grand écrivain du
Shaanxi :
Jia Pingwa (贾平凹).
Et le roman qu’il a choisi a également été couronné du
prix Mao Dun : il s’agit de « Qin Qiang » (《秦腔》),
publié en mars 2005, lauréat du prix mao Dun en 2008, et
défini comme un
« poème épique du monde rural contemporain chinois » (“一卷中国当代乡村的史诗”).
Avec ses trois romans adaptés en lianhuanhua, il
a pour ambition de réaliser |
une trilogie, trilogie de la culture et de l’histoire du
Shaanxi (“陕西风情三部曲”),
en hommage à sa terre natale.
Extraits de la bande dessinée Bailuyuan en chinois
:
www.toutiao365.com/lishi/article_195596.html
A lire en complément
Un article (en chinois) de Mlle LIU Xinna sur la rencontre avec
Li Zhiwu au Centre culturel de Chine à Paris, avec des photos
des œuvres de Li Zhiwu exposées pour l’occasion, ainsi que de la
séance de dédicace :
http://paris.cccweb.org/cn/sy/zxkd/29393.shtml
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