Textes divers

 
 
 
     

 

 

La « vue splendide » de Fang Fang est toujours là, il y a de l’espoir !

par Brigitte Duzan, 17 septembre 2020 

 

Dans un billet de son Journal récemment publié en traduction française sous le titre « Wuhan, ville close », Fang Fang publie sa réponse à la lettre d’un prétendu lycéen qui lui donnait des conseils en la critiquant d’un air faussement naïf : dans sa réponse, elle rend hommage à la politique de réforme et d’ouverture sans laquelle, dit-elle, la Chine ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.

 

Un article d’une rédactrice indépendante de Kunming, Wang Meijian (王美剑), paru en ce début de mois de septembre sur weibo reprend la même idée en défendant la position de Fang Fang de façon très subtile [1]. Il méritait d’être traduit.

 

Il commence par un titre sous forme de deux sentences parallèles se répondant :

 

方方的风景,社会的良心  

fāngfāng de fēngjǐng, shèhuì de liángxīn

Le « paysage » de Fang Fang, conscience de la société.

 

 

Une vue splendide

 

 

[La première sentence est une référence à la célèbre nouvelle de Fang Fang Fengjing (《风景》) – traduite en français « Une vue splendide » - celle qui a lancé le mouvement du néo-réalisme à la fin des années 1980. Liángxīn est la bonne conscience, celle qui met l’esprit en paix]

 

I.

张爱玲是我非常喜欢的作家,她当年为什么离开上海,众说纷纭,其中流传最广的说法,是下面这个原因。

 

Zhang Ailing est une écrivaine que j’aime énormément. On s’est demandé pourquoi elle avait quitté Shanghai, cette année-là [en 1952] et on en a donné diverses explications, mais la plus courante est la suivante.

 

据说原本她没打算走的,但是有一天,欣赏她才华的一位领导指名让她参加上海市第一届文代会,于是她穿着平时日常的旗袍就去了,结果到了会场发现别人都穿着列宁装,只有她格格不入。某人好心提醒她,说穿得和大家不一样不太好,她从这件小事上感觉到山雨欲来风满楼 [2],对于她这样的作家来说,个性永远比共性重要,敏感的张爱玲见微知著,这件小事促使她心生去意,最终选择离开上海去了香港。

 

D’après ce qu’on dit, elle n’avait pas initialement l’intention de s’en aller, mais un jour un dirigeant qui admirait son talent la fit inviter au premier Congrès des représentants de la culture de la ville de Shanghai [qui s’est tenu en mai 1950]. Elle y est allée vêtue d’un qipao ordinaire ; mais, arrivée sur les lieux, elle vit que les autres participants étaient tous vêtus d’une tenue « mao ». Elle était la seule différente. Quelqu’un le lui fit gentiment remarquer, en lui disant que ne pas s’habiller comme tout le monde n’était pas très bien. De ce léger incident, elle garda le sentiment que des changements importants se préparaient ; pour une écrivaine d’une grande sensibilité comme Zhang Ailing, pour laquelle le caractère individuel était infiniment plus important que le général, cet infime détail annonçait l’orientation qu’allaient prendre les choses, et cela suffit à la déprimer. Finalement, elle décida de quitter Shanghai et de partir à Hong Kong.

 

 

Zhang Ailing

 

                                                                    

张爱玲曾说过:

Zhang Ailing a dit :

国人对于戏台上的悲情极其敏感,

动不动就感动得流泪,

Les Chinois sont extrêmement sensibles aux drames mis en scène au théâtre,

Ils en sont même facilement émus aux larmes.

但对于自己身边真切的悲剧,

又往往是充耳不闻漠不关心。

Bien souvent, en revanche, leurs propres drames personnels

Sont vécus sans qu’ils s’en émeuvent et que peine s’ensuive.

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II.

霍英东先生作为改革开放之初最早回到大陆投资的商人之一,他为什么会有信心回来投资呢?据他生前本人的回忆,当年他对开放政策能否持续也曾持有怀疑态度。

我每次到北京都要先看看这幅画还在不在,如果在,我的心就比较踏实。霍英东先生的这句话很有代表性,也体现出当时很多人的担心。

这幅壁画名为《泼水节——生命的赞歌》,于1979年在北京首都国际机场展出,画上有三个沐浴的傣族裸女,当时引起了巨大的争议。

幸好那些争议没有影响这幅画的命运,这幅画是经过当年的总设计师慎重考虑和首肯才悬挂上去的,正是这幅画,成为中国思想和政策的风向标,显然,霍英东先生见微知著,敏锐的抓住了时代变革的大机遇。

 

Henry Fok Ying Tung [3] a été l’un des premiers hommes d’affaires à être revenu investir en Chine continentale au tout début de la période de réforme et d’ouverture, comment a-t-il pu avoir suffisamment confiance pour le faire ? Selon ses propres déclarations, faites de son vivant, on pouvait alors avoir des doutes sur l’avenir de la politique d’ouverture et se demander si elle allait se poursuivre.

 

« Chaque fois que j’allais à Pékin, dit-il, j’allais voir si cette fresque était toujours là ; si tel était le cas, c’était plutôt rassurant. » Cette déclaration de Henry Fok Ying Tung est représentative de l’état d’esprit qui régnait alors : beaucoup de gens étaient très inquiets.

 

La fresque dont il parle est intitulée « Fête de l’eau – Hymne à la vie » ; elle a été peinte en 1979 et exposée sur les murs de l’aéroport international de Pékin. Elle

 

Henry Fok Ying Tung

montre trois femmes nues de l’ethnie Dai en train de s’asperger d’eau [4]. Elle a donc suscité une très vive controverse.

 

Fort heureusement, ces controverses n’ont pas affecté le sort de la peinture. C’est après mûre et prudente considération qu’elle a été approuvée par l’ingénieur responsable du projet et déployée sur le mur. Cette fresque est devenue comme une girouette indiquant la direction de la pensée et de la politique chinoises. Il est clair que Henry Fok Ying Tung a bien compris tout ce que laissait présager ce minuscule événement, et il a su profiter avec discernement des possibilités alors offertes par la politique de réforme.

 

 

La fresque « Fête de l’eau – Hymne à la vie »《泼水节——生命的赞歌》

 

…………….

 

III.

旧事重提,是因为看到今年语文教材的一些修改,无论是高中语文教材对某些事物的定性与表述,还是大学语文教材里无视义和团喷子们未老,方方《风景》这边独好 [5],这些修改让人欣慰,心生见微知著的感慨。

在疫情期间引发社会最广泛争议的作家方方,她的作品《风景》(节选)出现在新出版的大学语文教材中。

 

Si je reviens sur ces épisodes du passé, c’est parce que j’ai vu que, cette année, les manuels scolaires de langue et littérature chinoises ont été quelque peu révisés. Mais, quelles que soient les modifications portant sur la composition et la formulation de certains passages des manuels des lycées et des programmes universitaires, et malgré les attaques sous prétexte de patriotisme comme du temps des Boxers, le « paysage » de Fang Fang y reste splendide et, tant qu’il est là, nous donne de l’espoir.

 

Alors que Fang Fang déclenchait de vastes controverses au moment de la crise du coronavirus, les extraits de sa nouvelle « Une vue splendide » figuraient en effet toujours dans les nouveaux programmes universitaires de chinois qui ont été publiés.

 

《风景》发表于1987年,获1987—1988年全国优秀中篇小说奖,被评论界认为拉开'新写实主义'序幕的小说。有兴趣的读者可以自己搜索小说全文,这里我就不多介绍了。

我想说的是,春节期间,因为疫情的关系,足不出户的我与千万计的读者一样,每天凌晨等候《方方日记》的更新,一天没看我都没办法踏实睡觉。

转发方方日记是那段时间我每天必做的功课,也正因为如此,我明显感受到来自善与恶两股力量的对立、冲突与撕裂。有些人与我成了莫逆之交,有些人却三观不合渐行渐远。

后来方方被严重污名化,连一些曾经支持她的人也开始倒戈攻击她,我惊诧莫名,这些人都怎么了?翻脸比翻书还快。

我无法理解他们的行为,但是我坚持保持自己的判断,哪怕被他们孤立,也依然力挺方方。

 

« Une vue splendide » a été publiée en 1987, et elle a été primée comme meilleure nouvelle « moyenne » des années 1987-1988. Elle est considérée par les critiques littéraires comme la nouvelle qui constitue le « prologue » du mouvement néo-réaliste en littérature chinoise. Les lecteurs intéressés doivent en rechercher le texte, je ne vais pas plus m’étendre sur ce sujet.

 

Ce que je veux dire ici, c’est que, au printemps dernier, à cause de l’épidémie de coronavirus, je n’ai pas pu sortir de chez moi, comme d’innombrables autres lecteurs ; chaque jour, au milieu de la nuit, j’attendais le nouveau billet du « Journal de Fang Fang », et je n’arrivais à bien dormir qu’après l’avoir lu.

 

Pendant toute la période de confinement, transmettre chaque jour le journal de Fang Fang était le devoir quotidien que je m’assignais. Et c’est grâce à cela que j’ai clairement perçu l’origine des oppositions, des antagonismes et des lignes de fracture. Je me suis alors liée d’amitié avec certaines personnes, d’autres au contraire ont peu à peu dérivé vers des positions inconciliables.

 

Par la suite, Fang Fang a été traînée dans la boue, et même parmi ceux qui la soutenaient au départ, beaucoup ont retourné leur veste et se sont mis à l’attaquer eux aussi. J’en ai été stupéfaite : comment expliquer leur attitude ? Ils ont retourné leur veste bien plus vite que l’on tourne la page d’un livre. C’était inexplicable, mais moi, j’ai fermement maintenu mon opinion ; même si je me suis retrouvée isolée, j’ai continué à soutenir Fang Fang.

 

某次在同学群,我把几篇支持方方的文章转发进去,一个女同学叫嚣着说我和方方一样是汉奸走狗云云,当时我对她说,希望你以后不要为自己今天说的这些话脸红。
同学群有101
人,其他同学要么沉默,要么和她一样叫我以后不准发类似内容的文章进群,只有一个男同学私信给我,对我表示支持。

992的同学群,真是让人心寒!我本将心照明月,奈何明月照沟渠,从那以后,我不想再在那个同学群说任何一句话。

半年时间过去了,不知道那个女同学,现在有没有脸红?会不会脸红?

 

Une fois, dans le groupe de mes camarades d’université, j’ai fait suivre des articles en défense de Fang Fang. L’une des étudiantes du groupe m’a interpellée en m’accusant, entre autres, d’être, comme Fang Fang, un chien courant traître à la patrie. Je lui ai alors répondu que j’espérais qu’elle n’aurait pas, par la suite, à rougir de ces paroles.

 

Il y a 101 membres, dans ce groupe ; les autres soit n’ont rien dit, soit m’ont demandé de ne plus poster d’articles du même genre dans le groupe. Seul un camarade m’envoyé un message en privé pour me signifier son soutien.

Deux contre 99, cela fait vraiment frémir ! Comme on dit, « mon cœur illumine la lune, mais la lune en retour illumine le fossé » [6]. A partir de là, j’ai cessé de vouloir dire quoi que ce soit dans ce groupe.

Six mois se sont écoulés. Je ne sais pas si cette camarade a rougi, ou si elle va rougir.


少数人是坏,多数人是蠢,那些被节奏带得找不着北的人,连最基本的常识都无法辨别,别人指鹿为马,他们就跟风是雨。

我为他们感到悲哀,也许生活中他们不一定是坏人,但是信息来源单一,导致他们丧失了辨识是非黑白、真假美丑的能力。

 

Quelques individus sont franchement mauvais, mais la majorité des gens sont juste stupides, tous ces gens désorientés, emportés par le rythme des événements comme la pluie emportée par le vent ; dénués du sens commun le plus élémentaire, ils sont incapables de distinguer le vrai du faux : on leur montre un cerf en disant que c’est un cheval, et ils marchent sans réfléchir.

 

Je suis triste pour eux. Ce ne sont peut-être pas forcément de mauvaises gens dans la vie, mais ils n’ont qu’une source d’information, ce qui leur fait perdre toute aptitude à distinguer le blanc du noir, la laideur de la beauté, le vrai du faux.

 

众所周知,教材的出炉相当严格,须在相关部门立项,由出版社组织编写,送审查,经严格审查合格后,才能进入学校和课堂。
方方的作品在巨大的争议下仍得以保留,说明方方是得到相关部门的认同和肯定的,这也是一个风向标,相当于给这半年多来攻击方方的阶级斗争粉红们送上一记无声的耳光。
今年以来所发生的种种,一言难尽,现实正一步一步打脸,推翻之前那些人无知可笑的狂妄。

 

Il est bien connu que la publication de matériel d’enseignement répond à des règles très strictes ; les projets doivent être approuvés par le département idoine, les textes doivent être rédigés par des équipes de la maison d’édition et soumis à la censure. Ce n’est qu’après avoir passé des contrôles draconiens que les textes peuvent passer dans les écoles et les salles de classe.

 

Les textes de Fang Fang n’ont pas été supprimés des manuels malgré les immenses controverses, ce qui montre bien qu’elle est reconnue et approuvée. C’est aussi une sorte de girouette montrant la direction du vent, et en même temps une gifle silencieuse envoyée à tous ces excités de la lutte des classes qui attaquent Fang Fang depuis plus de six mois.

 

Tout ce qui est arrivé cette année est d’une complexité difficile à dépeindre en quelques mots ; la réalité se dévoile peu à peu, une fois renversée la ridicule arrogance de tous ces ignorants.

 

罗曼罗兰曾经说过: 除了善良,我不承认其他还有任何高人一等的标志。我始终认为,那些心存善良的人是最先、最容易觉醒的人,因为他们怜悯苦难,同情弱者,当他们了解到这些苦难的根本时,就会痛恨制造苦难的源头;而冷漠无情者恰恰相反,他们无视公平正义、愚昧无知。。。。。。

 

Romain Rolland a dit : « Hormis la bonté, je ne reconnais aucun autre signe de supériorité chez un grand homme. J’ai toujours pensé que ce sont les hommes au cœur bon qui sont les premiers à connaître le plus facilement l’éveil, car ils sont en empathie avec les souffrances d’autrui, avec leurs faiblesses ; quand ils comprennent les racines de ces souffrances, ils détestent les causes qui les produisent tandis que c’est exactement l’inverse qui se passe chez les gens insensibles et indifférents : ils ignorent la justice et l’équité, ce sont des ignorants stupides… »


我知道今天这篇文章会让很多仇视方方的人气急败坏,但是我依然要说,不辨是非,就不要自诩善良,方方就像一把社会良知的公约尺,丈量着人心,我们每一个人都应该摸摸自己的胸口,良心还在吗?

 

Je sais pertinemment que cet article, aujourd’hui, va exaspérer nombre de détracteurs de Fang Fang, mais je tiens à dire encore une fois que, si l’on ne distingue pas le vrai du faux, on ne peut pas prétendre être bon et honnête. Fang Fang est comme un étalon de la conscience populaire, elle permet de jauger les cœurs de chacun. Chacun d’entre nous devrait donc se palper la poitrine en se demandant si sa bonne conscience est toujours là.

 

方方的《风景》还在,便是晴天。

La « Vue splendide » de Fang Fang est toujours là : il fait beau !


 

[2] 山雨欲来风满楼 shān yǔ yù lái fēng mǎn lóu vers d’un poème de Xu Hun (许浑), poète de la dynastie des Tang (788-860), devenu expression consacrée : le vent qui envahit le pavillon annonce une tempête dans la montagne, c’est-à-dire on sent des signes avant-coureurs d’un grand événement.

[3] Henry Fok Ying Tung (né à Hong Kong en 1923- mort à Pékin en 2006) aurait commencé sa fortune pendant la guerre de Corée au début des années 1950. Il est devenu l’un des plus riches hommes d’affaires de Hong Kong.

[4] Il s’agit d’une immense fresque réalisée en 1979 par le peintre Yuan Yunsheng (袁运生) pour l’aéroport international de Pékin. Elle illustre une tradition du peuple Dai, la Fête de l’eau célébrée pendant trois jours sur les berges du Mékong au moment du Nouvel An selon le calendrier Dai ( à la mi-avril). Le troisième jour, tout le monde s’asperge d’eau, ce qui n’est autre qu’un rituel de purification pour commencer la nouvelle année. A cause des corps nus que le peintre a représentés, la fresque a causé une vive controverse, mais a été approuvée par Deng Xiaoping qui a dit « ne rien y trouver à redire ». Elle est ainsi devenue le symbole de la politique de réforme et d’ouverture.

[5] 风景这边独好 - Référence subtile au quatrième vers d’un poème de Mao Zedong écrit pendant l’été 1934, « Huichang, sur l’air de Qing Ping Yue » (《清平乐·会昌》) : le paysage ici est exceptionnellement beau. Mao Zedong était dans une situation difficile, mais le paysage lui redonnait l’espoir.
L’auteure de l’article a ici un énoncé très subtil, comparant les critiques étrangères aux assauts des Boxers (
义和团) et désignant les détracteurs chinois de Fang Fang de « trolls » (sur internet).

[6] 我本将心照明月,奈何明月照沟渠 : vers tirés de « L’Histoire du luth » (Pipa ji 《琵琶记》),

pièce de théâtre de Gao Ming (高明) écrite à la fin de la dynastie des Yuan (milieu du 14e siècle). Il s’agit de l’histoire d’un lettré parti passer les examens impériaux à la capitale, en laissant au village son épouse avec ses parents. Il réussit, doit épouser la fille du ministre et ne donne plus signe de vie. Ses parents meurent, son épouse les enterre, prend son pipa et part à sa recherche, en prononçant ces paroles amères qui signifient : mes intentions étaient pures mais je n’ai pas été payée de retour.

Traduction de 1841 numérisée en ligne :
https://books.google.fr/books?id=e3QuAAAAYAAJ&dq=editions%3A6e4eaXlGLMYC&hl=fr&pg=PP5#

v=onepage&q&f=false

 

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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