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Brève histoire du
wuxia xiaoshuo
V. Renaissance du
wuxia xiaoshuo sous les Qing
V.3b Entre histoire et fiction : la nüxia Lü Siniang
par Brigitte Duzan, 3 août
2015
Lü Siniang (吕四娘)
est sans doute le plus étonnant exemple montrant
la force de la symbolique de la nüxia
dans l’imaginaire collectif sous la dynastie des
Qing. Création née spontanément à la mort
soudaine de l’empereur Yongzheng (雍正帝)
en 1735, meurtrière de l’empereur pour venger
son grand-père et toute sa descendance, elle est
tellement célèbre qu’on la trouve dans les
livres d’histoire les plus sérieux
,
comme si on avait inventé Charlotte Corday pour
expliquer l’assassinat de Marat, et qu’on en
avait fait une idole révolutionnaire, experte en
arts martiaux, plus vraie que nature.
Développée au 18ème siècle, la
légende de Lü Siniang s’est enrichie de
variations la liant avec d’autres figures
littéraires célèbres de l’époque, la
Xianü (《侠女》)
de Pu Songling
et |
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Lü Siniang |
même
Lin Siniang (林四娘),
dans la version héroïque popularisée par le Hongloumeng.
Elle a offert une riche symbolique aux révolutionnaires luttant
contre les Qing, puis aux progressistes des débuts de la
République, avant d’alimenter tout un courant d’adaptations
cinématographiques dès la fin des années 1920, au moment de la
fièvre des films de wuxia, puis d’innombrables films et
feuilletons télévisés, en liant son personnage, entre autres,
avec cet autre mythe qu’est devenu Shaolin…
Lü Siniang et l’histoire
L’histoire de Lü Siniang est née du croisement de deux
événements historiques avérés : d’une part, l’extermination de
toute sa famille dans le cadre de l’un des plus drastiques
mouvements d’« inquisition littéraire » (文字狱)
menés par l’empereur Yongzheng, et d’autre part la disparition
soudaine de celui-ci alors qu’il ne souffrait d’aucun symptôme
la laissant présager.
Petite-fille de Lü Liuliang
Lü Liuliang |
|
Lü Siniang est sensée avoir été la petite-fille d’un
intellectuel du Zhejiang nommé Lü Liuliang (吕留良),
né en 1629, c’est-à-dire à la fin de la dynastie des
Ming. Il avait seize ans quand les Mandchous ont conquis
sa région natale, exécutant au passage quelques membres
de la famille attachés à la dynastie vaincue. Lü
Liuliang s’est présenté plusieurs fois aux examens
impériaux, mais n’a jamais réussi et, comme les éternels
recalés, a fini par se contenter d’enseigner pour vivre,
tout en écrivant.
Or ses écrits étaient critiques de la nouvelle dynastie.
Sa spécialité était l’étude des peuples non han aux
frontières de l’empire, ce qui lui permettait de lancer
des diatribes plus ou moins déguisées contre les
Mandchous. Mais il était surtout connu comme spécialiste
du penseur néo-confucéen de la dynastie des Song Zhu Xi
(朱熹).
C’est ce qui lui valut d’être recommandé pour participer
à l’examen spécial boxue hongru (博学鸿儒)
organisé par l’empereur Kangxi en 1679
,
honneur qu’il déclina cependant. |
Après sa mort, son fils Lü Baozhong (吕葆中)
passa brillamment les examens impériaux, arrivant même second au
niveau jinshi, le plus élevé, en 1706. Mais il
mourut deux ans plus tard, et la famille aurait paisiblement
disparu de l’histoire si, une génération plus tard, un
hurluberlu du nom de Zeng Jing (曾经)
n’avait eu l’idée saugrenue de se placer sous l’autorité morale
de Lü Liuliang pour inciter à la révolte contre le pouvoir des
Qing, et en l’occurrence contre celui de l’empereur Yongzheng.
Un disciple dangereux : Zeng Jing
Né en 1679, Zeng Jing était un médiocre intellectuel du Henan
qui avait raté les examens impériaux dès le premier degré et
vivotait d’un petit poste d’enseignement dans une école
primaire. Grand admirateur de Zhu Xi, il avait lu les écrits de
Lü Liuliang, et y avait trouvé au passage des idées
anti-manchoues qui l’avaient influencé.
En même temps, l’empereur Yongzheng, qui était parvenu au
pouvoir à la mort de l’empereur Kangxi – en décembre 1722 - dans
des circonstances pour le moins floues, était resté obsédé par
une possibilité de sédition et un retour aux luttes de faction
qu’il avait connues dans sa jeunesse. Cela entraîna chez lui des
réflexes de répression qui resteront l’une des caractéristiques
les plus sombres de son règne. Il commença par épurer les
membres de son entourage avant de s’attaquer aux intellectuels
ouvertement anti-mandchous, enplusieurs vagues d’une véritable
« inquisition littéraire » (文字狱),
selon le terme consacré.
Soupçonnés d’entretenir des rumeurs sur les conditions de son
accession au trône, ce furent ses frères et l’un de ses oncles,
arrêtés en 1725 et 1726, qui furent la cible de la première
vague d’épuration. Ce fut le cas aussi du général Geng Nengyao (年羹尧),
commandant en chef des armées impériales dans le nord-ouest,
très influent auprès de l’empereur jusqu’à ce qu’il soit accusé
de collusion avec l’un de ses frères, dégradé et finalement
exécuté, en 1726. Une grande partie de leurs proches et
serviteurs furent condamnés à l’exil.
En chemin, beaucoup passèrent par le Henan, et, en les écoutant
raconter leurs histoires sans nul doute en grande partie
exagérées, Zeng Jing en fut raffermi dans ses convictions : il
se mit à enseigner que les Mandchous étaient une peste à
éradiquer, et se prépara à passer à l’action.
Comme il n’avait ni disciples ni troupes pour fomenter
une révolte, il pensa trouver le chef idéal en la
personne du tout puissant gouverneur général du Sichuan
et du Shaanxi, Yue Zhongqi (岳锺琪).
C’était l’un des bras droits de l’empereur Yongzheng,
l’un de ses généraux les plus appréciés – c’est à luique
revint le poste au Qinghai du général Geng Nengyao après
sa destitution. Mais Zeng Jing vit surtout en Yue
Zhongqi un descendant de Yue Fei (岳飞),
le fameux général patriote des Song du sud qui avait, à
l’époque, mené la résistance contre l’envahisseur venu
des steppes mongoles, l’avait payé de sa vie et en était
resté un symbole.
Zeng Jing lui envoya donc un messager, Zhang Xi (张熙),
pour lui demander, tout simplement, de prendre la tête
de l’insurrection, avec son armée. Yue Zhongqi en resta
bouche bée. Il commença par prendre des informations,
puis arrêta |
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Yue Zhongqi |
Zhang Xi, informa l’empereur par un mémoire, et lança une
enquête sur ZengJing qui fut bientôt arrêté avec ses quelques
proches.
Lü Liuliang victime du châtiment impérial
En 1729, Zeng Jing fut amené à Pékin pour un procès public,
certaines des audiences ayant lieu en présence de l’empereur.
Certains des serviteurs princiers qui étaient passé au Henan
furent également jugés, et passèrent aux aveux. Zeng Jing, pour
sa part, écrivit un long mea culpa expliquant comment il s’était
laissé abuser, et il fut gracié.
Mais l’empereur expliqua qu’il pouvait pardonner à un homme qui
l’avait calomnié ; en revanche, la piété filiale l’empêchait
d’étendre ce pardon à celui qui avait insulté son père. Le
châtiment retomba sur le principal responsable qui, par ses
écrits, avait induit Zeng Jing en erreur : Lü Liuliang.
Les corps de Lü Liuliang et de toute la famille furent exhumés
et déchiquetés. Les membres masculins vivants du clan, au-dessus
de seize ans, furent exécutés, les autres bannis ; les femmes
furent envoyées trimer comme servantes dans les palais
impériaux ; les biens de la famille furent confisqués.
Le mémorandum de 1730
de l’empereur Yongzheng |
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De plus, pour donner le plus de publicité possible à
l’affaire, l’empereur fit compiler un recueil d’essais
de sa main réfutant les propos de Lü Liuliang sur sa
succession au trône comme « absurdités déloyales » (“悖逆狂言”),
et incluant en outre la confession de Zeng Jing et
d’autres documents attestant de la fausseté des
histoires colportées mises à jour pendant le procès. Le
document fut publié en octobre 1730 sous le titre
« Mémorandum pour un juste éveil de l’erreur » (《大义觉迷录》)
et décrété lecture obligatoire pour les candidats aux
examens impériaux et pour tous les cadres et
fonctionnaires du gouvernement.
Zeng Jing fut renvoyé chez lui avec un poste officiel de
contrôleur de la moralité publique, donc chargé de
chanter et faire chanter les louanges de l’empereur.
Mais l’affaire ne s’arrêta pas là.Quand l’empereur
Yongzheng mourut, en octobre 1735, et que son quatrième
fils lui succéda sur le |
trône impérial, devenant l’empereur Qianlong, celui-ci reprit le
jugement de son père à l’égard de Zeng Jing : c’était à son tour
de faire preuve de piété filiale et de châtier ceux qui avaient
insulté son père. Zeng Jing et ses associés furent
convoqués à la capitale en 1736 et brutalement exécutés.
C’est dans ces circonstances que naquit dans le peuple la
légende de Lü Siniang, d’un désir de justice sociale qui a de
tous temps, en Chine, été la source des histoires de wuxia,
et tout particulièrement de nüxia. Ce qui est nouveau
ici, c’est de voir une telle histoire de vengeance associée non
plus à des contes plus ou moins fabuleux, mais à un événement
historique avéré, et non des moindres, s’agissant de la mort
d’un empereur.
La vengeresse Lü Siniang
C’est spontanément, semble-t-il, qu’est née la légende de Lü
Siniang.
Les grands traits de l’histoire
Selon la légende, Lü Siniang était une jeune femme
experte en arts martiaux, que lui aurait enseignés un
moine cultivant secrètement la mémoire du loyaliste Ming
Zheng Chenggong (郑成功),
mieux connu sous le nom de Koxinga
,
et rêvant de mettre ses talents au service d’une
restauration de la dynastie des Ming. La jeune femme
était donc dès l’abord ouverte aux idées loyalistes.
Intrépide et belle, elle avait autant de pugnacité que
de charme.
Ul cérée par le châtiment d’une incroyable |
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Lü Siniang assassine l’empereur Yongzheng
(lianhuanhua) |
dureté infligé par l’empereur non seulement à son grand-père
mais à l’ensemble de sa famille, elle décida de venger son
grand-père et ses descendants en assassinant l’empereur. Dans
toute l’histoire des nüxia, c’était la première fois
qu’une vengeance allait si loin.
Lü Siniang, édition 1959 |
|
D’après la version décantée de l’histoire, elle fut
arrêtée avec les autres membres féminins de la famille
pour être envoyée travailler au palais, et là, elle
réussit à se trouver sur le chemin de l’empereur, et à
s’en faire remarquer. C’est ainsi qu’elle put accéder à
sa chambre à coucher et le décapiter, réussissant
ensuite à s’enfuir avec sa tête (ou à se suicider dans
certaines versions).
Ce qui est intéressant, c’est que l’histoire a connu
diverses variantes typiques de |
narrations de sources orales, avant de connaître, au début du
vingtième siècle, une version plus élaborée, en langue
vernaculaire, donc restant dans le domaine du roman populaire,
contrairement aux récits de nüxia des Qing, écrits en
langue classique et destinés à une élite cultivée.
C’est cet aspect populaire et la multiplicité des détails
narratifs qui ont fait de Lü Siniang une candidate idéale à
l’adaptation, cinématographique et télévisée. Mais l’histoire a
été recoupée avec des récits classiques, la rattachant à une
tradition ancienne et lui donnant des lettres de noblesse.
Quelques variantes sous les Qing
Deux variantes initiales sont intéressantes à cet égard.
La plus étonnante figure dansl’un des volumesde
l’immense ouvrage « La spectaculaire histoire non
officielle de la dynastie des Qing » (《清朝野史大观》).Ce
texte donne le nom de LüSiniang et l’identifie bien
comme une jeune fille partie venger le cruel châtiment
infligé à sa famille. Alliant réalité historique et
fiction, le texte prétend cependant que la
« Xia
Nü » du conte du Liaozhai était en fait une
représentation déguisée de Lü Siniang ! La tête
barbouillée de sang que le personnage transporte dans
son sac, à la fin du récit de Pu Songling, aurait été,
selon ce texte, celle d’un « éminent personnage de
l’époque » (当时某贵人),
sans plus de précisions. |
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La spectaculaire histoire non officielle
des Qing |
Lü Siniang et quatre de ses comparses |
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Dans un autre volume du même ouvrage,« Récits de
l’étrange de la dynastie des Qing » (《清代述异》),
il y a un récit intitulé « Les huit xia du nord
du Jiangnan » (《江南北八侠》)
qui fait de Lü Siniang le membre d’un groupe de
redresseurs de torts qui ressemblent bien plus à des
bandits dans le genre de ceux d’
« Au bord de l’eau » (《水浒传》) ;
ce sont tous des résistants en lutte contre le pouvoir
des Qing, et d’anciens partisans de Koxinga. Elle arrive
en seconde position dans la bande des sept, en-dessous
du chef, le moine bouddhiste
Yin Seng (因僧),
ou Yin Heshang (因和尚).
L’histoire se fait |
légende dorée : l’empereur Qianlong aurait été atterré par le
meurtre de son père, et, la tête ayant disparu, aurait chargé un
artisan d’en fabriquer une en or pour l’enterrer avec le reste
du corps.
Quant au dernier des sept de la bande, avec lesquels Lü
Siniang pratiquait le banditisme à ses heures de
loisirs, c’est Gan Fengchi (甘凤池),
qui fait l’objet d’un récit à part (qui ne mentionne
d’ailleurs que cinq redresseurs de tort). On entre là
dans une autre légende dorée : Gan Fengchi aurait été un
formidable spadassin, formé aux arts martiaux par nul
autre qu’un moine qui était de la famille impériale
Ming, et donc cultivait ses talents martiaux pour
restaurer le pouvoir de sa famille. Gan Fengchi est l’un
des personnages lié à Lü Siniang qui a le plus attiré
les cinéastes, avec une première adaptation de ses
exploits dès 1928 (voir ci-dessous).
Autre avatar de Lü Siniang : Wu Mei
La nonne Wu Mei, ou Ng Mui, est l’une des grandes
figures |
|
Gan Fengchi |
de l’histoire des arts martiaux, créatrice d’un style propre, le
Wu Meipai (五枚派),
mais aussi, selon Yip Man, du Wing chun qu’elle aurait enseigné
à une jeune fille du même nom. Selon la tradition, Wu Mei aurait
été la fille d’un général de la dynastie des Ming, mais elle est
associée – entre autres - au temple Shaolin du Henan : elle en
aurait été l’un des Cinq Anciens (五祖),
et la seule à avoir survécu à la destruction du temple sous les
Qing, pour cause de soutien à la cause Ming.
Or, une tradition orale fait de Wu Mei… un avatar de Lü Siniang,
expliquant que, à la veille de la chute de la dynastie des Ming,
son père l’aurait envoyée dans le sud pour qu’il y ait au moins
un membre de la famille qui survive. Cette histoire recoupe
celle de Wu Mei, qui est sensée avoir été en voyage quand ses
parents ont été tués par les Mandchous quand ils ont investi la
capitale, et qui se serait alors réfugiée dans un temple au
Guangxi…
On a ainsiun faisceau d’éléments fictionnels qui ont été peu à
peu rajoutés à l’histoire initiale de nüxia vengeant son
grand-père. Au début du 20ème siècle, on assiste à
une tentative de rationaliser la légende en la purgeant de ses
éléments trop fantaisistes, liés au développement d’une
narration populaire, de type oral. Par là-même, Lü Siniang y
acquiert une aura de nüxia moderne, ancrée dans la
réalité historique.
Lü Siniang, mythe rationalisé
On trouve une première version de cette Lü Siniang épurée dans
un ouvrage de Lu Shi’è (陆士谔) paru
en 1913 : le deuxième volume du Qingshi yanyi ou
« Histoire romancée de la dynastie des Qing » (《清史演义》二集).
C’est la première fois que l’histoire paraît dans un ouvrage en
langue vernaculaire, ce qui distingue Lü Siniang de ses consœurs
des Qing, dont les récits étaient écrits en langue classique.
Cela en fait un personnage qui reste résolument populaire, passé
de la tradition orale au roman populaire.
L’histoire romancée en onze volumes de
Cai Dongfan |
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Mais celui qui a vraiment donné au personnage une aura
de nüxia historique, c’est Cai Dongfan (蔡东藩),
l’un des grands promoteurs en Chine du roman historique,
ou de l’histoire romancée (历史演义),
après 1914. Il a passé dix ans, de 1916 à 1926, à
rédiger une « Histoire romancée populaire des dynasties
chinoises » en onze volumes et plus de mille chapitres (《中国历朝通俗演义》),
comme une suite de « L’histoire romancée des Trois
Royaumes » (《三国演义》),
et sur le même modèle.
Plusieurs chapitres sont consacrés à Lü Siniang. On y
apprend d’abord que l’histoire des « huit xia »
|
vient d’un mémorandum à l’empereur Yongzheng du général Nian
Gengyao (年羹尧),
du temps où il était encore tout puissant commandant en chef des
armées impériales dans le nord-ouest. Il désigne les « Huit xia
du sud » (南中八侠)
comme des éléments rebelles, dangereux pour la dynastie,
parmi lesquels il met en seconde position Lü Siniang, qu’il
identifie comme la fille de Lü Liuliang. Lü Siniang est ainsi
introduite dans l’histoire avant même l’apparition de Zeng Jing,
en lien avec une bande de brigands fidèles aux Ming.
Le texte expose alors le châtiment terrible infligé à la
famille, en résumant ainsi l’histoire de Lü Siniang :
« En fait, Shizong [清世宗,
nom de temple de Yongzheng]
savait depuis longtemps que Wancun [晚村surnom
de Lü Liuliang] avait une fille, nommée Siniang, qui
l’inquiétait beaucoup. Il pensait pouvoir profiter de
l’anéantissement du clan pour mettre fin à ses agissements à
elle aussi. Il ne pouvait pas imaginer son degré de résilience.
Quand les gardes se présentèrent à sa porte, la maison était
vide.» Le suspense est créé comme dans un roman policier.
Deux ans plus tard, quand l’empereur est retrouvé mort dans sa
chambre, le bruit court qu’il a été assassiné. Aucune
description n’est donnée, mais un quatrain suggère une mort
violente, et la main d’une nüxia:
« Un souffle froid pèse lourdement sur les tours et les
terrasses,
Les portes du palais isolé ne s’ouvrent pas au tout venant
Avec son précieux glaive et sa sacoche en cuir, la jeune
Hongxian
Pénètre en volant dans la demeure impériale telle une rafale de
vent »
L’association à
Hongxian (红线)
identifie clairement Lü Siniang comme nüxia, vengeant son
père en tuant l’empereur. Mais, et c’est nouveau, Cai Dongfan
ajoute qu’il est impossible de déterminer si cette histoire est
authentique ou fictionnelle.
En fait, les premiers éléments de la légende ne se préoccupaient
pas des circonstances réelles de la mort de l’empereur
Yongzheng. C’est après la critique de Cai Dongfan de la théorie
de l’assassinat, que les versions ultérieures de l’histoire ont
cherché à intégrer les données historiques de base, en
respectant une certaine vraisemblance et une certaine logique
dans la narration. En cherchant des solutions à l’énigmede
l’assassinat de l’empereur par Lü Siniang, on trouva deux
explications possibles.
L’une était qu’elle avait acquis une technique spéciale en arts
martiaux, celle qui permet de lancer une arme pour l’envoyer
décapiter son ennemi – c’est celle utilisée par
la Xia Nü du conte de Pu Songling
pour tuer le « renard ». Cette solution avait l’avantage
de ne pas avoir à expliquer comment Lü Siniang était entrée dans
le palais et avait pu approcher l’empereur. Mais l’explication
reprenait des éléments de fantastique qui n’étaient plus
acceptables, dans le contexte d’une histoire sensée être fondée
sur la réalité historique.
Il fallait donc pouvoir expliquer comme Lü Siniang avait bien pu
approcher l’empereur, c’est-à-dire comment elle avait pu entrer
au service du palais, et surtout comment, ensuite, elle avait pu
entrer dans la chambre de l’empereur, étroitement surveillée par
des gardes, et entrer avec une épée. C’était la solution qui
permettait d’expliquer comment elle avait pu ressortir avec la
tête dans un sac. Cette explication est fondée non plus sur les
arts martiaux, mais sur la séduction de la beauté féminine.
Il lui fallait quand même posséder les qualités d’une nüxia,
force de caractère, détermination, et surtout bon niveau en arts
martiaux. Ce dernier point a nécessité une adaptation de sa
biographie : entre le verdict prononcé contre Lü Liuliang (1733)
et la mort de l’empereur (1735), il ne se passe que deux ans
(même si sa détention et son procès ont commencé en 1728). C’est
insuffisant pour que Lü Siniang ait pu acquérir un niveau
suffisant.
L’anthologie de Lü Liuliang publiée
par les autorités de Tongxiang |
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On a donc fait commencer sa formation dès l’enfance,
comme Lin Siniang. Mais, si le père de celle-ci était
militaire, celui de Lü Siniang était connu pour être un
néo-confucéen pur et dur, donc a priori peu enclin à
accepter que toute femme dans la famille soit formée aux
arts martiaux. Le texte tourne la difficulté en faisant
état d’une ancienne tradition familiale, et en prêtant
un caractère de garçon manqué à Lü Siniang enfant, en
conformité avec la tradition du wuxia. Cette idée
est une variante de la légende qui a imaginé que son
père l’avait envoyée dans le sud à la chute de la
dynastie des Ming – celle qui l’associe à Wu Mei.
Cette version de l’histoire de Lü Siniang au tout début
de la période républicaine reprend une légende de la
résistance au pouvoir des Qing pour en faire un mythe
moderne de résistance des Han à l’impérialisme mandchou.
Le genre du wuxia et l’image de la nüxia
se prêtaient à un exercice exaltant, fondé sur
l’imaginaire. |
Par la suite, dans les adaptations ultérieures de
l’histoire, elle est devenue une fable sur la revanche
personnelle d’une femme, l’histoire de Lü Siniang en
termes de nüxia recoupant une thématique en vogue
dans les années 1920-1930, dans la grande tradition du
wuxia qui deviendra le genre le plus populaire en
littérature dans les années 1920 et au cinéma à la fin
de la décennie.
Il faudra attendre 2003 pour qu’un ouvrage édité
par les autorités de Tongxiang (浙江桐乡),
district de la municipalité de Jiaxing, au Zhejiang,
d’où était originaire la famille Lü, fasse le point de
recherches sérieuses effectuées par le bureau de la
culture de la ville dans les archives municipales. L’
« Anthologie des écrits de Lü Liuliang » (édition
interne) (《吕留良纪念集》(内部汇印))
a révélé, entre autres, que Lü Liuliang avait deux fils,
mais aucune petite-fille du nom de « Siniang », et qu’il
ne s’agit donc que d’une belle légende.
Mais il reste la légende. La perception de Lü Siniang en
tant que nüxia est d’autant plus nette qu’elle
est |
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Perpétuation de la légende aujourd’hui –
le mystère LüSiniang et la xianü
Lin Siniang
(article de mars 2011) |
associée à trois autres personnages-types de nüxia
littéraires de la dynastie des Qing : la
Xianü
(侠女)
de Pu Songling,
la
Lin Siniang (林四娘)
du Hongloumeng,
et enfin
Shisanmei
(十三妹),
la célèbre « treizième sœur » imaginée par Wen Kang (文康).
Le reste est du cinéma….
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Adaptations en bande dessinée, au cinéma et à la télévision
L’histoire de Lü Siniang en lianhuanhua :
http://lianhuanhua.mom001.com/wx/2008/0412/1985.html
Principales adaptations de la légende de Lü Siniang dans ses
diverses variantes
Voir :
http://www.chinesemovies.com.fr/films_Lu_Siniang_Adaptations_cine_TV_Films.htm
On trouve toute son histoire, par exemple, dans le très
sérieux « Imperial China, 900-1800 » de F.W. Mote,
Harvard University Press 1999, pp.898-900 (paper back
edition). Lü Liuliang y est présenté comme un exemple
des victimes de « l’inquisition littéraire » de
l’empereur Yongzheng, ce que l’auteur appelle « the most
interesting thought control incident of the Yongzheng
reign »….
Examen d’ « éminent lettré » annoncé en février 1678, au
moment de la révolte dite « des trois feudataires » (三藩之乱),
menée par trois gouverneurs de provinces de 1673 à 1681.
L’examen faisait partie de la politique de conciliation
de l’empereur vis-à-vis des intellectuels restés
loyalistes envers les Ming. Les quelque cinquante
lauréats furent ensuite chargés d’aider à la rédaction
de l’histoire officielle de la dynastie des Ming,
reflétant l’esprit d’ouverture régnant alors, sous le
règne de l’empereur Kangxi.
Cité par Roland Altenburger dans : The Sword or the
Needle : The Female Knight-errant (xia) in Traditional
Chinese Narrative,
Peter
Lang AG, 2007, p. 295.
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