L’Assassin《杀手》
Tsering Norbu
次仁罗布
Texte original et
traduction annotée
par
Brigitte Duzan,
16
décembre 2019
Cette nouvelle est l’une des plus célèbres de
Tsering Norbu,
c’est celle qui a lancé sa carrière d’écrivain.
Ecrite lors d’une période de formation à l’Institut
Lu Xun, elle a ensuite été réécrite pour être
publiée en 2006 dans le numéro d’été de la revue
bimensuelle Littérature du Tibet (《西藏文学》2006年第4期).
Elle a ensuite été couronnée du prix national de la
meilleure nouvelle courte de 2006.
Elle prend place dans le contexte d’une littérature
tibétaine libérée de la vogue du « réalisme
magique » qui a marqué la décennie 1990 et orientée
dès lors vers plus de réalisme. Ancien journaliste,
Tsering Norbu adopte un style personnel pour traiter
de sujets de la société tibétaine moderne, mais
toujours marquée par des mentalités imprégnées de
tradition et de religiosité. « L’Assassin » en est
un exemple : la nouvelle, écrite à la première
personne, est une histoire de vengeance dictée par
la tradition, mais finalement avortée. |
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La revue Littérature du Tibet,
4ème numéro de 2006 |
Tsering Norbu rejoint là les préoccupations d’autres écrivains
tibétains au même moment, et en particulier
Pema Tseden. Il est significatif que celui-ci
ait choisi cette nouvelle pour compléter l’une des siennes lors
de la conception du scénario de son film « Jinpa » (《撞死了一只羊》)
.
东风卡车在一片广袤无际的沙地上扬起滚滚黄尘由东向西飞驶。车上装满了货物,货物用草绿色的篷布罩得严严实实。驾驶室里就我一个人。此时,困倦不断袭来,让我连连打了几个哈欠。
我左手握住方向盘,右手从包里掏出一根烟,用肥得看不见骨节的手笨拙地打燃打火机,悠悠地吐出一缕烟雾来,这泛白的烟雾慢腾腾地在驾驶室里散开。前面是灰蒙蒙的看不到边际的辽阔大地,困倦经血液向周身扩散。为了驱赶这难熬的困倦,我只能大口大口地吸烟,转瞬间一根烟吸完了。
我的手再次伸向包里时,猛地发现在地平线的尽头有一个蠕动的小黑影。我在心里思忖那是人呢还是动物?我狠踩油门向那个黑点飞驶过去。随着距离的缩短那黑影开始变得清晰起来。我看清那是个形单影只,背上背着被子的人。我想:有这种坚定意志的人,肯定是去朝佛的。汽车加快速度向那人挨去。
听到汽车的轰鸣声,那个人止住脚步,站在原地面朝向了东方。我透过驾驶室的窗玻璃望去,那人在辽阔的天地间显得这般的渺小、这般的凄凉、这般的无助。
我忽然想做件善事,搭那人一程路。汽车靠近那人时,他伸出双臂使劲摇晃。我看清那人头上系着黑色的发穗,身材细瘦,腰间别着一把长长的刀子。我把车子戛然停在他的身旁,挥手示意上车。那人打开车门,把脏兮兮的被子和黑黢黢的铝壶搁在坐垫上,人麻利地挤坐在一旁。
“把东西放在下头。”我命令他。
Chargé de marchandises couvertes d’une bâche de toile vert pomme
solidement amarrée, le camion Dongfeng roulait à toute allure
d’est en ouest dans une immense étendue désertique à perte de
vue, en soulevant un nuage de poussière à l’entour. J’étais seul
à conduire, et tellement fatigué que je n’arrêtais pas de
bâiller.
Tenant le volant de la main gauche, j’ai pris une cigarette dans
la sacoche à ma droite, l’ai allumée maladroitement avec mon
briquet d’une main si replète que l’on ne pouvait en distinguer
les jointures, puis ai exhalé très vite la fumée qui s’est
répandue lentement en volutes blanches dans la cabine. Devant
moi, à l’infini, s’étendait l’immensité grisâtre du paysage et
je sentais la fatigue m’envahir ; ma seule ressource pour lutter
contre la somnolence était de fumer, à grandes bouffées, mais
ainsi la cigarette n’a pas duré longtemps.
Alors que je tendais à nouveau la main vers la sacoche, j’ai
soudain remarqué une petite ombre noire qui se tortillait à
l’horizon et me suis aussitôt demandé si c’était un homme ou un
animal. Alors j’ai appuyé brutalement sur l’accélérateur pour
m’en rapprocher au plus vite. Le point noir a peu à peu pris
forme et s’est avéré être une forme solitaire, celle d’un homme
portant des couvertures sur le dos. Je me suis dit qu’un
personnage aussi opiniâtre était certainement quelqu’un parti
faire un pèlerinage.
À l’allure où j’allais, je suis vite arrivé près de lui. En
entendant le vrombissement du camion, l’homme s’est arrêté, et
il est resté debout, tourné vers le camion. À travers le
pare-brise, se détachant sur cet immense paysage, il m’a semblé
d’autant plus minuscule, d’autant plus solitaire, d’autant plus
désarmé.
J’ai donc tout de suite eu l’idée de réaliser une bonne action,
en l’aidant à faire un bout de chemin. Voyant le camion
s’approcher de lui, il a levé les deux bras en les agitant. J’ai
remarqué qu’il avait des passements noués dans les cheveux,
qu’il était maigre et portait un long poignard à la taille
.
J’ai stoppé brutalement en arrivant à sa hauteur et lui ai fait
signe de monter dans le camion. Il a ouvert la portière, a posé
sur le siège des couvertures immondes et un pot en aluminium
noirci en se laissant un peu de place pour s’asseoir à côté.
« Mets tes affaires sous le siège » lui ai-je ordonné.
他把被子从座位上拿开,塞到脚底下,然后用脚狠狠地跺了跺。这是个面庞黧黑,颧骨凸起的康巴男子,他的脸上被汗水滑出了一道道线,脚上的皮鞋已发白而且脚尖磨出了窟窿。我重新发动汽车,汽车又在无际的沙地上扬起滚滚黄尘疾速飞奔。康巴人木讷地瞅着车窗外,映入他眼里的是望不到边际的荒沙,偶尔一些生命顽强的荆棘映入到眼里,他才露出一丝不易觉察的笑来。
“喂,康巴人,你是去朝佛的吗?”
康巴人滞缓的目光移到我的脸上,干咽口水,目光又转向看不到边际的广漠的大地上。
“你是去朝佛还是去做生意?”我有些气愤,声音拔高了。
“都不是。我到萨嘎县。”
我对这个回答感到满意,脸上露出了笑容。我接着说:“那你搭对车了。我是到阿里的,可以搭你一程路。”康巴人感激地微笑。汽车里弥漫着和谐的气氛。我又点燃一根烟,神情悠悠地抽着,困倦已经离我很遥远了。“你到萨嘎去干什么?”我凝视着前方问。
“去杀人。”
Il a pris les couvertures et les a fourrées par terre, en les
tassant vigoureusement du pied. C’était un Khampa
;
il avait un visage au teint basané et aux traits anguleux où la
sueur laissait des traînées humides, et aux pieds des chaussures
de cuir tellement usées qu’elles en étaient délavées et trouées
au bout. J’ai remis le moteur en marche et le camion est reparti
à toute allure dans cette immense étendue sablonneuse à perte de
vue, en soulevant le même nuage de poussière à l’entour. Comme
hébété, le Khampa observait par la fenêtre le paysage désertique
qui se reflétait dans ses pupilles ; par moments, il semblait
penser à quelque souvenir lointain, et se dessinait alors sur
son visage un imperceptible sourire.
« Dis-moi, tu vas en pèlerinage ? »
Le Khampa tourna vers moi son regard terne, avala sa salive et
reprit son observation du paysage désert.
« Tu fais un pèlerinage ou tu fais du commerce ? » lui ai-je
demandé, énervé, en élevant la voix.
« Ni l’un ni l’autre. Je vais à Sakar. »
Ravi, je lui ai répliqué avec un grand sourire : « Tu ne pouvais
pas tomber mieux, moi je vais à Ngari, je vais t’économiser un
bon bout de chemin. »
Le Khampa me remercia d’un sourire. Il y avait une ambiance
paisible dans le camion. J’ai allumé une autre cigarette et me
suis mis à fumer tranquillement ; ma fatigue s’était dissipée.
« Et que vas-tu faire à Sakar ? » lui ai-je demandé en fixant la
route devant moi.
« Je vais tuer quelqu’un. »
康巴人的话着实把我给吓了一跳。我定定神,随后爽朗地一笑,说:“你真幽默,看你的样子都不像,我绝对不相信。”
康巴人把掉落到额头上的几根发穗用手指头塞进头发里,目光盯着前方说:“你不相信,那我也没有办法。”他又艰难地干咽口水,我发现他的嘴唇干裂。他接着又补道:“那人在十六年之前杀死了我父亲,然后一直在外潜逃。我几乎走遍了整个西藏,历时十三年,到头来一直都是在瞎跑。”
我瞟一眼康巴人,心头即刻涌上一股悲哀。在我的想象中复仇的人应是高大魁梧的,必须是那种穿一身黑色的衣服,戴个墨镜,腰间还必须别把手枪。而我旁边的这个人,除了有不苟言笑的冷俊的面庞和迷惘的眼神、腰间挂着一把银制把柄的长刀外,并不具备令人悚然的杀手特征。我彻底失望了。我别过脸去望着空旷的天际。驾驶室里只能听到发动机催人困倦的声响。
“什么时候到萨嘎县呢?”康巴人盯着前方问。
我从车窗里扔掉烟蒂,懒洋洋地回答:“天黑以前吧。你是不是急着要杀人呢?”
康巴人定定地瞅着我,那眼光里除了轻蔑外还含着挑逗。我的全身不自在起来,手里开始出汗。康巴人咬牙切齿地说:“我都可以耐着性子等十多年,还计较这短短的半天一天时间?”
我没有搭理,凝望着前方。
不一会儿,西边的地平线头隐隐地显出绵延的山的轮廓;倒车镜里映出燃得红红的太阳,它正一点一点地从东边掉落下去。我看坐在旁边的康巴人,他出神地望着前方。他的宁静、他的沉默、他的坚执,使我有些后怕。为了缓解这凝重的气氛,我说:“马上就要到了。山嘴那边有一条公路,顺着走进去就到了。”
“唉!”汽车的嗡声嗡气淹没了康巴人的应声。
Ces paroles m’ont fait littéralement bondir de frayeur. Mais
j’ai vite repris mes esprits et me suis mis à rire gaiement :
« Tu es vraiment drôle, tu n’as pas l’air d’un assassin, je n’en
crois pas un mot. »
Le Khampa releva du doigt une frange de passement qui lui était
tombée sur le front et la rajusta dans ses cheveux. Le regard
fixé devant lui, il me dit : « Tu peux ne pas me croire, mais je
n’ai pas d’alternative. » Il avala à nouveau péniblement sa
salive et j’ai alors remarqué qu’il avait les lèvres gercées.
Puis il ajouta : « Cet homme a tué mon père il y a seize ans.
Puis il a disparu. Je l’ai cherché partout depuis lors, sur tout
le plateau tibétain ; cela fait treize ans que je lui cours
après, en pure perte. »
J’ai jeté un coup d’œil au Khampa, d’un air, soudain, de
profonde détresse. Je me suis toujours imaginé les justiciers
sous les traits de gaillards robustes, obligatoirement vêtus de
noir des pieds à la tête, portant des lunettes noires et un
pistolet à la ceinture. Mais l’homme à mes côtés avait un visage
éteint et l’air désorienté ; hormis le long poignard au manche
en argent qu’il portait à la taille
,
rien en lui ne pouvait laisser penser que c’était un meurtrier.
Les yeux fixés sur la ligne illimitée de l’horizon, j’étais
vraiment déconcerté. Dans la cabine, on n’entendait que le bruit
lancinant du moteur.
« Quand va-t-on arriver à Sakar ? » me demanda le Khampa en
gardant les yeux fixés droit devant lui.
« Avant la tombée de la nuit. Tu es vraiment si pressé d’aller
tuer cet homme ? » lui ai-je répondu d’une voix
ensommeillée après avoir jeté par la fenêtre le mégot de ma
cigarette.
Le Khampa me jeta un regard en coin, d’un air où se lisaient à
la fois de la moquerie et un léger mépris. Mal à l’aise, j’ai
senti mes mains devenir moites. Alors le Khampa m’a dit : « J’ai
été capable d’attendre patiemment pendant plus de dix ans, je ne
vais pas faire une histoire pour une demi-journée de plus. »
J’ai continué à regarder fixement devant moi sans broncher.
À ce moment-là, à l’ouest, se profilèrent à l’horizon les
contours d’une chaîne de montagnes et, à l’est, le soleil
couchant embrasa d’un rouge de feu le rétroviseur. A côté de
moi, le Khampa observait le paysage, totalement perdu dans ses
pensées. Son calme, son mutisme, sa résolution, tout en lui me
faisait vaguement peur. Pour dissiper cette atmosphère pesante,
je lui dis : « On va bientôt arriver. On va prendre la route
dans la passe entre les montagnes, là-bas, et on sera
pratiquement à Sakar. »
« Ah ! » fit le Khampa, mais le ronronnement du moteur couvrit
son exclamation.
车子快速向西边涌现出的山飞奔,再后来沿着山脚蜿蜒的小路急速行驶。
“到站了。”我如释重负地说。此时天快要黑了,狂风在呜呜地吹。这是个岔路口,前方的景色开始模糊起来,天与地快要融合在一块。康巴人动作笨拙地打开车门,一股黑色的冷风呼啸着奔涌进来,让我俩全身打了个寒战。他从车厢里拽出被子和铝壶,背在了背上,按照我指给他的方向走去。他即刻就被无尽的夜幕吞没,从我的视线里逃逸掉了。
沙砾拽着风的裤腿,呜咽声中,一脚一脚踹在车玻璃上,可怜的玻璃咔嚓嚓咔嚓嚓地哀鸣。车顶的篷布喀哒喀哒地跳跃。这里的风沙真吓人。我在黑夜里摁了几声喇叭,声音被风裹卷走了。我想这又何必,是给他壮胆,还是跟他告别。我也不知道是什么意思。
汽车在粘稠的黑暗里继续向阿里方向驶去。那大灯的亮光,在苍茫的大地间,显得凄凉而孤单。
Le camion filait à toute allure vers l’ouest, là où étaient
apparues les montagnes. Arrivé aux premiers contreforts, il prit
une petite route qui serpentait à leur pied.
« On y est, » dis-je avec un soupir de soulagement. La nuit
tombait, un vent furieux soufflait en hurlant. Nous étions à une
bifurcation ; on ne discernait déjà plus très bien ce qui était
au-delà, car la terre et le ciel se fondaient très vite en un
tout indistinct. Le Khampa ouvrit sa portière d’un geste
maladroit, et une rafale d’un vent noir glacial s’engouffra en
sifflant à l’intérieur, nous faisant frissonner tous les deux.
Il attrapa ses couvertures et son pot d’aluminium, mit tout son
barda sur le dos et partit dans la direction que je lui avais
indiquée. Il fut aussitôt englouti par l’obscurité de la nuit et
je le perdis de vue.
Le vent projetait en hurlant du sable sur les vitres du camion,
comme s’il donnait des coups de pied sur le verre et que
celui-ci gémissait sous le choc. Sur le toit, la bâche, secouée,
faisait un bruit d’enfer. Ici, le vent de sable est vraiment
quelque chose d’effrayant. Dans la nuit noire, j’ai klaxonné
deux ou trois fois, mais le son a été emporté par le vent. Je me
suis demandé pourquoi je l’avais fait, si c’était pour lui
donner du courage ou pour lui dire adieu. Je ne savais pas
exactement.
Par cette nuit visqueuse, j’ai continué en direction de Ngari.
Dans l’immensité des montagnes, la lumière des phares semblait
d’autant plus désolée et solitaire.
我在狮泉河镇耽误了四天,回来时是空车。这一路想的都是康巴人,为他能否复仇我担尽了心,还设想了很多个结局。车行驶到去萨嘎的岔路口时,我无意识地做出了令我自己都咋舌的举动,将方向盘打向了通往萨嘎的道路上。
午时的太阳毒辣辣的,照得道路一片苍白,汽车逆着江水飞驶,江水冲击岩石激起的白色浪涛和哗哗的水流声,给了我些许的凉意。道路两边的山上没有什么植被,倒是稀疏地长着些荆棘,偶尔在荆棘后面可以看到一两头干瘦的羊。这里真是荒凉。
我看见了低矮的民房,土灰色的房子毫无生机,透出年代久远的气息。一条不长的街道,贯穿整个县城。我把车子停在了县城招待所。
午饭是在一家茶馆里解决的。这家茶馆非常简陋,几张木桌再配几只粗制滥造的矮木凳,地上坑坑洼洼一点都不平整。我吃的很简单,一瓶甜茶,十五个包子,它们把我的肚子撑得滚圆。饱暖思杀手,我有些迫不及待了。
“喂,姑娘。”我喊
“还想要点什麽?”姑娘的表情里充满嗔怪,她想我又要支使她了。
“我想打听一个人。”
“谁呀?”她的脸上漾起了微笑。
“前几天到这来的一个康巴人。”
“是那个细瘦的?刚开始我还以为是讨饭的。”
“他没有闹什麽事吧?”
“没有啊。他要找玛扎。”
“找到了吗?”
“找到了。”
我的心提到了嗓子眼上。我的脑海中出现了康巴人拔刀子刺向玛扎胸口的画面,鲜血浸透玛扎的白衬衣,他的胸膛上好似盛开了一朵玫瑰。
“唉,我给你说。”这姑娘喜欢唠叨。这也难怪,茶馆里就我们两个。
Après être resté quatre jours au bourg de la Source du Lion, je
suis revenu avec le camion vide. Pendant tout le trajet, je n’ai
pensé qu’au Khampa ; je me demandais s’il avait réussi à venger
son père et imaginais de nombreuses conclusions différentes.
Quand le camion est arrivé à la bifurcation menant à Sakar, de
façon totalement inconsciente, j’ai pris la route du bourg.
Le soleil de midi était brûlant, et la réverbération rendait la
route blanchâtre ; le camion roulait en sens inverse du courant
de la rivière dont l’eau tumultueuse formait des vagues blanches
en venant heurter les pierres de la rive, dans un bruit qui me
glaçait les os. Les flancs des montagnes des deux côtés de la
route ne portaient aucune végétation, hormis quelques bouquets
de ronces de ci de là, derrière lesquels on distinguait parfois
un ou deux moutons décharnés. C’était vraiment un pays désolé.
Le bourg était traversé de part en part par une rue relativement
courte, bordée de maisons basses, aux murs de terre grise, sans
le moindre signe de vie, comme sorties d’un autre âge. Je me
suis arrêté devant l’auberge et suis allé déjeuner dans une
maison de thé, un local très rustique meublé de quelques tables
et bancs de bois de facture grossière, au sol irrégulier plein
de creux et de bosses. J’ai commandé un repas très simple, une
théière de thé sucré et quinze petits pains à la vapeur qui
m’arrondirent agréablement la panse. Le ventre plein, je me suis
mis à penser à mon assassin. J’étais pressé.
« Eh ! Serveuse ! » ai-je crié.
« Vous voulez autre chose ? » répliqua-t-elle sans aménité,
pensant sans doute que je voulais la mener en bateau.
« Oui, je cherche quelqu’un. »
« Et qui donc ? » dit-elle avec, cette fois, un grand sourire.
« Un Khampa qui est venu ici il y a quelques jours »
« Le type tout maigre ? Au début, j’ai cru qu’il venait
mendier. »
« Il n’a pas fait de grabuge ? »
« Pas du tout. Il cherchait Martsa
. »
« Et il l’a trouvé ? »
« Oui. »
J’ai senti mon cœur se serrer tandis que se profilait devant mes
yeux l’image du Khampa plantant son poignard dans la poitrine de
Martsa, le sang inondant sa blouse blanche, comme si sur sa
poitrine avait fleuri une rose rouge.
« Ah, faut que je te raconte, » continua la serveuse qui
semblait vouloir bavarder, ce qui était compréhensible car nous
étions seuls dans la salle.
“那天,太阳已经升得老高了,县城的道路上人们突然看到一个陌生的康巴人背着被子,顶着炎炎烈日在转悠。我们的县城规模不大,一眼就能望到头,建筑物零散地坐落在道路两旁,路上行人稀少。大概他转累了,这点我从他布满血丝的眼睛里看得出来。康巴人大摇大摆地走进来,坐在临街的窗口旁。他的目光掉落到我的身上,同时我也看到他皴裂的嘴唇和褴褛的衣裳。那把刀可真美呀!
“我抱着暖水瓶,隔着两张桌子打量他。‘这里有个叫玛扎的人吗?’他问。我知道了,他是来找人的。这彻底纠正了我先前认为他是讨饭的想法。我的脚步绕过桌子、凳子,拔开瓶塞,将一缕带着奶香的甜茶从瓶口倒出去,装满了白色的玻璃杯。我回答:‘县城西头有个叫玛扎的,是开小百货店的。’‘他是贡觉萨恩的吗?年龄大概在五十岁吧。’我咧嘴一笑,‘你是来寻亲戚的吧?’康巴人再次急切地问‘是贡觉萨恩的吧?’我觉得索然无味,‘是不是贡觉萨恩的我不知道,可他差不多五十多岁了,在这里开店已经有两年了。他还经常去寺庙里转经,对菩萨特别地虔诚,所以我们县城的人都认得他。’康巴人呼吸急促起来,脸烧得火辣辣的。‘你寻到亲戚高兴了?’我立在旁边问他。康巴人的眼里突然淌出泪水,呜呜地哭了起来。那杯茶不再冒热气了。他说:‘终于寻到了!’我看这个康巴人这么激动,惊奇地坐在了他的对面。中间隔着一张桌子,玻璃杯子里的甜茶上面积了一层薄薄的焦黑的奶渍。康巴人此刻平静了许多,他擦去眼角流淌的泪水,眼睛望着窗外的街道。街上只有寥寥的几个人,从他们的步履神态你就能知道这个小县城的清闲、幽静。康巴人转过头来看见坐在对面的我依然盯着他,垂下脑袋端起杯子把茶喝干。‘你跟其他康巴人不一样。’我说。他僵硬的面部抽搐了一下,过后又把茶杯里的几滴剩茶滴到舌头上。我重新给他倒甜茶。康巴人说:‘有藏面吗?’‘有。’‘给我来一碗。’我掀开门帘,走进厨房里。‘藏面来了。’康巴人盯着瓷碗里粗粗的面条被淹在油腻腻的骨头汤里,上面浇了一勺捣碎的红辣椒,他咽了口水,焦黄的舌头舔了一下碗。我看到唾沫沾在碗边,一阵恶心。我离开了康巴人。没有一会儿,他囫囵吞下了一碗面。‘我的被子能在这墙角放一会儿吗?’康巴人问我。我点点头,‘你寻到亲戚再过来拿吧。’他就出去了。喏,你看。他的被子和铝壶全放在这里,他再没有到这里来了。要是他在县城我准能看得到他,我想他可能到别的地方去了。”
千真万确,那个被子和铝壶是他的。他人到哪里去了?
“那个玛扎还在吗?”我问。
“在。他在前面开了一个小商店。”
我想这杀手不会被玛扎给收拾了吧,心里隐隐有了不祥的预感。我这人真是的,一紧张就口渴,一口渴脑袋里的弦就绷得快要断裂了。我老婆常用藏族的俗语劝我:别挤进吵架的人群里,要挤就挤到卖油的队伍里。真是说对了。
“拿瓶啤酒。”
“喝哪种啤酒?”姑娘问。
“拉萨。”
酒咕噜顺着喉咙落进肚子里,绷紧得弦一下松弛下来。我想我一定得找到这个杀手。
« Ce jour-là, le soleil était déjà haut quand on a vu arriver ce
Khampa dans la rue, avec tout son barda sur le dos, dans une
chaleur à crever. Le bourg n’est pas grand ; la rue principale
est si courte qu’on en voit le bout sans problème et, qui plus
est, il n’y a pas beaucoup de maisons des deux côtés, donc les
passants sont peu nombreux. Il devait être fatigué car j’ai
remarqué qu’il avait les yeux injectés de sang. Il est entré
d’un pas incertain, et s’est assis près de la fenêtre qui donne
sur la rue. Son regard s’est posé sur moi, et moi, de mon côté,
j’ai remarqué ses lèvres gercées et ses vêtements élimés. Ce
qu’il avait de vraiment superbe, c’est son poignard !
Je l’observais, à deux tables de lui, la thermos à la main,
quand il m’a demandé : « Il y a quelqu’un qui s’appelle Martsa,
ici ? » En fait, il cherchait quelqu’un ; il n’était pas venu
mendier, comme je l’avais d’abord pensé. Je me suis frayé un
chemin au milieu des bancs avec ma thermos pour aller lui verser
un verre de thé au beurre et lui ai répondu : « Oui, à l’ouest
du bourg, il y a quelqu’un qui s’appelle Martsa, il tient une
petite épicerie. » - « Il vient du rdzong de Gonjo
?
Il a dans les cinquante ans ? » Cela m’a fait rire : « Tu
cherches quelqu’un de ta famille, c’est ça ? » Mais il a répété
sa question avec impatience : « Il vient du rdzong de
Gonjo ? » J’ai trouvé qu’il était un peu pénible. « Je ne sais
pas d’où il vient, mais il a bien dans les cinquante ans ; cela
fait déjà deux ans qu’il a ouvert sa boutique. Il va souvent au
monastère faire tourner les moulins à prières, c’est un dévot
bouddhiste, alors tout le monde le connaît, ici ». Le visage en
feu, le Khampa s’est mis à respirer très vite. « Tu es content
d’avoir trouvé le parent que tu cherchais ? » lui ai-je demandé.
Ses yeux se sont soudain emplis de larmes, et il s’est mis à
pleurer en geignant doucement. Le thé dans son verre avait
refroidi et ne fumait plus. « Je l’ai enfin trouvé ! » s’est-il
exclamé. Surprise de le voir aussi bouleversé, je me suis assise
en face de lui, de l’autre côté de la table ; à la surface du
thé, dans le verre, s’était formée une mince pellicule noire.
Finalement, il s’est calmé, s’est essuyé les yeux et a tourné la
tête pour regarder dehors. Il n’y avait pas grand monde, dans la
rue, juste quelques rares personnes qui passaient sans se
presser, d’un pas caractéristique de la tranquillité qui règne
ici.
Quand il s’est retourné, il a vu que je le regardais toujours
fixement, alors il a pris son verre et l’a vidé d’un trait.
« Tu n’es pas comme les autres Khampas, » lui ai-je dit. Son
visage s’est crispé un bref instant, puis il a fini les quelques
gouttes de thé qui restaient au fond du verre. Je lui en ai
versé d’autre. « Tu as des pâtes tibétaines ? » m’a-t-il
demandé. Comme je lui répondais que oui, il m’a demandé de lui
en apporter un bol et j’ai disparu derrière le rideau de la
cuisine pour aller le lui chercher. Quand le Khampa a vu les
pâtes épaisses baignant dans leur bol de bouillon gras à l’os,
avec une pincée de piment rouge à la surface, cela lui a mis
l’eau à la bouche, et il s’est mis à le laper : il avait une
langue jaunâtre et laissait des traces de salive sur les bords
du bol, c’était écœurant. Je me suis éloignée. Il a tout fini en
un rien de temps puis m’a demandé : « Je peux laisser mes
couvertures dans un coin un moment ? » J’ai opiné de la tête :
« Oui, quand tu auras vu ton parent, tu reviendras les
chercher. » Alors il est parti. Regarde, ses affaires sont
encore là, il n’est toujours pas revenu. Si ça se trouve, il est
parti ailleurs. »
C’étaient bien ses affaires. Où pouvait-il bien être allé ?
« Il est encore là, ce Martsa ? » ai-je demandé.
« Oui, il tient toujours sa boutique. »
Plein de funestes pressentiments, je me demandais si Martsa
n’avait pas éliminé son assassin. Je suis du genre à me ronger
d’anxiété ; alors, j’ai besoin de boire et je deviens tellement
angoissé que j’ai l’impression que ma tête va éclater. Ma femme
me donne souvent ce conseil, en argot tibétain : « ne va pas
chercher la bagarre, évite les embrouilles ». Et elle a bien
raison.
« Apporte-moi une bière. »
« Quelle marque ? » demanda la serveuse.
« Une Lhassa. »
Au moment où, de mon gosier, l’alcool est passé dans mon ventre,
j’ai senti toute la tension de mon être soudain se relâcher, et
je me suis dit qu’il fallait absolument que je retrouve cet
assassin.
“给我桶里装满青稞酒。”一个腿稍瘸的男人坐在了我的对面。
“羊谁帮你看?”姑娘问。
“不关你的事。快去倒酒。”我知道了他是放羊的。
他冲我笑,我递过去一根烟。我们交谈起来。他见过那个康巴人。
羊倌说:“我当时不知道他是康巴人。我赶着牛羊过去,尿胀了。你也知道尿胀的滋味,那可真是不好受,会把你的膀胱炸裂。这下好,你会理解我的。我让牛羊停下来,独自爬到山脚那栋房后方便。那尿放出去全身的骨头都麻酥酥的,这才把注意力移到了四周。我看见一个人躺在岩石下,睡得很香。不信啊?我说当时那人的鼾声可响呢。我想他是朝佛的就没有理会。可能是我下山时吆喝那头犏牛,把他给吵醒了。”
“我走到公路上时,他醒过来站到了一块岩石上。太阳刚从山头探出头,一缕金灿灿的光倾泻在他的身上,感觉他暖融融的。我看到康巴人懒散地伸伸胳膊,长长地吁了口气。他一直注视着我。几十头牦牛悠然自得地在公路上不急不慢地走,我左胳膊上绕了几圈羊毛,右手转着捻线轮,神态安详,步履缓慢。偶尔,那几个时常捣蛋的牦牛想独自离开公路,我只能大喝一声,从地上拣块石头,向公路边的斜坡上爬去的牦牛掷过去。那些牦牛惊得小跑一阵,又摇摆尾巴懒洋洋地加入到牛羊群里。康巴人一直看着我,可能他的心里觉得美滋滋的吧。后来我看到他提着铝壶走下公路,再顺着乱石岗堆满的陡坡缓缓向江边走去。江水湍急,哗哗的水流声淹没了一切的嘈杂声。康巴人脱掉衬衣,光着身子,用双手掬水把脸和脖子给洗了,再拿上衣揩干。他左顾右盼,终于选了一块表面平坦的青石,提一壶水撂在旁边,开始磨一把长刀。他一边磨一边还要倒些水在青石上,磨刀的声音被滔滔的江水声盖住了。康巴人把刀插进刀鞘里,重新打一壶水向公路上爬去。”
“后来呢?”我问。
“后来,没有后来了。我再没有见到他。”
C’est alors qu’un homme légèrement handicapé d’une jambe est
venu s’asseoir en face de moi, en commandant un fût de bière
d’orge.
« Qui t’aide à garder tes moutons ? » demanda la serveuse.
« Ce n’est pas ton problème, cours me chercher ma bière
d’orge. » J’avais deviné que c’était un berger.
Il m’a souri, je lui ai offert une cigarette et nous avons
engagé la conversation. Il avait vu le Khampa.
« Au début, je n’ai pas réalisé que c’était un Khampa, »
m’a-t-il expliqué. « Je menais paître un troupeau de yaks et de
moutons, et je me dépêchais parce que j’avais une envie terrible
de pisser. Tu sais ce que c’est, c’est insupportable, tu as
l’impression que ta vessie va exploser. Alors, tu me comprendras
facilement, j’ai fait arrêter le troupeau et j’ai grimpé
derrière une maison, au pied de la montagne. J’avais tellement
envie de pisser que j’en avais des fourmis dans tout le corps,
et c’est seulement quand j’ai eu terminé que j’ai regardé autour
de moi. C’est alors que j’ai vu un homme étendu sous un rocher,
qui dormait à poings fermés. Tu ne vas pas me croire, mais je
l’entendais ronfler ! J’ai pensé qu’il faisait un pèlerinage,
alors je n’ai pas fait plus attention à lui. Mais quand je suis
redescendu et que j’ai appelé les yaks, j’ai dû le tirer de son
sommeil.
Quand j’ai rejoint la route, il était réveillé et se tenait
debout sur un rocher. Le soleil venait juste d’apparaître au
sommet de la montagne, et un rayon de lumière d’un or
resplendissant inondait son corps, donnant une impression de
chaleur agréable. Je le vis étirer paresseusement les bras, avec
une longue inspiration. Il avait les yeux fixés sur moi. Les
quelques dizaines de yaks avançaient sur la route sans se
presser : j’avais passé quelques écheveaux de laine de mouton
autour de mon bras gauche et, de la main droite, enroulait
calmement le fil sur une bobine en marchant d’un pas tranquille.
De temps en temps, il arrivait à quelques yaks de quitter la
route ; il me fallait alors, tout en criant très fort, ramasser
des pierres et les lancer en direction de ceux qui
s’aventuraient sur la pente au bord de la route. Effrayés, ces
yaks partaient en détalant pendant un petit moment, puis, en
remuant la queue, revenaient paresseusement reprendre leur place
dans le troupeau.
Le Khampa continuait à m’observer ; peut-être se sentait-il
heureux. Ensuite, je l’ai vu prendre son pot en aluminium et
descendre sur la route ; de là, il s’est engagé dans la pente
abrupte et, de pierre en pierre, est allé lentement jusqu’au
bord de la rivière. Le courant était très fort et le bruit de
l’eau couvrait tous les autres. Il a enlevé sa chemise et, le
haut du corps dénudé, a pris de l’eau dans le creux de ses mains
pour s’en asperger le visage et le cou, puis il s’est essuyé
avec sa veste. Enfin, après avoir regardé tout autour de lui, il
a choisi une pierre bleue bien plate, y a posé son pot d’eau et
s’est mis à aiguiser son poignard tout en continuant à verser de
l’eau sur la pierre de temps en temps ; le bruit qu’il faisait
était complètement couvert par celui de l’eau. Il a finalement
remis le poignard dans son étui, a repris de l’eau dans son pot,
puis est remonté vers la route. »
« Et après ? » ai-je demandé.
« Après ? Il n’y a pas eu d’après. Je ne l’ai pas revu. »
羊倌说完时,三瓶啤酒已经喝完了。
下午的街道被太阳统治着,没有人行走,一片死寂。我有些醉意,硬邦邦的石块,有点磕脚,我尽量保持身体的平衡。我直奔县城西头的玛扎小百货店。店子开在公路边上,是租当地人的房子开的门面,旁边还有一家四川人开的小吃店。
我越是挨近那家小百货店,心里越发地紧张。我感觉面部烫得像被灼烤一般,气粗重的都有点接不上来。我想现在我是杀手,抑或我在重复那杀手走过的路程。我走到小百货店的窗口,只见货架的右侧端坐着一个三十多岁的女人,穿戴很普通,脸有点苍黄。她见到我后脸上浮出了微笑,问:“你要买点什么?”我呆呆地望了她一会儿,才镇定下来。我问:“这是玛扎开的店子吗?”我的声音有点轻飘飘。
女的听后站了起来,吃惊地问到:“你认识我丈夫?”
我说:“不认识。”
“哦——”玛扎的女人长叹了口气。“怎么前几天也有一个人来找他?这几天他一直心神不定。”
“他在家吗?”
“他到寺庙去了。一个钟头以后就会回来。你先进来喝杯茶吧。”
我绕过店子从后面的门里进去,屋里按了两张木床,中间摆着一个矮脚藏桌,光线有些黯淡,墙角堆放了很多的纸箱,一个大货柜把这间并不大的房子隔成了两间,货架外面是小商店,里面却是住人的地方。
“听口音你不是康巴人。”
“我不是。我是当地人。”
“上次来找他的那个康巴人呢?”
“坐了一会儿,后头哭着就走了。”女的正往酥油桶里丢一砣黄黄的酥油。
“为什么哭?”我问。
玛扎的女人没有回答,她反问道:“你是那个康巴人的朋友?”
“不是。我叫次仁罗布,我们到萨嘎坐的是同一辆车子。”
玛扎的女人忙着给我倒茶,我吊紧的心渐渐松弛了下来。
Quand le berger eut terminé son récit, j’avais bu trois
bouteilles de bière.
Le soleil de l’après-midi régnait en maître sur la rue ; il n’y
avait personne dehors, elle était déserte. J’avais un léger
sentiment d‘ébriété et mal aux jambes, mais encore tout mon
équilibre. J’ai couru tout droit à l’ouest du bourg, jusqu’à
l’épicerie de Martsa. Elle était sur le bord de la grand-rue et
était aménagée dans un logement loué à un propriétaire du coin ;
à côté, il y avait un petit restaurant tenu par des Sichuanais.
Plus j’approchais de la boutique, plus je me sentais fiévreux.
J’avais l’impression que mon visage brûlait, comme rôti dans un
four ; l’air me semblait lourd, irrespirable. Je pensais que
l’assassin, c’était moi, maintenant, ou plutôt que je refaisais
le parcours de l’assassin. Je suis allé jusqu’à la fenêtre de la
boutique, mais je n’ai vu, assise sur la droite, qu’une femme
d’une trentaine d’années, habillée de façon tout à fait
ordinaire, le teint plutôt blême. Quand elle m’a vu, elle m’a
demandé avec un sourire : « Qu’est-ce que tu veux ? » Je suis
resté à la regarder un moment, comme hébété, avant de reprendre
mes esprits. « C’est bien le magasin de Martsa ? » lui ai-je
demandé d’une voix qui tremblait légèrement.
Elle s’est levée, et m’a demandé à son tour, d’un air effrayé :
« Tu connais mon mari ? »
« Non, » lui ai-je répondu.
« Ah… » dit la femme de Martsa avec un long soupir. « Il y a
quelques jours, quelqu’un est venu le voir, et, depuis lors, il
est devenu nerveux. »
« Il est là ? »
« Non, il est allé au monastère, il devrait être de retour dans
une heure. Entre prendre un verre de thé. »
J’ai fait le tour de la maison et suis entré par la porte de
derrière ; à l’intérieur, il y avait deux lits de bois, avec une
table basse tibétaine au milieu ; c’était une pièce sombre,
assez petite, où, dans un coin, était entassée une pile de
cartons et qu’une grande armoire divisait en deux, d’un côté le
magasin, de l’autre l’habitation.
« A ton accent, tu n’es pas du Kham. »
« Non, je suis d’ici. »
« Et que s’est-il passé avec le Khampa qui est venu l’autre jour
? »
« Il est resté un moment, et puis il est reparti en pleurant. »
répondit la femme, en prenant une noix de beurre bien jaune pour
la mettre dans le thé.
« Et pourquoi pleurait-il ? » ai-je demandé.
La femme de Martsa ne m’a rien répondu, mais m’a posé une autre
question : « Tu es un ami de ce Khampa ? »
« Pas du tout. Je m’appelle Tsering Norbu, j’ai fait le chemin
jusqu’ici avec lui, dans le même camion.
La femme de Martsa m’a versé du thé, et je me suis peu à peu
détendu.
“回来了。”一个清脆的童声从屋外响了起来,这声音让我全身起了鸡皮疙瘩,呼吸急促起来。一个约莫四岁的小男孩已经站在了我的面前,小男孩鼓着眼睛,惊奇地望着我,然后转身依到他母亲的怀里。玛扎的女人说:“他是来找你爸爸的。你爸呢?”
小孩怯怯低说,“在后面。”
房门又被推开了,闪进一个人来,这人身子已经弯曲,头发有些花白,额头上深深浅浅地布满了皱纹。他看到我后,身子向后倾斜,眼睛睁得如同一枚银圆,口吃地问道:“你、你、你是、是······”
“次仁罗布。”
玛扎的脸一片铁青,嘴唇抖动。
“玛扎,怎么啦?”女人问道。
“没有什么,我走路走得太急了。你找我有事吗?”
“我来问你前几天见过一个康巴人吗?”
“见过。他说是来找我的。但一见我个这样子,他只摇头。说,找的不是我。我叫他喝了茶,后来他哭着跑了出去,再没有见到他。”
“我要去找找他,我告辞了。”
“这是怎么回事?”
我没有理会,我想我既浪费了时间,又浪费了汽油,得赶紧离开这里。
汽车驶出了萨嘎县城,我想也许会在路上碰到那个康巴杀手的。
旷野里汽车轮胎爆了,我躺在驾驶室里睡着了。
在玛扎的房子里女人带着小孩出去了。我和玛扎对目相视,屋里的空气骤然间要凝固似的。我右手使上全身的劲,牢牢抓着刀把。此刻,我丢弃了所有繁杂的念头,头脑里只有捅死玛扎,替康巴男人和他的父亲报仇的想法。我手心里刀把的花纹很有质感,那纹路曲曲弯弯,摸着让人感觉特别地舒服。玛扎说:“我天天在菩萨面前赎我的罪,我没有什么惧怕的,只是没有想到你会来的这么快。杀人偿命,这是天经地义的事情,来吧,你下手吧。”一道寒光闪过,刀尖已经插进玛扎的胸膛,我把玛扎抵到了墙角,伤口处有鲜血汩汩涌出,顺着刀身润湿了我的手,热热地有些黏糊。玛扎眼里一片安详,他艰难地向我咧嘴微笑,便断气了。我抽出刀子,玛扎像捆草堆顺墙角倒了下去————
醒来外面阳光灿烂,白花花的太阳光让我睁不开眼睛。我想:该下车换轮胎了。
« On est là, » s’exclama une voix d’enfant à l’extérieur, une
voix cristalline qui me donna la chair de poule et me coupa le
souffle. C’était un petit garçon de trois ou quatre ans qui me
dévisagea d’un air surpris en entrant, avant de se précipiter
dans les bras de sa mère qui lui demanda : « Il est venu voir
ton papa. Où est-il ? »
Intimidé, l’enfant répondit tout bas : « Il arrive. »
La porte s’ouvrit alors à nouveau, et entra un homme à la
silhouette déjà courbée, aux cheveux grisonnants, dont le front
était sillonné de rides profondes. En me voyant, il eut un temps
de recul ; les yeux écarquillés comme deux taels d’argent, il
balbutia : « Tu… tu… tu… es… »
« Tsering Norbu. »
Martsa devint livide, ses lèvres se mirent à trembler.
« Martsa, qu’est-ce que tu as ? » demanda sa femme.
« Rien, j’ai marché trop vite. Pourquoi es-tu venu ? »
« Je suis venu te demander si un Khampa est passé te voir il y a
quelques jours. »
« Oui. Il m’a dit qu’il me cherchait. Mais il m’a juste regardé
en hochant la tête et a ajouté qu’il s’était trompé, que ce
n’était pas moi. Je lui ai offert un verre de thé, et après, il
est parti en pleurant. Je ne l’ai pas revu. »
« Il faut que je le retrouve. Je vais le chercher, au revoir. »
« Que s’est-il passé ? »
Je ne lui ai pas répondu. Je pensais que j’avais suffisamment
perdu mon temps et gaspillé mon essence, et qu’il fallait que je
parte de là au plus vite.
Quand le camion a quitté le bourg de Sakar, j’ai pensé que
j’allais peut-être rencontrer cet assassin de Khampa, mais, sur
la route, un pneu a crevé ; alors je me suis étendu dans la
cabine et me suis endormi.
La femme de Martsa est sortie de la pièce avec le petit garçon
et je suis resté face à face avec Martsa ; l’air de la pièce a
soudain semblé se figer. Toute mon attention concentrée sur ma
main droite, j’ai saisi fermement mon poignard. J’avais fait le
vide dans mon esprit, il ne me restait qu’une seule idée en
tête : tuer Martsa, pour venger le Khampa et son père. Je
sentais dans la paume de ma main le relief alambiqué des
décorations sculptées sur le manche du poignard et en tirais un
intense sentiment de bien-être. Alors Martsa m’a dit : « Je vais
tous les jours prier le Bouddha pour la rédemption de mes
péchés. Je n’ai pas peur. Simplement, je n’avais pas pensé que
tu viendrais si vite. Une vie se paie d’une vie. Telle est la
loi du ciel. Vas-y. » Dans un éclair glacé, la pointe du
poignard est allée se planter dans la poitrine de Martsa qui
s’est effondré contre le mur ; le sang qui coulait à flots de sa
blessure le long du manche du poignard m’a inondé les mains, un
sang chaud et visqueux. Le regard de Martsa exprimait une grande
sérénité. Après avoir fait un suprême effort pour m’adresser un
sourire, il a rendu l’âme. J’ai alors retiré le poignard ;
Martsa avait l’air d’une botte d’herbe posée là, au coin du
mur----
La lumière du soleil qui venait du dehors était aveuglante, une
lumière d’un blanc insoutenable. Allez, il faut que je change le
pneu, me suis-je dit.
(Une première version de cette traduction est parue dans la
revue Jentayu, n° 2,
juin 2015.
Traduction révisée pour le dossier de presse préparé pour la
sortie en France de « Jinpa », le 19 février 2020)
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