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Club de lecture du Centre culturel de Chine

Année 2020-2021

Compte rendu de la première séance

par Brigitte Duzan, 23 décembre 2020

 

Cette première séance était consacrée à l’écrivaine Xiao Hong 萧红 (1911-1941).

En raison des mesures sanitaires dues à l’épidémie de covid19, et donc de la fermeture du Centre culturel, cette séance n’a pu avoir lieu comme prévu. Plusieurs fois repoussée, elle a finalement dû être annulée.

 

Mais les membres du club ont quand même lu les titres proposés, en en ajoutant d’autres, comme à leur habitude. Finalement, c’est donc une autre forme que prend le compte rendu de séance, en l’absence de séance : ce sont les avis de membres, leurs notes de lecture rédigées pour l’occasion, qui le constituent, et appellent des commentaires en retour. C’est une formule de circonstance, mais intéressante.

 

Je m’associe aux plaisirs de lecture exprimés ci-dessous, de manière très variée, traduisant la personnalité et les goûts de chacun, avec le regret de n’avoir pu proposer en français, pour les merveilleux « Contes de la rivière Hulan », qu’une édition parsemée de fautes, comme l’ont à juste titre remarqué deux lecteurs.

 

Il est étonnant de voir combien Xiao Hong reste attractive pour les lecteurs d’aujourd’hui, à leur propre surprise d’ailleurs, comme le remarque l’un des membres du club.

 

Rappel des titres proposés 

 

Nouvelles

Recueil de cinq nouvelles, trad. Bérangère Turki, You Feng, 2004.

 

Contes de la rivière Hulan

trad. Simone Cros-Moréa, édition bilingue, You Feng, 2011, préface de Mao Dun (1946)

 

Des âmes simples,

Recueil de trois nouvelles (Les mains, Un souffle d’espoir, La femme du soldat), trad. Anne Guerrand-Breuval, Arléa, 1995.

 

Nouvelles de Xiao Hong (You Feng)

 

Contes de la rivière Hulan

 

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Notes de lecture envoyées par quatre lecteurs

I. Geneviève Bouquet / II. Ely Berrebi / III. Sylvie Duchesne / IV. Dorothée Muenk Seiller

 

I

 

  1. Parmi les Nouvelles du recueil proposé :

La mort de belle-sœur Wang              exactions des propriétaires terriens

Le cerf-volant                                   un fils tout entier voué à la cause du prolétariat

Discours d’enfant                              enrôlé comme figure de propagande

Un cri                                              l’absence du fils soldat

Les mains                                        une élève prisonnière de son état physique et mental 

 

Mon choix se porte sur « Un cri ».

Dans cette nouvelle, le style alerte et d’une poétique beauté de Xiao Hong contrebalance le récit dans lequel elle dépeint l’incompréhension d’un père et d’une mère quant à l’enrôlement dans l’armée de leur unique fils.

Une émotion profonde envahit le lecteur.

 

 Les points forts que Xiao Hong développera dans toutes ses nouvelles et contes y sont présents :

 

• Dénonciation du système féodal

• Adhésion aux idées révolutionnaires

• Lutte contre l’envahisseur japonais

 

  1. Avec les « Contes de la rivière Hulan », la séduction du style de Xiao Hong opère toujours mais ne suffit plus à nous envoûter.

 

Est-ce - en partie - dû à la très mauvaise édition bilingue qui semble n’avoir jamais reçu le regard d’un correcteur averti, est-ce d’avoir gardé en mémoire ses merveilleuses nouvelles de 1936 ou bien, est-ce un sentiment de malaise grandissant vis-à-vis de la position de l’écrivain dans la société de son époque ?

 

Sur une trame intéressante - la vie d’une petite bourgade au bord de l’eau - Xiao Hong a parfois plaqué des portraits saisissants certes, mais peut-être insérés à des moments inappropriés et qui, de sous-chapitre en sous-chapitre, ont éveillé en moi un agacement grandissant ; aucun lien visible entre eux.

 

Et pourtant, que d’intérêts dans le premier tiers du livre : ce village si minutieusement décrit, son plan quadrillé, ses deux écoles (au passage un coup de griffe sur le poids de la société qui submerge le savoir des enfants scolarisés), ses habitants hauts en couleur, ses fêtes égrenant l’année, etc. Un vrai documentaire doublé d’un style alerte et imagé.

 

Dans le deuxième tiers du livre, le récit du trio « grand-père, jardin et elle, petite-fille » comporte des accents idylliques et naturalistes. Mais quand même ! Ce n’est pas le regard d’une petite fille de 6 ans mais celle d’une adulte. Il y a mélange des genres. C’est le point de vue d’une femme tiraillée entre un dédain inconscient envers ces gens ignorants, qui composent cette micro-société et une empathie pour ces gens mêmes, incapables de sortir de leurs conditions moyenâgeuses. Une société chinoise vouée à l’échec si elle ne se transforme pas, si elle ne sort pas du carcan confucéen traditionnel.

 

Ce n’est que dans le dernier tiers du livre qu’elle nous offre quelques exemples concrets de cet enfermement de la société dans ses propres pièges.

 

• C’est la famille Hu avec « petite bru » 小姑娘

                                                                                   Une belle-mère engluée dans la tradition.

                                                                            Ses efforts dérisoires pour parvenir à ses fins :

                                                          dompter une très jeune fille au comportement « naturel », 

                                                                       inapte à obtempérer aux ordres de sa belle-mère  

                                                                                       qui met fin à son enfance et à ses rêves.

                                                                                                                 Mort de la petite bru.

 

• C’est la pendaison de son oncle Youer 有二

 

• C’est Feng Bec de Lièvre 冯歪嘴子

                         un beau portrait d’homme

                                                                                                         au comportement inhabituel

 

Conclusion

 

Xiao Hong a un immense talent de conteuse. Elle nous enchante par ses descriptions de la nature (les auteurs chinois sont les maîtres en la matière). Elle nous passionne par la profusion d’anecdotes concernant la vie du bourg de Hulan dans les années 1930, mais elle me déçoit un peu par son incapacité à prendre une position claire. Penche-t-elle du côté des lettrés dont elle est issue ou bien prend-elle réellement parti pour ces millions de chinois pauvres et ignorants ? Elle pressent que le savoir est primordial mais ne se sent pas le courage d’engager la bataille comme le fera Ding Ling. Mais c’est une autre histoire.

 

Traduction

J’ai aimé lire cette traduction qui ne m’a jamais fait sentir la construction de la phrase chinoise.

 

Poésie de Meng Haoran 孟浩然

Quel bonheur de lire et d’entendre la petite fille chanter à tue-tête Meng Haoran dans « l’éveil du printemps » !

 

                                                                                                      Geneviève Bouquet

 

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II

 

J’ai beaucoup aimé ces textes de Xiao Hong, et au-delà de la littérature.

J’avais lu son recueil de nouvelles en français « Les Âmes Simples » et je me souvenais encore de la 1ère nouvelle « les Âmes » magnifique d’humanité. 


1. Je me suis d’abord attaqué aux « Contes de la rivière Hulan » en chinois non simplifié tels qu’ils ont été écrits à l’époque, « Hulan he zhuan ». Au bout de quatre mois, arrivé en travaillant tous les jours, à mi-chemin du parcours, j’ai abandonné et je me suis remis à la version bilingue de You Feng. J’y ai pris beaucoup de plaisir malgré les erreurs de placement du pinyin au-dessus des caractères chinois qui ralentissaient la lecture ! Mais à la décharge de You Feng il est vrai que l’exercice technique est difficile.

 

J’ai aussi acquis le bel ouvrage édité sous le nom « Souvenirs de Hulan He »* : très belles illustrations toutes les deux pages mais avec de nombreuses coupes qui ruinent l’ensemble. 
Malgré tout un beau livre à offrir à quelqu’un qui aime la Chine.

 

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* Note de Brigitte Duzan

Il s’agit du livre publié aux Éditions de la Cerise (2019) avec, effectivement, de très belles illustrations de Hou Guoliang (侯国良) :
https://editionsdelacerise.com/livre/souvenirs-de-hulan-he-29

Ce que ne dit pas l’éditeur, c’est qu’il ne s’agit pas vraiment d’une édition originale. Hou Guoliang est né dans le Heilongjiang, et il a donc des affinités particulières avec Xiao Hong ; il a publié en Chine en 2012 un livre illustré par ses soins « Récits de la rivière Hulan » (Hulan He Zhuan《呼兰河传》), qui a ensuite été réédité en une version lianhuanhua :

https://kknews.cc/zh-sg/culture/qemgpr.html

Le texte français est (plutôt) traduit de ce livre, ce qui explique les coupes sidérantes que l’on constate en comparant avec le texte original de Xiao Hong – il manque en particulier les trois premières pages !

 

 

Hulan He Zhuan

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2. J’ai ensuite lu des ouvrages en anglais, traduits par Howard Goldblatt [1] :

 

-    Ma Bole’s Second Life  [2]

J’ai moyennement aimé, sans trop accrocher. 

L’influence de Lao She se fait sentir dans le coté humoristique et les points satiriques sur les aspects déplaisants qu’elle trouvait au caractère chinois.

On est en pleine guerre sino-japonaise et on voit la vie se dérouler. La critique de la vie chinoise pendant cette guerre explique peut-être que le livre ait eu peu de succès même après la guerre. Nous savons bien qu’après les guerres tout le monde a été résistant !

Un petit point drôle : quand j’ai acheté le livre, Mabole m’a fait penser à l’écrivain sinologue français Henri Maspero (Mabole est son nom chinois). Cela n’a bien sûr rien à voir, mais ça m’a amusé.

 

Une question : comment Xiao Hong a-t-elle fait pour plaire à tant d’écrivains hommes et femmes très engagés à gauche, alors qu’elle ne l’était pas, engagée ?

N’a-t-elle pas en outre séjourné au Japon en pleine guerre sino-japonaise ?
On pourra retenir cependant que c’est l’un des rares ouvrages de Xiao Hong dans lequel le héros est un homme et pas une femme.

 

-   Market Street. A Chinese Woman in Harbin [3]

On apprend beaucoup de choses sur la vie de Harbin en 1935.

On a une vision aussi de la pauvreté et des souffrances de vouloir être femme et écrivain en Chine à cette époque, avec les trahisons des hommes de son entourage.

Beaucoup de candeur et de lucidité, sans ornement.
J’ai retrouvé semblable constatation chez Toni Morrison quand elle dit qu’être femme noire et écrivaine dans les années 1960 aux USA c’était la triple peine !

 

Ma Bole’s Second Life

 

Market Street

 

-    Selected Stories of Xiao Hong, chez Panda

Recueil de nouvelles que l’on retrouve dans celui en français avec quelques autres sur le Nord de la Chine.

 

Nouvelles choisies (éd. Panda)

 

Hsiao Hung, Howard Goldblatt, 1976

 

Pour la fin j’ai gardé le meilleur :

-    le «  Hsiao Hung » de son traducteur Howard Goldblatt qui reprend les œuvres et les replace à la fois dans le temps et dans l’espace.

J'ai énormément apprécié, lu et relu.

 

Après tous ces ouvrages, je me suis demandé pourquoi j’avais tant aimé Xiao Hong.

Je me suis rendu compte que la véritable héroïne, c’était elle ! Elle était placée dans différents décors et situations et souffrait mille et une trahisons amoureuses. 
Et par-dessus tout, elle en était consciente. Elle devait avoir un sacré charisme pour intéresser (elle qui n’était que pas ou peu politisée à cette époque où la plupart des écrivains l’étaient) des écrivains comme Lu Xun qui l’a soutenue constamment ou comme Ding Ling

Il n’y a pas de héros, c’est elle l’héroïne et elle meurt comme dans un polar à la suite d’une erreur médicale. 

 

Dans l’atmosphère anxiogène du confinement je me suis rendu compte qu’il y avait eu sur terre des gens beaucoup plus malheureux que nous !

Dans ce contexte, on a envie de s’étendre sur Xiao Hong.

Écrasons l’infâme et aimons qui nous aime disait Voltaire. 

 

                Ely Berrebi

 

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III

 

En février dernier, sachant que Xiao Hong, qui m’était inconnue, était au programme d'une prochaine séance du club, j'ai acheté un volume illustré de dessins de Hou Guoliang intitulé "Souvenirs de Hulan He". Je me suis rendu compte que ce n'était pas le texte intégral …

 

Peu de temps après, j'ai emprunté en bibliothèque le texte complet en édition bilingue, ce qui m'a permis de le lire en entier, en jetant un coup d'œil de temps à autre sur le texte chinois correspondant.

Après plus de six mois, le souvenir le plus marquant qui m'en était resté était celui d'une description d'un monde ancien où la vie était dure. En particulier, j'avais gardé gravé dans ma mémoire le souvenir de la description du martyre de la "petite bru". 

 

Je viens de relire le texte illustré resté en ma possession : ce passage n'y est pas complètement repris !

 

A la relecture, cependant, je retrouve ce monde où la vie est dure et les distractions rares, mais dans ce monde les impressions de l'enfance d'une petite fille un peu privilégiée, qui ne manque ni d'affection, ni d'une certaine liberté. Et c'est le contraste des deux qui fait, à mon avis, tout le charme de ce livre...

 

J'aime beaucoup ce style de description de tout un folklore, et de plusieurs personnages, présentés comme vus par le regard d'une enfant curieuse de tout et découvrant le monde alentour, aussi bien la nature qui est très présente, que les êtres humains. 

 

                                                                                                        Sylvie Duchesne

 

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IV

 

J’ai lu « Histoires du fleuve Hulan » (dans une traduction allemande) avec un très grand étonnement. Commencer un récit par un trou de boue a de quoi surprendre, même aujourd’hui où l’on pourrait le considérer comme une zone humide à préserver, riche d’un biotope unique. 

 

Ensuite le chapitre 5 de la fiancée enfant était pour moi plutôt un récit à propos d’une marâtre pire que toutes celles des contes de Grimm.  Je l’ai lu avec le même effroi que les contes de mon enfance et je trouve qu’il y a beaucoup de parallèles : la description laconique de la maltraitance et de la mise à mort, des « bêtises » commises par les protagonistes, la cruauté et l’absence de compassion.

Inutile de dire que les contes de Grimm font partie de mes relectures régulières.

 

Autre référence à la culture allemande suggérée par la lecture des « Histoires du fleuve Hulan » : le « Wozzeck » d’Alban Berg d’après la pièce de Büchner. L’opéra se termine avec un chœur d’enfants qui disent : « allons voir » – c’est-à-dire « allons voir Marie assassinée dans le marais ».

 

              Dorothée Muenk Seiller

 

Note de Brigitte Duzan

 

Wozzeck évoque bien l’atmosphère du chapitre 5 du récit de Xiao Hong, qui est comme une nouvelle en soi ; la scène finale de l’opéra, avec le chœur d’enfants annonçant à l’enfant de Marie que sa mère est morte, et tous les enfants partant en courant « pour aller voir », a un aspect symbolique renvoyant à Xiao Hong, à sa « fiancée-enfant » mais aussi bien à elle-même :

 

Wozzeck, le chœur d’enfants de la scène finale (acte 3, scène 5),

Staatsoper Hamburg, version filmée 1970

 

 

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[1] C’est l’autre traducteur de Xiao Hong, avec Simone Cros-Moréa qui a littéralement consacré sa vie à Xiao Hong. Elle n’a pas publié de biographie, mais a créé un blog en 2011, à l'occasion du centenaire de la naissance de l’écrivaine, où elle continue de publier régulièrement des traductions de textes et de lettres, qu’elle illustre de ses propres peintures : http://xiaohong.fr/

[2] Il s’agit d’un ouvrage satirique écrit à Hong Kong et publié en 1940 : «  Ma Bole »《马伯乐》

[3] Il s’agit de la traduction de « Rue du commerce » 《商市街》, écrit en 1935 avec Xiao Jun. C’est le nom de la rue où ils habitaient à Harbin.


 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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