Cette
première séance était consacrée à l’écrivaine
Xiao Hong 萧红(1911-1941).
En
raison des mesures sanitaires dues à l’épidémie de covid19, et
donc de la fermeture du Centre culturel, cette séance n’a pu
avoir lieu comme prévu. Plusieurs fois repoussée, elle a
finalement dû être annulée.
Mais
les membres du club ont quand même lu les titres proposés, en en
ajoutant d’autres, comme à leur habitude. Finalement, c’est donc
une autre forme que prend le compte rendu de séance, en
l’absence de séance : ce sont les avis de membres, leurs notes
de lecture rédigées pour l’occasion, qui le constituent, et
appellent des commentaires en retour. C’est une formule de
circonstance, mais intéressante.
Je
m’associe aux plaisirs de lecture exprimés ci-dessous, de
manière très variée, traduisant la personnalité et les goûts de
chacun, avec le regret de n’avoir pu proposer en français, pour
les merveilleux « Contes de la rivière Hulan », qu’une édition
parsemée de fautes, comme l’ont à juste titre remarqué deux
lecteurs.
Il est
étonnant de voir combien Xiao Hong reste attractive pour les
lecteurs d’aujourd’hui, à leur propre surprise d’ailleurs, comme
le remarque l’un des membres du club.
Rappel des titres proposés
Nouvelles
Recueil
de cinq nouvelles, trad. Bérangère Turki, You Feng, 2004.
Contes de la rivière Hulan
trad.
Simone Cros-Moréa, édition bilingue, You Feng,
2011,
préface
de Mao Dun (1946)
Des âmes simples,
Recueil de trois
nouvelles (Les mains, Un souffle d’espoir, La femme du soldat),
trad. Anne
Guerrand-Breuval, Arléa, 1995.
Nouvelles de Xiao Hong (You Feng)
Contes de la rivière Hulan
________________________
Notes de lecture envoyées par quatre lecteurs
I.
Geneviève Bouquet / II. Ely Berrebi / III. Sylvie Duchesne / IV.
Dorothée Muenk Seiller
I
Parmi les Nouvellesdu
recueil proposé:
La mort
de belle-sœur Wang exactions des propriétaires
terriens
Le
cerf-volant un fils tout entier
voué à la cause du prolétariat
Discours d’enfant enrôlé comme
figure de propagande
Un
cri l’absence du
fils soldat
Les
mains une élève
prisonnière de son état physique et mental
Mon choix se porte sur
« Un cri ».
Dans cette
nouvelle, le style alerte et d’une poétique beauté
de Xiao Hong contrebalance le récit dans lequel elle
dépeint l’incompréhension d’un père et d’une mère
quant à l’enrôlement dans l’armée de leur unique
fils.
Une émotion
profonde envahit le lecteur.
Les
points forts que Xiao Hong développera dans
toutes ses nouvelles et contes y sont présents :
•
Dénonciation du système féodal
• Adhésion
aux idées révolutionnaires
• Lutte
contre l’envahisseur japonais
Avec
les « Contes de la rivière Hulan »,
la séduction du style de Xiao Hong opère
toujours mais ne suffit plus à nous envoûter.
Est-ce - en
partie - dû à la très mauvaise édition bilingue
qui semble n’avoir jamais reçu le regard d’un
correcteur averti, est-ce d’avoir gardé en
mémoire ses merveilleuses nouvelles de 1936 ou
bien, est-ce un sentiment de malaise
grandissant vis-à-vis de la position de l’écrivain
dans la société de son époque ?
Sur une
trame intéressante - la vie d’une petite bourgade au
bord de l’eau - Xiao Hong a parfois plaqué des
portraits saisissants certes, mais peut-être insérés
à des moments inappropriés et qui, de sous-chapitre
en sous-chapitre, ont éveillé en moi un agacement
grandissant ; aucun lien visible entre eux.
Et
pourtant, que d’intérêts dans le premier tiers du
livre : ce village si minutieusement décrit, son
plan quadrillé, ses deux écoles (au passage un coup
de griffe sur le poids de la société qui submerge le
savoir des enfants scolarisés), ses habitants hauts
en couleur, ses fêtes égrenant l’année, etc. Un vrai
documentaire doublé d’un style alerte et imagé.
Dans le deuxième tiers du livre,
le récit du trio « grand-père, jardin et elle,
petite-fille » comporte des accents idylliques et
naturalistes. Mais quand même ! Ce n’est pas le
regard d’une petite fille de 6 ans mais celle d’une
adulte. Il y a mélange des genres. C’est le point de
vue d’une femme tiraillée entre un dédain
inconscient envers ces gens ignorants, qui composent
cette micro-société et une empathie pour ces gens
mêmes, incapables de sortir de leurs conditions
moyenâgeuses. Une société chinoise vouée à l’échec
si elle ne se transforme pas, si elle ne sort pas du
carcan confucéen traditionnel.
Ce
n’est que dans le dernier tiers du livre qu’elle nous
offre quelques exemples concrets de cet enfermement de la
société dans ses propres pièges.
• C’est
la famille Hu avec « petite bru » 小姑娘
Une belle-mère engluée dans la tradition.
Ses efforts dérisoires pour parvenir à ses
fins :
dompter une très jeune fille au comportement
« naturel »,
inapte à obtempérer
aux ordres de sa belle-mère
qui
met fin à son enfance et à ses rêves.
Mort de la petite bru.
• C’est
la pendaison de son oncle Youer 有二
• C’est
Feng Bec de Lièvre
冯歪嘴子
un beau portrait d’homme
au comportement inhabituel
Conclusion
Xiao
Hong a un immense talent de conteuse. Elle nous enchante par ses
descriptions de la nature (les auteurs chinois sont les maîtres
en la matière). Elle nous passionne par la profusion d’anecdotes
concernant la vie du bourg de Hulan dans les années 1930, mais
elle me déçoit un peu par son incapacité à prendre une position
claire. Penche-t-elle du côté des lettrés dont elle est issue ou
bien prend-elle réellement parti pour ces millions de chinois
pauvres et ignorants ? Elle pressent que le savoir est
primordial mais ne se sent pas le courage d’engager la bataille
comme le fera
Ding Ling. Mais c’est une autre histoire.
Traduction
J’ai
aimé lire cette traduction qui ne m’a jamais fait sentir la
construction de la phrase chinoise.
Poésie
de Meng Haoran 孟浩然
Quel
bonheur de lire et d’entendre la petite fille chanter à tue-tête
Meng Haoran dans « l’éveil du printemps » !
Geneviève Bouquet
_________________________
II
J’ai
beaucoup aimé ces textes de Xiao Hong, et au-delà de la
littérature.
J’avais
lu son recueil de nouvelles en français « Les Âmes Simples » et
je me souvenais encore de la 1ère nouvelle « les
Âmes » magnifique d’humanité.
1. Je me suis d’abord attaqué aux « Contes de la rivière
Hulan » en chinois non simplifié tels qu’ils ont été écrits
à l’époque, « Hulan he zhuan ». Au bout de quatre mois,
arrivé en travaillant tous les jours, à mi-chemin du parcours,
j’ai abandonné et je me suis remis à la version bilingue de You
Feng. J’y ai pris beaucoup de plaisir malgré les erreurs de
placement du pinyin au-dessus des caractères chinois qui
ralentissaient la lecture ! Mais à la décharge de You Feng il
est vrai que l’exercice technique est difficile.
J’ai
aussi acquis le bel ouvrage édité sous le nom « Souvenirs de
Hulan He »* : très belles illustrations toutes les deux pages
mais avec de nombreuses coupes qui ruinent l’ensemble.
Malgré tout un beau livre à offrir à quelqu’un qui aime la
Chine.
Ce que ne dit pas l’éditeur, c’est
qu’il ne s’agit pas vraiment d’une édition
originale. Hou Guoliang est né dans le Heilongjiang,
et il a donc des affinités particulières avec Xiao
Hong ; il a publié en Chine en 2012 un livre
illustré par ses soins « Récits de la rivière
Hulan » (Hulan He Zhuan《呼兰河传》),
qui a ensuite été réédité en une version
lianhuanhua :
Le texte
français est (plutôt) traduit de ce livre, ce qui
explique les coupes sidérantes que l’on constate en
comparant avec le texte original de Xiao Hong – il
manque en particulier les trois premières pages !
Hulan He Zhuan
______________________
2. J’ai
ensuite lu des ouvrages en anglais, traduits par Howard
Goldblatt
[1] :
L’influence
de Lao She se fait sentir dans le coté humoristique
et les points satiriques sur les aspects déplaisants
qu’elle trouvait au caractère chinois.
On est en
pleine guerre sino-japonaise et on voit la vie se
dérouler. La critique de la vie chinoise pendant
cette guerre explique peut-être que le livre ait eu
peu de succès même après la guerre. Nous savons bien
qu’après les guerres tout le monde a été résistant !
Un petit
point drôle : quand j’ai acheté le livre, Mabole m’a
fait penser à l’écrivain sinologue français
Henri Maspero (Mabole est son nom chinois). Cela n’a bien
sûr rien à voir, mais ça m’a amusé.
Une
question : comment Xiao Hong a-t-elle fait pour
plaire à tant d’écrivains hommes et femmes très
engagés à gauche, alors qu’elle ne l’était pas,
engagée ?
N’a-t-elle
pas en outre séjourné au Japon en pleine guerre
sino-japonaise ?
On pourra retenir cependant que c’est l’un des rares
ouvrages de Xiao Hong dans lequel le héros est un
homme et pas une femme.
On apprend
beaucoup de choses sur la vie de Harbin en 1935.
On a une
vision aussi de la pauvreté et des souffrances de
vouloir être femme et écrivain en Chine à cette
époque, avec les trahisons des hommes de son
entourage.
Beaucoup de
candeur et de lucidité, sans ornement.
J’ai retrouvé semblable constatation chez Toni
Morrison quand elle dit qu’être femme noire et
écrivaine dans les années 1960 aux USA c’était la
triple peine !
Ma Bole’s Second Life
Market Street
-Selected
Stories of Xiao Hong, chez Panda
Recueil de nouvelles que l’on retrouve dans celui en français
avec quelques autres sur le Nord de la Chine.
Nouvelles choisies (éd. Panda)
Hsiao Hung, Howard Goldblatt, 1976
Pour la
fin j’ai gardé le meilleur :
-le
« Hsiao Hung » de son traducteur Howard Goldblatt
qui reprend les œuvres et les replace à la fois dans le temps et
dans l’espace.
J'ai
énormément apprécié, lu et relu.
Après
tous ces ouvrages, je me suis demandé pourquoi j’avais tant
aimé Xiao Hong.
Je me
suis rendu compte que la véritable héroïne, c’était elle ! Elle
était placée dans différents décors et situations et souffrait
mille et une trahisons amoureuses.
Et par-dessus tout, elle en était consciente. Elle devait avoir
un sacré charisme pour intéresser (elle qui n’était que pas ou
peu politisée à cette époque où la plupart des écrivains
l’étaient) des écrivains comme Lu
Xun qui l’a soutenue constamment ou comme
Ding
Ling.
Il n’y
a pas de héros, c’est elle l’héroïne et elle meurt comme dans un
polar à la suite d’une erreur médicale.
Dans
l’atmosphère anxiogène du confinement je me suis rendu compte
qu’il y avait eu sur terre des gens beaucoup plus malheureux que
nous !
Dans ce
contexte, on a envie de s’étendre sur Xiao Hong.
Écrasons l’infâme et aimons qui nous aime disait Voltaire.
Ely Berrebi
_____________________
III
En février dernier, sachant que Xiao Hong, qui m’était inconnue,
était au programme d'une prochaine séance du club, j'ai acheté
un volume illustré de dessins de Hou Guoliang intitulé
"Souvenirs de Hulan He". Je me suis rendu compte que ce n'était
pas le texte intégral …
Peu de temps après, j'ai emprunté en bibliothèque le texte
complet en édition bilingue, ce qui m'a permis de le lire en
entier, en jetant un coup d'œil de temps à autre sur le texte
chinois correspondant.
Après plus de six mois, le souvenir le plus marquant qui m'en
était resté était celui d'une description d'un monde ancien où
la vie était dure. En particulier, j'avais gardé gravé dans ma
mémoire le souvenir de la description du martyre de la "petite
bru".
Je viens de relire le texte illustré resté en ma possession : ce
passage n'y est pas complètement repris !
A la relecture, cependant, je retrouve ce monde où la vie est
dure et les distractions rares, mais dans ce monde les
impressions de l'enfance d'une petite fille un peu privilégiée,
qui ne manque ni d'affection, ni d'une certaine liberté. Et
c'est le contraste des deux qui fait, à mon avis, tout le charme
de ce livre...
J'aime beaucoup ce style de description de tout un folklore, et
de plusieurs personnages, présentés comme vus par le regard
d'une enfant curieuse de tout et découvrant le monde alentour,
aussi bien la nature qui est très présente, que les êtres
humains.
Sylvie Duchesne
___________________
IV
J’ai lu
« Histoires du fleuve Hulan » (dans une traduction
allemande) avec un très grand étonnement. Commencer un récit
par un trou de boue a de quoi surprendre, même aujourd’hui où
l’on pourrait le considérer comme une zone humide à préserver,
riche d’un biotope unique.
Ensuite
le chapitre 5 de la fiancée enfant était pour moi plutôt un
récit à propos d’une marâtre pire que toutes celles des contes
de Grimm. Je l’ai lu avec le même effroi que les contes de mon
enfance et je trouve qu’il y a beaucoup de parallèles : la
description laconique de la maltraitance et de la mise à mort,
des « bêtises » commises par les protagonistes, la cruauté et
l’absence de compassion.
Inutile
de dire que les contes de Grimm font partie de mes relectures
régulières.
Autre
référence à la culture allemande suggérée par la lecture des
« Histoires du fleuve Hulan » : le « Wozzeck » d’Alban Berg
d’après la pièce de Büchner. L’opéra se termine avec un chœur
d’enfants qui disent : « allons voir » – c’est-à-dire « allons
voir Marie assassinée dans le marais ».
Dorothée Muenk Seiller
Note
de Brigitte Duzan
Wozzeck
évoque bien l’atmosphère du chapitre 5 du récit de Xiao Hong,
qui est comme une nouvelle en soi ; la scène finale de l’opéra,
avec le chœur d’enfants annonçant à l’enfant de Marie que sa
mère est morte, et tous les enfants partant en courant « pour
aller voir », a un aspect symbolique renvoyant à Xiao Hong, à sa
« fiancée-enfant » mais aussi bien à elle-même :
Wozzeck, le chœur d’enfants de la scène finale (acte 3, scène
5),
Staatsoper Hamburg, version filmée 1970
______________________
[1]
C’est l’autre traducteur de Xiao Hong, avec Simone
Cros-Moréa qui a littéralement consacré sa vie à Xiao
Hong. Elle n’a pas publié de biographie, mais a créé un
blog en 2011, à l'occasion du centenaire de la naissance
de l’écrivaine, où elle continue de publier
régulièrement des traductions de textes et de lettres,
qu’elle illustre de ses propres peintures :
http://xiaohong.fr/
[2]
Il s’agit d’un ouvrage satirique écrit à Hong Kong et
publié en 1940 : « Ma Bole »《马伯乐》
[3]
Il s’agit de la traduction de « Rue du commerce »
《商市街》,
écrit en 1935 avec Xiao Jun. C’est le nom de la rue où
ils habitaient à Harbin.