Né à la toute fin de la dernière dynastie, Xu Xu a
été
l’un des auteurs chinois les plus populaires dans la
Shanghai des années d’avant-guerre, puis à Hong Kong
après 1950 : avec ses contes à la Pu Songling, ses
histoires d’espionnage et d’amour, il suscite
toujours une nostalgie teintée de romantisme.
Un parcours littéraire en deux temps
Auteur populaire à Shanghai et Chongqing pendant la
guerre
Il s’appelait Xu Chuanzong (徐传琮),
nom social Boyu (伯𬣙),
d’où son nom de plume de Xu Yu (徐𬣙),
ou Xu Xu. Il est né en 1908 dans un village du
district de Cixi (慈溪)
dans le Zhejiang. Ses parents divorcent quand il a
cinq ans, et il est alors envoyé pensionnaire dans
une école.
Xu Xu vers 1976
C’est une expérience de triste solitude dont on retrouve des
reflets dans son œuvre.
Xu Xu avec Lin Yutang en 1934
De 1927 à 1931, il fait des études de philosophie,
puis de psychologie à l’université de Pékin. Il
commence à écrire pendant ses années à l’université
et publie ses premiers récits dans la revue « The
Eastern Miscellany » (《东方杂志》).
En 1932, il part à Shanghai, fait la connaissance de
Lin Yutang (林语堂) et devient son collaborateur. En
1934, il devient rédacteur de l’une de ses deux
revues littéraires, le mensuel « Le Monde des
hommes » (Rénjiānshì
《人间世》).
Il est
également rédacteur du bi-mensuel « Le Vent du cosmos » (Yǔzhòu
fēng
《宇宙风》)
créé en septembre 1935, et de « Vent d’ouest » (《西风》),
puis devient rédacteur en chef de la revue « Le Ciel, la
terre et l’homme » (Tiāndìrén
《天地人》)
quand elle est créée en mars 1936.
Il est pris dans le
feu des critiques de Lu Xun envers Lin Yutang, et de
ses journaux en particulier. Plus généralement, on
reproche à la dernière revue de ne rien apporter de
nouveau par rapport aux précédentes, Tiāndìrén étant
souvent confondue dans les critiques avec
Rénjiānshì.
Et ce ne sont pas seulement les critiques de gauche
qui l’attaquent, le fondateur des théories chinoises
sur l’esthétique Zhu Guangqian (朱光潛) publie une
lettre ouverte « à M. Xu, rédacteur de
Tiāndìrén »
où il reproche à ce dernier journal de trop
ressembler à Rénjiānshì et au « Vent du cosmos »
« J’ai aimé beaucoup d’articles publiés dans « Le Monde
des hommes » et « Le Vent du cosmos », mais je pense qu’ils
ont amplement rempli leur mission ; si vous ajoutez encore
une autre revue de la même sorte, j’ai bien peur que son
succès ne soit que celui d’une broderie venant orner une
pièce de brocart.
« Quand j’étais petit, comme j’aimais les épinards, ma mère m’en
faisait tous les jours si bien que j’ai pris les épinards en
horreur. En généralisant le même type d’articles, « Le Monde des
hommes » et « Le Vent du cosmos » ont épuisé l’intérêt qu’on
leur porte. Il serait temps de nous offrir des saveurs
différentes. »
Le Vent du cosmos, n° 33,
illustré par Feng Zikai 丰子恺
Xu Xu lui répondit sur le même ton en disant qu’on
préférait prendre les conseils de ses amis plutôt
que des anciens (Zhu
Guangqian avait onze ans de plus que lui). Ceci
donne une idée de l’atmosphère de l’époque et des
luttes de clans littéraires.
En 1936, Xu Xu part à Paris préparer un doctorat de
philosophie à La Sorbonne. Il y est encore début
1937 quand paraît sa nouvelle moyenne (中篇小说)
« Un amour de fantôme » (《鬼恋》),
publiée à Shanghai dans « Le Vent du cosmos ». Mais,
plus tard dans l’année, la guerre contre le Japon
l’amène à rentrer en Chine.
Dans Shanghai occupée, il s’installe dans l’îlot de
sécurité relative qu’offre la Concession
internationale et il continue de publier de la
fiction non politique et des journaux de voyage
teintés d’exotisme et de cosmopolitisme.
Après l’occupation totale de Shanghai suivant Pearl
Harbor, Xu Xu quitte Shanghai et rejoint Chongqing,
devenue capitale du gouvernement nationaliste, où se
trouve une bonne partie des intellectuels de
Shanghai. En 1942, il enseigne le chinois à
l’Université centrale de Chongqing. En 1943, il
publie son grand roman « Le Bruissement du vent » (Fēng
xiāoxiāo
《风萧萧》).
Roman d’amour et d’espionnage dans Shanghai occupée,
il devient le bestseller de l’année 1943. Il est
publié en feuilleton dans la revue « Liquider
l’ennemi » (Sǎodàng
bào
《扫荡报》)
dont Xu Xu devient en 1944 le correspondant spécial
aux Etats-Unis.
Il revient à Shanghai après la fin de la guerre, en
1946, et reprend ses activités éditoriales.
Ecrivain et enseignant à Hong Kong après la guerre
Fēng xiāoxiāo
1943, publication
dans le Sǎodàng bào
Cependant, ayant été la cible des critiques de gauche dans les
années 1930 et pendant la guerre, à la fondation de la
République populaire, il part à Hong Kong où il continue
d’écrire en publiant la plupart de ses nouvelles, pendant toutes
les années 1950, dans les suppléments littéraires des journaux
comme le quotidien Sing Tao Daily (《星岛日报》)
ou le journal du soir Sing Tao Evening News (《星岛晚报》).
Dans ces nouvelles, il aborde les thèmes de l’exil, de
l’aliénation dans une ville étrangère, mais aussi des sujets
fantastiques, comme dans deux de ses nouvelles les plus célèbres
de l’époque : « Paroles d’oiseau » (《鸟语》)
publiée en 1950 et « L’autre rive » (《彼岸》),
publiée l’année suivante.
Entre 1956 et 1961, il publie son magnum opus : le roman « La
Rivière en furie » (《江湖行》),
adapté en film de wuxia par la Shaw Brothers en 1972.
Mais il écrit aussi des essais de critique littéraire, est
rédacteur de journaux littéraires et enseigne la littérature
chinoise dans différentes universités.
En 1960, invité par Lin Yutang, Xu Xu part à Singapour enseigner
à l’Université Nanyang. Il retourne à Hong Kong en 1966 et
enseigne à l’Université chinoise de Hong Kong ainsi qu’à
l’Université baptiste. En 1970, il est nommé président du
département de chinois de l’Université baptiste et en 1977 doyen
de la Faculté des beaux-arts de cette même université.
En novembre 1976, quarante ans après la création de
Tiāndìrén,
il crée la nouvelle revue, Qiyi (《七艺》),
littéralement « les sept arts ».
Il meurt de maladie en 1980.
Œuvre
Xu Xu a écrit des poèmes, en style classique et vernaculaire,
dont cinq recueils, écrits entre 1942 et 1944, ont été publiés à
Hong Kong en 1948.
Mais il est surtout connu pour son œuvre de fiction qui reprend
des thèmes traditionnels en les replaçant dans un contexte
moderne. C’est le cas de sa nouvelle de 1937 « Un amour de
fantôme » (《鬼恋》),
dont l’histoire semble être inspirée d’un
Conte du Liaozhai de Pu Songling.
Le narrateur relate en effet sa rencontre, une nuit, avec une
belle femme qui lui dit être un fantôme ; frustré, il cherche à
se consoler dans d’autres plaisirs, et en particulier dans
l’alcool. Or, il la rencontre à nouveau, cette fois habillée en
nonne, et elle lui explique alors qu’elle a un passé de
révolutionnaire, mais que son amant a été exécuté et qu’elle a
alors disparu de la surface de la terre… il tombe ensuite
malade, elle lui envoie des fleurs, mais ils ne se revoient
jamais plus.
Fēng xiāoxiāo,
rééd. 2019
Loin des analyses sociales et intrigues
psychologiques caractéristiques de la
littérature du 4 mai,
les récits de Xu Xu sont essentiellement destinés à
divertir et c’est la raison pour laquelle ils sont
devenus des bestsellers pendant la guerre. C’est le
cas en particulier du roman « Le Bruissement du
vent » (《风萧萧》)
publié en 1943 à Chongqing. L’intrigue se passe à
Shanghai pendant l’occupation japonaise, mais la
ville ne sert que de toile de fond à la romance qui
en est l’argument principal. L’intrigue est
construite, comme le Jin Ping Mei (《金瓶梅》),
autour de trois personnages féminins, mais ce sont
toutes trois des espionnes : le narrateur, nommé Xu
(徐),
soupçonne la belle Baiping (白苹),
entraîneuse dans une boîte de nuit, d’être une
espionne japonaise, mais découvre qu’elle est en
fait un agent secret des communistes ; elle est tuée
par une espionne japonaise, etc.
Le roman a été sérieusement critiqué en Chine continentale dans
les années 1950 comme « roman bourgeois », mais a été adapté au
cinéma à Hong Kong en 1954. L’œuvre de Xu Xu a été redécouverte
dans les années 1980, et le roman a été réédité aux éditions
Huacheng en 1994, signalant un nouvel intérêt pour les œuvres de
Xu Xu, en même temps que pour la littérature des années 1930 et
1940. Au début des années 2000, on recommençait à trouver chez
certains libraires chinois d’occasion des éditions rares des
revues des années 1930, dont « Le Monde des hommes ». En 2020,
une traduction en anglais des principales nouvelles de Xu Xu a
été publiée à Berkeley…
Adaptations
Au cinéma
(à Hong Kong)
1954 : Rustling Winds《风萧萧》,
un film de la Shaw Brothers écrit et réalisé par Tu
Kuang-chi (屠光启),
avec la grande actrice
Li Lihua (李丽华)
dans le rôle de Baiping et Yan Jun (严俊)
dans celui du narrateur.
1973 : River of Fury
(《江湖行》),
de Chang Tseng-chai (张曾泽),
scénariste
Ni Kuang (倪匡),
avec Lily Ho (何莉莉)
et Danny Lee (李修贤).
River of Fury
En opéra
Adaptation en opéra de chambre de la nouvelle « Un
amour de fantôme » (《鬼恋》)
12-14 janvier 2018 : Ghost Love
歌劇《鬼戀》,
musique de Chan Hing-yan (陳慶恩),
livret Yi Heng (意珩),
mise en scène du Japonais Tomo Shugao, trois
Opéra Ghost Love
représentations au Hong Kong City Hall Theater.
Un soir, un acteur ivre rencontre une belle jeune femme qui lui
dit être un « fantôme » …
Traduction en anglais
- Bird Talk and Other Stories,
Modern Tales of a Chinese Romantic, tr. and
afterword Frederik H. Green, Stonebridge Press, May
2020, 240 p.
Cinq nouvelles de la période 1937-1965 :
- Ghost Love
鬼恋
- The Jewish Comet
犹太的彗星
- Bird Talk
鸟语
- The All-Souls’ Tree
百灵树
- When Ah Heung Came to Gousing Road
来高升路的一个女人
Afterword: A Chinese Romantic’s Journey through Time
and Space: Xu Xu and Transnational Chinese
Romanticism
[2].
[2]
Il s’agit du sujet de la thèse de
doctorat de Frederik H. Green:
A Chinese Romantic’s Journey through Time and Space:
Cosmopolitanism, Nationalism, and Nostalgia in the Work
of Xu Xu (1908-1980).
Ph. D. diss. New Haven: Yale University, 2009.
Sujet qu’il a développé à travers les premiers journaux
de voyage de Xu Xu :
The Making of a Chinese Romantic: Cosmopolitan
Nationalism
and Lyrical Exoticism in Xu Xu’s Early Travel Writings,
Modern Chinese Literature and Culture 23,
2 (Fall 2011): 64-99.
Abstract :
https://u.osu.edu/mclc/journal/abstracts/green/