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Confessions pleines d’humour d’un traître à la patrie nommé Li Chengpeng

par Brigitte Duzan, 02 avril 2015

    

Ancien journaliste devenu écrivain indépendant après le tremblement de terre de Wenchuan en 2008, Li Chengpeng (李承鹏) est aujourd’hui surtout connu pour son blog, dont il a publié bon nombre d’articles en 2013, dans un gros livre intitulé « Tout le monde le sait » (《全世界人民都知道》).

      

Le livre a connu un succès phénoménal en Chine : 700 000 exemplaires en ont été vendus après sa parution, en janvier 2013, avant que le succès même fasse de chaque séance de signature une source de troubles potentiels, surtout à cause des réactions suscitées chez ses détracteurs nationalistes, et qu’il soit interdit.

     

Les éditions Liana Levi en publient aujourd’hui des extraits, traduits par Hervé Denès, déjà traducteur du blog de Han Han (韩寒), en reprenant le titre de l’un des articles sélectionnés : « Confessions d’un traître à la patrie » (《一个卖国贼的自白》).

 

Le livre chinois, Tout le monde le sait

                 

Confessions d’un traître à la patrie

 

Ce qui distingue Li Chengpeng, cependant, c’est l’humour décapant de ses billets. C’est un humour très chinois, qui joue parfois sur un mot, une formule, en en retournant le sens, à la manière des spécialistes de dialogues comiques, les xiangsheng (相声). Il raconte, par exemple, l’histoire d’un viaduc routier au sortir d’une ville où se produisaient constamment des accidents ; on fit une enquête et on découvrit qu’il y avait un problème d’alignement des bordures en béton, et surtout que les panneaux réfléchissants rouge et blanc qui y avaient été posés pour alerter les automobilistes avaient été posés … à l’envers. Li Chengpeng conclut : « montée à l’envers », la formule pourrait servir de légende à une carte de la Chine, c’est l’image du pays. 

    

On s’amuse énormément en lisant ces billets qui décrivent un monde frisant l’absurde le plus démentiel. Un des billets s’appelle d’ailleurs : tout le monde est un malade mental. C’est exactement la réalité qu’évacue tranquillement le

dernier film de Wang Bing (王兵), sorti en France sous le titre « A la folie » (《疯爱》), en choisissant de ne pas aborder le problème peut-être fondamental : d’où viennent les malades mentaux de son asile et pourquoi ils sont là. Li Chengpeng dit : « Chez nous, la maladie mentale est une tradition. »

     

Et puis, affleure un souvenir teinté de nostalgie, et Li Chengpeng montre soudain les trésors de sensibilité et d’humanisme qu’il nous avait soigneusement cachés. C’est le cas de ce billet sur sa mère, « La cour carrée de ma mère » (《妈妈的四合院》), où il raconte les difficiles années de la Révolution culturelle, pour une femme qui était membre d’une troupe d’opéra, et fut envoyée travailler dans une aciérie parce qu’elle appartenait à une « catégorie noire » car son père avait été droitier. Une femme brisée dont le rêve était de voir son fils réussir, et de pouvoir retourner dans sa cour carrée…

     

Ce sont peut-être ces fenêtres ouvertes sur le passé, soudain, qui donnent toute leur profondeur à ces billets en montrant que l’humour qui les caractérise recouvre en fait la profonde amertume d’un Chinois qui se sent impuissant à corriger les travers qu’il dénonce, mais n’en continue pas moins son travail de parole, tant qu’il le peut encore. L’humour n’est en fait, comme la maladie mentale, qu’une autre tradition.

     

     

Confessions d’un traître à la patrie, traduit du chinois par Hervé Denès, éditions Liana Levi, avril 2015.

     

     

     

      

    

    

    

    

    

 

 

 

 

     

 

 

 

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