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Hao Ran
浩然
II. Les nouvelles
par Brigitte Duzan, 6 mai 2018
Une grande partie de l’œuvre de
Hao
Ran est constituée de
nouvelles, parfois formant des trilogies. Elles sont le reflet
vivant de son époque, et ont valeur représentative de l’histoire
collective dans laquelle elles s’insèrent : elles sont un miroir
de la société rurale que l’auteur connaissait bien pour y avoir
vécu toute sa vie, en fuyant les honneurs et les grandes
manifestations et réunions politiques.
Forme privilégiée
Il a souligné d’une part que la forme courte est
particulièrement adaptée à un l’auteur débutant qu’il était,
elle lui servait de test, en quelque sorte, voire d’esquisse
préalable. C’est ainsi que son grand roman « Jours étincelants »
(《艳阳天》)
est le développement d’une nouvelle écrite sept ans auparavant,
à partir du personnage d’un vieil éleveur rencontré dans un
village de montagne - c’est le portrait vivant qui prime. Il a
ensuite repris des personnages et des détails de la centaine de
nouvelles écrites antérieurement. Pour
Hao
Ran, les nouvelles ont été une préparation au roman.
En même temps, les nouvelles courtes sont pour lui un moyen
d’être réactif, de rester en contact avec la vie telle qu’elle
évolue – et elle évolue très vite à l’époque. En outre, elles
sont aussi adaptées aux lecteurs pour lesquels (et avec
lesquels) elles sont écrites : les paysans. Elles sont publiées
dans les journaux et revues que tout le monde lit, et s’adaptent
au temps relativement court dont ces lecteurs disposent pour
lire. Ce n’est qu’à la fin des années 1970, et surtout dans la
décennie suivante, que Hao Ran s’est tourné vers
la nouvelle moyenne
.
Tableaux de la vie rurale
Ses nouvelles épousent et reflètent l’évolution
sociale, mais aussi idéologique de la période
qu’elles couvrent, des années 1950 à 1990. En ce
sens on peut distinguer plusieurs phases dans leur
création, depuis la première publiée, « Les pies sur
la branche » (《喜鹊登枝》),
dans le numéro de novembre 1956 du Journal des
lettres et des arts de Pékin (《北京文艺》).
De la peinture des transformations de la société
rurale…
Hao Ran
était au départ un jeune paysan n’ayant pour tout
bagage que trois ans d’école primaire. Engagé très
tôt dans les rangs des troupes de Mao, il a été
formé au sein de l’appareil étatique, et son œuvre
reflète les grandes phases de l’histoire de la Chine
de son époque, avec des étapes scandées par les
déclarations de Mao : 1952 et la découverte du
discours de Mao au forum de Yan’an sur la
littérature et les arts
,
1956 et les Cent Fleurs, 1962 et l’appel à ne
surtout pas oublier la lutte des classes (千万 |
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Les pies sur la branche
(1ère publication, Journal des
lettres et
des arts de Pékin, novembre 1956) |
不要忘记阶级斗争),
1970 et le mouvement Yida sanfan (一打三反),
« une chose à abattre, trois à combattre » - campagnes menée
contre l’anarchie dans la production, les trois choses à
combattre étant la corruption, les détournements et le
gaspillage, puis ouverture après 1978 (et brève inquiétude
quant à son sort après la chute de la Bande des Quatre), et
bilan des progrès réalisés en milieu rural à la fin des
années 1980.
L’évolution est particulièrement intéressante de 1956 aux années
1970, années de grands bouleversements dans les campagnes
chinoises. Chacun de ses récits s’inscrit dans une étape
spécifique de ces transformations : émancipation des femmes (et
en particulier loi sur le mariage), développement de
l’instruction, lutte pour la production, et surtout
collectivisation agricole à partir des équipes d’entraide
mutuelle (huzhuzu
互助组),
dès la fin de 1951, et jusqu’à la constitution des communes
populaires (人民公社)
au début du Grand Bond en avant
.
Il a dit que la nouvelle « permet de refléter sur le vif la
nouveauté et ses héros en collant étroitement au mouvement
politique en cours »
.
Ce ne sont pourtant pas des récits hagiographiques ou
idéologiques car les faits sont dépeints à travers des portraits
hauts en couleur de personnages inspirés par l’expérience vécue
par l’auteur lui-même
.
Il y a une sorte d’unité entre le politique qui forme la base
des récits, et la réalité concrète puisée aux sources les plus
diverses de la vie dans les villages, avec ses contradictions,
ses traditions et ses conflits. Les recueils de nouvelles
apparaissent comme des livres d’images bourrés d’anecdotes et de
souvenirs du passé. C’est un reflet de la vie rurale qui se veut
descriptif, mais sans être totalement objectif : Hao Ran prend
parti pour soutenir ses héros de la Chine nouvelle et défendre
les idées qu’ils incarnent, mais sans alourdir son récit.
… à la prédominance du thème de la lutte des classes
Le nouveau chant du printemps,
recueil 《新春曲》, avril 1960 |
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On sent cependant un infléchissement très net de la
narration après 1962 et la déclaration fracassante
de Mao « N’oubliez surtout pas la lutte des
classes ». A partir de là, Hao Ran introduit dans
ses récits des personnages félons, des ennemis de
classe déguisés, souvent d’anciens propriétaires
fonciers qui rêvent de revenir à l’ordre ancien et
de récupérer leurs terres. Le procédé se fait
parfois un peu trop systématique et nuit à la
fraîcheur, à la spontanéité qui émanent des textes
des années 1950.
Après une traversée du désert de cinq ans au début
de la Révolution culturelle, quand Hao Ran reprend
la plume, au début des années 1970, cette tendance
est devenue systématique, et les complots fomentés
en douce par les ennemis du peuple deviennent un
canevas narratif dominant. On le sent corseté par
l’idéologie et les règles imposées par Jiang Qing,
en littérature comme au cinéma, en particulier dans
la peinture de héros exemplaires. |
Galerie de portraits
Les nouvelles de la fin des années 1950 prennent donc, dans ce
contexte, un intérêt particulier : c’est là que l’on trouve les
portraits les plus vivants, et les plus attachants, avant qu’ils
ne deviennent portraits de personnages exemplaires. Les récits
de ces années illustrent sans démagogie l’émancipation des
esprits, en particulier des femmes, au lendemain de la fondation
de la République populaire. Et elles ont d’autant plus de valeur
que l’on a très peu de récits sur cette époque.
Chaque nouvelle est centrée sur un personnage, voire
plusieurs, dépeints comme des sortes de caractères
de La Bruyère, et ce dès la première nouvelle en
date, « Les pies sur la branche » (《喜鹊登枝》).
Ces pies qui, au début de la nouvelle, viennent se
percher en haut du pêcher, au milieu de la cour de
la maison, sont évidemment symboliques : comme leur
nom l’indique (xǐquè
喜鹊),
ce sont littéralement les « moineaux du bonheur »,
oiseaux de bon présage qui annoncent une union
heureuse. La nouvelle illustre la libération et la
joie apportées par la nouvelle loi sur le mariage (新婚姻法),
l’une des premières grandes lois promulguées par le
nouveau régime, le 1er mai 1950, pour
lutter contre la coutume des mariages arrangés.
Il y a en fait trois personnages principaux : le
vieux Han Xing (韩兴老头),
sa fille Yufeng, ou Phénix de jade (玉凤),
et le garçon dont elle est amoureuse, Lin Yuquan (林雨泉),
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Le vent dans les saules 《杨柳风》1973 |
comptable d’une coopérative à dix lis de la sienne, qu’elle
a rencontré sur le chantier de construction d’un pont sur la
rivière qui sépare les deux coopératives. Tout est
symbolique. Evidemment, le mariage de Yufeng préoccupe ses
parents ; Lin Yuquan n’a pas la faveur de la mère, encore
empreinte d’une mentalité à l’ancienne : il est connu comme
étant d’une famille pauvre et a arrêté ses études pour
revenir travailler à la coopérative. La nouvelle est
construite comme un petit roman policier, le personnage de
Lin Yuquan n’étant dévoilé qu’à la fin, et emportant dès
lors l’adhésion enthousiaste du père.
Yufeng savait ce qu’elle voulait, mais était assez effacée.
C’est un personnage féminin bien plus haut en couleur qui est au
centre d’une autre nouvelle de la même année : « La nouvelle
épouse » (《新媳妇》).
Cette nouvelle épouse est d’abord présentée comme un véritable
esprit de mauvais augure (sāng
ménshén
丧门神) car elle ne respecte aucune tradition, y compris celle
de la première nuit de noces où la mariée devait
traditionnellement se soumettre à toutes sortes de plaisanteries
à ses dépens. Elle refuse de se laisser maltraiter, puis sème la
pagaille dans tout le village en allant travailler aux champs
dès le lendemain de la noce et en se disputant avec le chef
d’équipe pour faire respecter l’égalité hommes-femmes dans
l’attribution des points-travail. Bref, c’est un fort caractère
qui représente la femme nouvelle.
Les nouvelles suivantes ont leur lot de personnages féminins
hauts en couleur, telle cette « Perle » (《珍珠》)
de 1960, jeune fille au manteau de peau râpé et bonnet à
oreillettes cachant ses nattes, capable de conduire une
charrette toute une nuit, fouet en main, pour livrer des
légumes.
Un brave villageois 《乡村一个男子汉》
nouvelle moyenne, octobre 1985 |
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Un autre exemple de caractère fort, masculin cette
fois, illustrant et mettant en œuvre une ligne
politique est donné dans une nouvelle publiée dans
le recueil illustré « Chant du printemps » (《春歌集》)
en 1973, mais datant en fait de 1958 : « Shi
Shanbai » (《石山柏》).
Il s’agit là de l’histoire de la création d’une
école, ou du moins d’une classe, chez un paysan,
dans un petit village de montagne que l’on n’arrive
même pas à trouver sur la carte et où tout fait
défaut. Mais Shi Shanbai arrive avec une lettre du
gouvernement du district annonçant sa mission :
créer une école car « l’instruction est aujourd’hui
aussi essentielle que l’était autrefois le fusil ;
sans instruction, impossible de bien faire la
révolution ! ». La nouvelle dépeint un homme solide
dans ses convictions, resté au village contre vents
et marées, fermement décidé à mobiliser tous les
hameaux autour du village pour réussir à ouvrir la
classe et s’instruire lui-même. Le récit se lit
comme une petite épopée, avec son héros, les pieds
dans la glaise, transformant le village par son
enthousiasme et sa force de travail. |
Ce qui prime, dans toutes ces nouvelles, c’est la joie de vivre,
l’enthousiasme au travail, l’élan révolutionnaire, comme le
montrent les illustrations des recueils qui paraissent.
Le chant du printemps (《春歌集》),
illustrations :
http://blog.sina.com.cn/s/blog_5c2501bb0100qq3z.html
A partir de 1962, cependant, le ton change, les nouvelles se
peuplent de personnages fourbes, anciens paysans riches
apparemment honnêtes mais en réalité fielleux qui complotent en
secret. Les nouvelles continuent pourtant à offrir de savoureux
portraits, et ce jusque dans les années 1990, y compris dans les
nombreux recueils d’histoires pour enfants. Le caractère
exemplaire l’emporte néanmoins, les nouvelles, comme les romans
et les films de l’époque, répondant aux exigences du moment : la
peinture de figures de héros.
III.
La figure du héros chez Hao Ran
Si l’on excepte « Les enfants de Xisha » (《
西沙儿女》),
publiée en 1974 et classée dans les nouvelles moyennes,
mais en deux parties (donc deux nouvelles), la première
nouvelle moyenne de Hao Ran date de septembre 1976,
c’est Baihuachuan (《百花川》) :
la nouvelle raconte l’application dans un village de la
directive « en agriculture, apprendre de Dazhai » (农业学大寨) ;
c’est un tantinet didactique, mais c’est aussi un très
beau portrait de femme.
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