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Hao Ran 浩然

III. La figure du héros

par Brigitte Duzan, 7 mai 2018

 

Hao Ran s’est coulé dès le départ dans le moule des directives de Jiang Qing concernant la nécessité, dans les œuvres littéraires comme dans les films, de faire apparaître des figures exemplaires de héros dominant les autres personnages, dans une esthétique formatée découlant de celle des opéras modèles. La création de héros du peuple était pour lui la tâche fondamentale de l’art révolutionnaire auquel il se rattachait. Ses héros sont de plus en plus typés, tout en restant vivants et attachants dans ses nouvelles, grâce au soin avec lequel il dépeint les détails de leur environnement et de leur histoire personnelle, et grâce, aussi, à la langue populaire utilisée.

 

La figure du héros dans les nouvelles

 

Pour créer les figures de héros dans ses nouvelles, il s’agissait de saisir les traits fondamentaux des personnages, ce qui n’est pas toujours facile dans un récit court, faute de pouvoir développer la narration sur une période suffisamment longue pour pouvoir les faire ressortir. La force de Hao Ran est sa méthode d’écriture qui consiste à partir d’une situation vécue, puis de tester ensuite ses textes sur des groupes de lecteurs paysans pour avoir leurs réactions, et de corriger ensuite les défauts signalés, en allant au-delà de la pure description de la réalité observée.

 

Des personnages exemplaires : les femmes et les jeunes

 

Il a ainsi pu dresser des portraits de personnages exemplaires sans tomber dans un schématisme superficiel : ses héros du peuple restent profondément attachants car ils ont leur propre histoire.

 

- C’est le cas, par exemple, dans la nouvelle de 1956 « La nouvelle épouse » (《新媳妇》) : cette nouvelle épouse est un personnage exemplaire représentant l’émancipation de la femme dans la Chine postérieure à la loi sur le mariage [1]. Au début de la nouvelle, elle vient d’arriver dans la famille de son mari, et elle est opposée à ses deux 

 

La nouvelle épouse, adaptation en lianhuanhua 1957

beaux-parents, représentant la tradition ; à l’origine, elle était opposée à son père, mais la « contradiction » n’était pas aussi forte et emblématique donc Hao Ran a changé ce détail.  

 

En outre, l’événement central était au départ la lutte entre la nouvelle épouse et le tire-au flanc Huang pour le partage des points de travail, ce qui permet de souligner les nouvelles mentalités sur l’égalité hommes-femmes et le respect dû à ces dernières. Hao Ran a ensuite romancé le récit en diversifiant les situations et les traits de caractère : il a ajouté la scène initiale du refus de la jeune mariée de se laisser chahuter le soir de la noce, comme le voulait la tradition, puis, à la fin, la scène où elle part dans la nuit chercher un médecin pour soigner Huang malade.

 

La nouvelle épouse, lianhuanhua 1977, l’héroïne au premier plan

 

Elle apparaît donc comme une jeune femme dotée de fermeté mais aussi de générosité, qualités qui en font une héroïne capable d’entraîner le village derrière elle en luttant contre l’arriération des esprits. Mais le personnage reste vivant et proche du réel. Sous l’influence des principes édictés par Jiang Qing, et selon les besoins de son agenda politico-culturel, cependant, dans les adaptations de la nouvelle en lianhuanhua de 1957 à 1977, on voit ensuite le personnage évoluer vers une caractérisation

d’héroïne de plus en plus typée, avec polarisation des caractères entre bien et mal. 

 

- Aux côtés des femmes, les jeunes sont d’autres figures héroïques. C’est le cas du personnage du jeune Ma Shanbao (马山宝) dans la nouvelle « Un champignon médicinal » (Lingzhi cao 《灵芝草》) publiée en décembre 1961. Selon une légende, le champignon lingzhi en question poussait dans la région des monts Pan (盘山), et conférait à quiconque le trouvait intelligence et bravoure (dans la pharmacopée chinoise traditionnelle, il est surnommé « champignon de l’immortalité »). Evidemment, dans la nouvelle de Hao Ran, si le jeune homme venu de ces montagnes est intelligent et brave, ce n’est pas grâce à la magie du champignon, mais bien plutôt grâce à son acharnement dans l’étude pour servir les masses et à sa capacité de vaincre les obstacles pour parvenir à ses fins.

 

La nouvelle a été rééditée en septembre 1979 dans le

 

Ding Xiang (éd. 1979)

recueil Ding Xiang (《丁香》), la nouvelle éponyme étant une histoire pour enfants initialement publiée en février 1963. Ding Xiang est, elle, une jeune héroïne, d’une quinzaine d’années, intrépide et futée, qui est le parallèle féminin de Ma Shanbao.

 

Des héros modestes mais vivants

 

La qualité des nouvelles de Hao Ran tient aux détails puisés dans l’expérience vécue. Les héros restent vivants car ils sont insérés dans une trame narrative enracinée dans la vie réelle, les détails étant choisis pour souligner leur caractère sans alourdir le récit par une foisonnement superflu. En même temps, Hao Ran respecte le principe imposé par Jiang Qing du héros principal dominant les autres personnages. Et les héros sont souvent très modestes, peut-être d’autant plus exemplaires qu’ils sont modestes.

 

Le vieux comptable, figure de héros

 

C’est le cas dans la nouvelle publiée dans un recueil en 1966 : « La succession du vieux comptable » (老支书的传闻). Hao Ran y dépeint la figure exemplaire d’un vieil homme qui a consacré toute sa vie à la tenue impeccable des comptes du village et se trouve confronté au problème de sa succession ; le choix de sa fille le place dans une dilemme qui l’empêche de dormir car elle est première en maths à l’école mais n’a pas encore la conscience de l’importance de la tâche telle qu’il la conçoit.

 

C’est le type même du héros positif de la vie au village. Mais il est vivant. D’abord, Hao Ran donne de la profondeur au personnage en évoquant son histoire personnelle et ses débuts difficiles, détails que l’on sent inspirés de faits réels et qui expliquent l’attachement du vieux comptable au travail consciencieux : son premier livre de comptes fait avec des bouts de papier découpés dans celui de la fenêtre, et le vieil homme écrivant par terre, éclairé par sa femme

tenant des bâtons de sapin enflammés faute de d’huile pour allumer une lampe… Ensuite, il a évité de trop s’appesantir sur les efforts de la fille pour apprendre la comptabilité, ou sur l’abnégation de la mère, car le héros principal devait rester le père. 

 

Les héros des romans

 

La figure du héros est bien plus typée dans les romans, car l’auteur a la possibilité, dans ce cadre, de développer une trame suffisante pour lui donner de la consistance. Mais il y a une grande différence entre le héros des années 1960, dans le premier roman, et le héros des années 1970, dans le second.

 

Jours ensoleillés et Xiao Changchun

 

La figure du héros est très intéressante et attachante dans le premier roman, « Jours ensoleillés » (《艳阳天》), bien que, écrit au lendemain de 1962, il soit donc marqué par la thématique de la lutte des classes. L’histoire se passe, au moment de la moisson, au début de l’été 1957, à Dongshanwu (东山坞), village proche de Pékin qui venait d’être organisé en coopérative. Le partage de la récolte oppose deux conceptions opposées, l’une étant celle d’un ennemi de classe masqué, Ma Zhiyue (马之悦),

 

Jours ensoleillés, édition originale en deux tomes

qui, appuyé par l’ancien propriétaire foncier Ma Xiaobian (地主马小辫) et les éléments les plus réactionnaires des paysans riches, veut saboter les progrès réalisés dans le village en ne visant que ses profits personnels. 

 

Face à ces ennemis de classe se trouve le jeune Xiao Changchun (萧长春), secrétaire de la cellule du Parti du village et chef de la coopérative. Ce personnage de héros est calqué sur le secrétaire du Parti du village où s’était passée une tentative de vol de céréales qui avait inspiré Hao Ran quand il avait commencé à écrire les premières ébauches du roman, en 1957. Les événements tragiques qui lui arrivent dans le roman – en particulier la mort de son fils tué par l’ennemi de classe - sont vrais.

 

Le héros Xiao Changchun, adaptation en lianhuanhua
(le héros domine ses camarades d’une tête)

 

Xiao Changchun est un jeune homme d’une trentaine d’années, de taille moyenne, dont la caractéristique essentielle est l’opiniâtreté. Confronté à une apparente impasse, loin de battre en retraite, il trouve une solution qui est à la fois intelligente et altruiste. Par exemple, quand le village subit un orage de grêle désastreux qui anéantit la récolte, et que, en outre, l’aide en grain du gouvernement est détournée par Ma Zhiyue, les villageois sont désespérés et songent à quitter le village pour refaire leur vie ailleurs ; Xiao Changchun, lui, les persuade de compter sur leurs forces collectives ; en plantant une

récolte tardive et en faisant divers autres travaux, ils réussissent à s’en sortir.  

 

Mais l’acte le plus héroïque de Xiao Changchun intervient lorsque, le blé ayant été moissonné et étalé sur l’aire de battage, un orage soudain vient le mouiller et il menace de se mettre à germer. Il faut donc le faire sécher très vite. C’est à ce moment-là qu’est signalée la disparition de son fils, fomentée par Ma Zhiyue et l’ancien propriétaire foncier pour détourner les paysans du sauvetage du blé en partant sauver le jeune garçon.  Le héros Xiao Changchun fait passer le blé avant son fils, et le perd. La force du récit vient alors de la peinture des sentiments du héros, dévasté par la conscience de la perte de l’enfant en voyant dans la cour de la maison sa cage à oiseaux vide. Mais cela ne le fait pas reculer ; au contraire, il trouve dans cette tragédie une énergie nouvelle pour affronter les difficultés, difficultés qu’il aborde avec patience, altruisme et sens des responsabilités.

 

Il y a des héros mineurs dans le roman, mais ils viennent en fait renforcer la figure principale de Xiao Changchun par l’unité avec laquelle tous ces paysans agissent et pensent, en fait avec la même conscience de classe.

 

Le roman a été adapté au cinéma en 1973, et c’est l’un des meilleurs films de fiction réalisé dans les années 1970, en grande partie grâce au personnage de Xiao Changchun, héros certes, mais humain [2].

 

La grande voie radieuse et Gao Daquan

 

Le second roman, « La grande voie radieuse » (《金光大道》), a été publié dix ans plus tard, en 1972-1974, et il est caractéristique de la période. Il se passe pendant la Réforme agraire et les mouvements de collectivisation du début des années 1950 dans le nord de la Chine, dans le village de Fangcaodi (芳草地). Ici les personnages sont idéalisés, pour représenter des personnages-types aisément identifiables dans le contexte de la structure de classe définie à l’époque : le héros Gao Daquan (高大全), paysan pauvre, est opposé à des anciens propriétaires et des paysans riches.

 

La grande voie radieuse, 1er et 2ème vol.

 

Ainsi, dans le premier volume (sur quatre), le riche paysan Feng Shaohuai (冯少怀) veut s’acheter une mule pour améliorer la productivité sur ses terres, en accord avec le chef du village, Zhang Jinfa (张金发), qui veut aider les villageois à sortir de la pauvreté. Mais Gao Daquan, lui, s’occupe d’organiser les paysans à coopérer entre eux, convaincu que c’est le meilleur moyen pour eux d’améliorer leur niveau de vie, conviction renforcée par ses visites dans les villages voisins qui ont déjà réalisé cette première étape de la collectivisation. Il finit par créer une équipe d’aide mutuelle à Fang Caodi.

 

Le héros radieux Gao Daquan, dominant, dans le bas de l’illustration, à droite, les deux ennemis de classe

 

Les autres volumes poursuivent le récit sur le thème de la lutte des classes. Le gouvernement a versé une aide au village pour l’assister dans ses efforts de collectivisation, mais Zhang Jinfa préconise de distribuer l’argent entre les villageois. Gao Daquan dénonce le complot et réussit à créer une coopérative. Etc…

 

La narration est ici très peu réaliste. Gao Daquan est érigé en modèle, bien plus qu’en jeune héros intrépide comme dans le roman précédent. Même le langage et le style sont bien plus plats, moins vivants. Le film

adapté de ce roman, réalisé deux ans après « Bright Sunny Skies » et par le même metteur en scène, n’a pas le même intérêt [3]. 

 

Le passage de Xiao Changchun à Gao Daquan est représentatif de la mutation narrative et esthétique qui est intervenue entre les deux romans, d’une décennie à l’autre : vers un schématisme idéologique et conceptuel qui enferme le héros dans une sorte de carapace de vertu à toute épreuve face à ses antagonistes.

 

Ce schématisme doctrinal sur la base de la lutte des classes ne fait que s’accentuer dans « Les enfants de Xisha » (西沙儿女), en se colorant en outre de patriotisme.  Le jeune héros Cheng Liang est en butte à la rapacité et à la cruauté des patrons-pêcheurs tout en luttant contre les envahisseurs de toutes sortes. Xiao Changchun et Gao Daquan luttaient sur le front économique, sur celui de la production ; Cheng Liang se bat l’arme au poing, pour la patrie. Dans la seconde partie, alors que son père est dans la Marine, sa fille A Bao (阿宝) forme une milice locale de jeunes

 

Les enfants de Xisha, 1ère et 2ème partie

pour lutter contre l’envahisseur vietnamien. Le récit se termine par son mariage. 

 

Les enfants de Xisha, le film

 

Le film qui en a été adapté a été réalisé en 1975 par le grand metteur en scène Shui Hua (水华), avec l’excellente actrice Li Xiuming (李秀明) dans le rôle principal d’A Bao.[4] Il marque déjà la fin d’une époque : l’apogée des héros.

 

 

 


[2] Voir l’analyse du film : chinese movies (à venir)

[3] Voir chinese movies (à venir)

[4] Voir chinese movies (à venir)

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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