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				韩少功《马桥词典》“黄皮”Han Shaogong  «
				Le chien jaune »
 
 
				Présentation 
				  
				Ce texte est un court passage du « Dictionnaire de Maqiao » (《马桥词典》) 
				: il est intéressant de le rapprocher de la nouvelle « A Mao le 
				loup », car cela semble être l’histoire vécue dont est parti Han 
				Shaogong pour écrire sa nouvelle. On peut presque voir 
				l’imagination au travail…
 
 
				
				韩少功《马桥词典》“黄皮”
 
 “黄皮”是一条狗,极普通的黄狗,没有更多的特征成为我们取名的依据1,它不知是从哪里来的,似乎没有主人。因为知青2的粮食多一些,父母还多少给些贴补3,知青户的锅里就多一些好闻的气味。这些人还没有完全改掉大手大脚的习气4,脏了的饭。馊了5的菜,随手就泼到了地上或倒进沟里。日子一久,黄皮在这里吃油了嘴6,几乎就在这里生了根7,满怀希望的目光,总是盯着我们的碗。
 
				它也熟悉了知青的语音8。要把它从远远的地方叫来,要它对什么目标发动攻击,非用城里的长沙话不可9。若是用马桥话,它就东张西望地10看一看再说。马桥人发现这一点以后,十分生气。
 它甚至熟悉了我们的呼吸和脚步声。我们有时候晚上外出,到邻近的村寨11串人家,到公社里12打电话,回村时已是深夜。我们爬上天子岭13,马桥在我们的脚下,沉没在缓缓流动的淡蓝色月光里,离我们至少还有五六里路。在这个时候,无须说话,更无须打口哨15,远远的马桥就有了动静,一线急促的碎践声16从月光深处游游而出,沿着曲折小道越来越近,越来越快,最后化作一个无声的黑影,扑向我们的袖口或衣襟17以示欢迎。
 
				每次都是这样。它对五六里开外任何声响的捕捉和识别18,它不惜辛劳的19狂奔式接应,总是成为我们夜归者的温暖,成为提前拥抱上来的家20。
 
				我不知道我们离开马桥以后,它是如何活下来的。我只记得,在罗伯21遭疯狗咬了以后,公社发动了一次广泛22的打狗运动。本义23说黄皮最没良心,最应该打,操着步枪亲自动手24,连发了三枪没打到要害25。黄皮勾着一条流血的后腿,哀呼着窜上岭去了26。
 
				夜里,我们听到了房子附近的坡上有狗吠,是它熟悉的叫声,叫了整整几个晚上。也许它十分奇怪;它可以听到我们远在天边的脚步,了我们为什么听不到它如此近切的呼救?我们当时忙着要招工离开马桥,顾不上它了。甚至没有注意它的叫声是什么时候停止的。
 
				我多少年后重访马桥时总算认出了它,认出了它只有三条腿的一跛一跛27。它看了我一眼,没有任何表情,重新靠着墙脚闭上双眼睡觉。它又老又瘦了,多半的时候只能卧着,也听不懂长沙后了。我伸出手摸一摸它的头,它抽搐了一下猛醒过来28,毫不客气地反过头来大咬一日,当然并没有真咬,只是用牙齿把我的手重重地夹了一下,表示威胁和厌恶29。
 
				这条没什么说头的狗再次看我一眼,掉头而去。
 
 
 
				Vocabulaire
 
 01 特征 tèzhēng caractéristique 取名(为) qǔmíng appeler (donner un 
				nom) 依据 yījù base
 02 知青 zhīqīng abréviation pour 知识青年 : les « jeunes instruits » 
				pendant la Révolution culturelle
 03 贴补 tiēbǔ ici, aide familiale
 04 大手大脚 dàshǒudàjiǎo (vivre) sur un grand pied, être dépensier 
				习气 xíqì mauvaises habitudes
 05 馊 sōu aigre, sur
 06 油嘴 yóuzuǐ désigne un beau parleur (avoir la bouche enfarinée) 
				– mais ici au sens propre
 07 生根 shēnggēn s’enraciner, s’établir quelque part
 08 语音 yǔyīn prononciation
 09 非.. 不可 fēi…bùkě il faut, il est absolument nécessaire de
 10 东张西望 dōngzhāngxīwàng (regarder) à droite et à gauche
 11 村寨 cūnzhài village (à l’origine un camp entouré d’une 
				palissade 寨 )
 12 公社 = 人民公社 (rénmín)gōngshè : commune (populaire)
 13 岭 lǐng chaîne de montagnes (天子岭 la chaîne du Tianzi, ou du 
				Fils du Ciel)
 14 缓缓 huǎnhuǎn lent (缓缓地流动 couler lentement)
 15 口哨 kǒushào sifflet (打/吹口哨 siffler)
 16 急促 jícù rapide, pressé 践 jiàn piétiner, fouler aux pieds
 17 袖口 xiùkǒu poignet (de chemise) 衣襟 yījīn pans antérieurs d’une 
				robe/veste chinoise
 18 捕捉 bǔzhuō saisir 识别 shíbié savoir reconnaître, discerner
 19 不惜辛劳 bùxīxīnláo (=不辞辛劳 bùcíxīnláo) sans ménager sa peine
 20 提前 tíqián avant-garde, précurseur 拥抱 yōngbào embrasser
 21 伯 bó oncle 罗伯 Luóbó Oncle Luo
 22 广泛 guǎngfàn vaste, de grande envergure
 23 本义 Běnyì nom d’un habitant de Maqiao
 24 步枪 bùqiāng fusil (操步枪 cāo bùqiāng prendre un fusil) 亲自qīnzì 
				en personne
 25 打到要害 dǎdàoyàohài (ou 打中要害)atteindre sa cible
 26 哀呼 āihū émettre un cri lugubre, une plainte 窜cuàn partir en 
				courant
 27 跛 bǒ boîter
 28 抽搐 chōuchù se crisper, avoir un spasme 猛醒 měngxǐng avoir un 
				violent sursaut
 29 威胁 wēixié menacer 厌恶 yànwù avoir de l’aversion, du dégoût, 
				avoir en horreur
 
 
 
				Le chien jaune
 
 « Huangpi » (1) était un chien, un chien jaune des plus 
				ordinaires, il n’avait guère d’autre caractéristique sur quoi 
				nous aurions pu nous baser pour lui donner un nom, personne ne 
				savait d’où il venait, et il ne semblait pas avoir de maître. 
				Comme nous, les ‘jeunes instruits’, avions plutôt plus de 
				céréales que les autres foyers du village, car nos parents nous 
				envoyaient pas mal de suppléments, les odeurs qui s’exhalaient 
				de notre marmite étaient des plus appétissantes. Nous n’avions 
				pas totalement abandonné nos habitudes dispendieuses, si le riz 
				se salissait ou si les légumes devenaient aigres, nous les 
				jetions négligemment par terre, ou les versions dans la rigole 
				dehors (2). Tous les jours que dieu fait, Huangpi était ainsi 
				grassement nourri ; il semblait avoir établi ici domicile, et 
				couvait constamment nos bols d’un regard plein d’espoir.
 
 Il s’était familiarisé avec la prononciation des jeunes 
				instruits. Si on l’appelait d’un endroit éloigné, et si
 
				l’on 
				voulait lui faire exécuter quelque chose de précis, il fallait 
				lui parler dans le dialecte de Changsha. Si on lui parlait dans 
				celui de Maqiao, il se contentait de regarder à droite et à 
				gauche sans bouger. Les gens de Maqiao furent furieux quand ils 
				apprirent cela. 
 Il se familiarisa même avec le bruit de notre respiration et le 
				son de nos pas. Il nous arrivait de sortir le soir, pour aller 
				voir les gens du village voisin, ou aller à la commune passer un 
				coup de téléphone ; lorsque nous revenions au village, il 
				faisait nuit noire, nous escaladions la chaîne du Tianzi, Maqiao 
				à nos pieds, plongé dans la lumière bleutée de la lune qui 
				s’écoulait tout doucement, à encore au moins cinq ou six lis de 
				distance. A ce moment-là, sans qu’il fût nécessaire de dire quoi 
				que ce soit, et encore moins de siffler, on entendait quelque 
				chose bouger au loin, à Maqiao ; de la profondeur de la lueur 
				lunaire nous parvenait le bruit d’un piétinement précipité qui, 
				suivant les courbes du chemin, se rapprochait de plus en plus, 
				de plus en plus vite, jusqu’à se transformer en une ombre 
				silencieuse qui se jetait sur nos revers de manche et nos pans 
				de vêtements pour nous souhaiter la bienvenue.
 
 C’était la même chose chaque fois. Il percevait et reconnaissait 
				quelque son que ce soit à cinq ou six lis de distance et se 
				précipitait à notre rencontre sans ménager sa peine, il nous 
				prodiguait toujours la même chaleur, nous, les voyageurs 
				nocturnes, avant-garde venue de la maison pour nous donner une 
				première accolade.
 
 Je ne sais pas comment il est arrivé à survivre après notre 
				départ de Maqiao. Je me rappelle seulement que, lorsque l’oncle 
				Luo fut mordu par un chien enragé, la commune organisa une 
				grande battue pour capturer le chien. Benyi dit que Huangpi 
				était le plus méchant, celui qu’il était le plus nécessaire de 
				capturer, lui-même prit un fusil pour participer à l’opération, 
				mais il eut beau tirer trois fois, il ne réussit pas à atteindre 
				sa cible. Huangpi fut blessé à une patte de derrière, et il 
				s’enfuit dans la montagne en hurlant, la patte ensanglantée.
 
 La nuit, nous entendîmes des aboiements de chien sur le versant 
				proche de notre maison, c’était
 
				l’aboiement qui nous était 
				familier ; il hurla ainsi constamment plusieurs soirs de suite, 
				peut-être 
				trouvait-il tout cela extrêmement bizarre : alors que 
				lui était capable d’entendre le bruit de nos pas de très loin, 
				comment se pouvait-il que nous n’entendions pas, nous, ses 
				appels à l’aide si près ? Nous étions à ce moment-là très 
				occupés à trouver du travail pour quitter Maqiao, nous n’avons 
				pas fait attention à lui, nous n’avons même pas remarqué à quel 
				moment ses hurlements ont cessé.
 Bien des années plus tard, je suis revenu à Maqiao, mais je l’ai 
				reconnu malgré tout, je l’ai reconnu clopinant sur seulement 
				trois pattes. Il m’a jeté un regard complètement éteint, puis 
				s’est appuyé à nouveau contre le mur, a refermé les yeux et 
				s’est rendormi. Il avait vieilli et maigri, il ne pouvait guère 
				que rester allongé les trois quarts du temps, et il ne 
				comprenait même plus le dialecte de Changsha. J’ai tendu la main 
				pour lui caresser un peu la tête, il a eu un sursaut violent, a 
				tourné la tête de manière bien peu cordiale, pour me mordre la 
				main ; bien sûr, il ne m’a pas vraiment mordu, il m’a juste 
				attrapé fermement la main entre ses dents, c’était une manière 
				de me menacer tout en me signifiant son aversion.
 
 Sans avoir rien de plus à dire, ce chien m’a lancé encore un 
				regard, puis il a baissé la tête et il est parti.
 
				  
 
				
				Notes
 (1) 黄皮 signifie « peau jaune ».
 (2) A la campagne, il y a une rigole qui court devant les 
				maisons, ou plutôt derrière, et qui sert de tout à l’égout.
 
				  
				  
				traduction Brigitte Duzan
				
 
 
				
 
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