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Guo Xuebo 郭雪波
Présentation
par Brigitte Duzan, 1er mars 2015,
actualisé 29 mai 2017
Guo Xuebo est un écrivain mongol dont de nombreuses
nouvelles ont été traduites en français, qui a été l’un
des invités du Salon du livre, à Paris, en 2004, et a
participé aux
deuxièmes rencontres littéraires franco-chinoises
en 2011. Il reste pourtant très peu connu.
Il est revenu sur le devant de la scène pour s’élever
contre les idées développées par
Jiang Rong (姜戎)
dans son roman « Le Totem du loup » (《狼图腾》),
qu’il considère comme une falsification de la culture
mongole. Il est donc intéressant de le (re)lire alors
que se déchaînent les passions attisées par la sortie de
l’adaptation cinématographique du roman par Jean-Jacques
Annaud.
Ecrivain et chercheur mongol |
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Guo Xuebo |
Guo Xuebo (郭雪波)
est né en juin 1948 dans la bannière de Hure, ou Kulunqi
(库伦旗),
au sud-est de la Mongolie intérieure.
En 1968, il participe à la création de la troupe de chant et de
danse de Zhemeng (哲盟歌舞团)
dont il devient l’un des membres. Il commence alors des
recherches sur la culture et la littérature mongoles et, à
partir de 1975, publie des nouvelles qui en sont inspirées.
Il reprend des études à la fin de la Révolution culturelle et,
en 1980, achève un cursus d’écriture scénaristiques à l’Institut
central d’art dramatique de Pékin (中央戏剧学院编剧专业).
Il entre ensuite comme chercheur à l’Institut des Sciences
sociales de Mongolie intérieure.
Membre de l’Association des écrivains chinois depuis
1988, émargeant à la rédaction de plusieurs maisons
d’édition, il est l’une des figures de proue de la
littérature mongole contemporaine.
Romans et nouvelles puisant aux sources de la culture
mongole
Thèmes animaliers traditionnels
Guo Xuebo a publié une dizaine de romans ancrés dans la
culture mongole, comme « La déesse de la rivière Xilin »
(《锡林河女神》)
ou « La maison en feu » (《火宅》),
mais dont les deux plus célèbres sont certainement « Le
renard argenté » (《银狐》)
et « L’enfant loup du désert » (《大漠狼孩》).
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Le renard argenté |
L’enfant loup |
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Le premier est une légende qui a pour thème la
destruction de la nature par les hommes, ici une forêt
dont l’incendie oblige les renards à fuir dans le désert
et à en faire leur habitat.
« L’enfant loup » est un conte qui oppose le loup à
l’homme : c’est l’histoire d’une louve dont la portée de
louveteaux a été tuée par un chasseur ; l’un des petits
loups est cependant sauvé en cachette par l’un des fils
du chasseur, tandis que son petit frère est enlevé et
élevé par la louve ; dix ans plus tard, c’est un être
sauvage, à moitié loup à moitié homme…
Ces thèmes animaliers qui opposent l’homme à l’animal,
et l’homme à la nature sur fond de désert, sont
l’inspiration fondamentale des nombreuses nouvelles de
Guo Xuebo.
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Publié en 1993, le recueil « Le loup des sables » (《沙狼》) en
réunit sept des plus célèbres, avec une introduction de
Wang Meng (王蒙) ;
outre la nouvelle titre, ce sont : « Les rites des
sables »《沙祭》,« Les
funérailles des sables »《沙葬》,« La
renarde des sables » (《沙狐》),
« Les grandes eaux »《大水》,
« L’aigle bleu »《苍鹰》et
« Le bouvier des sables »
《沙地牛仔》.
Dans son introduction, Wang Meng souligne l’importance
de ces nouvelles :
« 需要郭雪波和他的小说。越是现代化,越是需要郭雪波,需要他把我们带进另一个世界里去,更纯朴,更粗犷,更困惑,更浪漫,更有想象力,也更温柔。 »
Nous avons besoin de Guo Xuebo et de ses nouvelles. Plus
nous nous modernisons, plus nous avons besoin de lui,
pour qu’il nous fasse pénétrer dans un monde différent,
plus simple, plus sauvage, plus difficile, plus
romantique, plus doux aussi et d’un imaginaire bien plus
riche. |
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Le loup des sables |
Cet imaginaire est celui de l’ancienne tradition littéraire
mongole ; les thèmes essentiels concernent les relations entre
l’homme et l’animal, et, au-delà, entre l’homme et son
environnement naturel, dans le désert, comme l’explique
l’ethnomusicologue
Alain Desjacques :
« [Guo
Xuebo] perpétue,
à sa manière et avec succès, l'authentique tradition littéraire
mongole, connue sous le nom de domog et üligher,
où les thèmes animaliers ont une place prépondérante. À partir
de l'observation aiguë de la nature changeante du fameux désert
de Gobi, […] Guo Xuebo met ses personnages dans des conditions
de vie extrêmes, qui interrogent sur la vraie nature de l'homme
et sa bestialité. Sur fond mythologique de l'origine animale des
ancêtres, l'opposition humanité/animalité se trouve au cœur
d'une réflexion qui offre de multiples facettes poétiques,
transportant le lecteur à la fois au plus profond de lui-même
vers les racines de la condition humaine, et dans les espaces
infinis de ces paysages magnifiquement désertiques où
l'imagination […] retrouve son caractère épique et merveilleux. »
Thèmes chamaniques et sujets historiques
Le chariot du bélier d’or du grand
chamane |
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Cette tradition repose sur d’anciennes croyances et
pratiques chamaniques où l’identification à un animal
était fondamentale. C’est une véritable culture, qui a
survécu dans les mentalités, tout spécialement dans la
région de Horqin (科尔沁草原)
que Guo Xuebo connaît bien pour y avoir vécu et
travaillé à partir de 1968. C’est ce qui a été le
principal sujet de ses recherches ces trente dernières
années et lui a finalement inspiré son dernier recueil
de nouvelles, six récits publiés en 2011 sous le titre
de l’un d’eux : « Le chariot du bélier d'or du grand
chamane » (《大萨满之金羊车》).
Ces récits mettent en scène diverses pratiques
chamaniques comme la danse d’Andai (pour guérir
certaines maladies), ou certains arts traditionnels
commeceux du combat au sabre ou du chant de gorge
diphonique.
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Le thème principal du recueil, cependant, est plutôt
dans les menaces que fait peser le monde moderne sur
cette culture ancestrale, et dans ses derniers sursauts
pour y résister. Ainsi, dans la nouvelle qui a donné son
titre au recueil, un vieux chamane pratique un ancien
rituel pour défendre une montagne sacrée que le
commissaire du district rêve de transformer en carrière
de pierre. Il rassemble tous les membres du clan autour
d’un autel dressé sur un « aobao », un monticule
de pierres sacrées, pour y sacrifier un mouton et prier
les divinités tutélaires. |
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Guo Xuebo dans la prairie de Horqin |
La nouvelle s’achève avec la mort du neveu du commissaire du
district…
Gada Meilin |
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Plus récemment, Guo Xuebo a évolué vers des sujets
historiques. En 2012, il a pris pour sujet de romanun
héros de la résistance mongole au début des années
1930 : Gada Meilin (《青旗·嘎达梅林》);
c’est un personnage iconique qui a fomenté un
soulèvement contre les extorsions des seigneurs de
guerre Zhang Zuolin et
Zhang Xueliang et la multiplication des ventes de terres
cultivables à des colons chinois, tout en luttant contre
la désertification. Il était originaire d’une bannière
proche de celle de Guo Xuebo.
C’est une autre manière de défendre la culture mongole.
Comme l’est sa virulente contestation des idées
développées par
Jiang Rong (姜戎)
dans son best-seller « Le totem du loup » (《狼图腾》).
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Contestation des thèses du « Totem du loup »
Comme beaucoup d’autres, Jiang Rong garde une profonde
nostalgie des années qu’il a passées en Mongolie
intérieure comme ‘jeune instruit’ pendant la Révolution
culturelle. Elle se reflète dans ce roman qui traduit la
profonde impression que lui ont laissée ces années de
jeunesse au contact de la nature sauvage, et en
particulier des loups. Le problème est qu’il en a fait
une thèse du loup comme animal totémique mongol, symbole
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Le Totem du loup : Guo Xuebo contre Jiang
Rong |
de liberté, de compétition et de force de la culture nomade
contre celle des cultivateurs, thèse que rien, semble-t-il, ne
corrobore, et contre laquelle s’est violemment élevé Guo
Xuebo sur weibo :
“狼从来不是蒙古人图腾...!...蒙古人最早信萨满后佛教。狼是蒙古人生存天敌,狼并无团队精神两窝狼死磕,狼贪婪自私冷酷残忍,宣扬狼精神是反人类法西斯思想。我们保留诉诸法律捍卫祖先和民族文化的权利。”
« Le loup n’a jamais été un totem pour les Mongols !… Les
Mongols ont d’abord pratiqué le chamanisme, puis le bouddhisme.
Le loup est pour eux un ennemi mortel. Les loups n’ont pas du
tout l’esprit d’équipe, ils sont même capables de s’entretuer ;
ce sont des animaux avides, égoïstes, cruels et sanguinaires ;
défendre l’esprit du loup relève d’une idée fasciste,
préjudiciable à l’espèce humaine. Nous gardons le droit de
défendre la culture ancestrale de notre peuple. »
Il n’est pas le seul à s’être insurgé contre une vision
réductrice de la culture mongole. Dès la publication du roman,
un autre écrivain mongol a élevé la voix : Mala Qinfu (玛拉沁夫).
C’est pourtant une personnalité respectée, mais les intérêts
sont tels, derrière « Le Totem des loups », que ces voix ont été
étouffées. Mais la polémique persiste.
L’histoire secrète des Mongols |
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Elle s’est déchaînée, en particulier, sur la place du
loup dans la culture et l’histoire mongoles, et entre
autres sur l’interprétation à donner aux premières
lignes de l’ouvrage fondamental sur le sujet :
« L’histoire secrète des Mongols » (《蒙古秘史》) ;
c’est une histoire plus ou moins légendaire de Gengis
Khan et de l’empire mongol, vraisemblablement achevée
d’écrirepeu après la mort de Gengis Khan (en 1227), par
un auteur anonyme et sans doute en script uyghur, mais
le texte qui |
nous en reste est une édition en chinois en douze chapitres,
compilée sous les Ming et portant le titre « Histoire secrète de
la dynastie des Yuan » (《元朝秘史》)
.
Cette histoire commence par une généalogie de Gengis Khan et les
premières lignes lui donnent pour ancêtres primordiaux un couple
animal formé d’un loup (gris-) bleu et d’un daim blanc (苍狼/白鹿).
Le texte fait par ailleurs allusion plus loin à un chien (donc
proche d’un loup), pour justifier la naissance sans père avéré
de deux descendants de ce couple originel.
Même si des interprétations ultérieures font du loup et du daim
de départ deux personnages humains portant des noms d’animaux,
selon des pratiques chamaniques usuelles, cela suffit pour
soutenir des opinions divergentes sur l’importance du loup dans
la culture mongole, tout au moins du point de vue des origines,
mythiques sinon historiques.
Le film de Jean-Jacques Annaud n’a fait que déchaîner encore
plus les passions.
Il reste à lire Guo Xuebo.
Traductions
En français :
La Renarde du désert, deux nouvelles (La Renarde du désert et Les
Loups du désert) traduites du chinois par Chun Dong, Bleu de
Chine 1999.
En anglais :
The Desert Wolf, recueil de quatre nouvelles (‘The
Sand Fox’, ‘The Desert Wolf’, ‘Sand Burial’, ‘Sand Rites’),
Panda Books, 1996.
A lire en complément
Un commentaire de Bruce Humes sur un roman
autobiographique de Guo Xuebo publié en octobre 2014 :
« Mongolia » (《蒙古里亚》) :
« … il est scindé en trois histoires distinctes,
étroitement imbriquées au fur et à mesure que progresse
la narration : un voyage spirituel par lequel le
narrateur tente de retrouver ses racines chamaniques,
diverses scènes d’un voyage réel, effectué au début du
20ème siècle par un explorateur scandinave en
Mongolie, et enfin les tribulations d’un berger mongol
d’aujourd’hui du nom de Teelee Yesu (特勒约苏),
considéré par beaucoup comme l’idiot du village, village
dont l’existence même est menacée par la désertification
et les machinations ourdies par une entreprise minière
pour se développer. Dans l’extrait que je viens de
traduire, Teelee est emprisonné pour avoir menacé de
s’immoler par le feu (自焚) ;
le passage se passe dans la prison, alors qu’une foule
de |
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Mongolia |
journalistes, des responsables de bannières ainsi qu’un
mystérieux fonctionnaire se relaient pour à tour de rôle le
féliciter, le réprimander et l’interroger, et ce afin de tenter
de savoir si, dans sa volonté d’immolation, il n’aurait pas
tenté d’imiter les moines bouddhistes tibétains. »
(ma traduction, texte original :
http://bruce-humes.com/archives/11815
)
Nota : dans
tous ces titres,沙peut
aussi bien être traduit par ‘désert’沙漠.
домогүлгэр - Il
s’agit du fond de mythes et légendes populaires mongoles
(Mongol ardyndomogulger).
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