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Sortie du numéro 6
de la revue Jentayu, sur le thème Amours et sensualités
par
Brigitte Duzan, 5 août 2017
C’est un numéro particulièrement riche que ce numéro 6
de la revue de littérature asiatique Jentayu qui vient
de sortir pour l’été. Il « évolue entre ombre et
lumière », nous dit l’éditorial l’annonçant sur le site
de la revue, ombre et lumière comme les histoires
d’amour, déchaînements de passion ou sentiments troubles
qui restent souvent longtemps enfouis avant de faire
surface au grand jour. Car le thème choisi cette fois-ci
est Amours et sensualités.
Le thème est illustré et décliné en un kaléidoscope
desix langues différentes, du birman et du bengali au
portugais et à l’indonésien, en passant par les langues
plus courantes que sont le chinois et l’anglais. Quant
aux zones géographiques, elles sont tout aussi variées
puisque les textes proviennent de douze auteurs
représentant onze pays différents :
- Le numéro s’ouvre sur une nouvelle du Chinois
Feng Tang (冯唐),
« Trois jours, quatorze nuits », assez représentative
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Jentayu n° 6, été 2017 |
du style torride de ses romans, sur le lointain modèle des
romans érotiques classiques, avec pour personnage principal un
jeune étudiant en médecine débordé par sa libido dans une
atmosphère moite d’été pékinois. La nouvelle a été traduite par
Sylvie Gentil, disparue
depuis lors, et auquel la revue rend hommage dans ses premières
pages.
Les auteurs |
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- Une autre nouvelle traduite du chinois (p. 101) en est
l’exacte antithèse : « Tan
Huiying » (《谭惠英》)
de
Ren Xiaowen (任晓雯)
est le portrait d’une paysanne pauvre qui n’a aucune vie
sentimentale, et encore moins sexuelle, toute sa vie étant
tournée vers la culture de ses lopins de terre. Le texte est
d’un style raffiné, d’une froideur parfaitement adaptée à son
sujet.
- Autres textes traduits du chinois : deux nouvelles d’auteurs
taïwanais. Le premier, p. 61, est de Lin Yi-yun (林宜澐),
et a pour originalité d’avoir été traduit par les élèves de la
classe de Mathieu Kolatte, à l’université nationale centrale de
Taiwan. Lin Yi-yun évoque une union impossible, dans une Taiwan
des années 1970-180 qui aura vu bien d’autres romances brisées.
La nouvelle de Guo Songfen (郭松棻)
– « Cris sous la lune », p. 139 - est une subtile et douloureuse
évocation d’un professeur modeste et sans histoire qui vient de
mourir, renversé par une moto, à travers les souvenirs de sa
femme qui veille le cadavre ; les souvenirs lancinants des
principaux épisodes de leur vie reviennent en boucle, scandés
par une phrase leitmotiv comme une rupture possible qui n’a
jamais eu lieu. Le texte donne envie de lire d’autres
traductions de nouvelles du même auteur, mort en 2005, exilé à
New York, dont, également traduit par Marie Laureillard, « Récit
de lune » paru chez Zulma en 2007.
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Illustration de la nouvelle de Lin
Yi-yun,
par Charis Loke |
- Dans « Flamingo Valley », p. 27, Amanda Lee Koe nous entraîne
dans un Singapour des années 1960 vibrant des twists chantés par
Petula Clarke, où les jeunes Eurasiens pouvaient hésiter entre
mariages mixtes à la malaise ou à la chinoise, où tout semblait
possible, y compris renoncer au Coran pour se marier avec la
fille qu’on aimait…
- Traduits du bengali, deux chapitres de « Panty », second roman
de Sangeeta Bandyopadhyay, se passent dans une Kolkata
fantomatique où les baisers tombent soudain du ciel, au détour
d’une rue, et où les amants jouent à cache-cache dans la moiteur
de la mousson tout en hésitant, mais finalement très peu, entre
le licite et l’illicite.
- Traduit de l’indonésien, « Les yeux en éclipse » de Djenar
Maesa Ayu, p. 73, est une brève digression sur l’aveuglement
causé par l’amour, et « Au bord de l’eau », du Mongol Baast
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Illustration de la nouvelle Flamingo
Valley par Charis Loke |
Zolbayar, p. 129, est un texte tout aussi court sur les
maladresses d’un jeune garçon transi d’amour.
- Je garde pour la fin l’un de mes textes préférés de ce
numéro : « Les ombres du royaume », nouvelle tirée du recueil
« The Royal Ghosts » du Népalais Samrat Upadhyay, p. 81.
L’auteur évoque tout en finesse l’homosexualité d’un jeune
garçon de Katmandou, que son frère tente de protéger, dans une
sorte de fable contée sur fond d’événement historique : le
suicide du prince héritier Dipendra, qui avait préalablement
décimé toute sa famille. La double ligne narrative relativise le
comportement du jeune frère, car « les gens au pouvoir sont
fous, comment savoir ce qui se passe derrière les portes
closes ?On ne sait déjà rien de sa propre famille. »
Shahria Sharmin |
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Un peu sur le même thème, sous le titre « Appelez-moi Heena »,
p. 113, la photographe du Bangladesh Shahria Sharmin nous livre
un reportage photo, expliqué et commenté, sur des personnages à
l’identité floue, transgenres ou transsexuels, caractéristiques
de la société bangladaise, les hijra. Marginalisés, ils
représentent un phénomène social de longue date, que les photos
nous montrent au naturel, dans un superbe noir et blanc.
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Comme d’habitude, des poèmes sont insérés au milieu des textes,
cette fois trois poèmes traduits du birman de Mae Yway, et trois
poèmes traduits du portugais de Fernando Sylvan, du Timor
oriental. Et le tout est illustré par une artiste basée en
Malaisie, Charis Loke.
Les dernières pages, enfin, donnent de brèves indications
biographiques, bienvenues, sur les auteurs et les traducteurs.
Le numéro est en outre enrichi de notes de lectures et
entretiens publiés sur le site de la revue :
- Panty, entretien avec l’auteur
http://editions-jentayu.fr/numero-6/sangeeta-bandyopadhyay-panty/
- Guo Songfen, Cris sous la lune, notes de lecture
http://editions-jentayu.fr/numero-6/guo-songfen-cris-sous-la-lune/
- Les ombres du royaume, notes de lecture
http://editions-jentayu.fr/numero-6/samrat-upadhyay-les-ombres-du-royaume/
- Appelez-moi Heena, notes de lecture
http://editions-jentayu.fr/numero-6/shahria-sharmin-appelez-moi-heena/
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