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Sylvie
Gentil, in memoriam
par Brigitte Duzan,
30 avril 2017
Sylvie Gentil
nous a quittés.
On a peine à
le croire tant elle était présente, même à l’autre bout
de la planète. Rappelez-vous, hier encore, en novembre
dernier, elle présidait le jury du prix Fu Lei
,
et rayonnait, avec sa simplicité habituelle, aux côtés
du professeur Dong Qiang.
Elle mettait alors la dernière main à son ultime magnum
opus sur lequel elle avait passé l’été, dans le calme du
bord de mer, dans cette maison de Royan qui était pour
elle comme un retour aux sources : la traduction de
l’essai
de
Yan Lianke (阎连科)
« A
la découverte du roman » (《发现小说》).
Et pour parfaire la tâche, elle avait aussi traduit la
nouvelle citée par l’auteur, dans cet ouvrage, comme
étant la source de son style mythoréaliste, une nouvelle
‘moyenne’ de 1998 de la série de Balou,
« Un
chant céleste » (《耙耧天歌》).
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Sylvie Gentil, en novembre 2016,
lors du prix Fu Lei |
C’était un travail épineux, la traduction de cet essai sur le
roman, le texte abondant non seulement de termes défiant la
traduction, mais aussi de citations de romans étrangers dont
elle s’était fait un devoir de citer les traductions françaises.
On la sentait travailler dans l’urgence, avec une intense
frustration : celle de ne pas avoir le temps de lire le dernier
roman de Yan Lianke, celui publié après
« Les Chroniques de
Zhalie » (《炸裂志》)
- un roman dont nous avons longuement discuté de la manière dont
on pourrait au moins traduire le titre, pour nous arrêter sur
cette traduction provisoire mais prémonitoire : « La mort du
soleil » (《日熄》).
Quant « A la découverte du roman », le livre, maintenant publié,
m’a laissée incrédule quand je l’ai ouvert pour la première
fois, cherchant, comme à l’habitude, la table des matières pour
satisfaire une première curiosité. Mais point de table des
matières, le livre se termine sur cinq pages blanches…
Blanches comme le vide abysmal qui nous est échu quand est
tombée la nouvelle de sa disparition, à la veille d’un premier
mai maussade.
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Vide certes, mais vide des origines, vide à la chinoise,
fourmillant de mots, de textes et de sons, de souvenirs
aussi. Et du fond de ces souvenirs en remonte un, celui
d’un caractère inventé par François Cheng, auquel il
sied de conclure cet exercice de mémoire, lui qui fut
son premier maître, comme il est le nôtre aussi. Ce
caractère, il l’a composé des deux caractères signifiant
chinois et français, han
汉
et fa
法,
en mettant en commun leur clé commune, celle de l’eau
.
Et ce caractère étrange, qui incarne à merveille le
dialogue entre deux mondes linguistiques et littéraires
qui était l’apanage de Sylvie, ce caractère a un point
final, en bas, à droite, qui semble figurer un écho
persistant, cet écho même qui s’échappe de toutes |
ses traductions accumulées au fil du temps et n’en finit
pas de résonner.
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