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Kubin, le retour : je
n’ai jamais dit que la littérature chinoise contemporaine est de
la m…
par Brigitte Duzan, 23 mars 2010
Wolfgang Kubin,
comme le phénix, n’en finit pas de renaître de ses
cendres et de faire parler de lui. C’est d’ailleurs sur
la chaîne chinoise de télévision par satellite Phénix
(凤凰卫视),
qu’il vient de se livrer à de nouvelles déclarations
assez désopilantes sur la littérature chinoise
contemporaine. Cet éminent et très docte sinologue
allemand, qui parle un chinois aussi châtié que son
allemand, n’avait pourtant rien à l’origine pour
défrayer la chronique…
Petite chronique d’un scandale médiatisé
Tout a commencé
en novembre 2006. Wolfgang Kubin, sinologue allemand
reconnu,
directeur
du Centre d'études orientales de l'université de Bonn,
fut interviewé par un journaliste chinois vivant en
Allemagne sur la chaîne « Deutsche Welle ».
L’interview porta sur la littérature chinoise
contemporaine, et il déclara, entre autres, que
l’Association des Ecrivains chinois ne sert à rien,
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que les écrivains
chinois contemporains ont un niveau culturel proche de zéro,
qu’ils écrivent mal et
n’ont aucun courage, etc… (1)
La presse s’empara aussitôt du sujet, rapportant que Kubin avait
déclaré que « la
littérature chinoise contemporaine est de la m… », ce qui était
une généralisation abusive de ses propos, mais correspondait
assez bien à leur teneur globale. Il multiplia alors les
interviews, enfonçant chaque fois un peu plus le clou, y compris
à l’Université du Peuple (人民大学),
à Pékin, en
avril 2007.
Récemment, en novembre
2009, il fut encore interviewé, en France, par Books magazine,
et la transcription de l’interview largement diffusée, en
particulier sur Rue89. (2) Il y revenait sur ses propos
initiaux, pour les justifier en invoquant le contexte historique
(le maoïsme ayant détruit la riche tradition littéraire
antérieure), accusant les écrivains chinois actuels d’être,
comme tous ces migrants venus travailler en ville, des paysans
mal dégrossis
(土包子),
et regrettant que l’on réduise la littérature chinoise
contemporaine au roman, en négligeant la poésie.
Pour lui, les modèles
littéraires ‘contemporains’ sont
Lu Xun et
Bei Dao, dont il a
traduit les œuvres en allemand. Mais les lecteurs occidentaux,
selon lui, ne lisent plus la littérature chinoise par amour des
textes, mais comme matériau sociologique, parce qu’elle leur
offre un miroir de la société chinoise, un miroir du présent.
Interview du 19 mars dernier sur la chaîne de télévision Phénix
L’interview a eu lieu
dans le cadre d’une excellente émission intitulée
《锵锵三人行》 qiāngqiāng
sānrénxíng,
qui se présente comme une discussion à trois (3) : l’animateur,
Dou Wentao (窦文涛),
un médiateur, ce
jour-là c’était l’écrivain et critique littéraire Xu Zidong (许子东)
et un hôte de marque qui
répond à leurs questions, en l’occurrence Wolfgang Kubin.
La discussion est
partie de la controverse soulevée par Kubin, pour en clarifier
les termes : ce sont les journalistes qui ont déformé ses propos
en les généralisant ; dans son interview initiale, fin 2006, il
n’avait pas qualifié de
m… (垃圾)
la
littérature chinoise contemporaine dans son ensemble, mais
seulement les livres de trois romancières à succès…
Cette interview est intéressante d’une part parce qu’elle
éclaire la controverse vue du côté chinois, et d’autre part
parce qu’elle reflète les a priori du sinologue allemand qui
considère la poésie comme mode d’expression littéraire
privilégié, et le roman comme genre secondaire, suivant
d’ailleurs en cela la tradition chinoise. On est frappé de voir,
par ailleurs, à quel point ses références reviennent constamment
aux modèles littéraires de la sphère de langue allemande, le
modernisme étant, semble-t-il, dans son esprit essentiellement
allemand. Quand il reproche à Mo Yan d’en revenir à des formes
narratives obsolètes, avec des histoires impliquant des
centaines de personnages sur trois générations, on se demande
s’il a jamais lu García Márquez, qui, lui, est une référence
chez les écrivains chinois contemporains, qui ne sont pas si
incultes qu’il le proclame.
La discussion dépasse cependant la seule polémique pour aborder
des questions de fond concernant la littérature contemporaine
chinoise, et en particulier les problèmes de traduction. Comme
Kubin relègue la narration au second plan, pour donner à la
langue, au style, une place prédominante, cela pose
effectivement, comme l’ont relevé ses interlocuteurs, le
problème de la traduction, et celui de la place dont une
littérature difficilement traduisible peut in fine se prévoir
dans le monde (ou sur le marché mondial pour être plus
pragmatique).
On ne peut s’empêcher de sourire en entendant ce vénérable
professeur qui ne prêche finalement que pour sa paroisse,
c’est-à-dire pour ses écrivains favoris, ceux qu’il a traduits,
Lu Xun et
Bei Dao : on se dit que, au début du siècle, il aurait
certainement été du nombre des lettrés qui attaquaient Lu Xun
pour écrire dans une langue dégénérée, ce « baihua » dont
il a contribué à généraliser l’utilisation… Mais qui n’a pas ses
contradictions ?
Voir la vidéo de l’émission :
http://book.ifeng.com/culture/6/detail_2010_03/20/399510_0.shtml
Et ci-joint la
transcription de la discussion avec la traduction en parallèle :
顾彬:我没说过中国当代文学是垃圾
Kubin : je n’ai pas
dit que la littérature chinoise contemporaine est de la m…
Notes
(1) Interview initiale
et réactions :
http://www.zonaeuropa.com/culture/c20061214_1.htm
(2)
http://www.booksmag.fr/magazine/a/wolfgang-kubin-le-romancier-chinois-type-est-un-inculte.html
(3) Le titre de
l’émission fait référence aux « Entretiens » de Confucius (《论语》):
子曰: « 三人行,必有我师焉:择其善者而从之,其不善者而改之 。 »
Le maître dit : « Quand
deux personnes marchent avec moi, il y en a forcément une qui
peut m’enseigner … »
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