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Zhang Xianliang :
Propos sur Xie Jin, maître et ami
张贤亮 :
亦师亦友说谢晋
par Brigitte Duzan, 06 mars 2011

Zhang Xianliang
(张贤亮) |
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Cet article de
Zhang Xianliang,
publié en juillet 2005 dans la revue Wenhuibao (《文汇报》), est à la fois un hommage au réalisateur Xie Jin (谢晋),
et une réflexion profonde sur le cinéma, la littérature
et les conditions de création artistique dans la Chine
des trente dernières années.
Il est
intéressant à plusieurs titres : il commence par un
témoignage personnel sur les conditions dans lesquelles
il a vu « Le détachement féminin rouge » en 1961 (1),
quand ce grand classique de Xie Jin venait de sortir,
expliquant par là même la fascination qu’a exercée le
film sur toute une génération, au-delà de la notion
superficielle et convenue de « cinéma de propagande ».
Il se poursuit
par une réflexion sur les similarités entre le
réalisateur et l’écrivain, similitudes de vie et
d’expériences expliquant leur parfaite symbiose sur le
plan artistique ; |
Zhang Xianliang donne,
au passage, un aperçu des difficultés rencontrées à la sortie
des camps, après la chute de la Bande des Quatre.
A partir de
l’analyse des qualités des œuvres de Xie Jin,
Zhang Xianliang
développe une réflexion sur la création littéraire
autant que cinématographique, jusqu’à l’époque actuelle.
Il est remarquable de le voir défendre une liberté de
création restreinte, pour lui condition sine qua non
d’un véritable talent artistique, que l’on devrait
méditer dans le contexte actuel de critique tous azimuts
de la censure : comme le condamné, le véritable artiste
est libre au milieu de ses chaînes. Opinion qu’il ne
faut pas réduire à une défense du régime, comme on le
fait souvent…
第一次知道谢晋的名字,已是陷入劳改农场的60年代“大饥荒”时期了1。那时,看电影是“受教育”,是改造的补充手段。电影队来了,饥饿的犯人们都被赶出号子,分组排队到打谷场上2。稍有力气的还搬块土疙瘩3当凳子,疲惫不堪的就席地而坐4,病号则干脆睡在地上蜷成一团5,挂在土墙上的白布像船帆一样晃荡,电影的画面真可谓“地动山摇”6,但我 |
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Xie Jin
(谢晋) |
却被一部叫《红色娘子军》的电影所感动。支离破碎的7影片怎能让饿着肚子的人暂时不饿?就因为斑驳杂色之中有一股“气”,有一种“神”,如同一幅成为古董的国画或拓片8,时光不能磨灭其间的神韵9,这正印证了10中国传统的美学原理。从此,谢晋这名字就印在我脑海里。
01
“大饥荒”时期
dà jīhuāng shíqī la
période de la « grande famine », celle causée par le
Grand Bond en avant, au début des années 1960.
02
打谷场 dǎgǔchǎng
aire de battage (servant de lieu de réunion dans les villages)
03
土疙瘩 tǔgēdā
motte de terre
04
疲惫不堪的
píbèibùkānde
usé, épuisé
席地而坐
xídì'érzuò
être assis par
terre
05
蜷成一团
quánchéngyìtuán
roulé en boule, recroquevillé
06
地动山摇
dìdòngshānyáo
litt. ‘la terre
tremblait et les montagnes vacillaient’, expression
tirée du « Voyage en Occident » (《西游记》)
où elle décrit la force d’un combat.
07
支离破碎的
zhīlípòsuìde
brisé en mille
morceaux
08
拓片
tàpiàn
estampage d’une inscription lapidaire ou d’un bronze
09
神韵
shényùn
charme, grâce
10
印证
yìnzhèng
confirmer, corroborer |
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Le détachement féminin
rouge,
film de Xie Jin |
1. La première
fois que j’ai entendu le nom de Xie Jin, c’était pendant
la période de la « grande famine » des années 60, alors
que je venais d’intégrer un camp de rééducation par le
travail à la campagne. A cette
époque-là, le
cinéma était considéré comme une activité éducative,
c’était un complément des méthodes de rééducation. Une
fois l’équipe de projection arrivée, les prisonniers
affamés furent appelés, et répartis en groupes sur
l’aire de battage. Ceux qui avaient un peu de forces se
firent |
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Photo du film |
des sièges avec des
mottes de terre, ceux trop épuisés pour le faire s’assirent par
terre, et les malades, quant à eux, s’étendirent carrément par
terre, roulés en boule ; le tissu blanc qui avait été accroché
sur un mur de terre tremblait comme une voile de bateau, écran
de toile qui semblait comme agité par des éléments en furie ; et
moi, pourtant, j’ai été ému par le film : c’était « Le
détachement féminin rouge ». Comment un film dans un aussi
mauvais état peut-il faire oublier temporairement à des affamés
qu’ils ont le ventre creux ? C’est parce que, au milieu des
images multicolores, on sent une force (气), un souffle spirituel (神) comme ceux que l’on perçoit en regardant un tableau chinois
traditionnel ou un estampage
d’inscription lapidaire ; il y a là un charme que le temps ne peut
effacer et valide le principe esthétique de l’art traditionnel
chinois. J’ai ensuite gardé le nom de Xie Jin gravé dans ma
mémoire.
20年后,1981年,谢晋突然与我联系,要将我的小说《灵与肉》请李准老师改编,拍成叫《牧马人》的电影。虽然平反后的两年间我已获过文学奖,见了一点世面1,认识了一些文坛宗师,但谢晋来找我,对我来说还是另有一番意义,“久仰”2二字决非空泛之词3。见了面,他对小说原著者的尊重,使我坚定了我走文学这条并不容易走的崎岖4小道的自信。今天,也许我在中国文坛算得上一个站得住的人物,但17年前,刚刚走出劳改队,精神和神经仍是“弱不禁风”5。电影的“受众”比起小说来更为广泛,观众数以亿计,《牧马人》获得成功,我的知名度大增,这才鼓起了我后来一次次“闯禁区”6的勇气。在当代中国社会,享有一定的知名度往往能享受到一定的精神自由,而精神自由是文学创作最不可少的条件。所以,我可以这样说,谢晋在促使我的精神解放上起了不小的作用。这也是直到今天我对他仍怀着感激之情7的一个原因。
01
见世面
jiànshìmiàn
voir le monde, cad
enrichir son expérience
02
久仰
jiǔyǎng
litt.
que l’on connaît de réputation depuis longtemps, donc que l’on
est honoré de rencontrer.
03
空泛之词
kōngfànzhīcí
mot vide de sens,
sans signification précise
04
崎岖qíqū
inégal, accidenté
05
弱不禁风
ruòbùjīnfēng
frêle, faible (au
point de ne pas pouvoir résister au vent)
06
闯禁区
chuǎngjīnfēng
s’endurcir,
s’aguerrir pour résister au vent
07
感激之情
gǎnjīzhīqíng
sentiment de reconnaissance
2. Vingt ans plus tard,
en 1981, j’ai soudain été contacté par Xie Jin qui voulait faire
adapter ma nouvelle « L’âme
et la chair » ; après avoir fait écrire le
scénario par Li Zhun, il tourna ce qui devint « Le gardien de
chevaux ». Bien que ce fût deux ans après ma réhabilitation,
après que j’eusse obtenu un prix littéraire et élargi quelque
peu mon horizon, et mes connaissances des cercles littéraires
chinois, lorsque Xie Jin vint me voir, ce fut pour moi un
événement plein de signification : l’expression « être
profondément honoré », dans ce cas, n’était pas une simple
formule. Lorsqu’il me vit, il m’exprima toute son admiration
pour ma nouvelle, et cela me raffermit dans ma détermination à
poursuivre dans la voie pleine d’écueils de la littérature.
Aujourd’hui, j’ai peut-être conquis une place notoire dans le
monde littéraire chinois, mais, il y a dix sept ans, alors que
je venais tout juste de sortir de camp de rééducation, j’avais
encore l’esprit et les nerfs extrêmement affaiblis. Le public
que touche un film est bien plus étendu que le lectorat d’une
nouvelle, les spectateurs d’un film se comptent par centaines de
milliers ; en outre, « Le
gardien de chevaux » a eu beaucoup de succès,
si bien que ma notoriété s’est accrue, et c’est cela qui m’a
donné le courage de continuer contre vents et marées. Dans la
société chinoise d’alors, seule une certaine notoriété conférait
quelque liberté d’esprit ; or la liberté d’esprit est justement
la condition indispensable à toute création littéraire. Ainsi,
je peux dire que, par ses encouragements, Xie Jin a exercé une
influence non négligeable sur la libération de mon esprit. C’est
l’une des raisons pour
lesquelles je continue encore aujourd’hui à lui garder une
grande reconnaissance.
以后和谢晋的交往频繁起来1,年年要见几次面,于是大致知道他是怎样走过那条并不比我轻松的道路的。关于他的事,他本人很少和我谈,倒是从李准老师那里听来的多。每一件事都让我感慨2,我常常暗自将他与我对比,他虽然侥幸3没进过劳改队,但在“大牢笼”4中,其艰辛比我有过之而无不及。李准老师每讲一事,我总想:我要碰上这事我能挺得住挺不住?老实说,他碰到的有些事要放在我身上,我大概很难挺得过去。八方风雨集于一身,外患加上内忧5,生活中所有的遭遇无不令人感到自身的脆弱,周围没有任何东西可以让你支撑,整个人生都是那么无助和绝望,而在这种境遇中还要生产一种称为“精神产品”的电影,如果不是将电影艺术当作自己生命本身,生命中的一切,怎能挺得过去?这不由得令我对他又产生了几分崇敬。
01
频繁
pínfán fréquent
02
感慨
gǎnkǎi
soupirer (avec
émotion)
03
侥幸
jiǎoxìng
heureux
04
牢笼
láolóng
chaînes, fers
05
外患内忧
wàihuàn nèiyōu
agression
extérieure / soucis intérieurs
3. Par la suite, j’ai
eu de fréquents contacts avec Xie Jin, nous nous sommes
rencontrés plusieurs fois par an, et j’ai appris à mots couverts
qu’il avait eu un parcours aussi difficile que le mien. Mais il
ne parlait pas beaucoup de ce qui lui était arrivé ; en fait,
c’est Li Zhun qui m’en a raconté le plus. Chaque nouvel épisode
me tirait des soupirs, et je le comparais avec mes propres
expériences ; il est vrai qu’il
n’a heureusement pas
été envoyé en camp de rééducation, mais, pour ce qui concerne
les « chaînes », celles qu’on lui a mises ont été bien plus
éprouvantes que les miennes. Chaque fois que Li Zhun m’en
parlait, je me demandais : si j’avais eu à affronter cela,
aurais-je été capable de résister ? En fait, si l’on
m’avait infligé pareil
traitement, j’aurais vraisemblablement eu du mal à le supporter.
Quand mille calamités vous tombent dessus, que la pression
extérieure s’ajoute aux tourments intérieurs, on en ressent une
extrême fragilité, sans aucun recours autour de soi qui puisse
aider à faire face, entraînant un sentiment de totale
impuissance et de désespoir face à l’avenir. Dans ces
conditions, si l’on veut réaliser un film que l’on puisse
qualifier de « produit de l’esprit », comment y parvenir si ce
n’est en faisant de l’art cinématographique l’essence même de
son existence, la totalité de son existence ? Je ne peux
m’empêcher d’en ressentir un profond respect à son égard.
90年代初,有些报刊开展了所谓“谢晋模式”的讨论,这是很正常的。可是讨论中有人对谢晋的电影艺术睨而视之1,贬为“煽情”2,我读了很感不平,几乎拍案而起3要写篇文章。但终因对电影艺术的生疏无从下笔4,怕“郭呆子帮忙越帮越忙”5,何况谢晋也并不需要我“帮忙”。今天,我只想以一个普通观众的身份说:中国电影我的确看得不多,为什么我办了个影视城居然6还不多看中国电影?因为我偶尔看看中国电影,多数要让我睡觉:电影语言干瘪7,画面构图缺乏美感,“蒙太奇”拖沓8(许多过场在我这个外行看来都应剪掉),服装、化妆、道具粗制滥造9,虽然我们不能像《泰坦尼克号》10那样精细到电影中用的碟子11少了泰坦尼克号的标记就推倒重拍,但至少时代总要交代清楚吧,而不少中国电影(尤其是电视连续剧)受香港电视连续剧的影响,画面中的服装、化妆、道具让你搞不清剧情和人物是在什么年代。香港电视连续剧是纯娱乐性的...。内地电影、电视连续剧带有“教育”任务,人们当然有权要求它符合情节所需的真实性。更让我看不下去的是演员的表演,真可谓“叹为观止”12,很多演员连“死”都不会“死”,临“死”前还要找块干净的地方慢慢躺下(这里我想起谢添老人在《洪湖赤卫队》13中“死”的表演,可作为“死”的典范),简直叫人不忍卒“睹”14。谢晋导演的影片除了早期的几部,几乎我全看过,我以为,尽管以今天的眼光看,因当时的政治条件不得不带有某种遗憾,但它们全部都是中国电影史上的保留剧目15,有几部还可称为经典15。其原因就在于谢晋的每一部影片无不贯穿着16“情”。在没有高科技可以运用,没有大投入,剧本也算不上特别优秀,表演艺术基本上已程式化17,服装、化妆、道具也并不精良,而且特别强调“政治标准”的影片,要让观众看得进去并且感动,不靠剧中人物的情感吸引人还能靠什么?“煽情”是一种很高超的艺术本领,是任何一种艺术门类的重要技巧18。谢晋就能牢牢地19把握这种艺术技巧,运用自如20,而且这“情”中还必须避讳21最重要的爱情元素。在没有限制的完全自由状态下创作出优秀作品,还不能算艺术家有本事,在有限的、不自由的空间创作出观众读者喜爱的作品,这才是艺术家的高明之处;在不自由中争取精神自由,这个过程最能锻造出高的人格境界。打个不太适当的比喻,就像堤坝下的“管涌”22一样,那一小孔中冲出的水,力度是最大的。
01
睨视
nìshì
regarder de travers
02
贬为
biǎnwéi
réduire
à 煽情shānqíng
qui
suscite l’émotion, larmoyant
03
拍案而起
pāi'àn'érqǐ
frapper
la table et se lever (pour décrire un mouvement de colère)
04
生疏
shēngshū
distant,
peu familier
无从
wúcóng
ne pas savoir comment…
05 “郭呆子帮忙,越帮越忙” guō dāizi bāngmáng, yuèbāng yuèmáng expression
意思不说您也知道,想必这位郭先生必定是位愣头愣脑的主儿,脑子里少根弦的那种人。他来帮你做事,那是只会添乱的。
Note :
Daizi (呆子)
signifie « fainéant idiot ». C’est le surnom donné par le singe
Sun Wukong (孙悟空), pour l’insulter, à
l’un des personnages du « Voyage en Occident » (《西游记》) :
Zhu Bajie (猪八戒).
Guo Daizi, quant à lui, est devenu l’emblème de l’idiot ; il
apparaît dans le roman de Jin Yong (ou Louis Cha
金庸)
« La légende du héros chasseur d’aigles » (ou Legend of the
Condor Heroes) (《射雕英雄传》).
06
居然
jūrán
de manière inattendue,
contrairement à toute attente
07
干瘪
gānbiě
ridé, ratatiné /
ennuyeux
08
“蒙太奇”méngtàiqí
montage
拖沓
tuōtà
qui
traîne, lent
09
粗制滥造
cūzhìlànzào
bâclé, grossier, sans soin
10
泰坦尼克号 tàitǎnníkèhào
Titanic
11
碟子
diézi
petite assiette, soucoupe
12
叹为观止
tànwéiguānzhǐ
à couper le
souffle, qui suscite une admiration sans borne
13
谢添
Xiè Tiān
(1914-2003), réalisateur du film
《洪湖赤卫队》Hónghú
chìwèiduì
« La brigade
rouge du lac Honghu », film sorti en 1959, pour le 10ème
anniversaire de la fondation de la République populaire,
dont l’histoire retrace un épisode de la ‘guerre civile
révolutionnaire’ en 1930.
14
不忍卒睹
búrěnzúdǔ
ne pas supporter de regarder la mort (normalement parce
que c’est trop horrible, ici parce que c’est mal joué !)
15
保留剧目
bǎoliú jùmù
pièce du
répertoire
经典
jīngdiǎn grand classique
16
贯穿
guànchuān
être traversé par, imprégné de
17
程式化
chéngshìhuà
stylisé
18
技巧
jìqiǎo
technique
19
牢牢地
láoláode
fermement
20
运用自如
yùnyòngzìrú
maîtriser parfaitement |
|

Affiche du film « La
brigade rouge du lac Honghu » |
21
避讳
bìhui
éviter,
éluder
22
堤坝
dībà
digue, barrage
管涌 guǎnyǒng
(从管道中涌流出来)
fuite d’eau
4. Au début des années
90, des journaux ouvrirent un débat sur ce qu’on a appelé le
« modèle Xie Jin »,
c’est en soi très
normal. Au cours de ce débat, cependant, certains critiquèrent
l’art cinématographique de Xie Jin, en le réduisant à du
sentimentalisme ; cela m’énerva, et je fus à deux doigts de
frapper un grand coup et écrire un article, mais, comme,
finalement, je n’ai pas une connaissance approfondie du cinéma,
j’ai eu peur de faire plus de mal que de bien, et Xie Jin, de
toute façon, n’avait pas besoin de mon « aide ».
Aujourd’hui, je peux
simplement énoncer le point de vue du spectateur ordinaire : il
est vrai que je n’ai pas vu énormément de films chinois, alors
pourquoi se lancer dans mon aventure du studio de cinéma ? Parce
que, quand il m’est arrivé de voir des films chinois, j’ai
trouvé que la plupart étaient terriblement soporifiques : le
discours est ennuyeux, l’image sans attrait, le montage lent (à
mon humble avis de profane, nombre de scènes mériteraient d’être
coupées), les costumes, maquillages et accessoires sont bâclés ;
on ne peut évidemment pas pousser la précision jusqu’à faire
comme pour le Titanic, jeter les rushes et refaire une prise si
les soucoupes ne portent pas la marque Titanic, mais on pourrait
au moins indiquer clairement l’époque de l’action, or nombre de
films chinois (et en particulier de séries télévisées) sont
influencés par les séries télévisées de Hong Kong, où il est
impossible de dire, en voyant les costumes, maquillages et
accessoires, à quelle époque se passe l’histoire. Les séries
télévisées de Hong Kong sont du pur divertissement… . Les films
et séries du continent, en revanche, ont une mission éducative,
alors on est en droit d’attendre qu’ils respectent la réalité
spécifique du récit. Ce qui me les rend encore plus
insupportables à regarder est le jeu des acteurs, le genre
ampoulé voulant vous couper le souffle ; la plupart des acteurs
ne sont même pas capables de mourir comme il faut, lorsqu’ils
approchent du moment fatidique, ils se cherchent un endroit
propre où s’allonger lentement (et là, je pense à une séquence
du film de Xie Tian « La brigade rouge du lac Honghu », c’est
l’exemple type de ce genre de « mort »), on peut vraiment dire,
en ce sens, que la mort est insupportable à regarder.
5. A l’exception de
quelques uns des tout premiers, j’ai vu pratiquement tous les
films tournés par Xie Jin, et je pense que, en dépit de tout ce
que l’on peut regretter aujourd’hui des conditions politiques de
l’époque, ces films
sont restés des pièces de répertoire, certains peuvent même être
considérés comme de grands classiques. Ceci s’explique par le
fait que chacun de ses films est imprégné de « sentiment »
(情).
Ce ne sont pas des films à grands effets techniques, des films
qui ont nécessité de gros budgets, le scénario n’est pas non
plus particulièrement sophistiqué, le jeu des acteurs est
stylisé, les costumes, maquillages et accessoires ne sont pas
extraordinaires, et, qui plus est, ces films soulignent les
« normes politiques » [de l’époque] : dans ces conditions, si
l’on veut émouvoir les spectateurs, il faut bien le faire grâce
aux émotions des personnages, il n’y a pas d’autre possibilité.
Susciter l’émotion est du grand art, c’est une importante
technique de toute catégorie d’art. Et c’est une technique que
Xie Jin maîtrisait à la perfection ; en outre, il fallait
encore, parmi les « sentiments », éviter les sentiments amoureux
les plus lourds. Quand une œuvre est créée dans des conditions
de liberté totale, on ne peut pas vraiment parler de talent ; ce
n’est que quand une œuvre est créée dans des conditions de
liberté restreinte, et qu’elle est aimée des spectateurs et des
lecteurs, que l’artiste atteint un niveau
d’excellence. C’est en
parvenant à la liberté de l’esprit quand il n’y a pas de liberté
que l’on peut le mieux affiner son caractère et repousser ses
limites. Pour prendre un exemple pas très approprié, c’est comme
une fuite d’eau à la base d’un barrage, c’est en s’échappant
d’un trou minuscule que l’eau y acquiert la plus grande force.
今天走红的年轻一代导演,可以对谢晋的电影艺术有这样或那样的看法。我只想说,这一代人中的绝大多数在今天这种至少是相对宽松1的环境里,有几位能达到谢晋的人格高度?据说中国电影现在在“呼唤大制作”,说穿了2就是要大投入,但中国电影每年统共才有20亿元市场,10亿被国外进口的“大片”取走,剩下的10个亿由年生产的100部中国电影来分,这样算来大投入怎能收回成本?那么怎样挽救中国电影?据我看,“谢晋模式”今天应有更重要的意义,值得好好汲取3。
谢晋和我一样,是个“主题先行”者4,这也常常被人诟病5。其实,“主题先行”与信马由缰6,跟着感觉走都能出好作品。具有历史使命感,以民族国家命运为重的艺术家,其感觉总是引导他不由己地就选择与民族国家的命运有关的题材,即通常所谓的“重大题材”。当然,“重大题材”并非写“大人物”或大场面,鸦片战争7是重大题材,在农村老汉和一条狗身上也可折射出8民族和国家的命运。所以,这类艺术家的“主题先行”,与“文革”提倡的“主题先行”完全是两码事9,实际上是一种深层的“跟着感觉走”。谢晋在他从影50周年的座谈会上说,在《拉贝日记》之后10,他一定要拍一部反映“文革”的电影出来。他这艺术宗旨也是我一向遵循的11,大概这就是为什么他又将我的另一篇小说《邢老汉和狗的故事》拍成名曰《老人与狗》的电影的原因。“文革”应该是中国电影一个挖掘不尽的题材,遗憾的是这类成功的中国故事片可说一部也没有,以致这一代年轻人中的绝大多数对中国这一段很重要的历史毫无印象。我以为这简直是中国艺术家的失职12。张艺谋拍了很多被人叫好的影片。我问过周围的人,几乎都说最喜欢的却是他的《活着》(从盗版的光碟13看到的)。为什么?这说明人们还是喜欢“重大题材”。如连续放映谢晋的一系列影片,从题材到题材产生的环境,都能与中国当代史的一部分挂起钩来14。谢晋的电影不仅有“气”、有“神”,还有对民族命运的深沉的关怀。
01
宽松
kuānsōng
détendu, relâché
02
说穿了
shuōchuānle pour
parler franchement, carrément
03
汲取
jíqǔ
puiser
04主题
zhǔtí
sujet, thème (principal)
05
诟病
gòubìng
dénoncer
06
信马由缰
xìnmǎyóujiāng
monter sans tenir
les rênes, laisser le cheval aller où il veut = avancer
librement
07
鸦片战争yāpiànzhànzhēng
La guerre
de l’opium, film de Xie Jin (1997)
08
折射
zhéshè
se réfracter
09
两码事
liǎngmǎshì
deux choses totalement
différentes
10
《拉贝日记》 :
« Les
mémoires de John Rabe », publiées fin 1998. John Rabe est un
homme d’affaires allemand, considéré comme l’Oskar Schindler de
Chine, qui protégea et sauva des civils au moment du massacre de
Nankin en décembre 1937. A ne pas confondre avec « The Story of
John Rabe » , film de Florian Gallenberger (2008).
11
宗旨
zōngzhǐ
but,
objectif
遵循
zūnxún
suivre (procédure..), poursuivre (objectif…)
12
失职
shīzhí
faillir
à son devoir, à une mission
13
盗版的
dàobǎnde
piraté 光碟
guāngdié
DVD/VCD
14
挂钩
guàgōu
être lié à
6. Aujourd’hui, les
jeunes réalisateurs populaires ont toutes sortes d’opinions
concernant l’art cinématographique de Xie Jin. Je ne peux dire
qu’une chose : dans le climat pour le moins relativement détendu
qui prévaut aujourd’hui, combien y en a-t-il, dans cette
génération, qui peuvent atteindre le niveau de Xie Jin ? On
entend dire que le cinéma chinois, à l’heure actuelle, « appelle
les superproductions », ou, pour parler carrément, ne
s’intéresse qu’aux gros investisseurs ; le marché annuel du
cinéma chinois représente au total quelque deux milliards de
yuans [215 millions d’€], mais la moitié représente les
importations de grosses productions étrangères, il reste donc un
milliard que se partagent la centaine de films produits en
Chine ; dans ces conditions, comment de gros investisseurs
peuvent-ils rentrer dans leurs frais ? Et comment sauver le
cinéma chinois ? A mes yeux, le « modèle Xie Jin » prend
aujourd’hui une signification plus importante que jamais, il
serait bon de s’en inspirer.
7. Xie Jin et moi
sommes pareils : nous donnons la priorité au sujet, et on a
souvent dénoncé cette manière de faire. En réalité, suivre une
ligne thématique ou aller à l’aventure, en fonction de ce que
l’on ressent, tout cela peut donner de bons résultats. Chez
l’artiste qui a un sentiment de mission historique, et considère
le sort de la nation comme de première importance, ce sentiment
le conduit toujours à choisir automatiquement des sujets ayant
trait au sort national, c’est ce qu’on appelle souvent les
« grands sujets ». Bien sûr, un « grand sujet » ne suppose pas
forcément de « grands personnages » ou de « grandes scènes » ;
la guerre de l’opium est un grand sujet, mais un vieux paysan et
son chien peuvent aussi bien refléter le sort national. C’est
pourquoi les sujets choisis par ce genre d’artiste n’ont rien à
voir avec les « grands sujets » préconisés pendant la Révolution
culturelle, en fait cela consiste à se laisser guider par ce que
l’on ressent profondément. Lors d’une conférence donnée pour le
cinquantième anniversaire de la fondation de la République
populaire [en 1999], après [la parution] des mémoires de John
Rabe, Xie Jin a dit qu’il voulait absolument tourner un film sur
la Révolution culturelle.
Je poursuivais
moi aussi un objectif artistique du même ordre, c’est
sans doute la raison pour laquelle il a adapté une autre
de mes nouvelles, « L’histoire du vieil homme et du
chien » (《邢老汉和狗的故事》),
et en a fait le film « Le vieil homme et le chien » (《老人与狗》)
[en 1993] (2). La Révolution culturelle devrait être une
source inépuisable de scénarios, il est regrettable
qu’il n’y ait pas un seul film de fiction réussi sur le
sujet, et encore plus que la grande majorité des jeunes
aujourd’hui n’aient aucune idée de cette période
extrêmement importante de l’histoire chinoise. Je pense
que les artistes chinois, à cet égard, ont tout
simplement failli à leur mission. Zhang Yimou a tourné
nombre de films considérés comme très bons. Quand je
demande aux gens autour de moi, cependant, tous me
disent que le film qu’ils préfèrent (après l’avoir vu en
version piratée) est « Vivre ! » (《活着》).
Pourquoi ? Cela montre que les gens aiment les « grands
sujets ». Mais, si l’on projette les films de Xie Jin
l’un après l’autre, les sujets traités forment une suite
qui reflète une partie de l’histoire |
|

Affiche du film « L’histoire du vieil
homme et du chien » |
de la Chine
contemporaine. Les films de Xie Jin n’ont pas seulement de la
force, du souffle spirituel, ils ont aussi un lien profond avec
le destin national.
(1) « Le détachement
féminin rouge », œuvre emblématique du début des années 1960,
trop souvent réduite à un simple film « de propagande ». Il ne
faut pas confondre le film de Xie Jin avec l’opéra modèle sur le
même sujet réalisé pendant la Révolution culturelle.
Voir :
http://cinemachinois.blogs.allocine.fr/cinemachinois-180738-_le_soleil_se_leve_aussi__et__le_detachement_feminin_rouge___symboles_et_references.htm
(je défie quiconque de
ne pas être conquis au moins par la musique du générique !)
(2) « Le vieil homme
et le chien » (《老人与狗》)
se passe au début des années 1970 ; c’est l’histoire d’un paysan
qui vit seul avec son chien et dont la vie est soudain
bouleversée par l’arrivée d’une jeune fille qui a quitté le
Henan où les conditions de vie étaient trop difficiles.
L’histoire a quelques similarités avec celle des deux
personnages principaux de « L’âme et la
chair ».
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