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Brève histoire du
wuxia xiaoshuo
VI. Le
wuxia xiaoshuo au 20ème
siècle
VI.1.1 Années
1920-1930 : Littérature populaire et wuxia - le cas Zhang
Henshui
par Brigitte Duzan, 26 juillet
2014
Hybridation des genres du roman populaire
La mode du wuxia
dans les années 1920-1930 se traduit en littérature non
seulement par une diversification du genre, mais aussi
par l’inclusion de thèmes et personnages de wuxia
dans la littérature populaire, en plein essor à
l’époque. Ce phénomène intervient très souvent sous la
pression des éditeurs de revue dans lesquelles les
romans sont publiés en feuilleton, dans le désir
d’augmenter les bénéfices en répondant aux goûts du
public.
Beaucoup d’auteurs de romans populaires, en particulier
ceux classés dans la catégorie des « canards mandarins
et papillons » (鸳鸯蝴蝶派),
prennent donc l’habitude d’insérer des personnages de
romans de wuxia
dans leurs histoires, voire d’en écrire eux-mêmes. On
assiste ainsi à une hybridation de genres littéraires
populaires, et une intéressante création, en
particulier, de personnages de nüxia
replacés dans le monde moderne. |
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Zhang Henshui |
Le cas de
Zhang Henshui (张恨水)
est caractéristique.
Zhang Henshui et la nüxia moderne
Le bon filon : Shanghai
Yan Duhe |
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Zhang Henshui
est l’un des auteurs les plus prolifiques et les plus
populaires de la Chine des années 1920-1930. Etabli à
Pékin en 1920, il est connu pour être l’auteur de
quelques romans fleuves, intéressants pour la peinture
de la société pékinoise, et en particulier des couches
populaires, plus que par les histoires d’amours qu’il
raconte.
A la fin des années 1920, cependant, conscient que le
grand centre de l’édition, comme du cinéma, était
Shanghai, et que c’était là qu’il pouvait avoir les
tirages lui assurant un maximum de revenus, il chercha à
prendre pied dans la ville. Son désir fut exaucé quand,
en 1929, il rencontra Yan Duhe (严独鹤).
Yan Duhe était le rédacteur en chef de la section
fiction du Xin Wan Bao (《新闻报》)
qui était alors le second quotidien |
de Shanghai ; créé en 1893, journal se voulant
indépendant, il
disparaîtra en 1949, pour renaître à Hong Kong où il aura une
importance considérable dans le développement de la nouvelle
école du roman de wuxia.
C’est donc dans la rubrique fiction du journal intitulée
Kuaihuo Lin, ou "forêt de la joie" ("快活林"),
que Zheng Henshui publie son troisième roman : « « Un
destin de rires et de pleurs »
ou
Tíxiào yīnyuán
(《啼笑因缘》).
En 22 chapitres, donc relativement court pour l’époque,
il est sérialisé du 17 mars au 30 novembre 1930, en 242
très courts épisodes.
Dans son autobiographie, Zheng Henshui a expliqué que
son roman était prêt en octobre 1929, mais qu’il a dû
attendre cinq mois, que soit terminée la publication du
grand succès du moment, le roman de wuxia de
Gu Mingdao (顾明道) :
« L’héroïne de Huangjiang » ou Huangjiang
Nüxia
(《荒江女侠》).
Ce détail montre bien l’ambiance de cette fin des années
1920 à Shanghai, marquée par la fièvre du
wuxia, |
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Tixiao Yinyuan |
en littérature et au cinéma, l’un nourrissant l’autre et
réciproquement. Et, dans
cette atmosphère, il était logique que les éditeurs de presse
influent sur les auteurs pour qu’ils répondent aux goûts du
public en incluant dans leurs romans des personnages de
wuxia.
C’est ce qui s’est passé pour Zhang Henshui, selon ses propres
dires, et c’est ce qui a sans doute contribué à l’immense succès
que son roman a connu : édité en livre dès la fin de la
publication dans le
Xin Wan Baoavec
un tirage record, il a aussi été diffusé à la radio, et adapté
au cinéma en 1933, en un film éponyme produit par le studio
Mingxing (明星电影公司)
(1).
Tixiao Yinyuan : du wuxia dans un roman populaire
Affiche pour la sortie du film à Nankin |
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Tixiao Yinyuan est
un cas typique de la manière dont ont évolué les genres
littéraires en Chine, et en particulier le genre du
wuxia : par hybridation croisée, en incorporant des
formes littéraires voisines prisées par le public. Bien
que n’étant pas un roman de wuxia, Tixiao
Yinyuan en
a beaucoup des ingrédients classiques ; une bonne partie
de l’intrigue est centrée sur un personnage de nüxia
conforme à la tradition, mais redéfini en termes
modernes, et intégré dans une histoire qui tient à la
fois de la romance et de la peinture de mœurs, genre
populaire caractéristique de l’auteur.
L’histoire de base est celle d’un jeune et beau lettré
tombant amoureux d’une jeune femme dans la capitale
alors qu’il est venu y passer l’examen d’entrée à
l’université. Natif de Hangzhou, le jeune Fan Jiashu (樊家树)
est hébergé dans la luxueuse résidence de son oncle et
profite de son séjour pour se promener dans les rues de
la capitale. Dans un quartier populaire, il rencontre un
praticien d’arts martiaux, Guan Shoufeng (关寿峰),
et sa fille, Guan Xiugu (关秀姑).
Son oncle souhaite que Jiashu épouse une jeune fille
moderne, de la haute société shanghaienne, nommée He
Lina (何丽娜).
Mais Jiashu est tombé amoureux de Shen Fengxi (沈凤喜),
jolie conteuse de
gǔshū
(鼓书),
sortes de ballades accompagnées aux percussions, et,
d’ailleurs, importantes aussi pour la diffusion des
histoires de wuxia. Il évite donc soigneusement
He Lina.
Le cadre est ainsi posé, avec différentes couches
sociales de la ville, et trois femmes autour desquelles
l’auteur développe |
ensuite sa narration. Guan Shoufeng étant tombé malade, Jiashu
paie son hospitalisation, ce qui rapproche Xiugu de lui. Mais il
repart provisoirement chez lui, et, quand il revient, est choqué
d’apprendre que Shen Fengxi a accepté les avances d’un général
chez lequel elle vit désormais. Cependant, elle est tellement
maltraitée qu’elle en devient folle. En vraie nüxia,
Xiugu la venge en tuant le général.
L’affaire fait un tel scandale que Jiashu préfère
s’éloigner de la capitale et part à Tianjin. He Lina l’y
rejoint. Rejetée, elle part dans les Monts de l’Ouest où
son père a une résidence. Pendant ce temps, Jiashu est
kidnappé par des bandits. Xiugu le sauve et le réunit
avec Lina. D’où le titre, qui signifie littéralement
« mariage prédestiné
dans les larmes et les pleurs ».
Références et clins d’œil à la tradition du wuxia
La manière dont Zhang Henshui construit son intrigue et
dépeint ses personnages montre qu’il connaissait bien
les romans de wuxia.
Dès le premier chapitre, Guan Shoufeng est décrit comme
un ancien bandit, qui semble sorti tout droit du roman
de |
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Au bord de l’eau |
référence en la matière :
« Au
Bord de l’eau » (《水浒传》).
Mais c’est un personnage valeureux, qui a renoncé au banditisme
quand une partie de sa famille a été tuée dans un raid de
l’armée. Il a même renoncé à se venger : on n’est pas dans un
roman de wuxia…
Ernü yingxiong zhuan |
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C’est parce qu’il tombe malade que sa fille Xiugu prend
de l’importance dans l’histoire, dont elle devient
l’élément catalyseur entraînant le dénouement. Zhang
Henshui décrit la stupeur de Jiashu l’observant portant
son père à l’hôpital, avec une force étonnante.
La référence est ici un autre roman fondamental dans la
littérature de wuxia, de la fin du 19ème
siècle :« Histoire de héros et héroïnes »
(Ernü
yingxiong zhuan《儿女英雄传》),
où l’héroïne Shisanmei déplace
une énorme pierre à la force du poignet. Mais le clin
d’œil ne s’arrête pas là.
Ernü yingxiong zhuan
est l’histoire
de He Yufeng (何玉凤)
et An Ji (安骥).
Après la mort de son père, la première part se réfugier
dans les bois avec sa mère pour préparer sa vengeance,
et, à la tête d’un groupe de treize amazones, devient
« Treizième sœur » ou Shisanmei (十三妹) ;
elle aide |
An Ji à libérer son père de prison, puis l’aide à se
marier, comme le fera Xiugu pour Jiashu, dans la grande
tradition du wuxia
où la nüxia
reste pure jusqu’au bout.
Zhang Henshui tisse même toute une série de références
intertextuelles dans son roman. Ainsi, quand Jiashu
apprend que Xiugu aime les ballades gushu, il lui
suggère de lire plutôt des romans, et il lui apporte…
Ernü yingxiong zhuan !
Zhang Henshui joue ensuite de la double style du roman :
wuxia
dans la première partie, histoire romanesque dans la
seconde. Or, quand Jiashu en parle, il se réfère à la
première partie, pour déplorer que l’auteur ait condamné
He Yufeng à devenir une simple seconde épouse à la fin,
tandis que Xiugu en retient surtout la seconde partie –
ce qui constitue un commentaire ironique sur Tixiao Yinyuan,
et au-delà sur le roman de wuxia et le personnage
de la nüxia moderne.
Car Zhang Henshui en profite pour démonter le mythe dans
une approche de satire sociale. |
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Shisanmei soulevant la pierre |
Nüxia contre femme moderne
Tout le roman souligne en fait l’incongruité de la nüxia armée
dans le monde moderne. Xiugu est en fait une jeune fille
romantique qui s’identifie non à Shisanmei, mais à He Yufeng, et
qui se complaît bien plus dans la lecture du « Rêve dans le
pavillon rouge » que lui prête ensuite Jiashu.
L’ambiguïté du personnage de la nüxia dans le monde
moderne – celui des années 1920-30 à Shanghai en l’occurrence –
apparaît dans la confrontation Xiugu-Lina. Ce sont deux images
extrêmes de femmes « fortes » dans la société moderne :
altruiste chevaleresque dans un cas, individualiste autocentrée
dans l’autre. C’est la première qui sauve Jiashu de ses
kidnappeurs, mais pour l’unir à Lina.
La nüxia
est objet de fantasmes dans un monde troublé qui se cherche des
sauveurs dans la littérature, et désormais au cinéma. Mais le
mythe s’effondre devant la réalité ; la nüxia
devient personnage romanesque en décalage sur son temps. Et si
la fin est volontairement laissée dans la plus grande ambiguïté,
elle peut suggérer cependant que Xiugu pourrait rester avec
Jiashu et Lina, dans une sorte de ménage à trois, ou comme
seconde épouse… on retombe dans le roman de mœurs.
Epilogue
Tixiao Yinyuan a
été critiqué dès 1932, dans une atmosphère de crise nationale
croissante, justifiant l’émergence d’une littérature de gauche
défendant des thèmes nationalistes. La fièvre du wuxia
fut jugée dangereuse, même, par les autorités chinoises, pour
l’influence pernicieuse exercée sur les esprits.
Jiandan qinxin |
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A la fin des années 1940, Zhang Henshui lui-même avait
adopté l’attitude générale des critiques de gauche pour
condamner le roman de wuxia
sans rémission. Dans son autobiographie publiée en 1949,
« Ma vie et mon œuvre » (《我的生活与创作》),
il a reporté sur son éditeur, Yan Duhe, la
responsabilité de l’insertion des thèmes de wuxia
dans son roman, demandée pour satisfaire les goûts des
lecteurs.
Il a pourtant écrit un roman de wuxia, en 1930 :
« Hardiesse et tendres sentiments » (Jiandanqinxin《剑胆琴心》),
roman en 36 chapitres dont le titre est comme une
synthèse de Tixiao
Yinyuan.
Zhang Henshuis’est en fait inspiré des « Biographies de
chevaliers errants » (“游侠列传”)
des
Mémoires historiques de Sima Qian.
Mais son histoire de héros
chevaleresques est replacée dans le contexte de la
révolte des Taiping (太平天国起义).
Longtemps oublié, Jiandanqinxina été réédité en
2013, |
comme pour montrer le regain de faveur dont jouit ce
genre
littéraire, mais sans plus de succès que la publication
originale.
Note
(1) Sans compter les adaptations en séries télévisées récentes,
dont une série (très librement adaptée) en 40 épisodes diffusée
sur CCTV en 2004, qui tente d’actualiser le scénario….
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