|
Zhang Henshui 张恨水
1895-1967
Présentation
par Brigitte Duzan, 14 novembre 2011
Zhang Henshui (张恨水)
est un romancier qui connut une immense popularité dans
les années 1920-1930. A un moment où la littérature
moderne était influencée par les idées héritées du
mouvement du 4 mai, il a continué à écrire des romans
inspirés des grandes œuvres de la littérature classique,
mais en en adaptant le style à l’époque.
Essentiellement
histoires d’amours contrariées, ses romans sont classés
pour cela dans cette « littérature des canards mandarins
et papillons » (鸳鸯蝴蝶派)
méprisée par les intellectuels de gauche de l’époque.
Pourtant, si son œuvre a connu le succès qu’elle a eue,
c’est parce qu’elle offrait aux lecteurs populaires non
seulement des histoires qui les émouvaient, mais aussi
des tableaux vivants du monde qui les entouraient, et
dans une langue qu’ils comprenaient parce qu’elle était
proche de la leur.
|
|
Zhang Henshui |
C’est une œuvre plus
complexe qu’il n’y paraît, qui s’inscrit dans la grande
tradition littéraire classique, celle en langue vernaculaire.
C’est là que Zhang Henshui a puisé son inspiration de départ.
Influencé par la
littérature classique vernaculaire
De son vrai nom Zhang
Xinyuan (张心远),
Zhang Henshui (张恨水)
est né en 1895 à Shangrao (上饶),
au nord-est du
Jiangxi, dans le sud-ouest de la Chine, où son père était un
petit fonctionnaire. Il y passe son enfance et son adolescence,
mais son père meurt alors qu’il a seize ans. La famille déménage
alors dans la maison ancestrale, à Qianshan (潜山),
dans la province de l’Anhui.
Li Yu |
|
Dès l’enfance,
celui qui n’était encore que Zhang Xinyuan se passionne
pour la littérature classique vernaculaire ou
baihuawén (白话文) :
la littérature
écrite en
baihua, c’est-à-dire un mandarin calqué sur la
langue orale. C’est une littérature influencée par la
tradition orale qui se dégage, surtout à partir de la
dynastie des Ming, de la narration historique
traditionnelle pour donner des œuvres destinées à un
public plus populaire. Les modèles en sont les ‘quatre
grands romans classiques’ (1) auxquels on doit rajouter
le Jin Ping Mei (金瓶梅词话)
ou « Fleur en fiole d’or », en cent chapitres et cent
vingt poèmes.
C’est ce genre
qui influence ses premiers écrits. En 1914, il prend
pour les signer le nom de plume de
Zhang Henshui (张恨水).
Ce prénom vient d’un vers d’un poème qu’il aimait |
beaucoup : un poème de
la fin du 10ème siècle, intitulé « Pleurs dans
l’obscurité de la nuit » (《乌夜啼》),
du dernier souverain de la dynastie des Tang du Sud, Li Yu (李煜) ; fait prisonnier en 975 par l’armée des Song auxquels il avait refusé
de se soumettre, il y chante la tristesse d’une époque révolue,
la sienne et celle de son royaume, et du ‘flot des regrets’ (恨水)
de toute une existence qui s’écoule vers l’est (“自是人生长恨水长东”).
1919-1935 :
journaliste et romancier populaire
En 1918, il devient
journaliste à Wuhan (武汉),
embauché par l’un de ses oncles qui avait un journal à Hankou ;
mais comme il n’a pas beaucoup de travail, il griffonne des
poèmes, et commence même à écrire des romans à ses heures de
loisirs. C’est tout naturellement qu’il s’inspire alors
du style vernaculaire
appelé
zhānghuí xiǎoshuō
(章回小说)
qui caractérise les grands romans classiques en vernaculaire
qu’il aimait tant, c’est-à-dire des ‘romans à chapitres’, où
chaque nouveau chapitre est introduit par un titre qui constitue
un bref résumé du contenu de l’épisode.
C’est ainsi
qu’est structuré le premier de ses romans à être publié,
en 1919, sous forme de feuilleton, dans un journal de la
ville de Wuhu (芜湖),
dans l’Anhui, le ‘journal de Wanjiang’ (《皖江报》)
(2). Intitulé
« Chant d’amour au pays du sud » (《南国相思谱》
Nánguó
xiāngsī pǔ),
le roman est en effet divisé en chapitres introduits par
des vers de poésies classiques ; il raconte une histoire
d’amour passionné, comme ceux qui suivront.
Aussitôt après,
Zhang Henshui part s’installer à Pékin et travaille
comme rédacteur dans deux périodiques : le journal de
Tianjin Yishi bào (《益世报》)
et le journal pékinois Chaobào (《朝报》).
Il crée deux autres titres, ‘le soir du monde’ et ‘le
quotidien du monde’ (《世界晚报》/《世界日报》),
et se partage entre son travail de journaliste et homme
de presse, et son travail d’écrivain. |
|
Chunming waishi (édition originale) |
Entre avril
1924 et janvier 1929 paraît, à nouveau sous forme de
feuilleton, son premier roman fleuve, en 86 chapitres :
« Histoire officieuse de la capitale » (《春明外史》Chūnmíng
Wàishǐ).
Le roman remporte un immense succès et fait de son
auteur le romancier populaire le plus réputé de sa
génération. C’est une histoire d’amour romantique, mais
pas seulement : c’est aussi une peinture vivante des
couches populaires de la capitale dans les années 1920,
chacun des nombreux personnages étant
l’occasion
d’une description de son entourage.
Le héros de
cette histoire est un jeune journaliste pékinois, Yang
Xingyuan (杨杏园),
qui, tombé amoureux d’une courtisane, lui rend à sa mort
un hommage funèbre comme si elle avait été sa fiancée.
Peu de temps plus tard, il rencontre chez des amis une
jeune beauté, Li Dongqing (李冬青),
avec laquelle il ressent beaucoup d’affinités. Mais
celle-ci est atteinte d’une maladie incurable et
|
|
Chunming waishi (table des matières
avec les sept premiers chapitres
et leurs titres/descriptifs) |
tente de persuader
Xingyuan d’en épouser une autre. Il finit par tomber malade, et
meurt en lui écrivant un dernier poème, sur quoi Dongqing
s’effondre inanimée sur son cadavre.
Deux des romans
écrits à cette période, et en même temps, sont
généralement considérés comme des chefs d’œuvre : « Une
famille éminente » (《金粉世家》Jīnfěn
shìjiā)
publié en feuilleton entre 1927 et 1932 (3), et « Un
destin de rires et de pleurs » (《啼笑因缘》Tíxiào
yīnyuán),
publié en 1930.
Ce dernier
roman pourrait être une énième variation sur le thème
rebattu des amours entre un talentueux jeune homme et
une jeune beauté, mais le roman est une véritable
peinture de mœurs. Le jeune Fan Jiashu (樊家树),
venu de Hangzhou à Pékin pour entrer à l’université,
tombe amoureux d’une jeune chanteuse incroyablement
belle rencontrée |
|
Une famille éminente |
dans la rue ;
mais, vendue à un chef de guerre qui la maltraite, elle en
devient folle. Sur ces entrefaites, Jiashu rencontre une autre
jeune femme qui lui ressemble étrangement, mais qui est riche.
Le roman s’achève sur leur union.
L’histoire comporte de
multiples rebondissements, et même un clin d’œil au wuxia,
l’un des personnages étant une femme spécialiste d’arts
martiaux. Elle a été de nombreuses fois adaptée au cinéma et à
la télévision, et même à l’opéra.
Un destin de rires et de
pleurs |
|
Au milieu des
années 1930, la popularité de Zhang Henshui est au
maximum, il travaille en même temps à six romans qui
paraissent par épisodes dans la presse, tout en
continuant son travail d’éditeur de presse et rédacteur.
On le surnomme « le grand auteur des romans à
chapitres » (“章回小说大家”)
et « le maître de la littérature populaire » (“通俗文学大师”).
Ces œuvres sont généralement classées dans le genre
« littérature des canards mandarins et papillons » (鸳鸯蝴蝶派)
dont
Tíxiào Yīnyuán
est considéré
comme un des grands classiques.
Mais, dans le
contexte de la guerre de résistance contre le Japon,
Zhang Henshui va se sentir contraint de changer de
style.
|
Après
1935 : changement de style
En 1934, il
fait un voyage dans le Shaanxi et le Gansu où il
constate la dureté des conditions de vie locales. Son
œuvre s’en trouve transformée. Puis, en 1935, il emmène
toute sa famille à Shanghai où il est rédacteur en chef
du Libao (《立报》).
En 1937,
il part à Chongqing où il travaille au Xinminbao (《新民报》).
Le roman
caractéristique de cette période est « 81 rêves »
(《八十一梦》),
publié en 1941. C’est une satire de la corruption de la
bureaucratie, évoquée par le biais de paraboles et de
rêves. Il écrit encore, autre exemple, « Un monde de
monstres et démons » (《魍魉世界》wángliǎng
shìjiè)
qui montre la lutte pour la survie quotidienne.
|
|
Un monde de monstres et
démons |
Après la défaite du
Japon, il continue d’écrire, mais sans
plus
susciter le même intérêt. Ce sont des romans sur des épisodes de
la guerre qui vient de s’achever, comme, en 1945, « Vive la
division Huben » (《虎贲万岁》hǔbēn
wànsuì), sur
la défense héroïque de la ville de Changde, au Hunan.
En 1949, une
crise cardiaque le prive de l’usage de ses jambes. Il
doit pourtant continuer à écrire car il a une nombreuse
maisonnée à entretenir et nourrir. Mais sa santé se
détériore peu à peu.
Il aura publié
encore une quarantaine de romans après 1940, soit au
total plus de cent dix titres, lorsqu’il mourra, en
1967, d’une hémorragie cérébrale.
Mais il ne faut
pas en rester à quelques chiffres. Son œuvre a une autre
importance, reconnue par les plus grands, Mao Dun (茅盾),
par exemple, qui l’a louée en ces termes :
“运用章回体而善为扬弃,使章回体延续了新生命的,应当首推张恨水先生。”
« Il faut reconnaître à Zhang Henshui d’avoir su reprendre le vieux
système des chapitres en lui insufflant une nouvelle vie »
|
|
81 rêves |
ou encore Lao She,
complétant le jugement précédent :
“是国内唯一的妇孺皆知的老作家。”
« Il est, en Chine, le seul écrivain à être universellement connu
»
Notes
(1) Ces ‘quatre livres
extraordinaires’ (四大奇书),
à l’origine du roman chinois moderne, sont, par ordre
chronologique :
- L’Histoire des
Trois Royaumes
(三国演义)
(XIVe siècle), le
premier roman complet divisé en chapitres distincts à apparaître
en Chine ;
- Au bord de l'eau
(水滸传)
(milieu du XIIIe siècle
- XVe siècle),
- Le Voyage en
Occident (西游记)
(XVIe siècle),
- Le Rêve dans le
pavillon rouge
ou L'Histoire de la Pierre (红楼梦)
(1791)
(2)
皖
wǎn
est l’autre nom de la province de l’Anhui.
(3) Le livre a été
adapté en série télévisée de 40 épisodes en 2003.
Adaptations cinématographiques
Les romans de Zhang Henshui ont fait l’objet de nombreuses
adaptations, au cinéma et à la télévision.
Le premier à avoir été adapté au cinéma est « Two Stars of the
Milky Way » (《银汉双星》), roman publié à l’origine dans le «
Magazine illustré du Huabei » (《华北画报》), au tout début des années
1920, juste avant « L’ histoire officieuse de la capitale »
(《春明外史》).
Il décrit l’amour entre un acteur et une actrice de cinéma, mais
le thème est celui habituel chez
l’auteur : le conflit entre
l’amour et l’argent.
Sur cette adaptation cinématographique, voir :
www.chinesemovies.com.fr/films_Shi_Dongshan_Two_Stars_of_the_Milky_Way.htm
|
|