Nouvelles récentes de a à z

 
 
 
     

 

 

Yang Xianhui  杨显惠

Chronique de l’orphelinat de Dingxi《定西孤儿院纪事》 (3ème partie) :

“Les yeux noirs” 《黑眼睛》) (p. 46-51)

par Brigitte Duzan, 19 mars 2011

 

Présentation

 

Cette nouvelle est la dixième des vingt-deux que comporte le recueil « Chronique de l’orphelinat de Dingxi ».

 

Elle se passe dans le Gansu à la fin de l’année 1960, au pire de la « grande famine ». En 1959 et 1960, les zones du corridor du Hexi et de Dingxi ont en effet été particulièrement affectées par la famine. D’après un livre publié en 1990 que cite souvent Yang Xianhui dans ses interviews, « La chronique du district de Tongwei » (《通渭县志》), la famine s’est aggravée pendant l’hiver 1959 et la population a commencé à migrer vers d’autres régions. Le district de Tongwei (cité dans la nouvelle) comptait environ 280 000 personnes ; trois ans après le début du Grand Bond en avant, soit en 1961, il en restait quelque 180 000 – 70 000 étaient mortes, 30 000 étaient parties ailleurs.

 

Photo de l’auteur

 

Cette nouvelle et les autres du recueil montrent bien l’étendue de l’hécatombe humaine qu’a entraînée la famine ces années-là. Ce n’est peut-être pas ce qu’on peut appeler de la « grande littérature », mais ces nouvelles ont l’intérêt de présenter une vue dépassionnée de cette période, au-delà de ce qu’on peut lire par ailleurs, et qui consiste surtout en descriptions des souffrances endurées et des difficultés rencontrées pour se nourrir, en particulier dans les camps de réforme par le travail, comme « Grass Soup » de Zhang Xianliang.

 

Chronique de l’orphelinat de Dingxi

(《定西孤儿院纪事》)

 

Ici, il s’agit des souffrances vécues par la population locale, et en particulier les enfants, qui mouraient peut-être moins parce que les adultes se privaient pour qu’ils aient de quoi manger. Du coup, un grand nombre se sont retrouvés orphelins, et Yang Xianhui décrit, dans cette nouvelle, les efforts réalisés par des autorités locales totalement dépassées pour leur venir en aide en créant des orphelinats un peu partout. Il n’y a donc ni accusations ni même politisation du débat, tout est décrit sous l’angle tristement humain, et la catastrophe quasiment comme un fait du ciel.

 

La nouvelle en suit cependant d’autres où Yang Xianhui dépeint en particulier des réquisitions forcées de céréales par des cadres dont le seul but était de se conformer aux directives du Parti, entraînant la mort des malheureux qui n’ont pas réussi à conserver le maïs qu’ils avaient enterré….

 

L’intérêt de ces nouvelles est d’apporter un témoignage de première importance sur une période récente toujours tabou, et donc très mal connue. Et si elles ont pu être publiées, c’est sans doute, justement, en raison de leur ton humain et dépassionné.

 

黑眼睛(1)                                       

 

  天早晨又有几个小娃娃被送进病房来了,是李院长1领着几个大娃娃抱进来的。保育员上官芳2发愁地说,往哪里放呀,你看,挤得满满的。

  这些娃娃都是拉痢疾的3

  是换肚子的吗3

  是换肚子。

  上官芳再没说啥,匆匆忙忙把睡在大通铺上的4娃娃们一个一个挪动4,挤紧,腾出5一个娃娃的位置,放下一个娃娃,再挪再挤再放下一个……等到她安排完娃娃,李院长才问:

  林大夫呢?

  林大夫昨晚上昏倒了6,我给打了一针葡萄糖7,现在他的房里睡着哩。

  是吗?我怎么不知道?不是跟你们说过吗,有啥事情要跟我汇报?

  天快亮昏倒的,没上跟你说呢。忙得很。林大夫三天三夜没睡觉了,瘦成一把柴了。

  你这达有纸吗?

  有,林大夫开方子的8

  李院长在一张定西专署人民医院处方笺上9写了两行字之后说,你把这条子送给马老师去。叫他一定要安排,从今天起,林大夫和有病的娃娃们一样吃病号饭10

  睡在这间房里的都是病号,有大的,十二三岁,有小的,才两三个月。这些娃娃进儿童福利院的1时候,大部分都瘦得坐不住,吃过饭就躺倒了。有的娃娃穿着新换的棉衣,里外三新,坐在台阶晒太阳,头垂在胸前或歪在肩膀上。坐着坐着就躺倒了,把新衣裳沾了一身土11。没办法,他们的骨头没有支撑头颅12和身体的力气了。新新的棉衣几天就变成旧衣裳了。

  最头痛的还是换肚子。

  这些娃娃在家里没了父母,没吃的,成天在麦场拾麦颗颗13,吃草籽,吃荞皮,吃葛蓬14。榆树皮15磨成面煮汤是他们最好的吃食了。他们的肠胃已经习惯了吃草,进了儿童福利院1,吃白面馍,吃豌豆面的散饭16搀了洋芋块块的禾苗面17汤面条,很多孩子的肠胃倒不适应了,拉痢疾3,呕吐18,头上长疮19。娃娃们和福利院的老师以及保育员把这种现象称为换肚子3。专署医院的儿科病房住不下这么多换肚子和患有其他疾病的娃娃,福利院不得不成立个病房,把专署医院小儿20权威的大夫借调过来,长期在这儿工作。

  早晨是病房最忙的时候,娃娃们要拉要尿,要洗脸。有些娃娃把脓血21拉在铺上还不知道,上官芳和给他帮忙的几个孤儿当中抽出来的大女子忙了两个钟头,把屎把尿22换褥子23擦被子,忙得不可开交24

  上阿姨,秀秀又把下了一个叫黄玲珍的大女子喊。

  把下了你给擦掉就行了,喊我咋呢?上官芳说,她自己正在给一个娃娃把尿。

  她还吐了!

  吐了就擦掉嘛。你没擦过嘛!上官芳有点不满意的口气说。

  你来看一下嘛!

  黄玲珍不屈不25,上官芳便有点急火攻心的样子26,放下尿尿的孩子之后顺着两张大通铺中间的过道咚咚咚27走过去,粗厚着嗓子28说:

  咋了?咋了?

  黄玲珍手里抱着个小姑娘,就两三岁的样子。她的腿被黄玲的双手分开着,摆在地下的便盆里有一点点脓血21。黄玲珍说,你看枕头边上。

  枕头旁边有一大摊血。

  黄玲珍又说,那是吐下的。

  上官芳觉得问题严重了,大声喊一个正在给另一个小娃擦脸的大女子:改娃,你快去把林大夫叫一下……

  谁知她的话还没说完,林大夫推门进来了,问:

出什么事了?

 

Vocabulaire 1 :

 

01 院长 yuànzhǎng  ici directeur de l’orphelinat

Note : 饥荒时期,各公社都设立孤儿院,有的叫福利院,有的叫幼儿园。

Au moment de la grande famine, en 1959-60, toutes les communes ont ouvert des orphelinats孤儿院  gū'éryuàn ; ils étaient aussi appelés儿童福利院értóng fúlìyuàn (福利院fúlìyuàn désignant toute entreprise caritative venant en aide aux démunis), ou encore 幼儿园yòu’er  yuàn). 

02 保育员 bǎoyùyuán  jardinière/garde d’enfants  上官芳Shàngguān Fāng  nom

03 拉痢疾 lālìji  être atteint de dysenterie –

forme dialectale locale : 换肚子 huán dùzi avoir la diarrhée et phénomènes annexes, soit « avoir la courante ».

04 通铺 tōngpù  grand lit pour plusieurs personnes  挪动 nuódòng  déplacer

05 腾出téngchū  libérer de la place pour

06 昏倒 hūndǎo  s’évanouir, perdre connaissance

07 葡萄糖 pútáotáng  glucose

08 开方子 kāifāngzi  écrire une ordonnance       

09 定西专署人民医院 Dìngxī zhuānshǔ rénmín yīyuàn  hôpital populaire spécialisé de Dingxi                         

        处方笺chǔfāng jiān  bloc d’ordonnances  (jiān  papier à lettre)

10 病号饭 bìnghàofàn  régime spécial pour les malades

11 沾了一身土 zhānle yìshēntǔ  être couvert de poussière

12 支撑头颅 zhīchēng tóulú  soutenir la tête/le crâne

13 麦场 màicháng  aire de battage du blé  shí  ramasser

14 荞皮 qiáopí  = 荞麦皮 qiáomàipí  enveloppe/vannure de sarrasin 

     葛蓬 gépéng  touffes de puéraires (ou vigne kudzu, plante grimpante dont les racines donnent une fécule alimentaire, et dont les feuilles peuvent aussi être préparées en salade ou cuisinées)

15 榆树皮 yúshùpí   écorce d’orme

16  (dial.) petits pains à la vapeur  豌豆 wāndòu  pois

豌豆面的散饭 (dial) : 很稠的能用筷子挑起来的糊糊。 ( chóu épais 糊糊 hùhu bouillie)

17 chān  mélanger  洋芋 yángyù  (dial.) pommes de terre  禾苗 hémiáo  germes de blé

18 呕吐 ǒutù  vomir

19 chuāng  ulcère

20 小儿 xiǎoérkē  pédiatrie

21 脓血 nóngxiě   sang purulent

22 把屎/把尿bā shǐ / bā niào   (dial. du nord-ouest : faire déféquer/uriner un enfant (en le tenant)

(cf 拉屎/尿lā shǐ / lā niào  déféquer, uriner)

西北一些地方,把小孩抱起来使之排泄(páixiè)也称为把屎,抱着撒尿称为把尿。      

23 褥子 rùzi  petit matelas de coton  

24 忙得不可开交 mángde bùkěkāijiāo ne pas savoir où donner de la tête

25 不屈不bùqūbùnáo  inflexible, inébranlable

26 急火攻心 jíhuǒ gōngxīn  attaquer violemment

27 咚咚 dōngdōng  bruit sourd, d’un tambour ou d’un objet lourd frappant le sol

28 粗厚着嗓子 cūhòuzhe sǎngzi  d’une voix forte et rauque

 

Traduction 1 :

 

Très tôt, ce jour-là, quelques enfants de plus arrivèrent à l’infirmerie, c’est le directeur de l’orphelinat, Li, qui les emmena en portant les plus petits. La jardinière d’enfants Shang Guanfang lui dit d’un air anxieux : mais où voulez-vous qu’on les mette, regardez, c’est plein à craquer.

Ces enfants étaient atteints de dysenterie.

Ils ont la diarrhée ?

Oui, ils ont la diarrhée.

Shang Guanfang n’ajouta rien ; elle déplaça très vite, un à un, les enfants qui dormaient sur la grande couchette, en les serrant pour dégager une place, et y déposa un enfant, puis fit de même pour un autre, et recommença pour un troisième… jusqu’à ce que les nouveaux venus soient tous casés. Le directeur Li lui demanda alors :

Et le docteur Lin ?

Hier soir, le docteur a eu un malaise, je lui ai fait une injection de glucose, maintenant il dort dans sa chambre.

Ah vraiment ? Et comment se fait-il que je n’en sache rien ? Ne vous ai-je pas dit que je voulais être informé de tout ce qui se passe ?

La journée est passée si vite, on n’a pas eu le temps de vous en parler. On a été très occupés. Le docteur Lin n’a pas dormi de trois jours, il a tellement maigri qu’il n’a plus que la peau sur les os.

Vous avez du papier ?

Oui, il y a le bloc d’ordonnances du docteur Lin.

Le directeur Li prit une ordonnance à en-tête de l’hôpital du peuple de la région de Dingxi et, y ayant écrit deux lignes, demanda de l’apporter au professeur Ma. Il le priait, à partir du jour même, de donner au docteur Lin le même régime alimentaire que celui des malades.

 

Tous les enfants qui dormaient dans la pièce étaient malades ; les plus grands avaient douze ou treize ans, les plus petits tout juste deux ou trois mois. Quand ils étaient arrivés à l’orphelinat, la plupart étaient tellement amaigris qu’ils ne pouvaient même plus rester assis longtemps ; quand ils avaient mangé, ils retombaient sur le lit. Il y en avait trois à qui on avait mis des vestes ouatées toutes neuves, ils étaient assis sur les marches, au soleil, la tête penchée en avant, sur la poitrine, ou de travers, sur l’épaule ; au bout d’un moment, ils tombèrent, et leurs vestes neuves se couvrirent de poussière. Il n’y avait rien à faire, ils n’avaient plus la force de soutenir leur crâne ni leur corps. En quelques jours, les vêtements toutes neufs seraient aussi sales que les vieux.

 

La diarrhée était le véritable casse-tête.

Ces enfants avaient perdu leurs parents ; n’ayant rien à manger, ils avaient passé leurs journées à ramasser, un par un, des grains de blé restés sur l’aire de battage, s’étaient nourris de graines d’herbe, de vannure de sarrasin, de feuilles de puéraires. Leur plat favori était un brouet fait avec de la farine à base d’écorce d’orme broyée. Leur système digestif s’était habitué à ce régime, si bien que, une fois à l’orphelinat, quand on leur donnait des petits pains de farine blanche,  des bouillies de farine de pois et des soupes avec des nouilles de farine à base de pommes de terre et germes de blé mélangés, beaucoup ne le supportaient pas, ils étaient atteints de dysenterie, de vomissements, et développaient des ulcères sur la tête. Tout le monde à l’orphelinat, les enfants comme les professeurs et le personnel soignant appelait cela « avoir la courante ». Les lits de pédiatrie de l’hôpital régional ne suffisant pas pour tous ces enfants atteints de dysenterie et autres maladies contagieuses, l’orphelinat avait été obligé d’ouvrir une infirmerie où l’on avait transféré le pédiatre le plus réputé de l’hôpital, pour une mission de longue durée.

 

C’était le matin qu’il y avait le plus de travail à l’infirmerie. Les enfants avaient envie de faire pipi, caca, il fallait leur laver la figure. Il fallait voir ceux qui avaient laissé des traînées de sang purulent sur les lits. Pendant deux bonnes heures, occupés à faire faire leurs besoins aux petits, à changer les matelas et laver les couvertures, Shang Guanfang et les quelques enfants qui l’aidaient, dont des grandes filles déjà sorties d’affaire, ne savaient où donner de la tête.

Ayi (1), Xiuxiu s’est à nouveau salie, cria une grande fille du nom de Huang Lingzhen.

Si elle s’est salie, tu la nettoies et point, pourquoi est-ce que tu cries comme ça ? répondit Shang Guanfang qui était en train de faire faire pipi à un petit.

C’est qu’elle a aussi vomi !

Si elle a vomi, tu le nettoies. Tu attends quoi, dit Shang Guanfang d’un ton légèrement mécontent.

Venez voir !

Devant l’obstination de Huang Lingzhen, Shang Guanfang reposa l’enfant en train de faire pipi et fonça

d’un pas sonore entre les deux rangées de lits, en criant d’une voix rauque :

Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Huang Lingzhen avait dans les bras une petite fille qui paraissait avoir dans les deux ou trois ans et lui tenait les jambes écartées au-dessus d’une cuvette posée par terre dans laquelle il y avait du sang purulent. Regardez aussi le bord de son oreiller, dit-elle.

Sur le bord de l’oreiller, il y avait une grosse tâche de sang.

C’est ce qu’elle a vomi, ajouta-t-elle.

Shang Guanfang estima que le cas était grave, et appela à grands cris une fille qui était en train de laver le visage d’un autre petit : laisse le à quelqu’un d’autre, et va vite chercher le docteur Lin…

Mais elle eut à peine le temps de terminer sa phrase, que la porte s’ouvrit et le docteur entra en demandant :

Que se passe-t-il ?

 

(1) 阿姨 āyí   terme affectueux utilisé pour s’adresser aux bonnes d’enfants, nounous, etc…

  

黑眼睛(2)

 

  上官芳说,林大夫你快来看一下。这是李院长刚才送来的个娃娃,又吐又拉。吐的是血!

  林大夫叫林保新,福建人,上海医科大学毕业,1955年支援1大西北建设来到定西专区的2,还不到三十岁。他过去看了看,说,快,给她输液3

  很快就输上液了,林保新开的药方,上官芳扎的针,输液瓶挂在头顶上4。这是一间大房子,像是仓库,从这头到那头两排大通铺,中间过道的上空扯了一根铁丝,专门用来挂输液瓶的。

  这是1960年的初冬。这一年的夏季,饥荒迅速地从通渭县蔓延开来5,蔓延到定西专区各县,蔓延到相邻的平凉专区和天水专区6,蔓延到甘肃全境。定西地委的领导指示定西专署儿童福利院扩大,要多收孤儿,因各县民政局的压力太大。于是定西县和陇西县7的许多孤儿都送到这儿来了,大的十三四岁,小的才两个月。大娃娃们住到了新开辟的8福利院二部——原地委讲师团院内9,小娃娃们还留在老地方——专区物资局和征用的两家私人宅院里10

  病房设在物资局的一个库房里,住了五六十个患病的娃娃。只有一个大夫,一个保育员,还有几个孤儿当中挑出来的大女子照看他们。

  输上液体之后,上官芳支使那几个大女子给娃娃们擦脸,她坐在床头上守着那个小姑娘。

  这小姑娘她看见过。前两天她从院子里走过,见几个来得早已经换过肚子恢复了健康的小姑娘跳房房玩,这小姑娘腿软得站不起来,在台阶上坐着,但她又不甘寂寞11,就从台阶上爬下来,往人多的地方爬。

  这娃娃除了一双大眼睛朴棱朴棱地动12,身体已经没一点精神了,静静地躺着。脸白得像一张纸。她的头皮光溜溜的泛着青光13。进了福利院的男娃娃女娃娃都要剃头,他们原先的头发里长满了虱子。伤寒14已经在福利院肆虐15两次了!剃完了头到县人民浴池16洗澡,换上新衣裳。旧衣裳在澡堂子的院子里就地点火焚烧17

  小姑娘的脸上有一道伤疤,从鼻梁到左边的脸。

  小姑娘的眼睛朴棱朴棱闪着,眼睛盯着铁丝上挂的输液瓶,又看看上官芳。上官芳看出小姑娘疑18不安的神情了,因为娃娃们都没输过液,看着一个大瓶子挂在头顶既新奇又恐惧。为了消除孩子的疑虑,她说:秀儿,这药给别人都不打,给你用上了19。明天你就不拉肚子了。这是好药。

  秀秀摆在枕头上的头点了一下,大眼睛朴棱了一下。这孩子的眼睛出奇的大,眼珠又特别黑,还是双眼皮20。由于消瘦,双眼皮的褶线10非常清晰。眼睫毛22又密又长。

  秀儿,你是哪里人?

  我家是陇西的。

  你咋来这儿的?

  牲口驮来的23

  为了和孩子多说话,上官芳故意说:秀儿,你本事大得很——你才几岁,就敢骑牲口?

  不是骑来的,驮来的。一个驴驮的,一边一个背斗24,我在这边的背斗里,我哥在那边的背斗里。

  你哥呢?你哥叫啥?

  我哥殁了25。牲口到福利院,邢大大卸背斗哩26,一看我哥没气了。李叔叔叫邢大大驮回去了。

  想着通过谈话转移孩子思想的不安,不料引出如此沉重的话题。怕孩子伤心,上官芳立即转移话题:

  秀儿,你把不把?

  想把。我忍着呢。

  能忍住吗?

  我用力忍着。我不愿意麻烦阿姨。

  要把还得把,阿姨不嫌27麻烦。

  阿姨,你真好。

  这时候好几个孩子要拉屎,上官芳就忙去了。这一天秀秀拉了十几次,每次不是血就是脓,又吐了两次血。黄昏时林保新医生说就看今晚上了,再吐就得送医院了。

  这天晚上,秀秀还拉,但次数少多了,就五六次,再也没吐。转天早晨林大夫检查的时候,又开了液体,说,接着输。但接下来的几天里,孩子的痢疾还是止不住。这时又有十几个新来的孩子拉痢疾,住不进病房来,林保新就把十几个痢疾很顽固28的孩子送往专署医院,秀秀也转过去了。是孤儿院的几个大男娃用架子车29过去的,一车拉两三个。架子车每拉一趟上官芳都跟着跑,她不放心,怕男娃们粗心把病号跌伤30

  最后一车病号拉过去全安顿好了31,上官芳要回福利院了,秀秀喊了一声:

  上阿姨,你不要走。

  上官芳走过去问,秀儿咋了?

  我害怕。

你怕啥呢?

 

Vocabulaire 2 :

 

01 支援 zhīyuán  aider, assister

02 专区 zhuānqū  zone spéciale (de développement, dans les années 50)   

03 输液 shūyè  mettre sous perfusion

04 在头顶上 zài tóudǐng shàng au-dessus de la tête = 上空shàngkōng  en l’air

05 通渭县 Tōngwèi xiàn  le district de Tongwei, dans la zone administrative de Dingxi

     蔓延 mànyán  se propager, s’étendre

06 平凉 Píngliáng  district à l’est du Gansu, entre Shaanxi et Ningxia.

     天水 Tiānshuǐ  ville au sud-est du Gansu

07 陇西县  Lǒngxī xiàn  district de Longxi, dépendant de Dingxi

08 开辟 kāipì  ouvrir (établissement, succursale, etc)

09 地委 dìwěi  comité du Parti au niveau préfectoral

     讲师团 jiǎngshītuán  dans les années 50/60, groupes d’information sur la politique du Parti, mais aussi d’alphabétisation et d’aide dans les régions pauvres (zones de développement)

10 物资局 wùzījù  bureau d’approvisionnement  征用 zhēngyòng  réquisitionner

11 不甘寂寞  bùgānjìmò  ne pas vouloir rester seul, être laissé de côté

12 朴棱 pǔléng  onomatopée désignant une action rapide/désordonnée (朴棱地乱飞)

13 光溜溜 guāngliūliū  nu et lisse  fàn  diffuser

14 伤寒 shānghán  en médecine chinoise traditionnelle, maladies causées par le froid : fièvres…/ typhoïde

15 肆虐  sìnüè  causer des ravages

16 浴池 yùchí  bains publics

17 焚烧 fénshāo  brûler

18 yílǜ  doutes, craintes, anxiété

19 用上 yòngshàng  se révéler efficace, montrer son utilité

20 双眼皮 shuāngyǎnpí  paupières à double pli, double paupière

21 褶线 zhěxiàn  ligne du pli

22 眼睫毛 yǎnjiémáo  cil

23 牲口shēngkou  bête de somme tuó  porter sur le dos

24 背斗  bēidòu   sac à dos, bât

25 mò  mourir

26 邢大大 Xíng Dàdà  (nom)  xiè  décharger

27 xián  se plaindre de, reprocher

28 顽固 wángù  persistant, obstiné

29 架子车 jiàzichē  voiture à bras       

30 跌伤 diē shāng  se blesser en tombant / blesser en faisant tomber  

31 安顿 āndùn  installer

 

Traduction 2 :

 

Venez vite voir, docteur, dit Shang Guanfang. C’est l’une des enfants que le directeur Li vient

d’emmener, elle a la diarrhée et elle vomit, et elle vomit du sang !

Le docteur Lin fit appeler Lin Baoxin ; originaire du Fujian et diplômé de la faculté de médecine de Shanghai, il n’avait pas encore trente ans ; c’est en 1955 qu’il était arrivé dans la région spéciale de Dingxi, dans le cadre du programme de développement du « Grand Nord-Ouest ». Il s’approcha et dit, après un rapide coup d’œil : vite, il faut la mettre sous perfusion.

Ce fut fait aussitôt ; Lin Baoxin écrivit l’ordonnance, Shang Guanfang introduisit l’aiguille et suspendit le flacon en l’air. La grande salle où ils se trouvaient ressemblait à un entrepôt ; on y avait disposé deux longues couchettes séparées par une allée centrale au-dessus de laquelle on avait tiré un fil de fer qui servait à suspendre les flacons de perfusion.

 

Cela se passait au début de l’hiver 1960. Pendant l’été précédent, la famine s’était propagée à toute vitesse du district de Tongwei à la région de Dingxi, et de là aux régions voisines de Pingliang et Tianshui, jusqu’à affecter la totalité du Gansu. Les dirigeants du comité provincial du Parti décidèrent qu’il fallait agrandir l’orphelinat de Dingxi pour qu’il pût accueillir beaucoup plus d’enfants, la pression sur les bureaux des affaires civiles des différents districts étant trop forte. De nombreux orphelins des districts de Dingxi et Longxi furent alors envoyés là ; les plus âgés

 

Carte du Gansu

avaient treize ou quatorze ans, les plus petits à peine deux mois. Les plus grands furent logés dans la nouvelle annexe de l’orphelinat, ouverte dans ce qui était à l’origine le siège de l’équipe d’information et d’alphabétisation du Parti. Les plus petits, eux, restèrent dans les anciens locaux, installés dans le bureau d’approvisionnement de la région et deux cours d’habitations privées qui avaient été réquisitionnées.

 

L’infirmerie était installée dans l’entrepôt du bureau d’approvisionnement, et hébergeait entre cinquante et soixante enfants atteints de maladies contagieuses. Il n’y avait pour s’occuper d’eux qu’un médecin et une jardinière d’enfants, assistée de quelques orphelins, dont des grandes filles qui étaient déjà sorties de l’infirmerie.

 

Après avoir terminé la perfusion, Shang Guanfang envoya quelques grandes laver la figure des petits, et s’assit à la tête du lit pour s’occuper un peu de la petite malade.

 

Elle l’avait déjà observée, depuis qu’elle était arrivée, ces deux derniers jours ; elle regardait jouer

d’autres petites filles qui, arrivées avant elle, étaient déjà guéries et sautaient dans tous les sens ; tellement faible qu’elle ne pouvait tenir debout, elle s’asseyait sur la marche de l’entrée, mais, pour ne pas rester seule, elle descendait de sa marche et se traînait par terre pour suivre les autres.

Hormis ses deux grands yeux, constamment en mouvement, son corps n’avait déjà plus aucune énergie, et elle restait étendue sans bouger. Elle avait le visage livide, aussi blanc qu’une feuille de papier, mais son crâne lisse et nu avait des reflets sombres. A leur arrivée à l’orphelinat, on tondait les enfants, garçons et filles, car ils avaient les cheveux pleins de poux. La typhoïde avait déjà par deux fois causé des ravages dans l’orphelinat ! Une fois qu’on les avait tondus, on emmenait les enfants se laver aux bains publics, on leur mettait des vêtements neufs et on allumait un feu dans la cour devant les bains pour brûler les vieux.

 

La petite fille avait une cicatrice sur le visage, de l’arête du nez jusqu’au côté gauche du visage.

Son regard brillant qui fixait le flacon de perfusion suspendu sur le fil de fer le quittait par moments pour regarder Shang Guanfang qui y perçut une grande inquiétude, tous les enfants qui ne savaient pas ce qu’est une perfusion ressentaient le même étonnement mêlé de terreur en voyant un gros flacon suspendu ainsi au-dessus de leur tête. Pour calmer son anxiété, elle lui dit : Xiu’er, ce médicament, on n’en donne pas aux autres, mais toi, il va te faire du bien ; demain, comme ça, tu n’auras plus la diarrhée. C’est un bon médicament.

 

Xiuxiu acquiesça de la tête sans la lever de l’oreiller, et dans ses grands yeux passa un rapide éclat. Les yeux de cette enfant étaient extraordinairement grands, avec une pupille étonnamment noire, des cils très longs et très épais, et un double pli dont la ligne était particulièrement nette vu son état de maigreur.

 

Xiu’er, d’où viens-tu ?

De Longxi.

Et comment es-tu venue jusqu’ici ?

A dos d’âne.

 

Pour que la petite fille lui en dise plus, Shang Guanfang lui dit : Xiu’er, c’est vrai que tu es grande, mais tu n’as que quelques années, tu n’as pas peur de monter un âne ?

 

Je n’ai pas monté l’âne, je suis venue sur son dos: il avait un bât avec deux paniers de chaque côté,

j’étais dans l’un et mon frère dans l’autre.

Et ton frère ? Il s’appelle comment ?

 

Mon frère est mort. Quand l’âne est arrivé à l’orphelinat et que Xing Dada a déchargé les paniers, il a vu que mon frère ne respirait plus. Alors l’oncle Li lui a dit de le remporter.

 

Shang Guanfang avait pensé détourner l’attention de l’enfant de ses préoccupations en bavardant avec elle, elle n’avait pas imaginé que cela déboucherait sur une histoire aussi pénible. Craignant que l’enfant ne s’en attristât, elle changea de sujet :

Xiu’er, tu n’as pas envie de faire caca ?

Si. Mais je me retiens.

Tu arrives à te retenir ?

Je fais de mon mieux. Je ne veux pas t’embêter, ayi.

Si tu as envie de faire caca, il faut le faire, ça ne m’embête pas.

Tu es vraiment gentille, ayi.

 

A ce moment-là, d’autres enfants l’appelèrent, et Shang Guanfang partit s’occuper d’eux. Ce jour-là, Xiuxiu alla plus de dix fois à la selle, avec chaque fois des selles sanguinolentes et purulentes, elle vomit aussi deux fois du sang. A la fin de la journée, le docteur Lin Baoxin dit que, si elle vomissait encore dans la soirée, il faudrait la transférer à l’hôpital.

 

Le soir, Xiuxiu avait encore la diarrhée,  mais beaucoup moins, elle n’eut que cinq ou six selles, et plus aucun vomissement. Le lendemain matin, lorsque le docteur Lin vint l’observer, il lui prescrivit à nouveau une perfusion, en disant qu’il fallait continuer. Dans les jours qui suivirent, cependant, la dysenterie ne s’arrêta pas. Une dizaine de nouveaux malades étant arrivés sur ces entrefaites, comme il n’y avait pas de place pour eux à l’infirmerie, Lin Baoxin envoya à l’hôpital les enfants atteints des dysenteries les plus persistantes, et Xiuxiu fut du nombre. Ce furent les plus grands parmi les garçons de l’orphelinat qui furent chargés de les transporter dans des charrettes à bras, en en prenant deux ou trois à chaque fois. Inquiète, Shang Guanfang les accompagnait en courant, de peur que les garçons ne prissent pas suffisamment soin des malades, et que l’un d’eux tombât et se blessât.

 

Lorsque la dernière charretée de malades fut installée, Shang Guanfang voulut revenir à l’orphelinat,  mais Xiuxiu lui cria :

Ayi, ne t’en va pas.

 

Shang Guanfang s’approcha et lui demanda : Xiu’er, qu’y a-t-il ?

J’ai peur.

Et tu as peur de quoi ?

 

黑眼睛(3)

 

  秀秀不说。

  上官芳明白,孩子们换了新的环境,总是有恐惧心理,就在旁边坐着陪了一会儿。她和秀秀说话:

  秀儿,你脸上伤疤是咋弄下的?

  我二妈砍的1。秀秀细细的声音说。

  上官芳惊了一下:你二妈砍你?咋了?

  秀秀说:我大没了以后,我娘给我和我哥炒的扁豆2一人一碗。我娘说,你们两个一人一碗,慢慢吃,一颗一颗吃,不要打仗。我出去给你们寻吃的去。我娘刚走,我二妈就进来了。她的手里提着一把切刀3要我的扁豆。我不给,我二妈砍了一刀,把扁豆子连碗夺走了4。把我哥的也夺走了。

  你娘没回来?

  没回来。

  那谁管你的?

  我和我哥等了三天,我娘没回来。那时我和我哥都站不起来了,队长转进来看见了,把我和我哥送到了幼儿院5。公社的大夫给我抹的药。

  自从定西专区儿童福利院开办以来,上官芳每天下午都要跑一趟专署医院。[…]她每天把每个病号的病情、送去后死亡的人数和名单向李院长汇报。

  她特别心疼6秀秀,每天来了医院,都要去看一看秀秀,坐着说句话,安慰孩子。

  这是秀秀进了专署医院的第三天,她一进小儿科病房,护士就告诉她秀秀不行了。她是有这思想准备的,因为自从福利院开办以来,经常死人,且都从她手上过。有些孩子虽然什么病也没有,但生命已经到了尽头——太虚弱了7,一天吃六顿饭,吃很宝贵的点心,吃奶粉,死亡的结局也不能逆转8。而得了痢疾的孩子有时候一天就死几个。正是为了不叫福利院的孤儿们看见他们的伙伴死掉,才把病最重的娃娃送到专署人民医院来。[…]这天上官芳一如既往9的一个一个地看孩子,特别是到了秀秀的床前,她在秀秀的身旁多坐了一会儿。她心里很难受:她特别喜爱这个孩子,才三岁,拉血拉脓,她的肚子一定很痛很难过,但她一声也不出,总是睁着一双大眼睛默默地忍受着痛苦;她也知道这个孩子将不久于人间,却又无法挽留10。而这一天,秀秀似乎也有点恋恋不舍,她一坐在床上,秀秀就把自己的一只手从被子下边慢慢地伸出来说:

  上阿姨,你摸一下我的手。

  上官芳攥住了11那只枯瘦如树枝的小手。小手热得烫人。秀秀再没有说话,就是大大的黑眼睛睁得大大的看着她。她也没有说话;她心里难过,不知道说什么话好。她不忍心光看孩子眼睛,便多次把眼光转到孩子长出头发茬12的泛着青光的头上。她说:

  秀儿,等你头发长长了阿姨给你梳两个毛角子13

  秀秀没说话,只是瞪大眼睛看着她。

  后来她要走了,站起来放开秀秀的手说,秀儿,阿姨明天再来看你。秀秀却猛地抓住了她的一个手指头,说:

  上阿姨,我看见我大我娘从那个床下头出来了,他们看我来了。我存下的馍馍还有五六个呢,你给我娘给给。

  上官芳惊了一下,看床对面的桌子,那里果然有两个白面馒头。她问:

  秀儿,你娘在哪达呢?

  秀秀说:

  就在那达哩,那个床下头。

  秀秀放在枕头旁边的手指了一下。上官芳往她指的方向看去,那里根本就没有床,那是一面石灰刷过的白墙14,白生生的白墙。

  第二天下午上官芳再来医院,护士说秀秀殁了。护士说,秀秀临死难受得眼睛睁得圆圆的,死了还睁得圆圆的,眼皮没合上。上官芳说,你把太平间的门15开一下,我要看一下秀儿去。护士坚决地拒绝了:

  你不要看!你不要看!

  不行,我要看,我一定要看一下去!上官芳哭开了,她一边抹泪一边说,拿来,你把钥匙拿来!

  那护士很坚决地说:不给,我不给你钥匙!你不能看,真的不能看!那娃娃眼睛闭不上,我看了都受不了,不能叫你看!

护士说完就进了一间房子,从里边插上了门16,上官芳怎么敲怎么喊她都不答应。上官芳呜呜地哭着回福利院去了,给李院长汇报去了。

 

Vocabulaire 3 : 

 

01 kǎn   couper

02 扁豆   biǎndòu  haricots

03 切刀 qiēdāo   couteau de cuisine, couteau à découper

04 duó  se saisir, s’emparer de

05 幼儿院 yòu’er  yuàn  orphelinat

06 心疼 xīnténg  aimer beaucoup

07 虚弱 xūruò  fragile, affaibli   

08 逆转 nìzhuǎn  empirer, mal tourner

09 一如既往 yīrújìwǎng  comme toujours, comme auparavant

10 挽留 wǎnliú  presser de rester

11 攥住 zuànzhù  attraper, saisir

12 chá  chaume / courts cheveux qui repoussent après qu’on les ait tondus

13 毛角子máojiǎozi  (dial) couette

 (发型:不编辫子,只是用头绳扎着向上翘的两只小刷子)

14 石灰刷过的 shíhuī shuāguòde  blanchi à la chaux 

15 太平间 tàipíngjiān  morgue

16 插上门 chāshàng mén  verrouiller la porte

17 呜呜 wūwū  onomatopée

 

Traduction 3 :

 

Xiuxiu ne répondit rien.

Shang Guanfang comprit : quand les enfants changent d’environnement, cela leur fait toujours peur ; alors elle s’assit à côté d’elle pour lui tenir un moment compagnie, en bavardant avec elle :

Xiu’er, comment t’es-tu fait cette balafre sur le visage ?

C’est ma tante qui me l’a faite, dit Xiuxiu d’une voix fluette.

Shang Guanfang eut un sursaut : ta tante ? Et comment cela ?

 

Xiuxiu expliqua : après la disparition de mon père, ma mère nous a fait cuire un grand bol de haricots, à mon frère et à moi, un bol pour chacun. Elle nous a dit, vous avez chacun un bol, mangez lentement, haricot par haricot, sans vous disputer. Je sors vous chercher à manger. Elle était à peine partie que ma tante entra. Elle tenait un couteau de cuisine et nous demanda nos haricots. Comme je ne voulais pas lui donner les miens, elle m’a donné un coup de couteau, et m’a pris mon bol avec les haricots. Elle a pris aussi celui de mon frère.

Ta mère n’est pas revenue ?

Non.

Et alors, qui s’est occupé de toi ?

Mon frère et moi, on a attendu trois jours, mais ma mère n’est pas revenue. Au bout de ces trois jours, mon frère et moi, on n’arrivait plus à tenir debout, alors le chef de brigade est passé, et, quand il nous a vus, il nous a envoyés à l’orphelinat de la commune, et le médecin m’a donné un médicament.

 

Après l’ouverture de l’orphelinat régional de Dingxi, Shang Guanfang alla tous les après midis faire un tour à l’hôpital. […] Elle faisait ensuite un rapport quotidien au directeur Li sur l’état des malades, le nombre d’enfants morts après leur transfert de l’orphelinat ainsi que leurs noms.

 

Elle aimait particulièrement Xiuxiu ; tous les jours, elle passait la voir à son arrivée à l’hôpital, s’asseyait avec elle et lui disait quelques mots pour la réconforter.

 

Le troisième jour après le transfert de Xiuxiu à l’hôpital, quand Shang Guanfang arriva dans le service de pédiatrie, l’infirmière lui dit que Xiuxiu n’allait pas bien. Elle s’y attendait car, depuis l’ouverture de

l’orphelinat, elle avait vu beaucoup d’enfants mourir, et même mourir dans ses bras. Même ceux qui

n’étaient pas malades étaient trop affaiblis pour pouvoir survivre, même en les faisant manger six fois par jour, en leur donnant de la poudre de lait et des goûters nutritifs, leur mort, au final, était inéluctable. Quant à ceux qui étaient atteints de dysenterie, il en mourait parfois plusieurs par jour.

C’était justement pour que les enfants de l’orphelinat ne voient pas leurs camarades mourir que l’on transférait les plus atteints à l’hôpital. […]

 

Ce jour-là, Shang Guanfang alla voir, comme d’habitude, tous les enfants un à un, mais Xiuxiu tout particulièrement ; quand elle arriva devant son lit, elle s’assit à côté d’elle un moment. Elle était triste car elle aimait beaucoup cette enfant : elle n’avait que trois ans, avec les selles purulentes qu’elle avait, elle devait avoir très mal au ventre, mais jamais elle ne se plaignait, les yeux grands ouverts, elle supportait la douleur sans rien dire. Shang Guanfang savait aussi que, bien qu’elle ne fût de ce monde que depuis peu de temps, on ne pouvait rien faire pour qu’elle y restât.

 

Ce jour-là, en particulier, Xiuxiu avait l’air de ne pas vouloir la laisser partir ; dès qu’elle se fût assise sur le lit, l’enfant tendit une main de dessous sa couverture et lui dit :

Ayi, caresse-moi un peu la main.

 

Shang Guanfang saisit la petite main aussi maigre et desséchée qu’une brindille d’arbre, et brûlante de fièvre. Xiuxiu ne dit plus rien, se contentant de la regarder fixement de ses deux grands yeux noirs. Shang Guanfang non plus ne dit rien, elle avait le cœur serré et ne savait que dire. Elle avait du mal à supporter le regard de l’enfant, alors elle détourna les yeux plusieurs fois pour regarder les petits cheveux qui avaient commencé à repousser sur sa tête en y mettant un reflet sombre et lui dit :

Xiu’er, quand tes cheveux auront suffisamment repoussé, je te ferai des couettes.

Xiuxiu ne répondit rien, elle continua simplement à la fixer de ses grands yeux.

 

Au moment de partir, Shang Guanfang se leva et, reposant la main de Xiuxiu, lui dit : Xiu’er, je reviendrai te voir demain. Mais Xiuxiu lui saisit violemment un doigt, en lui disant :

Ayi, j’ai vu mon père et ma mère au pied de ce lit, ils sont venus me voir. Il me reste cinq ou six petits pains, donne-les à ma mère.

 

Shang Guanfang sursauta, regarda la petite table au chevet du lit et vit qu’il y avait deux petits pains blancs dessus. Elle demanda :

Xiu’er, où est ta mère ?

Xiuxiu lui dit : elle est là, au pied de ce lit.

Elle pointait un doigt de sa main posée sur l’oreiller, dans une direction que Shang Guanfang suivit des yeux. Mais il n’y avait pas de lit, par là, seulement le mur passé à la chaux, le mur tout blanc.

 

Le lendemain après-midi, lorsque Shang Guanfang revint à l’hôpital, l’infirmière lui dit que Xiuxiu était morte. Elle ajouta que, juste avant de mourir, elle se sentait si mal qu’elle en avait les yeux écarquillés, et elle était morte ainsi, les yeux ronds, grands ouverts, sans fermer les paupières. Shang Guanfang dit : ouvrez-moi la porte de la morgue, je veux la voir un peu. Mais l’infirmière refusa catégoriquement :

C’est impossible, vous ne pouvez pas la voir !

 

Si, je veux la voir, je veux absolument la voir ! dit Shang Guanfang qui se mit à pleurer et à s’essuyer les yeux, allez chercher la clef, allez !

 

Mais l’infirmière fut inflexible : non, je ne vous donnerai pas la clef ! Ce n’est vraiment pas possible ! On ne peut pas fermer les yeux de cette enfant, moi je l’ai vue, c’est insupportable, je ne peux pas vous laisser la regarder !

 

Sur ces paroles, l’infirmière entra dans une pièce qu’elle verrouilla de l’intérieur ; Shang Guanfang eut beau frapper et crier, elle ne répondit pas. Alors, Shang Guanfang retourna à l’orphelinat en pleurant bruyamment, et alla faire son rapport au directeur Li.

 

 

 

  

  

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.