莫言《白狗秋千架》
Mo Yan “Le chien blanc
et la balançoire”
par Brigitte Duzan, 17 juin 2010
Présentation
Cette nouvelle de
Mo Yan
est datée d’avril 1985, c’est-à-dire juste avant « Le
clan du sorgho ». Les deux sont liés. “Le chien blanc
et la balançoire” est un peu la préfiguration du roman
ultérieur, par les thèmes et la symbolique. Au premier plan, en
particulier, on trouve le sorgho ; mais il n’est pas ici associé
à la symbolique du rouge ; il devient au fil du récit d’abord
synonyme d’enfermement, puis élément protecteur.
C’est un récit qui
tient de la fable, avec des personnages qui ont la force
emblématique de ceux d’une tragédie grecque, happés par le
destin dont le chien blanc, marqué par deux taches noires sur
les pattes de devant, semble être une sorte de messager occulte,
tout autant que le lien entre présent et passé.
Les deux
premières parties du récit campent superbement les deux
personnages principaux, dans un décor liminal
|
|
Le chien blanc et la balançoire
|
mais décrit
avec précision, suggérant la moiteur de l’été dans les champs de sorgho, tandis qu’un petit pont
délabré au-dessus de la rivière menant au village proche
fournit de la fraîcheur, et l’occasion d’une halte, et
d’une rencontre. On retrouve ce décor à la fin du récit,
structuré en boucle, pour un dénouement final qui tient
aussi de la fable ; c’est le point de fuite vers lequel
tend toute l’histoire, qui lui donne tout son sens et
que je me garderais donc bien de révéler.
Affiche du film
« Nuan »
|
|
La nouvelle a
été adaptée au cinéma par Huo Jianqi (霍建起),
réalisateur de la génération de Zhang Yimou. Intitulé
« Nuan » (《暖》),
du nom du personnage féminin central de la nouvelle, le
film a supprimé nombre de traits qui apportaient,
justement, à la nouvelle ce caractère de fable, en supprimant en
particulier l’aspect symbolique du sorgho et du chien, et en
transformant les trois petits garçons du récit de
Mo Yan
en une petite fille, beaucoup plus mièvre, et surtout qui n’a
plus la force mythique des trois enfants, qui apparaissent dans
la nouvelle comme un aspect et la marque du destin.
Il est vrai que la
nouvelle a quelques défauts et même quelques inconsistances.
Cependant, la construction est impeccable, avec des scènes en
miroir et une progression sans faille de la ligne narrative, les
nombreux flash-backs lui donnant de la profondeur par des
tableaux très vivants, |
comme celui de la traversée du pont, dans
une douce pagaille, par l’armée de libération ; il y a aussi de
très belles images, comme celle de la balançoire dans la clarté
lunaire, « comme la porte des enfers », qui constitue la ligne
de partage de la narration, entre la beauté idyllique du passé
et la réalité sordide du présent.
Le récit, enfin, est
un tout qui ne tient que par ce qu’il comporte de fantastique et
d’imaginaire. En cela, il représente bien tout l’art de
Mo Yan,
avec, justement, ses défauts et ses faiblesses. On imagine très
bien comment, à partir d’une telle histoire, il a pu aboutir,
par rajouts successifs, en laissant courir son imagination, à la
complexité des romans postérieurs. La trame est déjà là.
Note : le vocabulaire est donné pour la totalité du texte, mais
seules les trois premières parties sont traduites, ainsi que la
partie finale, le reste est résumé. Les illustrations sont
tirées du film.
莫言《白狗秋千架》
Mo Yan “Le chien
blanc et la balançoire”
一
高密东北乡原产白色温驯1的大狗,绵延2数代之后,很难再见一匹纯种。现在,那儿家家养的多是一些杂狗,偶有一只白色的,也总是在身体的某一部位生出杂毛,显出混血的痕迹来3。但只要这杂毛的面积在整个狗体的面积中占的比例不大4,又不是在特别显眼的部位,大家也就习惯地以“白狗”称之,并不去循名求实5,过分地挑毛病6。有一匹全身皆白7、只黑了两只前爪的白狗,垂头丧气地从故乡小河上那座颓败8的石桥上走过来时,我正在桥头下的石阶上捧着9清清的河水洗脸。农历七月末,低洼10的高密东北乡燠热难挨11,我从县城通往乡镇的公共汽车里钻出来,汗水已浸透12衣服,脖子和脸上落满了黄黄的尘土。洗完脖子和脸,又很想脱得一丝不挂13跳进河里去,但看到与石桥连接的褐色14田间路上,远远地有人在走动,也就罢了这念头,站起来,用未婚妻赠送的系列手绢中的一条揩着15脸和颈。时间已过午,太阳略偏西16,一阵阵东南风吹过来。冰爽温和的东南风让人极舒服,让高粱梢头17轻轻摇摆,飒飒作响18,让一条越走越大的白狗毛儿耸起19,尾巴轻摇。它近了,我看到了它的两个黑爪子。
那条黑爪子白狗走到桥头,停住脚,回头望望土路,又抬起下巴望望我,用那两只浑浊20的狗眼。狗眼里的神色遥远荒凉21,含有一种模糊的暗示22,这遥远荒凉的暗示唤起内心深处一种迷蒙的感受。
求学离开家乡后,父母亲也搬迁到外省我哥哥处居住,故乡无亲人,我也就不再回来,一晃23就是十年,距离不短也不长。暑假前,父亲到我任教的学院来看我,说起故乡事,不由感慨系之24。他希望我能回去看看,我说工作忙,脱不开身,父亲不以为然地25摇摇头。父亲走了,我心里总觉不安。终于下了决心,割断丝丝缕缕26,回来了。
白狗又回头望褐色的土路,又仰望看我27,狗眼依然浑浊。我看着它那两个黑爪子,惊讶地要回忆点什么时,它却缩进28鲜红的舌头,对着我叫了两声。接着,它蹲在桥头的石桩上29,跷起一条后腿,习惯性地撒尿30。完事后,竟也沿着我下桥头的路,慢慢地挪下来31,站在我身边,尾巴耷拉32进腿间,伸出舌头,一下一下地舔着水。
它似乎在等人,显出一副喝水并非因为口渴的消闲33样子。河水中映出狗脸上那种漠然34的表情,水底的游鱼不断从狗脸上穿过。狗和鱼都不怕我,我确凿地35嗅到狗腥气和鱼腥气36,甚至产生一脚踢它进水中抓鱼的恶劣想法。[..]而这时,狗卷起尾巴,抬起脸,冷冷地瞅我一眼,一步步走上桥头去。我看到它把颈上的毛耸了耸,激动不安地向来路跑去。土路两边是大片的穗子37灰绿的高粱。飘着纯白云朵的小小蓝天,罩着板块相连38的原野。我走上桥头,拎起旅行袋,想急急过桥去,这儿离我的村庄还有十二里路吧,[...]。正想着,就看到白狗小跑步开路,从路边的高粱地里,领出一个背着大捆高粱叶子的人来。
我在农村滚了近二十年,自然晓得39这高粱叶子是牛马的上等饲料40,[...]。远远地看着一大捆高粱叶子蹒跚地41移过来,心里为之沉重。我很清楚暑天里钻进密不透风的高粱地里打叶子的滋味42,汗水遍身胸口发闷是不必说了,最苦的还是叶子上的细毛与你汗淋淋的皮肤接触43。我为自己轻松地叹了一口气。渐渐地看清了驮着44高粱叶子弯曲着走过来的人。蓝褂子45,黑裤子,乌脚杆子黄胶鞋46,要不是垂着的发,我是不大可能看出她是个女人的,尽管她一出现就离我很近。她的头与地面平行着47,脖子探出很长。是为了减轻48肩头的痛苦吧?她用一只手按着搭在肩头的背棍的下头,另一只手从颈后绕过去,把着背棍的上头49。阳光照着她的颈子上和头皮上亮晶晶的汗水。高粱叶子葱绿、新鲜。她一步步挪着,终于上了桥。桥的宽度跟她背上的草捆差不多,我退到白狗适才50停下记号的桥头石旁站定,看着它和她过桥。
我恍然51觉得白狗和她之间有一条看不见的线,白狗紧一步慢一步地颠着52,这条线也松松紧紧地牵着53。走到我面前时,它又瞥着我54,用那双遥远的狗眼,狗眼里那种模糊的暗示在一瞬间变得异常清晰55,它那两只黑爪子一下子撕破了我心头的迷雾56,让我马上想到她,她的低垂的头从我身边滑过去,短促的喘息声57和扑鼻的汗酸永留在我的感觉里。猛地把背上沉重的高粱叶子摔掉,她把身体缓缓舒展开。那一大捆叶子在她身后,差不多齐着她的胸乳。我看到叶子捆与她身体接触的地方,明显地凹进去,特别着力的部位58,是湿漉漉揉烂了的叶子59。我知道,她身体上揉烂了高粱叶子的那些部位,现在一定非常舒服;站在漾着60清凉水气的桥头上,让田野里的风吹拂着,她一定体会到了轻松和满足。轻松、满足,是构成幸福的要素61,对此,在逝去的岁月里,我是有体会的。
她挺直腰板后62,暂时地像失去了知觉。脸上的灰垢63显出了汗水的道道。生动的嘴巴张着,吐出一口口长长的气。鼻梁挺秀如一管葱,脸色黝黑,牙齿洁白。
故乡出漂亮女人,历代都有选进宫廷的。现在也有几个在京城里演电影的,这几个人我见过,也就是那么个样,比她强不了许多。如果她不是破了相,没准儿64早成了大演员。十几年前,她婷婷65如一枝花,双目皎皎66如星。
“暖。”我喊了一声。
她用左眼盯着我看,眼白上布满血丝,看起来很恶。
“暖,小姑。”我注解性地67又喊了一声。
我今年二十九,她小我两岁,分别十年,变化很大,要不是秋千架上的失误给她留下的残疾68,我不会敢认她。白狗也专注地打量着我,算一算,它竟有十二岁,应该是匹老狗了。我没想到它居然还活着,看起来还蛮健康69。那年端午节70,它只有篮球般大,父亲从县城里我舅爷家71把它抱来。十二年前,纯种白狗已近绝迹,连这种有小缺陷,大致还可以称为白狗的也很难求了。舅爷是以养狗谋利的人72,父亲把它抱回来,不会不依仗着老外甥对舅舅放无赖的招数73。在杂种花狗充斥74乡村的时候,父亲抱回来它,引起众人的称羡75,也有出三十块钱高价来买的,当然被婉言回绝了76。即便是那时的农村,在我们高密东北乡那种荒僻地方77,还是有不少乐趣,养狗当如是解。只要不逢大天灾,一般都能足食,所以狗类得以繁衍78。
NB
C’est la première fois
qu’apparaît sous la plume de
Mo Yan l’expression « 高密东北乡Gāomì
dōngběi xiāng »
(Gaomi, dans la campagne du nord-est) ; ce sera ensuite le cadre
de la plupart de ses romans et nouvelles : les cinq caractères
sont associés à son œuvre.
01
温驯
wēnxún
docile,
apprivoisé
02
绵延
miányán
s’étendre, se prolonger
03
痕迹
hénjì
trace
04
比例
bǐlì
proportion
05
循名求实
xúnmíng
qiúshí
mettre le nom en
conformité avec la réalité
06
挑毛病
tiǎo
máobìng
causer des problèmes, être ennuyeux
07
皆白
jiēbái
complètement blanc
08
颓败
tuíbài
en déclin, qui menace
ruine
09
捧
pěng
tenir, prendre à deux
mains / une poignée de …
10低洼
dīwā
(endroit) être dans
une cuvette, encaissé
11
燠热难挨
yùrè
nán’ái
d’une chaleur
difficile à supporter
12
浸透
jìntòu
tremper de
13
一丝不挂
yìsībúguà
nu comme un
ver
14
褐色
hésé
brun
15
用手绢揩
yòng
shǒujuàn kāi
essuyer avec un
mouchoir
16
偏西
piānxī
s’orienter, descendre
vers l’ouest (soleil)
17
高粱梢头
gāoliang
shāotóu
l’extrémité des tiges de sorgho
18飒飒作响
sàsà
zuòxiǎng
(feuilles) bruire, frémir, murmurer
19
耸起
sǒngqǐ
se dresser
20
浑浊
húnzhuó
trouble
21
神色
shénsè
expression
du regard 遥远荒凉
yáoyuǎn
huāngliáng
lointain et désolé
22
暗示
ànshì
suggérer, laisser
deviner, donner à entendre
23
一晃
yíhuàng
(temps) passer en un
éclair (晃huǎng
passer
très vite)
24
感慨系之
ɡǎnkǎi
xìzhī
soupirer profondément
不由
bùyóu
ne pouvoir s’empêcher
de
25
不以为然
bùyǐwéirán
d’un air
désapprobateur
26
割断
gēduàn
couper, trancher
丝缕sīlǚ
fil, fibre
27
仰望
yǎngwàng
lever le yeux vers
28
缩进
suōjìn
rentrer (舌头
shétou la
langue)
29
桥桩
qiáozhuānɡ
pile d’un
pont
30
撒尿
sāniào
uriner
31
挪下来
nuóxiàlái
descendre
32
耷拉
dāla
baisser, pencher (la
tête, ou ici
尾巴wěibɑ
la queue)
33
消闲
xiāoxián
avoir un
moment de libre / dégagé, insouciant
34
漠然
mòrán
indifférent
35
确凿
quèzuò
irréfutable,
incontestable
36
狗腥气/鱼腥气
gǒu
xīngqi/yú xīngqi
odeur de chien
mouillé/ de poisson, de fraîchin
37
穗子
suìzi
épi
38
板块相连
bǎnkuài
xiānglián
plaques reliées, liées entre elles
39
自然晓得
zìrán
xiǎode
comme tout le monde sait (naturellement, sans l’avoir appris)
40
上等饲料
shàngděng
sìliào
fourrage de qualité supérieure
41
蹒跚
pánshān
boitiller
42
钻进
zuānjìn
pénétrer dans
密不透风
mìbútòufēng
tellement dense que
le vent ne peut y pénétrer
滋味
zīwèi
senteur
43
接触
jiēchù
entrer en contact avec
44
驮
tuó
porter sur son dos
(normalement pour une mule, un cheval)
45
褂子
guàzi
blouse courte
46
胶鞋
jiāoxié
bottes en caoutchouc ou chaussures à semelles de caoutchouc
47
平行
píngxíng
être parallèle
48
减轻
jiǎnqīng
réduire,
alléger
49
背棍
běigùn
bâton sur lequel est
attaché le sorgho pour le porter dans le dos
50
适才
shìcái
juste maintenant
51
恍然
huǎngrán
comme sous
le coup d’une illumination subite
52
颠
diān
(ici dial.) partir,
s’en aller
53
牵
qiān
mener (un animal…)/
tirer NB jeu d’allitération sur颠/牵
54
瞥
piē
jeter un regard, un
coup d’œil à…
55
异常清晰
yìcháng
qīngxī
inhabituellement clair
56
撕破
sīpò
déchirer
迷雾
míwù
épais brouillard
57
短促
duǎncù
très bref
喘息
chuǎnxī
haleter
58
着力
zhuólì
exercer, déployer sa
force 部位
bùwèi
endroit
59
湿漉漉
shīlùlù
humide
揉烂
róulàn
être abîmé par le
frottement
60
漾
yàng
déborder, se répandre
61
要素
yàosù
élément clef
62
挺直腰板
tǐnɡzhí
yāobǎn se
redresser
63垢
gòu
saleté, crasse
64
没准儿
méizhǔnr
peut-être
65
婷婷
tíntíng
gracieux, souple
cœur
66
皎皎
jiǎojiǎo
clair et brillant
67
注解
zhùjiě
annoter, ajouter un
commentaire
小姑
xiǎogū
belle-sœur ou tante
paternelle – ici terme affectueux
68
残疾
cánjí
handicap, difformité
69
蛮
mán
ici : très
70
端午节
duānwǔjié
la fête des bateaux
dragons (5ème jour du 5ème mois lunaire,
anniversaire de la mort de Qu Yuan
屈原)
71
舅爷
jiùyé
grand-oncle (frère de
la grand-mère)
72
谋利
móulì
faire des profits,
gagner de l’argent
73
依仗
yīzhàng
compter sur,
escompter
外甥
wàishēng
neveu
无赖
wúlài
éhonté
招数zhāoshù
opération
stratégique
74
充斥
chōngchì
inonder (un marché)
75
称羡
chēngxiàn
admiration, envie
76
婉言
回绝
wǎnyán
huíjué
décliner poliment,
avec tact
77
荒僻
huāngpì
(endroit) désolé,
perdu, loin de tout
78
繁衍
fányǎn
se multiplier
Traduction I
Une race de grand
chien blanc, très docile, est originaire de la région de Gaomi,
mon village natal, dans la campagne du nord-est ; après quelques
générations, cependant, il est devenu difficile d’en trouver
un seul de pure race. Aujourd’hui, on ne trouve plus guère que
des bâtards ; même si l’on trouve un chien blanc par le plus
grand des hasards, il a toujours quelques poils mélangés, preuve
d’une ascendance douteuse. Simplement, la proportion de ces
poils par rapport à la totalité n’est pas grande, et, en outre,
ils sont dans des endroits où ils ne se remarquent pas. Alors on
continue à appeler ces chiens des « chiens blancs », sans faire
l’effort de rectifier le terme pour le faire coller à la
réalité.
C’est un de ces
« chiens blancs », totalement blanc à l’exception du bout des
pattes de devant, qui était noir, qui vint passer, la tête basse
et l’air triste, sur le pont de pierre complètement délabré qui
traverse la rivière de mon pays natal, juste au moment où
j’étais descendu m’asperger le visage d’eau claire, par les
marches de pierre qui mènent au niveau de l’eau depuis l’entrée
du pont. C’était la fin du septième mois du calendrier lunaire
et Gaomi, dans son site encaissé, était une fournaise
difficilement supportable. Au sortir du car qui m’avait amené du
chef lieu du district dans mon vieux village, j’étais trempé de
sueur et avais le visage et le cou couverts de poussière ocre.
Après m’être lavé le visage et le cou, j’eus envie de me
déshabiller complètement pour sauter dans l’eau, mais, en
suivant des yeux la route brune qui partait du pont et
continuait au milieu des champs, je vis quelqu’un bouger au
loin, et abandonnai donc cette idée ; me relevant, je pris un
mouchoir dans la collection que m’avait offerte la compagne avec
laquelle je vivais, et m’essuyai la figure et le cou. Il était
midi passé, le soleil baissait déjà légèrement vers l’ouest, et
il soufflait une brise de sud-est, douce et fraîche, qui donnait
une impression de bien-être et faisait légèrement osciller le
haut des tiges de sorgho, avec un faible bruissement, tout en
ébouriffant de plus en plus les poils du chien. Il s’approcha en
remuant la queue et je vis alors ses deux pattes noires.
Arrivé à l’entrée du
pont, ce chien blanc aux pattes noires s’arrêta pour se
retourner et regarder au loin la route de terre, puis tourna
vers moi deux yeux au regard trouble, morne et lointain, où se
lisait quelque chose de vague, comme une allusion qui fit naître
au fond de moi un sentiment indéfinissable.
Après mon départ du
village pour poursuivre mes études, mes parents aussi avaient
déménagé, pour aller vivre avec mon frère, dans une autre
province ; comme il ne me restait plus de proches parents sur
place, je n’y étais plus revenu, et dix années passèrent ainsi,
d’une traite ; ce n’est pas rien, mais
ce n’est pas tellement
long non plus. Juste avant l’été, mon père était venu me voir, à
l’école où
j’enseignais ; il me
parla du pays, sans pouvoir s’empêcher de soupirer profondément
en l’évoquant. Il voulait que j’aille y faire un tour, mais je
lui dis que j’avais beaucoup de travail, que je ne pouvais pas
partir, alors il avait hoché la tête d’un air désapprobateur.
Après son départ, je m’étais senti nerveux, alors finalement, je
m’étais décidé et j’étais revenu au village.
Le chien blanc
tournait la tête pour regarder au loin la route brune, puis
tournait vers moi ses yeux au regard trouble. A la vue de ses
deux pattes noires, stupéfait, j’étais sur le point de me
plonger dans
d’anciens souvenirs,
lorsque, soudain, il rentra sa langue écarlate et me lança deux
aboiements. Il leva ensuite une patte de derrière contre l’une
des piles de pierre du pont et urina, comme font tous les
chiens, après quoi il descendit tranquillement par le chemin que
je venais de prendre pour aller jusqu’au bord de l’eau, et vint
se planter à mes côtés, la queue basse rentrée entre les pattes
de derrière, et sortant la langue pour laper de l’eau.
Nuan arrivant pliant sous sa charge |
|
Il semblait
attendre quelqu’un, il m’avait tout l’air de celui qui
boit sans avoir soif, pour passer le temps. L’eau
renvoyait le
reflet d’une sorte
d’indifférence sur son visage, devant lequel passaient
sans cesse des poissons, remontant du fond de la
rivière. Ni le chien ni les poissons n’avaient peur de
moi ; je sentais l’odeur caractéristique de fraîchin de
l’un et des autres, et nourris un instant l’idée ignoble
d’envoyer d’un coup de pied le chien dans l’eau pour
qu’il attrape des poissons, … |
mais, à ce moment-là,
il releva la queue,
redressa la tête, me jeta un regard glacial, et remonta pas à
pas sur le pont. Les poils du cou tout hérissés, il courut d’un
air excité vers la route, dont on pouvait voir les deux côtés
entourés de vastes étendues d’épis de sorgho gris verts. Un tout
petit bout de ciel bleu, où flottaient quelques nuages d’un
blanc très pur, couvrait les plaques ajustées des champs. Je
revins à l’entrée du pont, mon sac de voyage en bandoulière,
dans l’intention de traverser le pont rapidement, car de là au
village il y avait encore six kilomètres. … Mais, juste à ce
moment-là, je vis le chien débouler au petit trot sur la route,
venant du champ de sorgho à côté et précédant quelqu’un qui
portait sur le dos une immense charge de feuilles de sorgho.
J’ai vécu près de
vingt ans dans le village ; tout le monde sait que les feuilles
de sorgho sont considérées comme du fourrage de qualité
supérieure pour les chevaux et le bétail… Voyant cette personne
au loin transporter en clopinant cet immense fardeau de
feuilles, je me sentis le cœur lourd. Je connaissais
parfaitement l’odeur spéciale du sorgho que l’on coupe en plein
été, dans ces champs si denses que le vent n’y pénètre pas, et
l’impression indicible de suffoquer, totalement trempé de
sueur ; mais le plus dur, dans tout cela, ce sont les poils très
fins sur les feuilles, qui se collent à la peau dégoulinante de
transpiration. Je poussai un léger soupir, pour moi-même. Peu à
peu, le personnage qui avançait courbé sous sa charge de
feuilles se distinguait de mieux en mieux. Blouse bleue,
pantalon noir, chaussures de toile de l’armée ; s’il n’y avait
eu les cheveux, longs, il aurait été bien difficile de dire que
c’était une femme. Et pourtant, elle était maintenant tout près.
Elle avançait la tête parallèle au sol, le cou très allongé.
Etait-ce pour rendre son fardeau moins pénible à porter ? [suit
la description de la femme s’aidant des deux mains à soutenir sa
charge, éclairée par le soleil, et avançant pas à pas] Enfin,
elle monta sur le pont, mais il était juste assez large pour
laisser passer la charge d’herbe. Je reculai donc jusqu’au chien
blanc qui s’était justement arrêté à l’entrée du pont, et la
suivis des yeux.
Il me semblait
confusément qu’il y avait comme un lien invisible entre
elle et le chien, un lien qui se tendait et se relâchait
suivant que le chien blanc pressait le pas ou
ralentissait. Lorsqu’il arriva devant moi, le chien me
lança à nouveau un bref regard, de ses yeux brumeux,
mais la vague allusion
qu’on pouvait
y lire se fit soudain d’une clarté limpide, les griffes
de ses deux pattes noires déchirant l’épais brouillard
qui me voilait
l’esprit, et
m’incitant à penser à elle, elle qui, tête baissée,
venait de me frôler en passant, |
|
Avec Lin Jinhe sur le pont |
me laissant, gravé au
fond du cœur, le halètement de son souffle court et l’odeur
forte de sa transpiration.
Déposant d’un brusque
mouvement le lourd fardeau de feuilles de sorgho, elle détendit
lentement son corps. Derrière elle, le tas de feuilles lui
arrivait pratiquement à la hauteur de la poitrine. A l’endroit
où il était en contact avec le corps, il y avait un creux, la
force du frottement ajouté à la sueur ayant abîmé les feuilles.
Je savais le plaisir qu’elle devait ressentir à soulager cette
pression, debout, là, au bout du pont, enveloppée de la
fraîcheur qui émanait de l’eau, et caressée par le vent qui
soufflait sur les champs ; elle devait sûrement se sentir
contente et détendue. Détente, contentement, la vie m’a appris
que ce sont les éléments clefs du bonheur.
Redressée, elle sembla
un instant avoir perdu conscience. Sur son visage, la sueur, en
coulant, avait dessiné des traînées grises. Ouvrant largement la
bouche, elle cracha plusieurs fois. Elle avait l’arête du nez
droite et fine comme un brin d’herbe, la peau très sombre et les
dents d’un blanc éclatant.
Les filles sont très
belles, à Gaomi ; autrefois, beaucoup sont entrées dans le
gynécée impérial. De nos jours, j’en ai vu quelques unes qui
sont devenues des actrices de cinéma, dans la capitale, et si je
les compare à elle, la différence n’est pas si grande que cela.
Si elle ne s’était pas abîmé le visage, elle aurait certainement
pu devenir une grande actrice. Il y a une dizaine d’années, elle
avait la grâce d’un rameau de fleur, et les yeux brillants comme
deux astres.
« Nuan », criai-je.
Elle darda sur moi un œil gauche injecté de sang, d’un air
mauvais. « Nuan, petite tante (1) » complétai-je en criant à
nouveau.
La balançoire |
|
J’avais vingt
neuf ans, elle deux de moins, mais, après dix ans de
séparation, elle avait tellement changé que, sans la
blessure laissée par l’accident de la balançoire, je ne
l’aurais pas reconnue. Le chien blanc lui aussi
m’observait
fixement ; si je comptais bien, il devait avoir douze
ans, c’était assurément un vieux chien. Je n’aurais
jamais pensé qu’il pût être encore vivant, mais il avait
l’air en pleine forme. Cette année-là, pour la fête des
bateaux-dragons (2), il n’était pas plus grand qu’un
ballon de basket, quand mon père |
l’avait rapporté du
chef lieu du district, de chez mon grand-oncle. Il y a douze
ans, les chiens blancs de pure race avaient déjà pratiquement
disparu, rares étaient même les chiens n’ayant qu’une infime
trace de croisement, dignes de s’appeler encore des ‘chiens
blancs’. Mon grand-oncle avait un élevage de chiens, et en
faisait commerce [suit la description de l’achat, l’oncle
refusant « avec tact » les trente yuans offerts]. A cette
époque-là, dans notre coin perdu de Gaomi, dans la campagne du
nord-est, iln’y avait pas beaucoup
de distractions, élever des chiens était une joie ; hormis les
années de catastrophes naturelles (2), il y avait de quoi les
nourrir, alors les chiens se multipliaient.
(1) Je laisse la
traduction littérale, bien qu’elle passe difficilement en
français, parce qu’elle a un sens dans le contexte (explications
dans la 2ème partie). C’est un exemple des
difficultés de traduction d’un texte de ce genre : on ne peut
pas escamoter le terme sans changer aussi les explications qui
en sont ensuite données.
(2) Voir vocabulaire
n. 70.
(3) Euphémisme pour
les années de famine consécutives au Grand Bond en avant,
allusion constante dans l’œuvre de Mo Yan.
二
我十九岁,暖十七岁那一年,白狗四个月的时候,一队队解放军,一辆辆军车,从北边过来,络绎不绝1过石桥。我们中学在桥头旁边扎起席棚2给解放军烧茶水,学生宣传队3在席棚边上敲锣打鼓4,唱歌跳舞。[桥很窄,第一辆大卡车悬着半边轮子,小心翼翼5开过去了。第二辆的后轮压断了一块桥石,翻到了河里,车上载的锅碗瓢盆砸碎了不少,满河里漂着油花子。一群战士跳下河,把司机从驾驶楼里6拖出来,水淋淋地抬到岸上。几个穿白大褂7的军人围上去。一个戴白手套的人,手举着耳机子,大声地喊叫。]我和暖是宣传队的骨干8,忘了歌唱鼓噪4,直着眼看热闹。后来,过来几个很大的首长,跟我们学校里的贫下中农9代表郭麻子大爷10握手,跟我们校革委会刘主任握手,戴好手套,又对着我们挥挥手,然后,一溜儿11站在那儿,看着队伍继续过河。郭麻子大爷让我吹笛,刘主任让暖唱歌。暖问:“唱什么?”刘主任说:“唱《看到你们格外亲》12。”于是,就吹就唱。[战士们一行行踏着桥过河,汽车一辆辆涉水过河。(小河里的水呀清悠悠13,庄稼盖满了沟)车头激起雪白的浪花14,车后留下黄色的浊流15。(解放军进山来,帮助咱们闹秋收)大卡车过完后,两辆小吉普车16也呆头呆脑17下了河。一辆飞速过河,溅起18五六米高的雪浪花;一辆一头钻进水里,嗡嗡怪叫着被淹死了19,从河水中冒出一股青烟。(拉起了家常话20,多少往事涌上心头)“糟糕!”一个首长说。另一个首长说:“他妈的笨蛋!让王猴子派人把车抬上去。”(吃的是一锅饭,点的是一灯油)很快的就有几十个解放军在河水中推那辆撒了气21的吉普车,解放军都是穿着军装下了河,河水仅仅没膝22,但他们都湿到胸口,湿后变深了颜色的军衣紧贴在身上,显出了肥的瘦的腿和臀。(你们是俺们23的亲骨肉,你们是俺们的贴心人24)那几个穿白大褂的人把那个水淋淋的司机抬上一辆涂着红十字的汽车。(党的恩情25说不尽,见到你们总觉得格外亲)首长们转过身来,看样子准备过桥去,我提着笛子,暖张着口,怔怔地26看着首长。]一个戴着黑边眼镜的首长对着我们点点头,说:“唱得不错,吹得也不错。”郭麻子大爷说:“首长们辛苦了。孩子们胡吹瞎咧咧27,别见笑。”他摸出一包烟,拆开,很恭敬地敬过去,首长们客气地谢绝了。一辆轱辘28很多的车停在河对岸,几个战士跳上去,扔下几盘粗大的钢丝绳和一些白色的木棒29。戴黑边眼镜的首长对身边一个年轻英俊30的军官说:“蔡队长31,你们宣传队送一些乐器呀之类的给他们。”队伍过了河,分散到各村去。师部32住在我们村。那些日子就像过年一样,全村人都激动。从我家厢房里33扯出了几十根电话线,伸展到四面八方34去。英俊的蔡队长带着一群吹拉弹唱35的文艺兵住在暖家。我天天去玩,和蔡队长混得很熟。蔡队长让暖唱歌给他听。他是个高大的青年,头发蓬松着36,眉毛高挑着。暖唱歌时,他低着头拼命抽烟,我看到他的耳朵轻轻地抖动着。他说暖条件不错,很不错,可惜缺乏名师指导。他说我也很有发展前途。他很喜欢我家那只黑爪子小白狗,父亲知道后,马上要送给他,他没要。队伍要开拔37那天,我爹和暖的爹一块来了,央求38蔡队长把我和暖带走。蔡队长说,回去跟首长汇报一下39,年底征兵时40就把我们征去。临别时,蔡队长送我一本《笛子演奏法》,送暖一本《怎样演唱革命歌曲》。
“小姑”41,我发窘地说42,“你不认识我了吗?”[我们村是杂姓庄子43,张王李杜,四面八方凑起来的44,各种辈分的排列45,有点乱七八糟。...]我称暖为小姑是从小惯成的叫法,并无一点血缘骨肉的情分在内。十几年前,当把“暖”与“小姑””含混着46乱叫一通时,是别有一番滋味在心头的。这一别十年,都老大不小,虽还是那样叫着,但已经无滋味了。
“小姑,难道你真的不认识我了吗?”说完这句话,我马上谴责了自己的迟钝47。她的脸上,早已是凄凉48的景色了。汗水依然浸洇着49,将一绺50干枯的头发粘到腮边。黝黑的脸上透出灰白来。左眼里有明亮的水光闪烁51。右边没有眼,没有泪,深深凹进去的眼眶里,栽着一排乱纷纷的黑睫毛52。我的心拳拳着,实在不忍看那凹陷53,便故意把目光散了,瞄着她委婉的眉毛54和在半天阳光下因汗湿而闪亮的头发。她左腮上的肌肉联动着眼眶的睫毛和眶上的眉毛,微微地抽搐着55,造成了一种凄凉古怪的表情。别人看见她不会动心,我看见她无法不动心……十几年前的那个晚上,我跑到你家对你说:“小姑,打秋千的人都散了,走,我们去打个痛快。”你说:“我打盹呢。56”我说:“别拿一把啦!寒食节57过了八天啦,队里明天就要拆秋千架用木头。今早晨把势对队长嘟哝58,嫌59把大车绳当秋千绳用,都快磨断了。”你打了一个呵欠,说:‘那就去吧。“白狗长成一个半大狗了,细筋细骨,比小时候难看。它跟在我们身后,月亮照着它的毛,它的毛闪烁银光,秋千架竖在场院边上,[...]默立60在月光下,阴森森,像个鬼门关61。架后不远是场院沟,沟里生着绵亘不断的刺槐树丛62,尖尖又坚硬的刺针上,挑着青灰色的月亮。
“我坐着,你荡我。“你说。
“我把你荡到天上去。”
“带上白狗。”“你别想花花点子了。63”你把白狗叫过来,你说:“白狗,让你也恣悠恣悠。64”
你一只手扶住绳子,一只手揽住65白狗,它委屈地嘤嘤着66。我站在踏板上,用双腿夹住67你和狗,一下一下用力,秋千渐渐有了惯性68。我们渐渐升高,月光动荡如水69,耳边习习生风,我有点儿头晕70。你格格地笑着71,白狗呜呜地叫着72..。我眼前交替73出现田野和河流,房屋和坟丘74,凉风拂面来,凉风拂面去。我低头看着你的眼睛,问:“小姑,好不好?”你说:“好,上了天啦。”绳子断了。我落在秋千架下,你和白狗飞到刺槐丛中去,一根槐针扎进了你的右眼。白狗从树丛中钻出来,在秋千架下醉酒般地转着圈,秋千把它晃晕了……“这些年…过得还不错吧?”我嗫嚅着75。
01络绎不绝
luòyì
bùjué
se suivre sans
discontinuer
02
扎起
zāqǐ
nouer, lier
席棚xípéng
abri,
cabane de nattes
03
宣传队
xuānchuánduì
équipe de propagande
04
敲锣打鼓
qiāoluó
dǎgǔ
battre des gongs et des tambours =
鼓噪
gǔzào
05小心翼翼
xiǎoxīn
yìyì
très prudemment, avec infiniment de précautions
06
驾驶楼
jiàshǐ lóu
cabine du
conducteur
07
白大褂
báidàguà
blouse
blanche (de personnel médical)
08
骨干
gǔgàn
cheville ouvrière,
élément principal
09
贫下中农
pínxiàzhōnɡnónɡ
paysans
pauvres et moyens-pauvres
10
郭麻子大爷Guō
Mázi dàyè le père Guo Mazi (麻子mázi
surnom
courant qui suggère un visage grêlé, marqué par la petite
vérole)
11
一溜儿
yíliùr
ici (dial.) : un
instant
12
《看到你们格外亲》kàndào
nǐmén géwài qīn :
nous vous considérons comme particulièrement proches, comme nos
parents - Chanson révolutionnaire à la gloire de l’armée de
libération :
http://v.youku.com/v_show/id_XMTI0NjAyNTI4.html
Dans les lignes qui
suivent, les passages entre parenthèses sont les paroles de la
chanson.
13
清悠悠
qīngyōuyōu
(eau) claire et
tranquille, qui coule sans se presser
14
激起浪花
jīqǐ
lànghuā
soulever de l’écume,
des gerbes d’embruns
15
浊流
zhuóliú
courant, flot boueux
16
吉普车
jípǔchē
jeep
17
呆头呆脑
dāitóudāinǎo
l’air idiot
18
溅起
jiànqǐ
jaillir, éclabousser
19
淹死
yānsǐ
se noyer/être noyé
20
家常
jiācháng
les affaires
courantes, de la vie de tous les jours
21
撒气
sāqì
avoir un pneu crevé
22
没膝
mòxī
jusqu’aux genoux
23
俺
àn
(dial.) je, moi
24
贴心
人
tiēxīnrén
intime, âme sœur
25
恩情
ēnqíng
grande bonté,
bienveillance
26
怔怔
地
zhèngzhèngde
le regard fixe
27
胡吹
húchuī
se vanter
瞎咧咧xiā
liěliě
dire n’importe quoi
28
轱辘
gūlu
(pop) roue
29
木棒
mùbàng
barre de bois
30
英俊
yīngjùn
talentueux,
brillant/ beau, qui a de l’allure
31蔡队长
Cài
duìzhǎng
le capitaine
Cai
32
师部
shībù
quartier
général de division
33
厢房
xiāngfáng aile (d’un bâtiment -
pièces latérales d’une cour d’habitation)
34
四面八方
sìmiànbāfānɡ
de
tous côtés, dans toutes les directions
35
吹拉弹唱
chuī
lā tán chàng
représente
trois sortes de musiciens (jouant des instrument à vent,
à cordes frottées et pincées) plus les chanteurs
36
蓬松
péngsōng
échevelé,
ébouriffé
37
开拔
kāibá
se mettre en
route, partir (troupes, expédition, etc…) |
|
aile |
38
央求
yāngqiú
implorer, supplier
39
汇报
huìbào
faire un rapport
40
征兵
zhēngbīng
recruter, lever des troupes
41小姑
xiǎogū
soit belle sœur (jeune
sœur du mari), soit tante paternelle
42
发窘
地
fājiǒngde
avec un
certain embarras
43
杂姓庄子
záxìng
zhuāngzi
hameau comprenant des
familles aux patronymes divers :
张
Zhāng,王
Wáng,李
Lǐ,et杜
Dù
44
凑起来
còuqǐlái
rassembler, réunir
45
辈分的排列
bèifènde páiliè
ordre d’ancienneté,
ordre hiérarchique
46
含混
hánhùn
ambigu, difficile à
comprendre
47
谴责
qiǎnzé
condamner
迟钝
chídùn
lent, obtus
48
凄凉
qīliáng
désolé, morne
49
浸洇
jìnyīn
être imprégné, saturé
de (sueur, …)
50
一绺(头发)
yíliǔ
(tóufa)
une mèche (de cheveux)
51
闪烁
shǎnshuò
scintiller
52
睫毛
jiémáo
cils
53
凹陷
āoxiàn
creux, vide
54
瞄
miáo
fixer (son regard sur)
委婉
wéiwǎn
plein de
tact
55
抽搐
chōuchù
se crisper, avoir un
tic
56
打盹
dǎdǔn
(pop) faire un somme,
sommeiller
57
寒食节
Hánshíjié
la fête des
repas froids, fêtée pendant trois jours à partir de la veille de
Qingming : selon une légende, pendant la période des Royaumes
combattants, le prince de Jin, en fuite, dut sa survie à son
fidèle serviteur Jiè Zǐtuī (介子推)
qui se trancha
un morceau de cuisse pour le nourrir. Après avoir accédé enfin
au trône et être devenu le duc Wen de Jin (晋文公),
le prince oublia son serviteur pendant longtemps ; lorsqu’il le
fit finalement rechercher pour l’honorer, Jie Zitui s’était
réfugié dans la montagne pour éviter les hypocrisies de la cour.
Alors le duc ordonna de mettre le feu à la montagne pour l’en
faire sortir, mais Jie Zitui préféra mourir dans les flammes.
Pris de remords, le duc ordonna alors de ne pas allumer de feu
pendant trois jours…
58
把势
bǎshi
ouvrier
qualifié
嘟哝
dūnong
marmonner, murmurer
59
嫌
xián
avoir des soupçons
60默立
mòlì
se tenir, rester
silencieux
61
鬼门关
guǐménguān
entrée, porte de
l’enfer
62
绵亘不断
miángènbúduàn
une chaîne ininterrompue
刺槐树丛
cìhuái
shùcóng
des bosquets d’acacias
63
想花花点子
xiǎng
huāhuādǎnzi
avoir diverses idées
fantastiques
64
恣悠
zìyōu
se balancer librement,
à loisir
65
扶住
fúzhù
agripper, tenir
fermement
揽住
lǎnzhù
serrer dans ses bras
66
委屈
wěiqu
être victime d’un
mauvais traitement (injuste) 嘤嘤yīngyīng
gémir
67
夹住
jiàzhù
(s’) insérer entre
68
惯性
guànxìng
inertie
69
动荡
dòngdàng
être instable, agité,
mouvementé
70
头晕
tóuyūn
avoir la tête qui
tourne
71
格格地笑
ɡéɡéde
xiào (=咯咯)
glousser, ricaner
72
呜呜地叫
wūwūde jiào
hurler (chien)
73
交替
jiāotì
alterner / tour à tour
74
坟丘
fénqiū
tertre funéraire
75
嗫嚅
nièrú
parler, dire avec
hésitation
Traduction II
Cette année-là, alors
je n’avais encore que dix-neuf ans, elle dix-sept, et le chien
blanc quatre mois, déferlèrent du nord régiment sur régiment de
l’Armée de Libération, dans un interminable défilé de véhicules
militaires qui tous, les uns après les autres, franchirent le
pont de pierre. Nous, les lycéens, avions assemblé quelques
nattes à côté pour faire une cabane où servir du thé aux
soldats, la troupe de propagande de l’école animant la scène
avec force gongs, tambours, chants et danses.
[Suit la description
des problèmes causés par l’exiguïté du pont, à peine assez large
pour le convoi : l’un des camions tombe dans la rivière, d’où
une immense pagaille]
Nuan et moi, qui
étions le fer de lance de la troupe de propagande, absorbés par
la contemplation du désordre ambiant, en avons oublié de chanter
et de battre du tambour. Alors arrivèrent quelques haut gradés
qui, dûment gantés, serrèrent la main du père Guo Mazi, le
représentant des paysans moyens et pauvres de notre école,
serrèrent la main du chef Liu, le responsable du comité
révolutionnaire de
l’école, nous
adressèrent, à nous, quelques signes de la main, et restèrent
plantés là un moment à regarder les troupes passer. Alors le
père Guo Mazi me dit de jouer de la flûte, et le chef Liu dit à
Nuan de chanter. Elle lui demanda ce qu’elle devait chanter. Il
répondit : « Chante ‘Vous êtes pour nous des parents très chers
’ » (1). Et nous nous mîmes chacun à jouer et à chanter.
[suit la description
du passage de l’armée, accompagnée des paroles de la chanson qui
forment un parfait écho à la narration et la soulignent d’un
effet quelque peu ironique, la chanson étant le reflet idéalisé
de la situation chaotique réelle ]
L’un des haut gradés,
un qui portait des lunettes à montures noires, nous fit un signe
appréciatif de la tête : « Tu ne chantes pas mal, dit-il, et
toi, tu ne joues pas mal non plus ». Le père Guo Mazi
intervint en disant : « Commandants, vous avez vécu des moments
très durs. Ne vous moquez pas de ces enfants, ils jouent et
chantent n’importe comment ». Puis ils sortit un paquet de
cigarettes et
l’ouvrit pour en
offrir respectueusement aux officiers, mais ceux-ci refusèrent
poliment. … Le commandant aux lunettes à montures noires dit à
un jeune et fringant officier à ses côtés : « Capitaine Cai,
dites à votre troupe de propagande de leur donner quelques
instruments de musique. » Lorsque le régiment eut franchi le
pont, les soldats furent répartis dans différents villages, le
quartier général étant établi dans le nôtre. Nous vécûmes dès
lors dans une constante excitation, comme si chaque jour était
le Nouvel An. A la maison, les soldats tirèrent d’une pièce
latérale une dizaine de fils de téléphone qu’ils firent partir
dans toutes les directions. Le fringant capitaine Cai, à la
tête de sa troupe de musiciens et de chanteurs, fut logé chez
Nuan.
J’y allais tous les
jours, et finit par bien le connaître. Il faisait chanter Nuan
pour l’écouter. Grand, jeune, il avait les cheveux en bataille
et les sourcils hauts et fins. Quand il écoutait Nuan chanter,
tête baissée, il fumait cigarette sur cigarette, et je voyais
ses oreilles frémir légèrement. Il disait que Nuan était
vraiment douée, et que c’était dommage qu’elle n’ait pas un bon
professeur pour la guider. Il ajoutait que j’avais moi aussi des
capacités prometteuses. Il aimait beaucoup notre chien blanc aux
pattes noires, et, lorsque mon père l’apprit, il voulut aussitôt
lui en faire cadeau, mais il refusa. Le jour où le régiment
repartit, mon père et le père de Nuan vinrent implorer le
capitaine Cai de nous emmener avec lui ; il répondit qu’il
repartait faire son rapport au commandement, mais que, à la fin
de l’année, au moment du recrutement, il reviendrait nous
chercher. Peu avant son départ, il m’offrit un manuel de flûte,
et fit cadeau à Nuan d’une brochure expliquant comment chanter
les chants révolutionnaires.
« Petite tante »
dis-je d’un air embarrassé, « tu ne me reconnais pas ? » [Mo
Yan introduit ici un aparté sur la complexité des liens
familiaux, et hiérarchiques, dans le village, où coexistent
quatre patronymes différents - voir vocabulaire 43]. Je
l’appelais ainsi par habitude, sans qu’il y ait véritablement
aucun lien de sang entre nous. Dix ans auparavant, quand j’avais
commencé à l’appeler indifféremment Nuan ou de ce terme ambigu
de petite tante, cela n’avait aucune connotation affective
particulière. Et maintenant, dix ans plus tard, cela n’avait
plus aucun sens.
« Petite tante, est-il
possible que tu ne me reconnaisses pas ? » lui dis-je, mais
regrettai l’instant
d’après d’avoir été
aussi insistant. Elle avait une expression morne sur le visage,
toujours inondé d’une sueur abondante qui lui collait les
cheveux sur les tempes. Malgré sa peau sombre, je la vis blêmir.
Son œil gauche embué se mit à scintiller, tandis qu’à droite,
elle n’avait ni œil ni larmes, juste une orbite creuse, et
profonde, cernée d’une rangée irrégulière de cils noirs. Je
sentis mon cœur se contracter ; la vue de cette orbite vide
m’était insupportable, et me fit détourner les yeux, pour les
porter sur ses sourcils et ses cheveux qui, trempés de sueur,
brillaient sous le soleil de la mi-journée. La partie gauche de
son visage se crispa imperceptiblement, induisant un léger
mouvement des cils autour de l’orbite vide et des sourcils
au-dessus, et donnant une impression bizarre, infiniment triste.
D’autres, en la voyant ainsi, auraient pu rester indifférent,
mais moi, il m’était impossible de ne pas en être ému…..
Ce soir-là, dix ans
auparavant, j’avais couru chez toi et t’avais dit : « Les gens
qui faisaient de la balançoire sont partis, allons-y, on va
s’amuser un peu. » Tu avais dit : « J’ai envie de dormir. » Mais
j’avais répondu : « Ne
vas pas te coucher. La fête des ‘repas froids’ (2) est finie
depuis huit jours, alors demain, la brigade (3) va démonter la
balançoire pour utiliser le bois. Ce matin, des ouvriers
qualifiés ont marmonné que la corde de fortune utilisée ne
supporterait pas longtemps le frottement et allait se casser. »
Tu m’avais alors répliqué avec un bâillement : « D’accord,
allons-y. » Le chien blanc, qui était resté assez petit, bien
moins joli que quand il était chiot, nous emboîta le pas, son
poil brillant prenant des reflets argentés à la lueur de la
lune. La balançoire, installée au bord de l’aire de battage, se
dressait, silencieuse et sombre sous la lune, comme la porte des
enfers. Derrière elle, non loin de là, il y avait un fossé où
poussaient en rangs serrés des bouquets de robiniers dont les
épines, dures et acérées, se détachaient dans la lumière
grisâtre de la lune.
(4)
« Je m’assois et tu me
pousses, » m’as-tu dit. « Je vais te pousser jusqu’au ciel. » -
« Je vais prendre le chien blanc avec moi. » - « C’est bien une
de tes idées stupides. » Mais tu as appelé le chien : « « Eh,
chien blanc, viens te balancer toi aussi. » D’une main, tu as
agrippé la corde, de l’autre tu as serré contre toi le chien
qui, inconfortable, se mit à gémir. Je suis monté debout sur la
balançoire, en glissant mes pieds des deux côtés de vous deux,
le chien et toi, et j’ai mis toutes mes forces à vaincre
l’inertie de la balançoire. Comme nous montions de plus en plus
haut, dans la lumière de la lune devenue aussi mouvante que de
l’eau, le sifflement du vent dans les oreilles, j’avais un peu
la tête qui tournait. Toi tu riais, le chien hurlait… Devant moi
apparaissait tour à tour l’immensité des champs et le cours de
la rivière, alternaient les maisons et les tombes, et la
fraîcheur de la brise me caressait au passage. Je baissai la
tête vers toi et te demandai : « Ça va, petite tante ? » Et tu
me répondis : « Ça va, on s’est envolés jusqu’au ciel. » Alors
la corde a cassé. Je suis tombé sous la balançoire, vous deux,
le chien et toi, avez volé jusqu’au milieu des robiniers, et une
épine t’est rentrée dans l’œil droit. Le chien a émergé des
arbres encore tout étourdi par la balançoire, comme s’il avait
bu. ….
« Pendant tout ce
temps… ça ne s’est pas trop mal passé ? » dis-je en bafouillant.
(1) Voir vocabulaire
n. 12.
(2) Voir explications
vocabulaire n. 57
(3) Unité de
production du système collectivisé dans les campagnes chinoises.
Elle était responsable de tous les aspects de la vie
quotidienne.
(4) Il y trois
répétitions du mot ‘lune’, alternant
月亮/月光/月亮,
avec une connotation morbide et menaçante dans les deux derniers
cas. Le décor
du drame est
planté.
三
我看到她耸起的双肩塌了下来1,脸上紧张的肌肉也一下子松弛了2。也许是因为生理补偿3或是因为努力劳作而变得极大的左眼里,突然射出了冷冰冰的光线,刺得我浑身不自在。
“怎么会错呢?有饭吃,有衣穿,有男人,有孩子,除了缺一只眼,什么都不缺,这不就是‘不错’吗?”她很泼地4说着。
我一时语塞了5,想了半天,竟说:“我留在母校任教了,据说,就要提我为讲师了……我很想家,不但想家乡的人,还想家乡的小河、石桥、田野、田野里的红高粱、清闲的空气6、婉转的鸟啼7……趁着放暑假8,我就回来啦。”“有什么好想的,这破地方。想这破桥?高粱地里像他妈×的蒸笼一样9,快把人蒸熟了。”她说着,沿着漫坡走下桥,站着把那件泛着白碱花10的男式蓝制服褂子脱下来,扔在身边石头上,弯下腰去洗脸洗脖子。[她上身只穿一件肥大的圆领汗衫,衫上已烂出密密麻麻11的小洞。它曾经是白色的,现在是灰色的。汗衫扎进裤腰里,一根打着卷的白绷带12束着她的裤子,她再也不看我,撩着13水洗脸洗胳膊。最后,她旁若无人地14把汗衫下摆从裤腰里拽出来15,撩起来,掬水13洗胸膛16。汗衫很快就湿了,紧贴在肥大下垂的乳房上。看着那两个物件17,我很淡地想,这个那个的,也不过是那么回事18。正像乡下孩子们唱的:没结婚是金奶子,结了婚是银奶子,生了孩子是狗奶子16。]我于是问:
“几个孩子了?”
“三个。”她拢拢头发19,扯着汗衫抖了抖,又重新塞进裤腰里去。
“不是说只准生一胎吗?20”
“我也没生二胎。”见我不解,她又冷冷地解释,“一胎生了三个,吐噜吐噜21,像下狗一样。”我缺乏诚实地22笑着。她拎起23蓝上衣,在膝盖上抽打几下24穿到身上去,从下往上扣着纽扣。趴在草捆旁边的白狗也站起来,抖擞着毛25,伸着懒腰。
我说:“你可真能干。”“不能干有什么法子?该遭多少罪26都是一定的,想躲也躲不开27。”
“男孩儿女孩儿都有吧?”“全是公的。”“你可真是好福气,多子多福。” “豆腐!”
“这还是那条狗吧?”“活不了几天啦。”“一晃儿就是十几年。”“再一晃儿就该死啦。”“可不,”我渐渐有些烦恼起来,对坐在草捆旁边的白狗说,“这条老狗,还挺能活!”“噢,兴你们活就不兴我们活?吃米的要活,吃糠的也要活;高级的要活,低级的也要活。””“你怎么成了这样?”我说,“谁是高级?谁是低级?”
“你不就挺高级的吗?大学讲师!”
我面红耳热,讷讷无言28,一时觉得难以忍受这窝囊气29,搜寻着刻薄词儿想反讥30,又一想,罢了。我提起旅行袋,干瘪地31笑着,说:“我可能住到我八叔家,你有空儿就来吧。”“我嫁到了王家丘子32,你知道吗?”“你不说我不知道。”
“知道不知道的,没有大景色了。”她平平地说,“要是不嫌你小姑人模狗样的,就抽空儿来耍吧,进村打听‘个眼暖’家,没有不知道的。”
“小姑,真想不到成了这样……”“这就是命,人的命,天管定,胡思乱想不中用。33”她款款地34从桥下上来,站在草捆前说,“行行好吧,帮我把草掀到35肩上。”我心里立刻热得不行,勇敢地说:“我帮你背回去吧!”“不敢用!”说着,她在草捆前跪下,把背棍放在肩头,说,“起吧。”
我转到她背后,抓住捆绳,用力上提,借着这股劲儿,她站了起来。
她的身体又弯曲起来,为了背着舒适一点儿,她用力地颠了几下背上的草捆,高粱叶子沙沙啦啦地响着。从很低的地方传上来她瓮声瓮气的话:“来耍吧。”
白狗对我吠叫几声,跑到前边去了。我久久地立在桥头上,看着这一大捆高粱叶子在缓慢地往北移动,一直到白狗变成了白点儿,人和草捆变成了比白点儿大的黑点儿,我才转身往南走。
01
塌下来
tāxiàlái
s’affaisser
02
松弛
sōngchí
relâcher, détendre
03
生理补偿
shēnglǐ bùcháng
compensation physique
04
泼地
pōde
d’un ton hargneux,
agressif
05
语塞
yǔsè
être incapable de
prononcer un mot
06
清闲的空气qīngxiánde
kōngqì
atmosphère détendue
07
婉转的鸟啼wǎnzhuǎnde
niǎotí le
chant mélodieux des oiseaux
08
趁着
chènzhe
profiter de (d’une
occasion)
09
蒸笼
zhēnglóng
étuve pour cuisson à
la vapeur
10
碱
jiǎn
alcali (utilisé pour
fabriquer des savons)
泛
fàn
flotter/se diffuser
11
密密麻麻
mìmìmámá
dense, serré,
rapproché
12
绷带
bēngdài
bandage
13
撩
liāo
s’asperger (en prenant
de l’eau entre les mains :
掬jū)
14
旁若无人
pángruòwúrén
comme s’il
n’y avait personne alentour : sans se soucier des autres
15
拽
zhuài
tirer
16
胸膛
xiōngtáng
poitrine
奶子nǎizi
seins
17
物件
wùjiàn
objet, chose
18
不过是
búguòshì
juste,
seulement
那么回事
nàme huíshì
c’est comme cela
19
拢头发
lǒng tóufa
se peigner
20
胎
tāi
fœtus / grossesse
21
吐噜吐噜
tǔlū
tǔlū
(onomatopée)
22
缺乏诚实
quēfá
chéngshí
qui manque
d’honnêteté, de sincérité
23
拎起
līnqǐ
ramasser
(拎līn
porter, à
la main)
24
抽打
chōudǎ
fouetter, cingler
25
抖擞
dǒusǒu
stimuler / ici : se
secouer
26
遭罪
zāozuì
souffrir
27
躲开
duǒkāi
éviter
28
讷讷无言
nènèwúyán
rester coi, sans
voix (讷nè
être lent,
en particulier pour parler)
29
窝囊气
wōnangqì
amertume,
ressentiment, sentiment profond né d’une injustice
30
刻薄
kèbó
acerbe, sarcastique
反讥fǎnjī
répliquer
31
干瘪
gānbiě
ratatiné, desséché /
morne
32
王家丘子
wángjiāqiūzì
lieu dit (le tertre de
la famille Wang)
32
胡思乱想
húsīluànxiǎng
laisser libre
cours à son imagination
不中用
bù zhōngyòng
inutile
34
款款
kuǎnkuǎn
ici : lentement,
tranquillement
35
掀
xiān
soulever
Traduction III
Je vis ses épaules
s’affaisser et son visage jusque là tendu se relâcher. Par un
effet de compensation, ou par suite d’un effort voulu, son œil
gauche, soudain, me lança un regard glacial, qui me rendit
extrêmement mal à l’aise.
« Comment cela
aurait-il pu ne pas aller ? Il y a de quoi manger, de quoi se
vêtir, j’ai un mari, des enfants. A part un œil, il ne me manque
de rien. On peut dire que « ça va bien », non ? » dit-elle d’un
air agressif.
Cela me laissa sans
voix, il me fallut un moment pour trouver quelque chose à dire :
« J’enseigne maintenant dans mon ancienne université, il paraît
qu’on va me proposer un poste de conférencier. … mais je pense
souvent au village, non seulement aux gens, mais aussi à la
rivière, au pont, aux champs, et au sorgho dans les champs, au
calme qui règne là, et au chant mélodieux des oiseaux.… alors,
profitant des vacances d’été, je suis revenu. » - « Comment
peux-tu trouver agréable de te remémorer tout cela, cet endroit
pourri, ce pont délabré ? Les champs de sorgho, quand on est
dedans, sont une foutue fournaise, on y cuirait. » En disant
cela, elle descendit la pente qui menait en bas du pont ;
arrivée là, elle enleva la blouse bleue parsemée de tâches
blanches d’alcali qui semblait
un haut d’uniforme d’homme, la
jeta sur une pierre, et se baissa pour se laver le visage et le
cou.
[cette scène du bain
dans la rivière est parallèle à celle de la première partie,
mais ici contée sur un mode dérisoire, soulignant les vêtements
pleins de trous, une certaine impudeur ainsi que la déchéance
physique de la femme].
Je lui demandai
alors : « Tu as des enfants ? » - « Trois » dit-elle en se
repeignant : puis, tirant son
t-shirt en frémissant,
elle l’enfonça à nouveau dans son pantalon. « Mais, tu ne
m’avais pas dit que tu n’avais fait qu’une grossesse ? »
« Exactement »,
dit-elle, puis, voyant que je ne comprenais pas, elle expliqua
froidement : « en une seule fois, hop hop hop, j’ai eu une
portée de trois, comme une chienne. » J’ai eu un rire mi figue
mi raisin. Elle ramassa sa blouse, la tapa deux ou trois fois
sur son genou avant de la remettre, puis la reboutonna en
partant du bas. Le chien blanc, qui s’était couché près du tas
de feuilles, se releva à son tour, en remuant la queue et en
s’étirant.
« Tu es vraiment
courageuse. » lui dis-je. « Il faut bien, répondit-elle, il n’y
a pas le choix. De toute façon, on ne peut pas éviter de
souffrir, ça ne sert à rien d’essayer. »
« Et les enfants,
garçons et filles ? » - « Ce sont tous les trois des garçons. »
- « Tu as de la chance, comme on dit, autant de garçons autant
de bonheur. » - « Foutaise ! »
« Et le chien est
toujours là ? » - « Oui, mais il n’en a plus pour longtemps. » -
« Ces dix années et quelques sont passées comme un éclair. » -
« Encore un éclair et c’est nous qui allons y passer. » Elle me
fatiguait un peu, je me tournai vers le chien blanc qui s’était
assis à côté du tas de feuilles : « ce brave chien, encore bien
vivant, hein ? » - « eh alors, si vous vivez, vous, pourquoi
est-ce qu’on ne vivrait pas, nous aussi ? Tout le monde a le
droit de vivre, ceux qui mangent du pain noir comme ceux qui
mangent du pain blanc, le gratin comme les prolos. » - « Comment
es-tu devenue comme ça ? Ça veut dire quoi le gratin, ça veut
dire quoi les prolos ? » - « Tu n’es pas du gratin, peut-être ?
Conférencier, à l’université ! »
Je me sentis rougir
jusqu’aux oreilles, et restai sans voix. Sur le moment, j’eus du
mal à supporter cette acrimonie, et fus à deux doigts de lui
lancer une réplique acerbe, mais je me tus. Je repris mon sac,
et lui dis avec un pauvre sourire : « Je serai chez mon oncle,
si tu as un peu de temps, tu peux venir me voir. » - « Tu savais
que, depuis mon mariage, j’habite à Wangjiaqiuzi (1) ? » - « Tu
ne me l’avais pas dit, je ne pouvais pas savoir. » - « De toute
façon, ça n’a pas grande importance, dit-elle d’un ton adouci,
si tu n’es pas trop rebuté par la tête que j’ai maintenant,
quand tu as une minute, tu n’as qu’à venir me voir, tu demandes
« Nuan la borgne », tout le monde me connaît. »
« Petite sœur,
vraiment, je n’avais aucune idée de ce que tu étais devenue. » -
« C’est le destin, chacun a le sien, c’est le ciel qui décide,
ce n’est pas la peine d’essayer d’y comprendre quelque chose, »
dit-elle en remontant lentement vers le pont.
[elle demande alors au
narrateur de l’aider à remettre sa charge de feuilles sur les
épaules, puis ils partent, chacun de son côté]
(1) Lieu dit « le
tertre de la famille Wang », l’un des quatre patronymes (clans)
locaux mentionnés plus haut.
四
从桥头到王家丘子七里路。 从桥头到我们村十二里路。
从我们村到王家丘子十九里路,八叔让我骑车去。我说算了吧,十几里路走着去就行。八叔说:现在富了,自行车家家有,不是前几年啦,全村只有一辆半辆车子,要借也不容易,稀罕1物儿谁不愿借呢。我说我知道富了,看到了自行车满街筒子乱蹿2,但我不想骑车,当了几年知识分子,当出几套痔疮3,还是走路好。八叔说:念书可见也不是件太好的事,七病八灾不说,人还疯疯癫癫的4。你说你去她家干什么子,瞎的瞎,哑的哑,也不怕村里人笑话你。鱼找鱼,虾找虾,不要低了自己的身份啊!我说八叔我不和您争执5,..心里有数6。八叔悻悻地7忙自己的事去了,不来管我。
我很希望能在桥头上再碰到她和白狗,如果再有那么一大捆高粱叶子,我豁出命去8也要帮她背回家;白狗和她,都会成为可能的向导9,把我引导到她家里去。城里都到了人人关注时装、个个追赶时髦的时代了10;故乡的人,却对我的牛仔裤投过鄙夷11的目光,弄得我很狼狈12。于是解释:处理货13,三块六毛钱一条——其实我花了二十五块钱。既然便宜,村里的人们也就原谅了我14。王家丘子的村民们是不知道我的裤子便宜的,碰不到她和狗,只好进村再问路,难免招人注意。如此想着,就更加希望碰到她,或者白狗。但毕竟落了空15。一过石桥,看到太阳很红地从高粱棵里冒出来,河里躺着一根粗大的红光柱16,鲜艳地17染遍了河水。太阳红得有些古怪,周围似乎还环绕着一些黑气,大概是要落雨了吧。
我撑着折叠伞18,在一阵倾斜的疏雨中19进了村。一个仄楞着20肩膀的老女人正在横穿街道,风翻动着长大的衣襟21,风使她摇摇摆摆。我收起伞22,提着,迎上去问路。“大娘,暖家在哪儿住?”她斜斜地站定,困惑地转动着昏暗的眼23。风通过花白的头发,翻动的衣襟,[...]。“暖家在哪住?”我又问。“哪个暖家?”她问。我只好说“个眼暖家”。老女人阴沉地瞥我一眼,抬起胳膊,指着街道旁边一排蓝瓦房。
站在甬道上24我大声喊:“暖姑在家吗?”最先应了我的喊叫的,是那条黑爪子老白狗。
[...]。
我又喊,暖在屋里很脆地答应了一声,出来迎接我的却是一个满腮黄胡子两只黄眼珠的剽悍男子25。他用土黄色的眼珠子恶狠狠地打量着我,在我那条牛仔裤上停住目光,嘴巴歪歪地撇起26,脸上显出疯狂的表情。他向前跨一步——我慌忙退一步——翘起右手的小拇指头27,在我眼前急遽地28晃动着,口里发出一大串断断续续的音节29。我虽然从八叔的口里知道了暖姑的丈夫是个哑巴,但见了真人狂状,心里仍然立刻沉甸甸的30。独眼嫁哑巴,弯刀对着瓢切菜,按说也并不委屈着哪一个,可我心是仍然立刻就沉甸甸的。暖姑,那时我们想得美。蔡队长走了,把很大的希望留给我们。他走那天,你直视着他,流出的泪水都是给他的。蔡队长脸色灰白,从衣袋里摸出一把牛角小梳子递给你。我也哭了,我说:“蔡队长,我们等你来招我们。”蔡队长说:“等着吧。”等到高粱通红了的深秋,听说县城里有招兵的解放军,咱俩兴奋得觉都睡不稳了。学校里有老师进县城办事,我们托他去人武部打听一下,看看蔡队长来没来。老师去了。老师回来了。老师对我们说:今年来招兵的解放军一律黄褂蓝裤,空军地勤兵31,不是蔡队长那部分。我失望了,你充满信心地对我说:“蔡队长不会骗我们!”我说:“人家早就把这码事32忘了。”你爹也说:“给你们个棒槌33,你们就当了针。他是拿你们当小孩哄怂着玩哩34,好人不当兵,好铁不打钉35,[...]。”你说:“他可没把我当小孩子。他决不能把我当小孩子。”说着,你的脸上浮起浓艳的红色36。你爹说:“能得你。”我惊诧地37看着你变色的脸,看着你脸上那种隐隐约约的特异38表情,语无伦次地说39:“也许,他今年不来后年来,后年不来大后年来。”蔡队长可真是个仪表堂堂40的美男子啊!他四肢修长41,面部线条冷峭42,胡楂子总刮得青白43。后来,你坦率地44对我说,他在临走前一个晚上,抱着你的头,轻轻地亲了一下。你说他亲完后呻吟着说45:“小妹妹,你真纯洁……”为此我心中有过无名的恼怒。你说:“当了兵,我就嫁给他。”我说:“别做美梦了!倒贴上两百斤猪肉,蔡队长也不会要你。”“他不要我,我再嫁给你。”“我不要!”我大声叫着。你白我一眼46,说:“烧得你不轻!47”现在回想起来,你那时就很有点儿样子了。你那花蕾般48的胸脯,经常让我心跳。
哑巴显然瞧不起我,他用翘起的小拇指表示着对我的轻蔑和憎恶49。我堆起满脸笑,想争取他的友谊,他却把双手的指头交叉在一起,弄出很怪的形状,举到我的面前。我从少年时代的恶作剧50中积累起来的知识里,找到了这种手势的低级下流51的答案,心里顿时产生了手捧癞蛤蟆的感觉52。我甚至都想抽身逃走了,却见三个同样相貌、同样装束53的光头小男孩从屋里滚出来,站在门口用同样的土黄色小眼珠瞅着我,头一律往右倾,像三只羽毛未丰54、性情暴躁的小公鸡55。孩子的脸显得很老相,额上都有抬头纹,下腭骨56阔大结实,全都微微地颤抖着。我急忙掏出糖来,对他们说:“请吃糖。”哑巴立即对他们挥挥手,嘴里蹦出几个简单的音节。男孩们眼巴巴地瞅着我手中花花绿绿的糖块,不敢动一动。我想走过去,哑巴挡在我面前,蛮横地57挥舞着胳膊,口里发着令人发怵的58怪叫。
01
稀罕
xīhan
rare
02
筒子
tǒngzì
tube
乱蹿
luàncuān
sauter de manière
désordonnée, dans tous les sens
03
痔疮
zhìchuāng
hémorroïdes
04
疯癫
fēngdiān
fou, cinglé
05
争执
zhēngzhí
se disputer
06心里有数
xīnlǐ
yǒushù
je sais ce que je veux, j’ai mes propres idées, convictions
07
悻悻
xìngxìng
fâché, froissé
08
豁出命去
huōchūmìngqù
au péril de sa vie,
advienne que pourra
09
向导
xiàngdào
guide
10
关注时装
guānzhù shízhuāng
être sensible à
la mode
追赶时髦zhuīgǎn
shímáo
suivre la mode
11
鄙夷
bǐyí
mépriser
12
狼狈
lángbèi
dans une situation
délicate
13处理货
chǔlǐ huò
marchandise
au rabais
14
原谅
yuánliàng
pardonner
15
毕竟
bìjìng
en fait
落空
luòkōng
ne pas se
réaliser, rater…
16
光柱
guāngzhù
rayon de
lumière
17
鲜艳
xiānyàn
vivement coloré
18
撑
chēng
ici : ouvrir
折叠zhédié
pliant
19
倾斜
qīngxié
de travers, oblique
疏雨shūyǔ
petite
pluie, pluie fine
20
仄楞
zéléng
仄zé
terme
utilisé pour les tons obliques – d’où oblique, penché
21
衣襟
yījīn
pan de robe, de
vêtement
22
收起伞
shōuqǐ
sǎn
replier, refermer un parapluie
23
困惑
kùnhuò
confus, troublé
昏暗hūn'àn
sombre
24
甬道
yǒngdào
passage
(allée en général pavée qui mène à une tombe, etc…)
25
剽悍
piāohàn
agile et brave, prompt
à l’action
26
歪歪
wāiwāi
de travers, tordu
撇起piēqǐ
(bouche)
se tordre en un rictus
27
翘起
qiàoqǐ
lever, dresser
小拇指xiǎomuzhǐ
pouce
28
急遽
jíjù
rapide, soudain
29
断断续续
duànduànxùxù
intermittent, décousu
音节yīnjié
syllabe
30
沉甸甸
chéndiàndiàn
lourd, oppressé
31
空军地勤兵
kōngjūn
dìqínbīng
équipes à terre (personnel non navigant) de l’armée de l’air
32
这码事
zhèmàshì
ce genre de
chose, cette histoire
33
棒槌
bàngchui
battoir
Note :
天津人常说的“棒槌”,就是一窍不通的意思。侯宝林先生的相声《戏迷》:“内中有我这么一个棒槌,全乱套了。”这位戏迷先生,平时总吹嘘自己是戏剧专家,只是一上台,连龙套怎么走台步都不会,结果闹出了“一边儿一个一边儿仨”的笑话。这类人,外行,对于戏剧一窍不通,还装作什么全懂,“棒槌”,一个极其形象的比喻。
Cette expression de « 棒槌 »
vient d’un dialogue comique (相声)
intitulé
« Le fan de théâtre » (《戏迷》).Le
personnage de l’histoire est toujours en train de se vanter
d’être un expert en matière de théâtre, mais dès qu’il monte
sur scène, même dans les rôles où il suffit de marcher, il est
incapable de faire les pas comme il faut.
基本意思就是 “过于简单”、“什么也不懂”.“菜鸟”的意思
(novice,
débutant)
34 哄怂
hǒngsǒng
tromper, abuser de
35好人不当兵,好铁不打钉
expression
adverbiale : les gens bien ne sont pas militaires, le bon fer ne
sert pas à enfoncer les clous (mais à fabriquer des lances et
des épées).
36
浓艳
nóngyàn
(couleur) vif,
éclatant
37
惊诧
jīngchà
être étonné
38
隐约
yǐnyuē
délicat, léger
特异
tèyì
exceptionnel
39
语无伦次
yǔwúlúncì
(paroles, propos)
incohérent
40
仪表堂堂
yíbiǎotángtáng
en imposer, avoir
fière allure
41四肢修长
sìzhī
xiūcháng
svelte, élancé
42
冷峭
lěngqiào
froid, d’expression
sévère
43
胡楂子
húcházì
poils de barbe mal
rasée
刮得青白guāde
qīngbái
rasé de près
44
坦率
tǎnshuài
franc, direct
45
呻吟
shēnyín
murmurer
46
白一眼
bái
yíyǎn
jeter un regard hautain, méprisant
47烧得不轻
shāode bùqīng
avoir pas mal de
fièvre
48
花蕾
huālěi
bouton de fleur
49
轻蔑
qīngmiè
dédain
憎恶
zēngwù
haine
50
恶作剧
èzuòjù
mauvaise plaisanterie,
mauvais tour
51
低级下流
dījí
xiàliú
vulgaire
52
癞蛤蟆
làiháma
crapaud
手捧
shǒu pěng
tenir à la
main
53
装束
zhuāngshù
habillement, tenue
vestimentaire
54
羽毛未丰
yǔmáowèifēng
encore jeune, immature
55
性情暴躁
xìngqíngbàozào
avoir un caractère
irascible
56下腭骨
xia’è
gǔ
maxillaire
57
蛮横
mánhèng
arrogant /péremptoire
58
发怵
(憷)
fāchù
être mal à l’aise
Résumé IV :
Le narrateur part voir
Nuan, et part à pied en dépit des objections de son oncle :
d’une part, on ne marche plus à pied depuis qu’on a les moyens
de se payer des bicyclettes, voire des voitures ; d’autre part,
il met en garde son neveu contre la perte de face que risque
d’entraîner une telle visite à des parias sociaux. En quelques
lignes sont ainsi esquissés quelques traits de la mentalité
paysanne. A quoi s’ajoute la désapprobation vis-à-vis du jean
porté par le narrateur...
A son arrivée, il se
heurte à l’hostilité initiale du mari de Nuan, « le muet ».
Nuan, quant à elle, a fait un peu de toilette, elle a même mis
un œil artificiel, mais ses vêtements sont d’une coupe obsolète.
En la voyant, le
narrateur se remémore le passé (là où le récit s’était arrêté
dans la première partie) : ce qui s’est passé après le départ du
capitaine Cai. En fait, il n’est jamais revenu, et Nuan est
restée, contre vents et marées, attachée à l’espoir qu’il allait
revenir la chercher, parce qu’il avait eu un geste de tendresse
envers elle en partant. Pourtant son père lui avait bien rappelé
le dicton chinois : les gens bien ne se font pas soldats, comme
on ne prend pas du fer de qualité pour enfoncer des clous (好人不当兵,好铁不打钉).
五
暖把双手交叠在腹部1,步履略有些踉跄地2走出屋来。我很快明白了她迟迟不出屋的原因,干净的阴丹士林3蓝布褂子,褶儿很挺的灰的确良裤子4,显然都是刚换的。士林蓝布和用士林蓝布缝成的李铁梅式5褂子久不见了,乍一见心中便有一种怀旧的情绪怏怏而生。穿这种褂子的胸部丰硕的少妇别有风韵6。暖是脖子挺拔的女人,脸型也很清雅。她右眼眶里装进了假眼,面部恢复了平衡。我的心为她良苦的心感到忧伤,我用低调观察着人生7,心弦纤细如丝8,明察秋毫9,并自然地颤栗10。不能细看那眼睛,它没有生命,它浑浊地闪着磁光11。她发现了我在注视她,便低了头,绕过哑巴走到我面前,摘下我肩上的挎包12,说:“进屋去吧。”哑巴猛地把她拽开13,怒气冲冲的样子,眼睛里像要出电。他指指我的裤子,又翘起小拇指,晃动着,嘴里嗷嗷叫着14,五官15都在动作,忽而挤成一撮,忽而大开大裂16,脸上表情生动可怖。最后,他把一口唾沫啐17在地上,用骨节很大的脚踩了踩18。哑巴对我的憎恶看来是与牛仔裤有直接关系的,我后悔穿这条裤子回故乡,我决心回村就找八叔要一条肥腰裤子换上。
“小姑,你看,大哥不认识我。”我尴尬地说。
她推了哑巴一把,指指我,翘翘大拇指,又指指我们村庄的方向,指指我的手,指指我口袋里的钢笔和我胸前的校徽19,比划出写字的动作,又比划出一本方方正正的书,又伸出大拇指,指指天空。她脸上的表情丰富多彩。哑巴稍一愣20,马上消失了全身的锋芒21,目光温顺得像个大孩子。他犬吠般地22笑着,张着大嘴,露出一口黄色的板牙。他用手掌拍拍我的心窝23,然后,跺脚24,吼叫,脸憋得25通红。我完全理解了他的意思,感动得不行26。我为自己赢得了哑兄弟的信任感到浑身的轻松。那三个男孩子躲躲闪闪地凑上来27,目不转睛地看着我手中的糖。
我说:“来呀!”男孩们抬起眼看着他们的父亲。哑巴嘿嘿一笑,孩子们就敏捷地蹿上来28,把我手中的糖抢走了。为争夺29掉在地上的一块糖,三颗光脑袋挤在一起攒动着30。哑巴看着他们笑。暖发出一声轻轻的叹息,她说:
“你什么都看到了,笑话死俺吧31。”“小姑……我怎么敢……他们都很可爱……”
哑巴敏感地看着我,笑笑,转过身去,用大脚板儿几下子就把厮缠32在一起的三个男孩儿踢开。男孩儿们咻咻地喘着气33,汹汹地34对视着。我摸出所有的糖,均匀地35分成三份,递给他们,哑巴嗷嗷地叫着,对着男孩儿打手势。男孩儿都把手藏到背后去,一步步往后退。哑巴更响地嗷了一阵,男孩儿便抽搐着脸,每人拿出一块糖,放在父亲关节粗大36的手里,然后呼号一声,消逝得无影无踪。哑巴把三块糖托着,笨拙地37看了一会,就转眼对着我,嘴里啊啊手比划着。我不懂,求援地38看着暖。暖说:“他说他早就知道你的大名,你从北京带来的高级糖,他要吃块尝尝。”我做了一个往嘴里扔食物的姿势。他笑了,仔细地剥开糖纸,把糖扔进口里去,嚼着,歪着头,仿佛在聆听什么39。他又一次伸出大拇指,我这次完全明白他是在夸奖40糖的高级了。很快地他又吃了第二块糖。我对暖说,下次回来,一定带些真正的高级糖给大哥吃。暖说:“你还能再来吗?”我说一定来。
哑巴吃完第二块糖,略一想,把手中那块糖递到暖的面前。暖闭眼,“嗷——”哑巴吼了一声。我心里抖着,见他又把手往暖眼前伸,暖闭眼,摇了摇头。“嗷——嗷——”哑巴愤怒地吼叫着,左手揪住暖的头发,往后扯着,使她的脸仰起来,右手把那块糖送到自己嘴边,用牙齿撕掉糖纸,两个手指捏着那块沾着他粘粘口涎的糖41,硬塞进她的嘴里去。她的嘴不算小,但被他那两根小黄瓜42一样的手指比得很小。他乌黑的粗手指使她的双唇显得玲珑娇嫩43。在他的大手下,那张脸变得单薄脆弱44。
她含着那块糖,不吐也不嚼,脸上表情平淡如死水。哑巴为了自己的胜利,对着我得意地笑。
她含混地说45:“进屋吧,我们多傻,就这么在风里站着。”我目光巡睃着46院子,她说:“看什么?那是头大草驴47,又踢又咬,生人不敢近身,在他手里老老实实的。春上他又去买那头牛,才下了犊一个月47。”她家院子里有个大敞棚48,敞棚里养着驴和牛。牛极瘦,腿下有一头肥滚滚的牛犊在吃奶,它蹬着后腿,摇着尾巴,不时用头撞击母牛的乳房,母牛痛苦地弓起背,眼睛里闪着幽幽的蓝光。
哑巴是海量49,一瓶浓烈的“诸城白干”50,他喝了十分之九,我喝了十分之一。他面不改色,我头晕乎乎。他又开了一瓶酒,为我斟满杯51,双手举杯过头敬我。我生怕伤了这个朋友的心,便抱着电灯泡捣蒜的决心52,接过酒来干了。怕他再敬,便装出不能支持的样子,歪在被子上。他兴奋得脸通红,对着暖比划,暖和他对着比划一阵,轻声对我说:“你别和他比,你十个也醉不过他一个。你千万不要喝醉。”他用力盯了我一眼。我翘起大拇指,指指他,翘起小拇指,指指自己。于是撤去酒53,端上饺子来。我说:“小姑,一起吃吧。”暖征得哑巴同意54,三个男孩儿便爬上炕,挤在一簇,狼吞虎咽55。暖站在炕下,端饭倒水伺候我们56,让她吃,她说肚子难受,不想吃。
饭后,风停云散,狠毒的日头灼灼地57在正南挂着。暖从柜子里拿出一块黄布,指指三个孩子,对哑巴比划着东北方向。哑巴点点头。暖对我说:“你歇一会儿吧,我到乡镇去给孩子们裁58几件衣服。不要等我,过了晌你就走59。”她狠狠地看我一眼,夹起包袱,一溜风走出院子,白狗伸着舌头跟在她身后。
01
交叠 在腹部
jiāodié
zài fùbù
(mains)
croiser sur l’estomac, le ventre
02
步履
bùlǚ
(litt.) marcher
踉跄liàngqiàng
tituber,
chanceler
03
阴丹士林
yīndānshìlín indanthrone, sorte de teinture
bleue
04
褶(儿)
zhě(‘r) pli
的确良
díquèliáng
dacron (tissu)
05
李铁梅
Li Tiemei, célèbre personnage d’un des huit « opéras
modèles » : La légende de la lanterne rouge (《红灯记》).
Orpheline élevée par sa grand-mère, elle décide de se
vouer à la cause révolutionnaire pour suivre l’exemple
de ses parents qui sont morts en martyrs pour elle. Son
style de vêtements était devenu à la mode pendant la
Révolution culturelle.
06
丰硕
fēngshuò
important,
considérable
风韵
fēngyùn
charme
07
低调
dīdiào
modéré
08
纤细
xiānxì
fin
09明察秋毫
míngcháqiūháo
distinguer les
poils d’automne d’un animal = être extrêmement perceptif
10
颤栗
chànlì
trembler
11
磁光
cíguāng
éclat
magnétique |
|
Li Tiemei dans l’opéra |
12
摘下
zhāixià
enlever
(chapeau, …)
挎包
kuàbāo
sacoche, sac en
bandoulière
13
拽开
zhuàikāi
écarter (拽zhuài
tirer)
14
嗷嗷
áo’áo
(onomatopée) cri de
douleur, ou cri de certains animaux (oies…)
15
五官
wǔguān
cinq organes des sens
/ traits du visage
16
忽而…
忽而
hū'ér…
hū'ér
faire une chose puis en faire une autre, opposée ou
contradictoire
挤成一撮
jǐchéng
yìcuō
ramassé, comprimé
大开大裂
dàkāidàliè
grand ouvert
17
啐一口唾沫cuì
yìkǒu tuòmò
cracher un jet de
salive
18
踩
cǎi
piétiner
19
校徽
xiàohuī
écusson de l’école
20
稍一愣
shāoyílèng
être
légèrement ébahi, stupéfait
21
锋芒
fēngmáng
pointe, fer
de lance
22
犬吠
quǎnfèi
aboyer
23
心窝
xīnwō
poitrine, cage
thoracique
24
跺脚
duòjiǎo
trépigner
25
憋
biē
suffoquer
26
不行
bùxíng
ici : terriblement
27
躲闪
duǒshǎn
esquiver, s’écarter
(pour éviter)
凑上来còushànglái
approcher
28
敏捷
mǐnjié
prompt, leste
蹿cuān
bondir
29
争夺
zhēngduó
se battre
pour
30
攒动
cuándòng
se
serrer les uns contre les autres
31
笑话死
xiàohuasǐ
se moquer
de… à en mourir de rire
俺ǎn
forme
dialectale de
我
32
厮缠
sīchán
importuner, embêter (厮sī
canaille, gredin)
33
咻咻
xiūxiū
bruit sifflant de
quelqu’un à bout de souffle (喘气
chuǎn qì)
34
汹汹
xiōngxiōng
d’aspect terrible, féroce, menaçant
35
均匀
jūnyún
régulier, égal
36
关节
guānjié
articulation
37
笨拙
bènzhuō
maladroit / stupide
38
求援
qiúyuán
demander de l’aide, des renforts
39
聆听
língtīng
écouter attentivement
40
夸奖
kuājiǎng
louer, faire l’éloge de
41
粘粘口涎
niánnián
kǒuxián
salive collante, gluante (粘zhān
coller
沾zhān
humecter)
42
黄瓜
huángguā
concombre
43
玲珑娇嫩
línglóng
jiāonèn
exquis, raffiné et
délicat
44
单薄脆弱
dānbó cuìruò frêle et fragile
45
含混
hánhùn
ambigu, équivoque,
évasif
46
巡睃
xúnsuō
(巡xún
faire un
tour d’inspection
睃suō
regarder
de travers)
47
草驴
cǎolǘ
ânesse
下犊
xiàdú
vêler
48
敞棚
chǎngpéng
ici : enclos à bétail
49
海量
hǎiliàng
un grand buveur, qui a
une grande tolérance à l’alcool
50诸城白干
Zhūchéng
báigàn
alcool blanc de Zhucheng (ville du Shandong plus célèbre pour
ses dinosaures que pour son alcool).
51
斟满杯
zhēnmǎn bēi
remplir un verre
52
捣蒜
dǎosuàn
piler de l’ail (tout
en tenant une ampoule électrique : expression dialectale pour
exprimer une ferme décision que rien ne peut changer)
53
撤
chè
enlever, emporter
54
征
zhēng
ici : solliciter (同意un
accord)
55
狼吞虎咽
lángtūnhǔyàn
avaler, goinfrer
56
伺候
cìhou
servir
57
狠毒
/灼灼
hěndú / zhuózhuó
cruel /
brillant
58
裁
cái
faire faire
(vêtements), par un tailleur, une couturière :
裁缝
59
晌
shǎng
moment /
midi
Résumé V :
L’hostilité du muet
tombe lorsque Nuan lui explique que leur visiteur est un lettré,
un hôte de marque.
L’atmosphère de la
visite est lourde, cependant : le muet est un être fruste et
brutal, la conversation en grande partie par signes, accompagnés
des cris inarticulés du muet, et les trois enfants sont décrits
comme des petits sauvages, qui se précipitent sur les bonbons
apportés par leur visiteur, après avoir quêté du regard
l’approbation silencieuse du père.
Nuan sert des
raviolis, bien arrosés car le muet est aussi un bon buveur, sur
quoi les enfants
s’endorment comme un
seul homme sur le kang. Nuan, quant à elle, prend alors du tissu
dans une armoire et, de façon inattendue, prend brusquement
congé en disant aller jusqu’au bourg voisin, chez le tailleur.
Elle part, le chien blanc sur les talons, laissant le narrateur
en tête à tête avec le muet.
六
哑巴与我对面坐着,只要一碰上我的目光,他就咧开嘴笑。三个小男孩儿闹了一阵,侧歪在炕上睡了,他们几乎是同时入睡。太阳一出来,立刻便感到热,蝉在外面树上聒噪着1。哑巴脱掉褂子,裸出2上身发达的肌肉,闻着他身上挥发出来的野兽般的气息,我害怕,我无聊。哑巴紧密地眨巴着眼3,双手搓着胸膛,搓下一条条鼠屎般的灰泥。他还不时地伸出蜥蜴般4灵活的舌头舔着厚厚的嘴唇。我感到恶心、燥热5,心里想起桥下粼粼6的绿水。阳光透过窗户,晒着我穿牛仔裤的腿。我抬腕看表。“噢噢噢!”哑巴喊着,跳下炕,从抽屉里摸出一块电子手表给我看。我看着他脸上祈望的神情,便不诚实地用小拇指点点我腕上的表,用大拇指点点他的电子表。他果然非常地高兴起来,把电子手表套在右手腕子上,我指指他的左手腕子,他迷惘地7摇摇头。我笑了一下。
“好热的天。今年庄稼长得挺好。秋天收晚田。你养的那头驴很有气度8。三中全会后9,农民生活大大提高了。大哥富起来了,该去买台电视机。..”
“噢噢,噢噢。”他脸上充满幸福感,用并拢10的手摸摸头皮,比比脖子。我惊愕地想,他要砍掉谁的脑袋吗11?他见我不解,很着急,手哆嗦着,“噢噢噢,噢噢噢!”他用手指着自己的右眼,又摸头皮,手顺着头皮往下滑,到脖颈处,停住。我明白了。他要说暖什么事给我知道。我点点头。他摸摸自己两个黑乎乎的乳头,指指孩子,又摸摸肚子。我似懂非懂12,摇摇头。他焦急地蹲起来,调动起13几乎全部的形体向我传达信息,我用力地点着头,我想应该学学哑语。最后,我满脸挂汗向他告辞14,这没有什么难理解的,他脸上显出孩子般的真情来,拍拍我的心,又拍拍自己的心。我干脆大声说:“大哥,我们是好兄弟!”他三巴掌15打起三个男孩儿来,让他们带着眵目糊给我送行。在门口,我从挎包里摸出那把自动折叠伞送他,并教他使用方法。他如获至宝16,举着伞,弹开,收拢,收拢,弹开,翻来复去地弄。三个男孩儿仰脸看着忽开忽合的伞,腭骨又索索地抖起来17。我戳了18他一下,指指南去的路。“噢噢。”他叫着,摆摆手,飞步跑回家去。他拿出一把拃多长19的刀子,拔出牛角刀鞘20,举到我的面前。刀刃上寒光闪闪,看得出来是件利物。他踮起脚21,拽下门口杨树上一根拇指粗细的树枝来,用刀去削,树枝一节节落在地上。
他把刀子塞到我的挎包里。
走着路,我想,他虽然哑,但仍不失为22一条有性格的男子汉,暖姑嫁给他,想必也不会有太多的苦吃,不能说话,日久天长习惯之后,凭借手势和眼神,也可以拆除生理缺陷23造成的交流障碍。我种种软弱的想法,也许是犯着杞人忧天24的毛病了。走到桥头间,已不去想她那儿的事,只想跳进河里洗个澡。路上清静无人。上午下那点儿雨,早就蒸发掉了,地上是一层灰黄的尘土。路两边窸窣着25油亮的高粱叶子,蝗虫在蓬草间26飞动,闪烁着粉红的内翅,翅膀剪动空气,发出“喀达喀达”的响声。桥下水声泼剌27,白狗蹲在桥头。
白狗见到我便鸣叫起来,龇着一嘴雪白的狗牙28。我预感到事情的微妙29。白狗站起来,向高粱地里走,一边走,一边频频回头30鸣叫,好像是召唤着我。脑子里浮现出侦探小说31里的一些情节,横着心跟狗走,并把手伸进挎包里,紧紧地握着哑巴送我的利刃32。分开茂密33的高粱钻进去,看到她坐在那儿,小包袱放在身边。她压倒了一边高粱,辟出了一块高间34,四周的高粱壁立着,如同屏风。看我进来,她从包袱里抽出黄布,展开在压倒的高粱上。一大片斑驳35的暗影在她脸上晃动着。白狗趴到一边去,把头伏在平伸的前爪上,“哈达哈达”地喘气。
Résumé VI (a)
Le muet tente alors
d’expliquer quelque chose concernant Nuan, mais en vain. Le
narrateur prend congé.
Après un échange de
cadeaux, serpe à la lame acérée contre parapluie pliant (gadget
qui fait la joie du muet comme des enfants), il repart en
songeant à la manière dont Nuan s’était habituée à communiquer
ainsi par signes avec son mari, tournant la malédiction à
laquelle le sort avait semblé la vouer.
En arrivant en vue du
pont, cependant, il ne pense plus qu’à descendre au bord de la
rivière pour se plonger dans l’eau : il n’y a personne alentour,
que le bruissement du sorgho et le cri des cigales… mais,
surprise, le chien blanc est là, assis à l’entrée du pont, et
semblant l’attendre.
Il part alors à
travers le sorgho, le narrateur à ses trousses, tranchant le
sorgho avec la serpe que lui a offerte le muet (le récit suggère
ici une atmosphère à la Hitchcock).
Et brusquement, il se
retrouve face à Nuan qui l’attend, assise au milieu du sorgho…
dans une scène qui n’est pas sans rappeler une scène semblable
au début du « Sorgho rouge ».
我浑身发紧发冷,牙齿打战,下腭僵硬36,嘴巴笨拙:“你……不是去乡镇了吗?怎么跑到这里来……”
“我信了命。”一道明亮的眼泪在她的腮上汩汩地37流着,她说,“我对白狗说,‘狗呀,狗,你要是懂我的心,就去桥头上给我领来他,他要是能来就是我们的缘分未断38’,它把你给我领来啦。”“你快回家去吧。”我从挎包里摸出刀,说,“他把刀都给了我。”
“你一走就是十年,寻思着这辈子见不着你了。你还没结婚?还没结婚……你也看到他啦,就那样,要亲能把你亲死,要揍能把你揍死……我随便和哪个男人说句话,就招他怀疑,也恨不得用绳拴起我来39。闷得我整天和白狗说话,狗呀,自从我瞎了眼40,你就跟着我,你比我老得快。嫁给他第二年,怀了孕,肚子像吹气球一样胀起来,临分娩时41,路都走不动了,站着望不到自己的脚尖。一胎生了三个儿子,四斤多重一个,瘦得像一堆猫。要哭一齐哭,要吃一齐吃42,只有两个奶子,轮着班吃43,吃不到就哭。那二年,我差点瘫了44。孩子落了草45,就一直悬着心46,老天,别让他们像他爹,让他们一个个开口说话……他们七八个月时,我心就凉了。那情景不对呀,一个个又呆又聋47..。我祷告着48,天啊,天!别让俺一窝都哑了呀,哪怕有一个响巴,和我作伴说话……到底还是全哑巴了……”
我深深地垂下头,嗫嚅着49:“姑……小姑……都怨我,那年,要不是我拉你去打秋千……”“没有你的事,想来想去还是怨自己。那年,我对你说,蔡队长亲过我的头……要是我胆儿大,硬去队伍上找他,他就会收留我,他是真心实意地喜欢我。后来就在秋千架上出了事。你上学后给我写信,我故意不回信。我想,我已经破了相,配不上你了50,只叫一人寒,不叫二人单,想想我真傻。你说实话,要是我当时提出要嫁给你,你会要我吗?”
我看着她狂放的脸,感动地说:“一定会要的,一定会。”“好你……你也该明白……怕你厌恶,我装上了假眼。我正在期上……我要个会说话的孩子……你答应了就是救了我了,你不答应就是害死我了。有一千条理由,有一万个借口,你都不要对我说。”……
01
聒噪
guōzào
(dial.) faire beaucoup
du bruit
蝉
chán
cigale
02
裸出
luǒchū
dénuder, dévoiler
03
眨巴眼
zhǎba
yǎn
cligner de l’œil
04
蜥蜴
xīyì
lézard
05
恶心
ěxīn
avoir mal au cœur, des
nausées
燥热zàorè
sec et
chaud
06
粼粼
línlín
clair, limpide
07
迷惘
míwǎng
perplexe
08
很有气度
hěnyǒu
qìdù
avoir beaucoup
d’allure
09 (十一届)三中全会
sānzhōng
quánhuì
la 3ème
assemblée plénière (du 11ème Comité central)
Séance
historique du 18 au 22 décembre 1978 qui fut le prologue
de la « politique de réforme et d’ouverture » (开启了改革开放的序幕)
10
并拢
bìnglǒng
joindre, croiser
11
砍掉
kǎndiào
trancher
12
似懂非懂
sìdǒngfēidǒng
ne
pas comprendre totalement, n’avoir qu’une vague idée
13
调动
diàodòng
déployer, mobiliser
14
告辞
gàocí
prendre congé
15
巴掌
bāzhang
paume de
la main
16
如获至宝
rúhuòzhìbǎo
comme s’il
avait reçu un trésor, gagné le gros lot |
|
Photo de Deng Xiaoping
lors de l’assemblée |
17
腭骨
è
gǔ
os du palais – ici
mâchoire
索索地suǒsuǒde
tremblant
18
戳
chuō
piquer (du bout de
quelque chose), pousser du coude, …
19
拃多长
zhǎduōcháng
de plus d’un empan de
long
20
刀鞘
dāoqiào
fourreau, gaine
21
踮起脚
diǎnqǐjiǎo
se mettre sur la
pointe des pieds
22
仍不失为
réngbùshīwéi
pouvoir quand même
(après tout) être considéré comme
23
拆除
chāichú
démolir, faire tomber
生理缺陷shēnglǐ
quēxiàn
handicap physique
24
杞人忧天
qǐrényōutiān
comme l’homme de Qi
qui craignait que le ciel lui tombe sur la tête : avoir des
craintes infondées, des peurs imaginaires.
25
窸窣
xīsū
bruisser
26
蝗虫
huángchóng
sauterelle
蓬草péngcǎo
touffes
d’herbes
27
泼剌
pōlà
bruit du poisson qui
saute hors de l’eau, splash…
28
龇牙
zīyá
montrer, découvrir les
dents
29
微妙
wēimiào
subtil, délicat
30
频频
pínpín
souvent
31
侦探小说
zhēntàn xiǎoshuō
roman policier
32
利刃
lìrèn
lame acérée
33
茂密
màomì
dense
34
辟出
pìchū
ouvrir, dégager
(espace…)
35
斑驳
bānbó
multicolore, bariolé
36
牙齿打战
yáchǐ dǎzhàn
claquer des dents
下腭僵硬
xià’è
jiāngyìng
avoir la mâchoire inférieure crispée, contractée
37
汩汩
gǔgǔ
bruit de l’eau qui
jaillit d’une source, dévale une montagne
38
缘分
yuánfèn
liens/affinités
prédestiné(e)s
未断
wèiduàn
pas encore rompu
39
恨不得
hènbude
brûler d’envie de
拴shuān
attacher
40
自从
zìcóng
depuis que
瞎眼xiāyǎn
aveugle –
ici : perdre un œil
41
分娩
fēnmiǎn
accoucher
42
一齐
yìqí
tous ensemble, en même
temps
43
轮班
lúnbān
à tour de rôle
44
瘫
tān
être paralysé
45
落草
luòcǎo
se faire brigand /
être exclu
46
悬心
xuánxīn
être angoissé
47
呆
dāi
idiot, demeuré / d’où
rester coi : muet
聋
lóng
sourd
48
祷告
dǎogào
prier
49
嗫嚅
nièrú
parler en hésitant
50
配不上
pèibúshàng
ne pas être assorti
Traduction VI (b)
[le sorgho forme comme
un mur autour d’eux ; le chien blanc, mission accomplie, va se
coucher un peu plus loin]
Je sentis tout mon
corps à la fois tendu et glacé, j’avais les dents qui claquaient
et les mâchoires contractées, et demandai, idiotement : « Tu… tu
ne devais pas aller au bourg ? Comment se fait-il que tu sois
là ?.... »
« J’ai fait confiance
au destin » dit-elle, tandis qu’une larme brillante roulait sur
sa joue, « j’ai dit au chien blanc : ‘chien blanc, mon chien, si
tu comprends ce que je veux, va jusqu’au pont et ramène-le moi,
s’il peut venir, c’est que les liens qui nous attachent ne sont
pas encore rompus’, et il t’a ramené. » - « Il faut que tu
rentres vite chez toi. » dis-je en sortant la serpe de mon sac
et ajoutant « C’est lui qui me l’a donnée. »
« Depuis que tu es
parti, il y a dix ans, je ne t’ai plus revu. Tu n’es pas encore
marié ? Pas encore… Tu
l’as vu, tu as vu
comme il est, s’il voulait t’embrasser il t’étoufferait, s’il
voulait te battre, il te tuerait… Je ne peux parler avec aucun
homme sans susciter sa suspicion, il m’attacherait volontiers
avec une corde. J’étouffe, et toute la journée je parle au chien
blanc (1), mon chien, depuis que j’ai perdu mon
œil, tu m’as
constamment accompagnée, mais tu as vieilli beaucoup plus vite.
Deux ans après mon mariage, je suis tombée enceinte, mon ventre
ressemblait à un ballon qu’on aurait trop gonflé ; à
l’approche de
l’accouchement, je ne pouvais plus sortir dans la rue, et, quand
j’étais debout, je ne pouvais plus voir le bout de mes pieds.
J’ai eu des triplets, maigres comme une portée de petits chats,
ils pesaient chacun dans les deux kilos. Ils pleuraient tous les
trois ensemble, voulaient manger au même moment, mais je n’avais
que deux seins, ils devaient téter à tour de rôle, et ils
pleuraient en attendant. J’étais comme paralysée. En les voyant
grandir, je vivais dans l’angoisse en pensant, dieu du ciel,
faites qu’ils ne soient pas comme leur père, faites qu’ils
parlent, tous les trois … Lorsqu’ils eurent sept ou huit mois,
cependant, je perdis tout espoir. Je voyais bien que ça n’allait
pas, qu’ils étaient tous les trois sans réaction, qu’ils
n’entendaient rien... J’implorai le ciel, ciel ! faites que je
n’aie pas toute une maisonnée de muets, qu’il y en ait un au
moins qui ne le soit pas, avec lequel je puisse parler… mais
finalement, ils sont bien tous muets…
Tête basse, je bégayai
: « Nuan… petite soeur… tu dois m’en vouloir ; cette
année-là, si je ne t’avais pas entraînée à aller faire de la
balançoire… » - « Ce n’est pas ta faute, c’est à moi-même que
j’en veux. Cette année-là, tu te rappelles, je t’ai dit que le
capitaine Cai m’avait posé un baiser sur les cheveux… Si j’avais
eu du courage, je serais allée le chercher dans son régiment, il
m’aurait peut-être demandé de rester, il avait vraiment un
penchant pour moi. Ensuite, évidemment, il y a eu l’accident de
la balançoire. Quand tu es parti à l’université, tu m’as écrit,
je ne t’ai pas répondu, exprès. Je pensais que, maintenant que
j’étais défigurée, je n’étais plus quelqu’un pour toi, qu’il
suffisait d’une vie de gâchée, j’étais vraiment stupide.
Maintenant, dis-moi franchement, si je t’avais alors demandé
de m’épouser, tu aurais
accepté ? »
En voyant son visage
exalté, je ressentis une vive émotion : « Oui, j’aurais accepté,
c’est sûr. » -
« C’est bien, mais il
faut que tu comprennes… j’ai peur de te répugner, c’est pour
cela que j’ai mis cet oeil artificiel. En ce moment, je suis en
période de fécondité…. Je veux avoir un enfant capable de
parler… Si tu acceptes, je suis sauvée, mais si tu n’acceptes
pas, tu signes mon arrêt de mort. Tu as sans doute mille
raisons, dix mille prétextes, ne me les dis pas. »….
(1) On retrouve là un
élément autobiographique, remontant à l’enfance solitaire de
Mo Yan.
一九八五年四月
Avril 1985
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