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Zhou Libo 周立波

1908-1979

Présentation 

par Brigitte Duzan, 27 février 2021 

 

Écrivain et traducteur chinois, Zhou Libo est connu pour son roman « L’Ouragan » où il dépeint son expérience personnelle de la Réforme agraire dans les zones libérées du Nord de la Chine en 1946-1947. Le roman a obtenu le prix Staline en 1951, en même temps que le roman de Ding Ling (丁玲) « Le soleil brille sur la rivière Sanggan » (《太阳照在桑干河上》) qui décrit une expérience semblable quasiment au même moment.

 

L’écrivain

 

De son vrai nom Zhou Shaoyi (周绍仪), Zhou Libo est né en août 1908 à Yiyang dans le Hunan (湖南益阳). Il a opté pour son nom de plume au début des années 1930, après avoir commencé à apprendre l’anglais tout seul, en prenant les deux premières syllabes du mot Liberty.

 

Du Hunan à Shanghai

 

Zhou Libo

 

En 1924, il va au lycée à Changsha, puis enseigne un temps dans une école primaire de Yiyang. En 1928, il part à Shanghai avec son ami Zhou Yang (周扬), également originaire de Yiyang [1]. Il entre l’année suivante à l’Université des travailleurs (上海劳动大学), commence des études de littérature chinoise, mais est très vite exclu pour ses activités politiques. Il écrit alors un premier essai reflétant la vie des étudiants, « Acheter des légumes » (《买菜》), publié dans le supplément du Shenbao (《申报·增刊》).

 

En février1932, il est arrêté et emprisonné pour avoir soutenu une grève ouvrière. Il est relâché en août 1934 et, en octobre, entre à la Ligue des Ecrivains de gauche. En 1935, il adhère au Parti communiste. Il collabore à diverses revues et publie énormément, y compris des traductions, d’œuvres d’auteurs américains, irlandais, russes, tchèques, ces derniers à partir de leurs traductions en anglais.

 

De la guerre à la réforme agraire

 

En septembre 1937, il quitte Shanghai et devient rédacteur d’une revue de Guilin. En 1937-1938, il est reporter de guerre avec la 8ème Armée de route dans la zone frontalière du Shanxi-Chahar-Hebei. Il sert d’interprète à Agnes Smedley pendant son tour du front dans les zones communistes.

 

En décembre 1939, il rejoint Yan’an et travaille comme réacteur et professeur à l’Institut Lu Xun des arts et des lettres (鲁迅艺术文学院) où il enseigne la littérature chinoise et la littérature étrangère. C’est alors qu’il publie trois recueils de littérature de reportage : « Souvenirs de la zone du Shanxi-Chahar-Hebei » (《晋察冀边区印象记》), « Journal du front » (《战地日记》) et « Chroniques du Sud » (《南下记》). Il écrit sa première nouvelle au début de l’été 1941 : « Le Buffle » (《牛》). 

 

L’Ouragan, éd. 1956 (rééd. 1980)

 

En août 1944, il part vers le sud avec l’armée. Il est nommé rédacteur en chef du supplément littéraire du Quotidien de la Libération (《解放日报》). En octobre 1946, il va dans le Nord-Est pour participer à la Réforme agraire. Il décrit son expérience dans le roman « L’Ouragan » (《暴风骤雨》), publié en deux volumes, en décembre 1948 et début 1949. Le roman obtient le prix Staline en 1951.

 

Le premier volume rapporte les conversations avec les paysans pendant la morte saison de l’hiver, leurs discussions sur leur lutte contre les propriétaires, mais aussi sur les sujets les plus triviaux de la vie quotidienne ; pour la deuxième partie, Zhou Libo est allé à Zhoujiagang (周家岗), dans le ville-district de Wuchang (五常), dans le Heilongjang, et y est resté quatre mois. Ce qui est unanimement apprécié, c’est la profondeur de sa connaissance des modes de vie locaux, y compris

le dialecte et sa capacité, bien qu’étant hunanais, à rendre aussi bien les expressions populaires que les caractères des paysans du Dongbei.

 

En septembre 1949, Zhou Libo est renvoyé à Pékin où il est affecté au ministère de la Culture. En 1951, il participe comme consultant littéraire au tournage du documentaire « La Chine libérée » (《解放了的中国》). Ce documentaire, réalisé par Sergei Gerasimov, est une coproduction sino-soviétique, fruit d’une collaboration entre le Studio de Pékin et le Studio Gorky de Moscou. Il dépeint la lutte ayant mené à la fondation de la République populaire. Les cinéastes ont parcouru toutes les zones libérées pour capter l’élan d’enthousiasme et l’atmosphère de confiance dans l’avenir manifestes dans tout le pays [2].

 

La Chine libérée  https://www.dailymotion.com/video/x1saiak

 

Son deuxième roman, publié en 1955, « La Rivière de fer » (《铁水奔流》), décrit son séjour de plusieurs mois en 1951 avec les ouvriers de l’aciérie de Shijingshan (石景山), dans la municipalité de Pékin. Le roman n’a pas de succès, Zhou Libo revient chez lui, à Yiyang, où il écrit des histoires un peu idéalisées de la vie rurale, comme la courte nouvelle « Une famille par-delà la montagne » (《山那边人家》), achevée d’écrire en novembre 1957 et publiée en 1958.

 

C’est de cette période que date surtout son grand roman en deux parties, « Grands changements dans un village de montagne » (《山乡巨变》), publié en1958 et 1960. En janvier 1960, il publie également un recueil de seize nouvelles écrites entre 1941 et 1959 : « Sur l’aire de battage » (《禾场上》) [3].

 

Cependant, pendant la Révolution culturelle, ses œuvres sont dénoncées comme « herbes vénéneuses » (“毒草”) et il fait plusieurs mois de prison. Il est réhabilité en 1977, rentre à Pékin et devient un écrivain influent dans le monde littéraire. En 1978, il publie la nouvelle « Une nuit sur la rivière Xiang » (《湘江一夜》) qui raconte les victoires remportées par la 8ème armée de route en 1945. Elle est primée, mais c’est sa dernière publication.

 

Malade, il meurt le 25 septembre 1979 à Pékin, à l’âge de 71 ans.

 

Son œuvre

 

Romans et nouvelles

 

Si Zhou Libo a également écrit un grand nombre de nouvelles, ses deux œuvres majeures sont les romans

 

La Rivière de fer, éd. 1955

 

Grands changements dans un village

de montagne, éd. 1959

« L’Ouragan » (《暴风骤雨》) et « Grands changements dans un village de montagne » (《山乡巨变》), tous deux en deux volumes qui reflètent les politiques nationales mises en œuvre au moment où il écrit : le premier la Réforme agraire dans une zone libérée du nord, le second la collectivisation.

- Dans la première partie, « L’Ouragan » montre les paysans pauvres du village de Yuanmaotun (元茂屯),

sur les bords de la Songhua (松花江), réussir l’étape initiale de la Réforme agraire sous la conduite du chef d’équipe Xiao Xiang (萧祥), en confisquant les biens du propriétaire foncier local, Han Laoliu (韩老六). La deuxième partie montre les problèmes nés des nouvelles conditions dans le village : le chef de l’Association des paysans utilise son statut à son propre profit. Le roman suit les directives de Mao à Yan’an demandant de peindre les paysans pauvres sous un aspect positif, mais le récit de Zhou Libo sur les difficultés rencontrées après la première étape de le Réforme agraire est proche des analyses de William Hinton dans « Fanshen ».  

 

- « Grands changements dans un village de montagne » dépeint les aspects très controversés de la collectivisation. Après une brève formation, Deng Xiumei (邓秀梅) est envoyée dans le village de Qingxi (清溪乡) comme secrétaire du Parti en charge de la collectivisation. En chemin, elle voit des paysans couper des jeunes bambous pour les vendre avant qu’ils soient affectés à la ferme collective ; des rumeurs affirment que même les femmes devront être partagées si bien que les paysans sont opposés aux mesures. Sous la conduite de la jeune femme, la collectivisation se met cependant peu à peu en place, mais le directeur adjoint, d’abord enthousiaste, change d’avis ; sa femme le quitte et son buffle est attaqué. Il tente de se suicider, mais il est sauvé par le chef Liu Yusheng (刘雨生) qui risque sa vie par ailleurs quand le village est inondé. La collectivisation peut cependant être menée à bien quand le saboteur Gong Ziyuan est démasqué comme agent des Nationalistes et ancien propriétaire.

 

Le roman a été adapté en un lianhuanhua (连环画) en quatre volumes illustré par le grand peintre He Youzhi (贺友直), publié de juillet 1961 à mars 1965. Considéré comme un chef d’œuvre marquant une étape significative dans l’art traditionnel de la bande dessinée chinoise, il a obtenu le premier prix de lianhuanhua décerné par le ministère de la Culture en 1963.

 

 

Grands changements dans un village de montagne, le lianhuanhua

 

 

Style original

 

Si Zhou Libo ne peut éviter une tendance à idéaliser les tableaux de la vie paysanne et de la politique agraire qu’il dépeint dans ses récits, il faut souligner les qualités stylistiques de ses récits.

 

Il se distingue en effet par le style qu’il s’est forgé, sous l’influence de la littérature occidentale, dans la ligne des écrivains de la Ligue de gauche à laquelle il a très tôt adhéré, mais influence distanciée et personnalisée : d’une part il a été sensible à l’appel de Mao Zedong au Forum de Yan’an à se libérer des « stéréotypes étrangers », et d’autre part c’est une littérature qu’il a traduite, et qu’il a enseignée à Yan’an. Il est loué en outre pour sa capacité à emprunter aux dialectes locaux des expressions et tournures qui donnent de la vie à ses personnages et aux dialogues.

 

C’est donc un style original, intégrant langue classique, emprunts dialectaux et influence étrangère, différent de celui des écrivains « du terroir » de la même époque, comme Zhao Shuli (赵树理) par exemple.

 

Note sur ses traductions

 

Si Zhou Libo s’est intéressé à des auteurs étrangers aussi divers que Gorky, Tolstoy, Chekhov, Goethe, Balzac ou Maupassant, il a surtout traduit de la littérature russe, à partir de traductions en anglais.

 

Terres défrichées, traduction en chinois

adaptée en lianhuanhua

 

Les deux grandes œuvres qu’il a traduites sont « Doubrovsky » (« Дубро́вский ») de Pouchkine et « Terres défrichées » (« По́днятая целина ») de Cholokhov [4]. Chacune a une signification particulière dans le contexte chinois de l’époque. Les choix de Zhou Libo sont révélateurs.

 

Le roman de Pouchkine, écrit en 1832, n’a été publié qu’en 1841, après la mort de l’auteur qui l’avait laissé inachevé en attente de publication. C’est un roman plus léger que les grands drames qui ont fait la renommée de Pouchkine ; il y affleure quelques traits de

satire sociale, mais à peine esquissés. Pouchkine y raconte l’histoire d’un hobereau dépossédé et ruiné par un riche voisin après un différend stupide, et dont le fils, comme dans les histories chinoises, se fait bandit faute de pouvoir vivre de ses terres. Mais Pouchkine n’en fait pas une histoire sombre de lutte des classes, c’est beaucoup plus subtil : le malheureux Doubrovsky meurt d’une crise cardiaque en voyant arriver son voisin, venu cependant lui annoncer qu’il n’avait pas l’intention d’appliquer le jugement lui conférant la propriété de ses terres. En fait, les deux voisins s’entendaient très bien au départ. 

 

Quant à « Terres défrichées », publié en deux volumes, en 1932 et 1960, c’est le deuxième cycle romanesque de Cholokhov [5] – après « Le Don paisible », modèle-type du réalisme socialiste soviétique - et il a pour sujet la collectivisation des terres agricoles du Don à partir de 1930. On comprend l’intérêt de Zhou Libo. Mais le roman cachait la catastrophe provoquée par cette collectivisation forcée, qui n’a été dévoilée que bien plus tard : une terrible famine qui a causé des millions de morts pendant l’hiver 1932-1933. Cholokhov, en fait, écrivit une lettre à Staline pour dénoncer les violences contre les paysans et demander l’envoi d’aide alimentaire. Il proteste encore en 1937 contre les arrestations arbitraires dans sa région, ce qui entraîne l’ouverture d’une enquête du NKVD qui ne cessera qu’après l’intervention de Staline, et la mise au pas de l’écrivain, qui entre dès lors dans l’orbite officielle.

 

La famine est restée longtemps étouffée, tout écrit la concernant étant interdit [6]. Or, elle s’est produite à la fin de la publication de la première partie de « Terres défrichées ». Quand paraît la deuxième partie, en 1960, elle est remarquable par ce qu'elle tait : la résistance des paysans à la collectivisation, la terreur qui leur est imposée, avec, comme en Chine à l’époque, les réquisitions excessives de céréales et les limitations aux déplacements en pleine famine. Quelques semaines après sa sortie, le roman vaut à son auteur le Prix Lénine, la plus haute distinction littéraire soviétique, et il devient une lecture quasi-obligatoire pour les dirigeants de sovkhozes et kolkhozes. En Chine, la catastrophe s’était déjà reproduite. Les mythes ainsi entretenus par le silence sont dévastateurs.

 

La traduction en chinois (《被开垦的处女地》) a été adaptée en lianhuanhua, avec des illustrations, ici aussi, de He Youzhi.

 


 

Traductions des œuvres de Zhou Libo

 

En anglais

 

- The Hurricane 《暴风骤雨》, translated by Hsu Meng-Hsiung. Ill. by Ku Yuan. Peking: Foreign Languages Press, 1981.

- Great Changes in a Mountain Village 《山乡巨变》, Peking: Foreign Languages Press, 1961.

 

En français

 

- L’Ouragan, éditions des Langues étrangères de Pékin, 1981, 558 p.

- Une famille par-delà la montagne, nouvelle trad. Liu Fang, dans l’anthologie : Les meilleures œuvres chinoises 1949-1989, éd. Littérature chinoise, coll. Panda, 1989, pp. 20-25. [une noce de campagne]

 

Au cinéma

 

2005 : The Storm (《暴风骤雨》), documentaire de Jiang Yue (蒋樾) et Duan Jinchuan (段锦川) [7]

Les deux réalisateurs sont revenus dans le nord-est sur les traces de Zhou Libo, dans le village de Yuanbao (元宝镇) où il a été nommé chef adjoint de l’équipe de réforme agraire à l’automne 1946.

 

Le documentaire de Jiang Yue et Duan Jinchuan

 

 


[1] Personnage ambigu qui deviendra très influent dans les cercles culturels, et l’appareil de propagande du Parti, et sera évincé au tout début de la Révolution culturelle.

[2] Le film a été restauré en septembre 2019.

[4] Il a également traduit « China Geheim » (ou « Chine secrète »), publié en 1933, d’Egon Erwin Kirch (1885-1948), auteur austro-tchèque né à Prague et écrivant en allemand. Kirsch a exercé une influence déterminante sur le développement du reportage littéraire et a inspiré Zhou Libo pour ses propres œuvres de « littérature de reportage ».

[5] Mikhail Cholokhov (1905-1984), prix Nobel de littérature 1965

[6] La famine fut dénoncée par Boris Souvarine en 1935, mais ce n’est que quarante ans plus tard qu’elle fut révélée par Alexandre Soljenitsyne dans « L’Archipel du Goulag ».

[7] Deux réalisateurs qui ont longtemps travaillé ensemble.

Voir : http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Jiang_Yue.htm

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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