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Zhao Benfu 赵本夫

Présentation

par Brigitte Duzan, 19 avril 2017, actualisé 5 octobre 2022

 

Zhao Benfu est devenu soudain célèbre en 2004 quand est sorti le film de Feng Xiaogang (冯小刚) adapté de sa nouvelle ‘moyenne’ « Un monde sans voleurs » (《天下无贼》). Le succès du film [1] a fait redécouvrir ses écrits antérieurs, dont les trois romans de sa trilogie dite « de la terre-mère » (《地母》三部曲), qui vont dans le sens des préoccupations environnementales croissantes en Chine, et ont été réédités en 2009.

 

Un natif du Subei

 

Zhao Benfu est né en 1948 dans le village de Zhaoji (赵集) du district de Feng, dans le nord du Jiangsu (江苏丰县). Sa maison est conservée comme monument historique dans le vieux village, et son œuvre comme sa personnalité s’inscrivent dans la culture très spécifique du nord de cette province.

 

Zhao Benfu

 

Petit paysan, petit employé

 

Il est entré au collège du district en 1961 et a terminé ses études secondaires en 1967, sur quoi – Révolution culturelle oblige - il est revenu au village comme paysan.

 

En mars 1971, il commence à travailler comme employé au bureau des dépêches du district et reste pendant près de dix ans à ce poste.

 

Débuts littérairesdans les années 1980

 

Un monde sans voleurs

 

En 1980, il est nommé rédacteur à la radio locale du district de Feng, et, l’année suivante, fait ses débuts d’écrivain avec la publication de la nouvelle « Vendre l’âne » (《卖驴》) qui obtient le prix national de la meilleure nouvelle de l’année. En 1983 il devient membre de l’Association des écrivains et obtient un poste au bureau de la culture du district de Feng.

 

En mars 1984, il participe à une formation du Centre de recherche littéraire de l’Association des écrivains, devenu depuis lors Institut Lu Xun. Puis, en 1986, il entre dans la classe d’écriture de l’université Beida, à Pékin, avant de continuer à l’université de Nankin l’année suivante, dont il sort diplôme en poche en 1988.

 

Parallèlement, au début de 1986, il est élu

vice-président de l’Association des écrivains du Jiangsu, et, peu de temps plus tard, vice-président de la Fédération des lettres de Xuzhou (徐州市文联), municipalité dont dépend le district de Feng. Il est également rédacteur en chef de la revue littéraire Zhongshan (《钟山》杂志).  

 

Une œuvre imprégnée du sens de la terre et de la nature

 

De son enfance et de sa jeunesse, Zhao Benfu a gardé un sens profond de la nature, et un attachement tout aussi profond à la terre, ce qui prend une signification nouvelle et une portée bien plus large dans les conditions de la Chine d’aujourd’hui.

 

Nouvelles et romans des années 1990

 

Ses premières nouvelles sont inspirées de sa vie au village, dont la première, la nouvelle courte « Vendre l’âne » (《卖驴》), dépeint une scène que n’aurait pas reniée Lu Xun. Elle commence cependant par une scène de vaudeville : un vieil homme fatigué s’endort dans sa charrette au retour d’une longue journée de travail ; l’âne poursuit son chemin, mais, en cours de route, rencontre un enterrement et suit l’ânesse

 

Le bastion

qui emmène le cercueil au crématorium ; tout le monde pense que Lao Sun est mort et va être incinéré aussi… jusqu’à ce qu’il se réveille en effrayant tout le monde.

 

Fourmis noires, yeux bleus

 

Furieux, le vieil homme fustige le malheureux animal et décide de le vendre. Mais ce n’est pas si simple, car l’âne lui permet de gagner sa vie en transportant des marchandises pour le village, dans le cadre des nouveaux contrats individuels permettant des activités privées. C’est tout le passé du vieil homme qui est ainsi évoqué, avec les changements de politique économique au moment de l’ouverture.

 

Zhao Benfu a ensuite surtout écrit des nouvelles moyennes, parmi lesquelles, hormis « Un monde sans voleurs », l’une des plus connues est Zhàipù (《寨堡》) que l’on pourrait traduire par « Le bastion », qui reflète à la fois son attachement à des références empruntées à la littérature classique [2], et son enracinement dans la culture terrienne [3].

 

Ce sont cependant ses trois romans des années 1990

qui, regroupés dans la trilogie de « la terre-mère » (《地母》三部曲) et réédités en 2009, sont devenus des classiques représentatifs de ses préoccupations et de son style. Le thème principal de l’ensemble est le lien très fort qui attache à la terre les personnages au cœur du récit. Il se passe sur les bords du fleuve Jaune où les ancêtres des citadins actuels sont venus s’installer dans le passé. Le style, quant à lui, fait la part belle à un certain « magico-réalisme ».

 

Le premier roman de la trilogie - « Fourmis noires, yeux bleus » (《黑蚂蚁蓝眼睛》) - est paru en 1995. Le personnage principal est la jeune Chai Gu (柴姑), une belle sauvage qui a des yeux bleus, et un pouvoir spécial sur le monde des fourmis. Elle quitte le domaine de la forêt primitive pour fonder un village et se consacrer à la mise en valeur de la terre pour sa descendance. Il y a un côté tellurique de conte des origines dans cette histoire.

 

La seconde partie de la trilogie, parue deux ans plus tard, est l’histoire du petit-fils de Chai Guet de sa femme : « Terre du soleil, terre de la lune » (《天地月亮地》). On est passé des défricheurs aux agriculteurs, dont le seul souci est d’augmenter les récoltes et s’occuper du bétail, sans se douter que l’urbanisation galopante ferait un jour disparaître la terre sous les pieds de leurs descendants.

 

Terre du ciel, terre de la lune

 

Une époque sans terre

 

C’est le sujet du dernier roman de la trilogie, publié en 1998 : « Une époque sans terre » (《无土时代》), qui représente le fruit de vingt ans de réflexion. L’époque est celle de Shi Tuo (石陀), représentant la quatrième génération des descendants de Chai Gu. Le ciment, le béton et l’acier a fait disparaître la terre dont les citadins n’ont plus qu’un vague souvenir, ayant perdu avec elle le sens de la nature, du passage des saisons et de la beauté du ciel étoilé. Les premiers chapitres décrivent les méfaits de cette perte de repères dans une ville symbolique du nom de Mu (木城), c’est-à-dire la ville de bois, puis la révolte d’un ancien maire de la ville qui, lui-même responsable de la destruction des vieux remparts et des quartiers anciens pour faire place au béton, se rend compte de sa folie une fois à la retraite. 

 

Il conçoit dès lors le projet de rendre la ville à la nature

sauvage, et commence par faire furtivement des trous dans le béton en se promenant, en espérant que l’herbe repoussera dans les fissures. Mais l’histoire prend un tour nouveau quand (chapitre 4) une étudiante se met à la recherche d’un mystérieux écrivain, sorte d’ermite nommé Chai Men (门) dont le nom même (porte de(s) Chai) annonce un retour aux sources et le bouclage du cycle.

 

La ville devient une cité rurale grâce à l’ingéniosité de travailleurs migrants ruraux, dont un cousin de Shi Tuo, Tian Zhu (天柱), cultivateur devenu paysagiste urbain. Ils redonnent aux citadins leur mémoire de la terre en plantant du blé à la place du béton. Le dernier chapitre dépeint une ville qui a retrouvé, avec l’éclat des étoiles, son héritage culturel et spirituel.

  

La trilogie est une utopie que l’on a rapprochée de « L’âge d’or » (《黄金年代》) de Wang Xiaobo (王小波). Elle représente un courant de pensée en plein essor dans une Chine étouffée par la pollution et souffrant de la raréfaction des terres, donc de plus en plus marquée par la conscience de l’environnement.

 

Rééditée en 2009, elle a relancé une vague de publications par Zhao Benfu.

 

Scénarios

 

Parmi les autres publications de Zhao Benfu figurent trois scénarios pour la télévision, réalisés par Pingjiang Suojin (平江锁金), avec la grande actrice Siqin Gaowa (斯琴高娃) dans le rôle principal.

 

Le premier est celui d’une série télévisée diffusée en 2002 : « Hors du fleuve aux eaux bleues » (《走出蓝水河》). En dépit de son titre, cependant, le scénario est adapté du roman « La femme et le spadassin » (《刀客和女人》), réédité sous ce titre en 2011 [4], mais qui était à l’origine intitulé « Poésie parmi les hommes » (《人间词话》) - titre qui est resté celui du thème musical du feuilleton.

 

En février 2017, Zhao Benfu a encore publié un scénario, cette fois d’un film d’animation : « Le chien de chasse et le poulain blanc » (lièquǎn báijū 《猎犬白驹》).

 

Ce scénario est adapté de la nouvelle moyenne publiée en 1985 : « Une note venue des origines » (《那——原始的音符》). L’histoire remonte à un souvenir d’enfance. Alors qu’il avait été admis au collège de Fengjian, son père n’avait pas d’argent pour payer l’école. Mais il lui a dit : tu peux y aller, j’aurai l’argent dans quelques jours. Et effectivement, quelques jours plus tard, il lui a donné l’argent. Alors Zhao Benfu lui a demandé d’où il venait. Son père a hésité, puis lui a répondu qu’il avait vendu leur chien à l’abattoir… Souvenir d’un traumatisme qui l’a poursuivi des années durant. Il n’a plus osé avoir de chien pendant longtemps, mais, une fois à Nankin, a ensuite recueilli des chiens errants ou abandonnés.

  

En 1985, il pensait déjà que c’était une belle histoire pour être adaptée en film d’animation, mais il n’y avait personne alors en Chine pour le faire.

 

2017 : Retour du thème de la ville

 

En janvier 2017 est paru « Lost Town » (Tianlòuyì 《天漏邑》), nouveau roman sur le thème de la ville qui mêle réalisme et éléments de surréalisme, naturel et surnaturel, et dont le titre même est mystérieux.

 

C’est une autre vision utopique qui reprend une histoire semblable à la légende de « La source aux fleurs de pêchers » (桃花源的传说). Cependant, ce n’est pas une utopie, mais le contraire : une uchronie où les gensont un profond sentiment de culpabilité, de faute originelle, par nature même (人生而有罪”). La ville est en fait une

 

Lost Town

colonie pénitentiaire, un repaire de criminels, mais c’est peut-être aussi un lieu paradisiaque de liberté.

 


 

Principales publications

 

Nouvelles

Le cordonnier et le maire 《鞋匠与市长》

Un monde sans voleurs 《天下无贼》中篇小说

Le bastion Zhàipù 《寨堡》

 

Recueils de nouvelles

La tanière vide Kōngxué 《空穴》

Hors du fleuve aux eaux bleues 《走出蓝水河》

 

Romans

Janvier 2009  Trilogie de la terre-mère 《地母》三部曲 :
          - 1995 Fourmis noires, yeux bleus 《黑蚂蚁蓝眼睛》
          - 1997 Terre du ciel, terre de la lune 《天地月亮地》
          - 1998 Une époque sans terre 《无土时代》
Août 2011 La femme et le spadassin 《刀客和女人》

Janvier 2017 Lost Town  Tianlòuyì 《天漏邑》

 

Scénarios de feuilletons télévisés

2002 Hors du fleuve aux eaux bleues 《走出蓝水河》

2005 Bleu et blanc 《青花》

2006 Des fleurs comme des papillons 《飞花如蝶》

 

Scénario de dessin animé

Février 2017 Le chien de chasse et le poulain blanc lièquǎnbáijū 《猎犬白驹》

 


 

Traductions en français

 

- Jeunes filles de fer et autres nouvelles, trad. Claude Payen, éd. Pacifica, mai 2021, 212 p.

- Un poisson dans le désert 荒漠里有一条鱼, trad. Claude Payen, éd. Pacifica, juin 2022, 410 p.

 


 

Traductions en anglais

 

- Old Sun Sells his Donkey《卖驴》, in : Prize Winning Stories from China 1980–1981. English text edited by W.C. Chau, Foreign Languages Press 1985, pp. 145-161.

 

Dans Chinese Arts and Letters 2017.1 :

- A World without Thieves 《天下无贼》 tr. Jeremy Tiang, pp. 8-27

- The Cobbler and the Mayor 《鞋匠与市长》 tr. Florence Woo, pp. 28-40

- On the Verge 《临界》 tr. Shelly Bryant, pp. 41-60

 

- On Zhao Benfu, par Wu Bingjie (吴秉杰), tr. Mark McConaghy, pp. 61-82

- How Does Literature Present Memory ? -- An Interview with Zhao Benfu,

par Sha Jiaqiang (沙家强), pp. 83-96.

 


 

À lire en complément :

 

L’art de la nouvelle de Zhao Benfu

 

 

 


[2] Le titre est une référence à une œuvre d’un auteur de la dynastie des Qing, Yan Ruyi (严如熤 1759–1826) originaire de l’ouest du Hunan, dont les études sur les régions frontalières ont exercé une grande influence pour le modèle proposé de liens entre gouvernement impérial et ethnies locales, appliqué pendant la Rébellion du Lotus blanc et la Révolte des Taiping. L’une de ses principaux ouvrages, le Sansheng Bianfang (《三省边防备览·策略》), publié en 1822, est une étude des trois provinces du Sichuan, Shaanxi et Hubei. C’est de là que vient le terme de zhàipù (寨堡) que l’auteur explique en scindant en zhài, un bastion pour protéger les hommes en cas de danger, et une enceinte pour mettre les récoltes en sécurité.
《三省边防备览·策略》自塞堡之议行,民尽倚险结寨,平原之中亦挖濠作堡,牲畜粮米尽皆收藏其中。探有贼信,民归寨堡,凭险拒守。

[3] Extraits (5 chapitres) à lire en ligne : http://www.yimiwang.com/Reader/Book.00005267.html

[4] Voir le texte chinois en ligne (12 chapitres) : http://www.1kanshu.com/files/article/html/62/62161/

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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