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Xu Nianci 徐念慈 

1875-1908

Présentation

par Brigitte Duzan, 9 octobre 2019

 

Originaire du Jiangsu, Xu Nianci est l’un des premiers écrivains de science-fiction en Chine, au tout début du 20e siècle. Il était rédacteur à la Société « Forêt de la fiction » (Xiaoshuolin she 小说林社), créée à Shanghai en 1905, qui éditait le journal du même nom (《小说林》杂志).

 

Contexte

 

Il commence sa carrière littéraire en 1903, et son œuvre est à replacer dans le contexte de l’époque. C’est le moment des premiers développements des romans de science-fiction en Chine, développement accompagné d’un discours valorisant le roman comme outil pédagogique, pour la diffusion d’idées et de connaissances nouvelles. C’est l’idée développée par Lu Xun (魯迅) dans sa préface à sa traduction du roman « De la Terre à la Lune » (《从地球到月球》) publiée en 1903. Et c’est une idée à laquelle adhère Xu Nianci qu, avec deux amis,i a créé en 1897

 

Xu Nianci

une société pour l’étude des sciences, chinoises et occidentales.

 

La revue Forêt de fiction 《小说林》

 

C’est aussi autour de 1903 qu’est né en Chine le « roman scientifique » (kexue xiaoshuo 科学小说), après la traduction par Lu Xun du roman de Jules Vernes, à partir d’une traduction japonaise. Le terme chinois de « roman scientifique » précède donc le terme de science-fiction en anglais. Mais ces tomans conservent une part d’étrange qui les font apparaître comme dérivés du chuanqi (传奇).

 

L’appellation de « scientifique » était évidemment un argument commercial, mais ces romans ont émergé aussi en même temps qu’une vague de traductions de textes scientifiques, de l’anglais au 19e siècle à la suite du travail de vulgarisation des missionnaires protestants britanniques, puis du japonais après la défaite de la Chine contre le Japon en 1895, le terme de kexue pour désigner la science étant lui-même la traduction d’un néologisme japonais. L’échec de la réforme des Cent jours en 1898 ne

fit que renforcer les espoirs dans une modernisation scientifique du pays.

 

Précurseur du roman de science-fiction

 

Dans ce contexte, traducteur du japonais et de l’anglais, féru de mathématiques et de sciences, Xu Nianci s’engage dans le « roman scientifique » : il est connu pour son « Nouveau conte de Monsieur le Vantard » (Xin Faluo xianshang tan 法螺先生谭》) [1] publié en 1905 dans un recueil comportant la traduction d’un double récit du Japonais Iwaya Sazanami, « Contes de Monsieur le Vantard », présentés par leur auteur comme une imitation des Aventures du baron de Münchhausen [2]. Ces histoires ont un fond de fantastique auquel Xu Nianci ajoute des éléments scientifiques.

 

Dans cette nouvelle « moyenne » (中篇小说), l’âme du héros voyage jusqu’à Mercure où elle assiste à une transplantation de cerveaux visant à rendre les

 

Le roman Xin Faluo xiansheng tan

《新法螺先生谭》

transplantés plus jeunes et plus intelligents. Voici comment Florine Leplâtre présente l’histoire dans un article paru dans la revue ReS Futurae (voir Bibliographie) :

 

Le texte se présente comme le récit oral fait par Monsieur du Clairon [3] lui-même de ses aventures. Il prétend être frustré de l'état actuel de la science et cherche de nouvelles méthodes et de nouveaux savoirs. Son exil sur la plus haute montagne, à quelques cent mille mètres d'altitude, aboutit à la spectaculaire séparation entre son âme et son corps, à la faveur d'une tempête et de la force gravitationnelle des étoiles. Son « âme » (linghun 灵魂) est une boule de gaz ultralégère d'environ un pouce de diamètre, tandis que son « corps » reste inchangé, à ceci près qu'il est dépourvu de cerveau. Le personnage opère des expériences sur lui-même et ses nouvelles capacités, et s'aperçoit notamment que son âme est capable d'émettre de la lumière. Le corps tient l'âme dans sa main, la contemple, et la laisse tomber accidentellement.

 

Le récit s'attache alors aux aventures du corps, qui, ayant récupéré un quart de l'âme, se retrouve emporté dans une chute vertigineuse vers le centre de la Terre, où il rencontre Huang Zhongzu 黃种祖, « l'ancêtre de la race jaune »... Celui-ci assigne au corps du narrateur la mission de « réveiller le pays » (xingguo 兴国).

 

Pendant ce temps, l'âme, ou ce qu'il en reste, est projetée dans un voyage intersidéral au gré des forces gravitationnelles des astres. Après une collision avec la Lune qui crée un nouveau cratère, elle poursuit sa course vers Mercure, avant d'en être déviée. La planète, qu'elle n'approchera que de loin, ne reste dans son champ de vision qu’une minute mais, dans ce laps de temps très réduit, l'âme de Monsieur du Clairon assiste à une opération…

 

Il s’agit d’une opération de transplantation du cerveau, ou plus précisément « d’échange de cerveaux » (huan nao shu 换脑术), afin de rajeunir les hommes et régénérer l’espèce humaine [4]. Cependant, comme elle n’est qu’aperçue rapidement et de loin, par l’âme voyageuse, les détails techniques ne sont pas très précis. Le texte apparaît bien comme un récit de l’étrange, un chuanqi.

 

Le narrateur s’imagine alors vendre des cerveaux neufs pour des clients désireux de prolonger leur vie, mais en remettant au passage leur conscience à zéro. En supprimant les idées obsolètes et immorales, il se voit jouer le rôle qui lui a été attribué de « réveiller » le pays. Finalement, il crée des progrès fantastiques à son retour en Chine, mais ils tournent à la catastrophe car, avec l’augmentation de la productivité, une bonne partie de la population se retrouve au chômage. La régénération morale est ratée. Le progrès scientifique semble un leurre.

 

La nouvelle reflète aussi l’engagement politique de Xu Nianci : il a rejoint en 1903 la Société pour le réveil de la Chine (Xingzhong hui 兴中会) fondée par Sun Yat-sen en 1894 dans un but très semblable à la mission confiée au héros de l’histoire – les caractères utilisés en attestent. En ce sens, cette nouvelle peut aussi être rattachée au genre du roman politique (zhenzhi xiaoxhuo 政治小说) qui se développe en Chine à la même époque, également sous l’influence du Japon, en utilisant la projection dans le futur pour évoquer une réforme politique appelée de leurs vœux par les réformateurs mais bloquée en Chine au même moment.

 

Mort à la tâche

 

Embauché en 1905 comme directeur de la rédaction de la revue « Forêt de la fiction » par son cofondateur Zeng Pu (曾朴), il y publie des traductions de romans étrangers. En 1908, il y expose ses vues de la création romanesque (《余之小说观》) en posant le roman comme inséparable de la vie et la reflétant. Il apporte une contribution importante au développement de l’esthétique du roman moderne en Chine.

 

Mais, avec des fonds limités, des coûts élevés et des ventes difficiles, la revue survivait difficilement, assurant irrégulièrement le versement du salaire de son rédacteur en chef qui devait assurer ses fins de mois en enseignant dans des écoles. Surmené, malade, il meurt en 1908, à l’âge de 34 ans.

 


 

Traduction en anglais

 

New Tales of Mr. Braggadocio, tr. Nathaniel Isaacson, Renditions, Chinese Science Fiction: Late Qing and the Contemporary, n° 77-78, 2012, p. 15-38.

(Sommaire du numéro : https://xichuanpoetry.com/?tag=xu-nianci

 


 

Bibliographie

 

Usages du futurisme médical en Chine pré-républicaine : craniotomie et régénération dans deux récits de science-fiction (1904-1905), Florine Leplâtre, ReS Futurae, 9/2017, numéro sur La science-fiction en Asie de l’Est.

 

 


[1] Mr. Braggadocio selon la traduction de Nathanaël Isaacson (2012).   Faluo 法螺 désigne une sorte de conque, autrefois utilisée par l’armée pour sonner l’avance et la retraite des troupes, mais aussi par les bouddhistes et par les taoïstes comme instrument de musique sacrée. Chui faluo 吹法螺 signifie soit « prêcher la doctrine bouddhique », soit « emboucher la trompette pour se vanter ». Braggadocio signifie vantard, fanfaron en italien.

[2] Mercenaire allemand à la solde de l’armée russe mort en 1797 ; le récit romancé de ses exploits en a fait un héros extrêmement populaire de la littérature allemande. Il a été traduit en français par Théophile Gautier (fils) et publié en 1854 avec des illustrations de Gustave Doré.

[3] Faluo xiansheng selon sa traduction

[4] Idée influencée par les découvertes sur le système nerveux réalisées au 19e siècle. Mais sans renier les anciens concepts taoïstes liés à la longévité.

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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