Auteurs de a à z

 

              

 

 

Xiao Bai 小白

Présentation

par Brigitte Duzan, 25 mars 2014

      

Xiao Bai est né et vit à Shanghai dont il est membre de l’association des écrivains. C’est à peu près tout ce que révèlent ses biographies ordinaires. Xiao Bai est évidemment un nom de plume, et le personnage qui se cache derrière est des plus incertains : il cultive un flou identitairedont il fait l’une de ses caractéristiques d’écrivain.

        

Il serait sans doute resté longtemps dans les marges plus ou moins obscures du monde littéraire chinois s’il n’avait soudain écrit un

 

Xiao Bai

roman d’espionnage qui a fait l’objet d’une intense campagne de marketing auprès des éditeurs étrangers. On a ainsi découvert une personnalité originale qui ne se borne pas à ce roman, mais qui risque de s’y voirlimitée. 

       

Jeu identitaire et jeu de plume

       

Tenter de comprendre comment Xiao Bai en est arrivé à écrire relève de l’investigation policière : il faut recouper les quelques informations disponibles et interroger les témoins.

       

Premiers indices

       

Le premier roman de Xiao Bai, « Balle de match » (《局点》), publié en 2010, est l’histoire d’un groupe de petits trafiquants et escrocs se disputant un chèque d’un million de yuans au début de la période d’ouverture, vers la fin des années 1980 et au tournant de la décennie suivante. C’est sans doute partiellement autobiographique.

        

Lu Hao, fondateur de Wan Xiang

 

Xiao Bai s’est, en effet, lui aussi lancé dans le commerce, à l’époque ; il a travaillé pour des sociétés étrangères, tenté de vendre du matériel de télécommunications, puis a abandonné, restant une dizaine d’années sans emploi fixe. A l’époque, il a rejoint une équipe de traducteurs faisant du sous-titrage de films étrangers piratés – travail non rémunéré, purement pour le plaisir.

      

Avec un ami, il passait beaucoup de temps sur les forums internet. Un jour qu’il avait participé à une discussion intéressante, son ami lui suggéra de mettre ses propos noir sur blanc.Xiao Bai rédigea un article, l’envoya à son ami qui le posta sur le forumTianya (天涯), sous un pseudonyme. Il suscita énormément de commentaires, mais, surtout, attira l’attention de Lu Hao (陆灏), fondateur et rédacteur en chefde la revue Wan Xiang (《万象》) (1).

 

Lu Hao lui envoya un message pour lui proposer de revoir son article à fins de publications. Xiao Bai préféra le réécrire. C’est son premier essai publié, dans Wan Xiang en mai 2005 : « Gigi qui enlève son manteau » (《脱掉大衣的吉吉》). Il a été repris quatre ans plus tard dans le recueil : « Hamlet libertin » (《好色的哈姆雷特》).

       

C’est pour la publication de ce premier essai que Lu Hao a choisi son nom de plume, parmi quatre ou cinq propositions : Xiao Bai, c’est-à-dire "petit blanc", blanc comme la page vierge, comme la neige juste tombée, blanc comme l’inexistant, un vide à combler, un écrivain et un personnage qu’il restait à inventer…

        

Un écrivain qui s’invente

       

Xiao Bai s’affirme fasciné par l’art de conter des histoires, qui consiste à cacher des informations autant qu’à en donner et à faire un choix entre plusieurs versions de la réalité, réalité qui n’est donc que transitoire. Mais il met aussi cet art narratif au service de son propre personnage en tant qu’auteur.

      

Xiao Bai se plaît à avancer masqué. Son premier travail,

 

Wan Xiang, septembre 2005

avant d’écrire un livre, dit-il, est d’abord d’inventer, d’imaginer l’auteur car c’est seulement alors qu’il peut imaginer ce qu’il peut écrire. Dans ces conditions, il écrit très lentement, car, avant de pouvoir commencer à écrire, il lui faut d’abord imaginer la manière de penser, de s’exprimer, de cet auteur… Un écrivain est pour lui quelqu’un qui s’est forgé une fausse identité, un imposteur ("我觉得作家本身就是一个伪造身份者,一个骗子,一个老千。”).

      

En fait, a-t-on envie de lui dire, tout écrivain crée un univers qui lui est propre, et se remet en question chaque fois qu’il prend la plume. Mais cela prend un tour quasiment obsessif chez Xiao Bai : comme il lit beaucoup, que tous ses livres sont le fruit de longues recherches, il est très attentif à garder un ton, un style qui lui soit propre. Il dit avoir le sentiment, quand il écrit, d’entendre des voix derrière lui, que, tel Ulysse sourd aux sirènes, il doit s’efforcer de ne pas écouter. Il écrème ses manuscrits, ce qui n’empêche pas de déceler chez lui un reflet du style de Roland Barthes ou de Susan Sontag (2).

 

Hamlet libertin (édition originale 2009)

      

Xiao Bai est ainsi d’abord à la recherche d’une identité d’écrivain. On la voit fluctuer au fil de ses écrits, pour se fixer aujourd’hui sur celle d’un auteur à succès, produit d’un marketing dont on ne sait trop s’il l’appuie ou le subit.

      

De l’essai au roman

       

Réflexions sur l’érotisme et la représentation

      

Xiao Bai a d’abord été une créature de Lu Hao, dont la personnalité a été façonnée à travers les articles publiés dans Wan Xiang (《万象》), à partir de 2005.

      

Ce n’est cependant qu’en 2009 que Xiao Bai a connu une première notoriété, quand est paru son recueil de textes sur la littérature érotique : « Hamlet libertin » (《好色的哈姆莱特》). Il y joue sur la distinction entre la pornographie et l’érotisme, seqinget qingse (色情/情色), en se replaçant dans

 

Hamlet libertin (réédition juillet 2013)

un contexte littéraire repris de la tradition chinoise, mais en le nourrissant de lectures de littérature étrangère et d’exemples tirés du monde artistique occidental.

      

Ces réflexions ont été complétées en 2012 par un second recueil de textes qui avaient également été publiés dans diverses revues : « Représentation et voyeurisme » (《表演与偷窥》). Il y revient entre autres sur la personnalité de l’écrivain ; il y définit l’écriture comme jeu (游戏) et représentation (表演), et le rapport à l’écriture comme un rapport sensuel et sexuel, comportant des préliminaires (前戏) et aboutissant à la création d’un rythme (节奏). Il se pose ainsi en opposition à la tradition chinoise qui considère un style naturel et simple, sans contrainte ni excès, comme la perfection en matière littéraire.

 

Représentation et voyeurisme

       

Il propose une vision de l’écrivain distancié de son œuvre, comme un démiurge tirant les ficelles de sa création, qui inclut sa propre personne. Mais, entre ces deux ouvrages, il est passé à la fiction, avec deux romans très différents, le premier pouvant être considéré comme un exercice préalable et une recherche de style… et d’identité.

      

De Balle de match à Concession

      

Ce premier roman, publié en 2010, c’est « Balle de match »(《局点》), qui a d’abord été publié en 2009 dans la revue Shouhuo, ou Harvest (《收获》).

      

Il l’avait à peine terminé qu’il s’est lancé illico dans l’écriture de « Concession » (《租界》) qui a aussi d’abord paru dans Shouhuo, dans le supplément automne/hiver 2010 de la revue, avant d’être publié aux éditions Littérature du peuple (人民文学出版社) en mai 2011.

 

       

La concession

 

C’est un roman d’espionnage dans la Shanghai des années 1930, dont il a eu l’idée en regardant des vieilles photos de la ville. Il est construitcomme une histoire triangulaire entre un photographe qui travaille pour des tabloïdes, son amante biélorusse qui, sous le couvert d’une bijouterie, fait du trafic d’armes, et une jeune Chinoise qui espionne pour le compte d’un groupe révolutionnaire. 

      

Mais le roman est une tentative de dépeindre de façon inhabituelle le monde des concessions étrangères, et en particulier de la concession française où se passe l’histoire.Xiao Bai s’est pour cela d’abord longuement plongé dans les archives et documenté sur l’histoire de la ville, jusqu’à en avoir une connaissance détaillée. L’histoire n’est pas pour lui un contexte, ou un décor, c’est le sujet même de son roman. Mais la Shanghai de son récit est une création littéraire, une fiction dont la seule justification est qu’elle

aurait parfaitement pu arriver dans le contexte précis décrit par les journaux de l’époque, les détails contextuels étant expliqués par tout un corpus de notes en bas de page.

       

Si le roman a rencontré un succès mitigé en Chine même, il aété pris en main par un agent et fait l’objet d’une promotion ciblée auprès des éditeurs étrangers auxquels il a été présenté comme une histoire parfaitement adaptée au public occidental : roman d’espionnage et roman historique, à la Balzac. Il en est résulté une course aux droits faisant monter les enchères. Le roman a été très vite traduit en italien et publié aux éditions Sellerio. HarperCollins a, pour sa part, acheté les droits de traduction et

 

Photos d’époque de la concession française

publication en anglais pour 60 000 dollars, ce qui est plus de dix fois le montant moyen négocié, par exemple, pour un Mo Yan avant le prix Nobel. En France, « Concession » est en cours de traduction par Emmanuelle Péchenart pour Philippe Picquier.

      

La concession française vers 1930 : un photographe

prenant un cliché d’un passant assassiné

 

Le temps que les traductions paraissent, l’engouement risquait d’être retombé. Mais, comme on pouvait s’y attendre, les droits d’adaptation cinématographiques ont également été vendus, à la HuayiBrothers (华谊兄弟). Le film viendra relancer les ventes.

       

Quant à Xiao Bai, promu volens nolens auteur à succès, c’est l’avenir qui va maintenant être déterminant pour son identité d’écrivain.

 

       

       

Notes

(1) Wan xiang (万象): les dix mille choses sur terre, tout ce qui existe ici-bas. Lancée en 1998, la revue a disparu, comme beaucoup d’autres, en 2013.

(2) Il n’en renie cependant pas les influences. D’ailleurs, quand il a travaillé dans la maison d’édition Shanghai Translation Publishing House, il a  été responsable, entre autres, de l’édition chinoise du livre de Susan Sontag « On Photography ».    

       


       

Références 

       

- Eléments biographiques et interview de mai 2009 :

http://www.china.com.cn/book/txt/2009-05/08/content_17746234.htm

- Interview de juillet 2010

http://newspaper.jfdaily.com/sjfwdb/html/2010-07/14/content_369868.htm

- Article de janvier 2013 :

http://time-weekly.com/story/2013-01-10/128597.html

- Rencontre au Salon du livre, 23 mars 2014.

       

Emission de Phoenix TV开卷八分钟 (présentation de livre en huit minutes)

 

        


       

Publications

        

Mai 2009 Hamlet libertin 《好色的哈姆莱特》

Août 2010 Balle de match 《局点》

Mai 2011 La concession 《租界》

Octobre 2012 Représentation et voyeurisme  《表演与偷窥》

       

      

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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