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Luo Shu
罗淑
1903-1938
Présentation
par
Brigitte Duzan, 21 janvier 2019
Luo Shu est connue en particulier pour sa nouvelle
« Née pour être la femme de quelqu’un », parue en
1936. Malheureusement, elle est morte en couches
deux ans plus tard, à l’âge de trente-trois ans.
Mais
Ba Jin (巴金)
fit publier ses œuvres après son décès, les sauvant
ainsi de l’oubli.
Pour la plupart décrivant les destins et les
conditions de vie difficiles de femmes de la
campagne, ses récits sont directement inspirés de
ses observations des paysans qui travaillaient dans
les mines de sel de son père. Mais ils reflètent
aussi l’influence de ses connaissances de la
littérature française autant que chinoise.
Etudes en France, enseignement en Chine
De son vrai nom Luo Shimi (罗世弥),
Luo Shu (罗淑)
est née |
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Luo Shu |
en décembre 1903 à Chengdu dans le Sichuan, d’une famille
originaire de Jianyang (简阳),
aujourd’hui incorporée dans la zone métropolitaine de
Chengdu. Enfant, elle étudie avec ses frères, à la maison,
puis s’habille en garçon pour aller à l’école avec eux. Mais
elle est envoyée ensuite dans une école de filles.
En 1923, elle entre à l’Ecole normale de filles n° 1 de Chengdu,
tout en entretenant une correspondance suivie avec son frère Luo
Shi’an (罗世安),
ainsi qu’avec un proche ami de celui-ci, Ma Zongrong (马宗融),
parti en France en 1919 étudier à l’Institut franco-chinois de
Lyon dans le cadre du programme études-travail. Rentré en Chine
en 1928, il demande la main de Luo Shu. En septembre 1929, une
fois son diplôme obtenu, elle part avec lui en France et ils se
marient à Lyon où Ma Zongrong va enseigner à l’Institut
franco-chinois.
Luo Shu étudie le français puis, en 1930, s’inscrit
à l’université de Lyon. Le couple rentre à Shanghai
en 1933, avec leur petite fille. Luo Shu va
enseigner dans une école expérimentale agricole,
l’Ecole Lida (立达学园).
Des amis la persuadent alors d’écrire les histoires
qu’elle leur raconte sur son enfance au Sichuan et
qui les passionnent.
Une œuvre brève mais remarquée
Ainsi, en 1936, écrit-elle sa première nouvelle,
« Née pour être la femme de quelqu’un » (《生人妻》),
et l’envoie à
Ba Jin qui,
lui-même originaire de Chengdu, avait rencontré son
mari en France en 1929
.
Il reconnaît tout de suite son talent et envoie le
manuscrit au rédacteur en chef du Mensuel de la
nouvelle (《文学月刊》),
qui le publie dans le numéro d’avril de la revue. Ba
Jin l’ayant envoyé sous le nom de « Luo Shu », c’est
le nom de plume que la jeune écrivaine gardera
ensuite pour ses nouvelles suivantes : « Les
mandarines » (橘子),
« Tante Liu » (《刘嫂》)*,
« Les ouvriers du puits « (《井工》),
etc…
Ces nouvelles sont écrites dans un mode réaliste de
littérature de terroir apprécié des intellectuels de
gauche des années 1930. « Née pour être la femme de
quelqu’un » est l’une des plus réussies. Elle
raconte l’histoire d’un jeune couple qui vit dans
les collines bordant la rivière Tuo (沱江),
à l’ouest du Sichuan. Ils mènent une vie difficile,
en coupant et vendant de l’herbe pour vivre ;
voulant que sa femme puisse avoir une vie moins
dure, le mari la vend à une famille riche. Mais, la
nuit même où elle arrive dans cette famille, ne
pouvant supporter les mauvais traitements de son
mari et les insultes de ses frères, elle s’enfuit et
revient dans son ancienne maison. Malheureusement,
quand elle y arrive, à l’aube, elle apprend que son
mari a été arrêté à cause de sa fuite… |
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Le recueil « Née pour être la femme
de quelqu’un » édité par Ba Jin
Réédition 1997 avec des textes
supplémentaires |
Documents de recherche sur Luo Shu
(2010) |
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On peut rapprocher ce récit de celui de
Rou Shi (柔石)
« Une mère esclave » (《为奴隶的母亲》),
publié en 1930 dans la revue Mengya (《萌芽》).
Il s’agit dans ce cas de la vieille coutume de
« mettre la femme en gage » (diǎn qī
典妻),
au lieu de la vendre comme dans la nouvelle de Luo
Shu, mais le sort de la femme n’est enviable ni dans
un cas ni dans l’autre. Cependant, bien que la
« vendeuse d’herbes » de Luo Shu se trouve dans une
misère physique autant que morale, elle se révolte
contre son sort tandis que la paysanne de Rou Shi se
soumet au système. Le résultat n’incite pourtant pas
plus à l’optimisme : la situation de la femme semble
sans issue.
A l’automne 1936, Luo Shu quitte Shanghai avec son
mari, pour aller enseigner avec lui à l’université
du Guangxi. Mais, après l’invasion japonaise en
1937, ils reviennent chez eux, |
au Sichuan. C’est là que Luo Shu meurt, l’année suivante, en
donnant naissance à un petit garçon.
Après sa mort, les hommages se sont multipliés :
« Souvenirs d’une amie » (《纪念一个友人》)
de
Ba Jin, « A
propos de Luo Shu » (《关于罗淑》)
de Li Liewen (黎烈文),
« Souvenirs de Luo Shu » (《忆罗淑》)
de Jin Yi (靳以),
etc.
Ses œuvres ont été éditées en trois volumes,
comprenant ses nouvelles et essais sanwen,
mais aussi deux recueils de traductions, en
particulier de Romain Rolland. |
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Sa pierre tombale à Chengdu |
Traduction en anglais
*Aunty Liu (《刘嫂》),
in: Writing Women in Modern China: An
Anthology of Women's Literature from the Early Twentieth Century,
Amy D. Dooling & Kristina M. Torgeson ed., Columbia University
Press, 1998, pp. 335-341.
[description ultra-réaliste et sans aucun pathos d’une vieille
femme qui a été la nounou de la narratrice une dizaine d’années
auparavant ; renvoyée parce qu’elle buvait un peu trop, elle est
passée d’un mari à l’autre, en s’enfuyant quand elle était trop
battue ; mais elle le raconte comme si c’était normal et dans
l’ordre des choses]
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