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Liu Yichang 刘以鬯
1918-2018
Présentation
par Brigitte Duzan, 22 avril 2013, actualisé 11
juin 2018
Shanghaïen
avant d’être hongkongais, Liu Yichang a été journaliste
avant d’être écrivain, et journaliste en temps de guerre
avant de l’être en temps de paix et de fonder à Hong
Kong les premières revues littéraires.
En juillet
2001, il
a été décoré de la médaille d’honneur de Hong Kong pour
sa contribution au développement de la littérature de
Hong Kong, et, en 2010, a été « l’écrivain
de l’année »
à la Foire du Livre de Hong Kong. Il est considéré comme
le « parrain » de la littérature moderne hongkongaise.
Journaliste à Shanghai puis
à Hong Kong
De son vrai nom
Liu Tongyi (刘同绎),
Liu
Yichang (刘以鬯)
est né à
Shanghai en décembre 1918. |
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Liu Yichang |
Le Saodang bao |
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En 1941, il
sort diplômé de la St John’s University (圣约翰大学),
prestigieuse université anglicane de Shanghai (1), et
commence alors à travailler à la rédaction du « Bulletin
du citoyen » ou Guómín
Gōngbào
(《国民公报》).
Pendant l’été 1942, il part à Chongqing où il collabore
aux deux grands journaux de la résistance pendant la
guerre contre le Japon, le Guómín
Gōngbào
et le
Sǎodàng Bào《扫荡报》)ou
Journal du ‘nettoyage’.
A la fin de la
guerre, en 1946, il revient à Shanghai, collabore au
« Quotidien de la paix » (《和平日报》),
qui a pris la suite en temps de paix du
Sǎodàng Bào,
et
fonde la
maison d’édition Huaizheng Wenhua (怀正文化社).
En 1948, son
père meurt et il part seul à Hong Kong.
Il commence à
collaborer à divers journaux, puis, en 1952, |
est nommé
responsable de la rédaction de l’hebdomadaire Xingdao (《星岛周报》)
et rédacteur principal de la revue Xidian (《西点》).
En 1953, il devient rédacteur général du quotidien de Kuala
Lumpur « United Daily » (《联邦日报》).
En janvier 1985, il
fonde le mensuel « Littérature de Hong Kong » (《香港文学》)
dont il a été rédacteur en chef jusqu’en juin 2000.
Ecrivain
hongkongais après des débuts à Shanghai
Débuts à Shanghai
Liu Yichang
s’est
passionné très tôt pour la littérature, et, encore
étudiant, s’est rapproché du cercle littéraire constitué
autour de Ye Zi (叶紫),
l’un des jeunes auteurs proches de
Lu Xun (鲁迅)
qui ont contribué au développement de la littérature de
gauche dans les années 1930 à Shanghai (2).
En 1933, le jeune Liu Yichang entre dans sa société
littéraire, la société « sans nom » (无名文学会),
et c’est
sous cette influence qu’il commence à écrire de la
fiction.
Pourtant, quand
il écrit sa première nouvelle, publiée en 1936, il
trouve tout de suite un ton personnel. Intitulée
« Les
errances d’Anna Fuluoski » (《流亡的安娜‧芙洛斯基》),
la nouvelle est publiée dans la revue Rensheng huabao
(《人生画报》)
de Zhu Xuhua (朱旭华) ;
elle est illustrée de trois dessins originaux par l’un
de ses camarades de classe qui publiait des dessins dans
ce journal, et qui deviendra le célèbre dessinateur de
presse Hua Junwu (华君武)
(3). |
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Ye Zi |
Le film Amour perdu |
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A
travers les tribulations d’une Russe blanche, le récit
décrit les problèmes de la vie d’exilé ;
Liu Yichang
y analyse en détail et profondeur les sentiments intimes
de son personnage, dans un style original, différent du
réalisme habituel à l’époque. En même temps, il souligne
l’importance de l’expérimentation dans la création
littéraire.
L’une des dernières nouvelles publiées à Shanghai, avant
son départ à Hong Kong, est un récit partiellement
autobiographique, « Amour perdu » (《失去的爱情》),
publié en octobre 1948 dans la revue littéraire
mensuelle « Bonheur » (《幸福》),
et adapté au cinéma en 1949 par le réalisateur Tang
Xiaodan (汤晓丹),
sur un scénario de Xu Changlin (徐昌霖). Mais elle est inspirée d’une nouvelle autrichienne et ne correspond pas
à ses exigences en matière de création. |
Célébrité à Hong
Kong
C’est après son arrivée
à Hong Kong que la carrière littéraire de Liu Yichang démarre
véritablement. Il y publie un
premier recueil de
nouvelles en 1951 : « L’enfer et le paradis » (《天堂与地狱》).
Mais c’est en 1963, avec son premier roman, « The Drunkard »
ou Jiutu (《酒徒》),
qu’il s’affirme
comme un écrivain original.
1. Jiutu
a d’abord été publié en 1962, en épisodes séparés dans
le journal du soir Xingdao wanbao (《星岛晚报》),
avant d’être publié en livre en 1963.
Le récit suit
les errances d’un écrivain raté et alcoolique qui vit en
écrivant des histoires de chevaliers errants ou des
romans pornographiques, et tente désespérément de
trouver sa place dans la Hong Kong du début des années
1960, un monde complexe et mouvant, fait de strates
superposées où s’affrontent et se mêlent les fantômes du
passé et du présent, une ville aux relations humaines
précaires, illustrées par ses relations avec diverses
femmes, dont la fille de sa propriétaire et une jeune
fille qui travaille dans une boîte de nuit.
Sous la plume
de Liu Yichang, la ville apparaît comme un vaste camp
concentrationnaire en proie aux maux les plus
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Jiutu, réédition 2011 |
divers, crime,
prostitution, vénalité et autres, où l’on ne vit qu’à ses
risques et périls, au prix de la perte de ses idéaux. Hong Kong
est une ville unique dont seules ses victimes font pleinement
l’expérience, en succombant à l’alcoolisme et à la dépravation.
C’est une œuvre
noire dont l’atmosphère sombre reflète l’état d’esprit
d’une population de déracinés à l’avenir incertain, mais
dont le style marque une novation importante dans la
littérature de Hong Kong : c’est le premier roman écrit
en « flux de conscience » par un romancier
hongkongais, influencé par Virginia Woolf (4).
2. En 1972, il
publie ensuite son roman le plus connu et le plus
novateur, dans lequel il a poursuivi son expérimentation
formelle du « flux de conscience » commencée avec
« The Drunkard » : Duidao (《对倒》),
dont le titre a été traduit par « Tête Bêche » en
français et « Intersection » en anglais (5).
Situé dans les
années 1970 à Hong Kong, le récit est divisé en courtes
sections qui lui donnent un rythme saccadé : l’auteur
décrit les perceptions et sentiments de deux personnages
en les faisant alterner. L’un est un homme d’un
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Duidao, réédition 2001 |
certain âge
originaire de Shanghai et venu à Hong Kong une vingtaine
d’années auparavant ; l’autre
Tête bêche |
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est une jeune fille qui
vit avec sa mère, dans un rêve constant suscité par les
chansons pop qu’elle entend autour d’elle et les films
qu’elle voit.
Les deux
personnages appréhendent la ville de façon totalement
différente. L’un vit dans un passé constitué par ses
souvenirs, l’autre dans un présent où les medias et
l’imaginaire qu’ils font naître remplacent la mémoire.
Il vivent en parallèle, hantent les mêmes lieux, sont
soumis aux mêmes stimuli et environnés des mêmes dangers
et de la même violence, mais ne se rencontrent jamais.
Le seul moment
où le contact aurait pu être établi est une séance de
cinéma où ils sont assis côte à côte ; ils se regardent
avec curiosité d’un côté, méfiance de l’autre, et
repartent sans s’être adressé la parole. Le film
suscitent même en eux des réactions totalement
différentes : rêves d’amour, certes, mais concret dans
un cas, illusoire dans l’autre. C’est
ce qu’un critique a appelé « proximité sans
réciprocité ».
Ils repartent chacun de leur côté, l’un à
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l’Est l’autre à
l’Ouest, c’est-à-dire nulle part… (6)
Il s’agit en fait d’un
court roman (中篇小说) de onze mille caractères qui a
commencé à être publié par épisodes dans le Xingdao
wanbao
(《星岛晚报星晚版》) à
partir du 18 novembre 1972. Mais, sans doute
insatisfait, Liu Yichang l’a révisé en 1975, et en a
fait une nouvelle qui est beaucoup plus succincte, plus
ramassée et plus incisive.
3. En 1977, Liu
Yichang publie à nouveau, et cette fois une nouvelle
« moyenne » : « A l’intérieur du monastère » (《寺内》).
Puis, à partir de 1979, ses publications deviennent
régulières : nouvelles, essais et critiques littéraires.
Liu Yichang
s’est imposé comme une personnalité majeure des lettres
hongkongaises.
En
juillet 2001, le gouvernement de la région
administrative spéciale lui a décerné la médaille
d’honneur de Hong Kong, pour sa contribution au
développement
de la littérature de Hong Kong. Il a été
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Recueil de 21 nouvelles, décembre 2001 |
nommé président d’honneur de l’association
des écrivains de Hong Kong et, en novembre 2009,
Liu Yichang avec son épouse Luo Peiyun en
2010 |
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professeur
honoris causa de la Open University de Hong Kong. En
2010, il a été « l’écrivain de l’année » à la Foire du
Livre de Hong Kong.
Il est
certainement l’un des écrivains qui aura le plus
influencé les jeunes écrivains hongkongais ; en outre,
en particulier par son action dans le domaine de la
presse, il a également joué un rôle important dans le
développement d’une culture locale, dans une ville qui a
longtemps été réputée ne pas en avoir.
Il est décédé
à Hong Kong, au
Pamela Youde
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Nethersole Eastern
Hospital de Chai Wan,
le 8
juin 2018, à l’âge de 99 ans.
Mary Wong Shuk-han,
professeur de littérature à la Lingnan University, et sa
collègue Grace Lau Yin-ping vont compléter leur travail de
recherche sur Liu Yichang en publiant en juillet 2018 un recueil
de quatre nouvelles formant une série ; intitulé « Our Tales
Retold », le recueil sera édité dans le cadre d’une collection
sur la culture et la littérature de Hong Kong dans les années
1960.
Notes
(1) C’est l’université
où étudia, entre autres,
Zhang Ailing (张爱玲).
(2) Il est mort
prématurément de tuberculose en 1939, à l’âge de 27 ans.
(3) Hua Junwu est l’un
des plus célèbres dessinateurs chinois de dessins satiriques et
bandes dessinées (漫画家) ;
il est décédé en juin 2010 à l’âge de 95 ans.
(4) Le roman a été
adapté au cinéma en 2010 par Freddie Wong (黄国兆),
et réédité alors. Mais on peut aussi considérer que « The
Drunkard » est l’une des œuvres qui ont inspiré le « 2046 » de
Wong Kar-wai, en particulier les intertitres et certains
dialogues, ainsi que le personnage de l’écrivain au centre du
film.
(5)
Tête bêche (《对倒》),
traduit par Pascale Wei-Guinot, éditions Philippe Picquier avril
2003.
(6) C’est ce roman qui
été l’une des sources d’inspiration de Wong Kar-wai pour « In
the Mood for Love ». Le succès phénoménal du film, en suscitant
une vague de traductions et de publications du roman, a
contribué à la notoriété de Liu Yichang, mais finalement moins
qu’on aurait pu le penser car les liens entre les deux œuvres
sont finalement assez ténues.
Autres traductions
- The Cockroach and Other Stories, ed. by D.E. Pollard, Hong
Kong: Research Centre for Translation, Chinese University of
Hong Kong, 1995.
Dont Bust-Up, également dans :
- L’horloge et le dragon, Douze auteurs et quatorze nouvelles
contemporaines de Hong Kong, traduites du chinois par Annie
Curien, Caractères, mai 2006.
A lire en
complément
« In the Mood for
Love », histoire d’un film mythique (sur chinese movies, à
venir)
Très courte nouvelle :
Mauvais numéro
《打错了》
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