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Li Qingyuan 李清源 

Présentation

par Brigitte Duzan, 1er janvier 2016

 

Li Qingyuan est un écrivain du Henan "post ‘70" dont la plupart des récits sont des nouvelles « moyennes » (中篇小说) qui n’ont encore été publiées que dans des revues. Il est donc encore relativement peu connu, mais il figure cependant parmi les meilleurs auteurs de nouvelles de l’année littéraire 2015 distingués par la rédactrice en chef de la revue Dangdai, Kong Lingyan (孔令燕) [1]. C’est certainement un écrivain à découvrir.

 

Si l’on trouve encore peu d’articles le concernant, il a l’avantage de tenir un blog depuis près de dix ans [2], ce qui permet d’aller à la source de sa pensée et de son écriture, en découvrant au fil des pages un auteur dont les nouvelles sont nourries d’une pensée personnelle et écrites dans un style qui n’est pas toujours d’un abord facile.

 

Li Qingyuan

 

Un auteur au style personnel

 

Li Qingyuan (李清源) est né le 10 juillet 1977, dans le district de Yuzhou de la ville-préfecture de Xuchang (许昌市禹州县), au centre du Henan. Il est professeur à l’université de Xuchang, ville qui a connu son heure de gloire quand, Luoyang ayant été ravagée par la guerre, Cao Cao (曹操) en fit la capitale de l’Empire, à la fin de la dynastie des Han, puis quand Cao Pi (曹丕) la choisit comme capitale du nouvel Etat de Cao Wei (曹魏), en 220.

 

Un lettré épris de culture

 

Ces détails ne sont pas anecdotiques. Li Qingyuan fait partie de ces écrivains marqués par leur appartenance à leur sol natal, mais, dans son cas, non point pour en faire le cadre de ses nouvelles et dépeindre la vie locale, mais comme signe distinctif d’un esprit original, en marge, comme les lettrés d’autrefois retirés sur leur terre.

 

Il a écrit des poèmes et des analyses de poèmes anciens, comme « Les chants de Chu » ou Chuci (《楚辞》) dont « l’Esprit de la montagne » ou Shangui (《山鬼》) [3]. Il a fait des recherches et écrit sur l’histoire locale, dont un essai en dix parties datant de 2011 : « Petite localité, grande histoire » (“小地方、大历史”). Il a aussi écrit une « Histoire de la révolte paysanne "en défense des céréales" au Henan pendant l’ère Xianfeng des Qing [1850-1861] » (《咸丰年间河南禹州联庄会抗粮起事本末》).

 

Il souligne constamment l’importance de la culture locale, et surtout la nécessité de l’égalité des cultures locales. C’est en particulier le thème d’un essai de 2010 qui va jusqu’à rêver de l’égalité entre tous et de la liberté de choix, et non d’une loi imposée autoritairement d’en haut qui impose une uniformisation des modes de vie et de pensée [4].

 

Culture qui se traduit dans le style

 

Cette pensée personnelle, chez Li Qingyuan, se traduit d’abord dans son style, sa recherche de l’expression originale, qui pourrait tourner à la préciosité si elle n’était profonde. Avec lui, on revient à l’essence de la culture chinoise, ancrée dans l’étude lettrée à l’ancienne, dont il aimerait rétablir l’idéal dans un monde moderne qui se teinte d’ancien par des manifestations superficielles ; c’est ce qui transparaît d’un texte de 2010 sur la défense d’une culture authentique:


对于地方文化建设,我个人的意见是,祀天祭祖不如访贫问孤,建塔修庙不如改造学校。办这种文化节那种文化晚会,不如把钱省出来建立个本土文化奖项。

Pour ce qui concerne la culture locale, mon opinion personnelle est que, plutôt que d’offrir des sacrifices au ciel et aux ancêtres, mieux vaut aider les pauvres et vaincre l’isolement des solitaires ; plutôt que d’élever des pagodes et restaurer des temples, mieux vaut construire des écoles ; plutôt que d’organiser des fêtes et des soirées de la culture, mieux vaut créer un prix de la culture locale….

 

C’est sur ce fond de culture ancienne qu’il a réussi à se forger un style moderne, percutant, où chaque caractère semble pesé, et qui est parfaitement adapté aux histoires sombres qu’il raconte d’un ton froid et distancié.

 

Avec une certaine tendance à l’obscurité

 

Sa culture, cependant, peut parfois prendre des tours humoristiques, qui resteraient incompréhensibles du commun des mortels s’il ne les expliquait. Ainsi, dans un texte de septembre 2015 sur « Réalisme et fatalisme » (现实主义与宿命论), il explique à un ami qui ne l’avait pas comprise une expression obscure utilisée dans sa nouvelle « 20 années » (《二十年》) postée sur son blog peu de temps auparavant : “息逐眉病” xīzhú méibìng.

 

Cela n’a en soi aucun sens. Pour le déchiffrer, il faut se reporter à l’ancien dictionnaire phonologique des Song, le Guangyun (《广韵》) [5] et utiliser la méthode dite 反切 fǎnqiè qui est la manière traditionnelle de notation phonétique ; selon ce système, pour noter la prononciation d’un caractère on en utilise deux, en prenant la consonne initiale (shēngmǔ 声母) du premier, et le final (vocalique) du second (yùnmǔ 韵母), par exemple : 多贡 pour indiquer la phonétique de dòng  – d de duō et òng de gòng.

 

L’expression “息逐眉病” se décrypte donc ainsi : 息逐 xīzhú donne le son s+u  et 眉病 méibìng le son m -ìng, c’est-à-dire au total sùmìng 宿命 (la fatalité, le caractère inéluctable du destin).

 

A son ami étonné qui lui avait demandé les éclaircissements,  Li Qingyuan explique : si j’avais parlé ouvertement de fatalité, ou de fatalisme (宿命论), je me faisais censurer, il fallaitt donc ruser et tourner la difficulté…[6]

 

Il s’agit là d’un exemple extrême, mais Li Qingyuan n’est pas toujours facile à lire – et, pire encore, à traduire. Ses nouvelles n’en sont que plus fascinantes.

 

Un maître de la nouvelle moyenne

 

Comme le fait remarquer le critique Meng Fanhua (孟繁华) dans l’article précité sur l’année littéraire 2015, c’est la nouvelle moyenne qui est aujourd’hui en pointe, dans la littérature chinoise, mais ce n’est pas un genre facile pour se faire connaître, son appréciation étant encore du domaine d’un petit cercle d’initiés. Li Qingyuan en est un excellent exemple.

 

Publications de nouvelles moyennes à partir de 2012

 

Sa première publication date de mars 2006, et c’est un roman : « Un baiser à la terre » (《与土地亲吻》), publié dans la revue Mangyuan (《莽原》). Il a ensuite écrit des nouvelles, moyennes essentiellement, à part deux nouvelles courtes, mais il a dû attendre longtemps avant de pouvoir les publier, et ce n’est que très récemment, au début des années 2010, qu’il a commencé à sortir de l’anonymat.

 

Après trois nouvelles publiées en 2012 et 2014, mais qui avaient été écrites et postées sur son blog en 2006, c’est grâce à deux autres nouvelles moyennes publiées dans la revue Dangdai en 2014 et 2015 qu’il a attiré l’attention des critiques : « La disparition de Kano » (《走失的卡诺》), publiée en juin 2014, et « La rédemption de Su Rang » (《苏让的救赎》) publiée en mai 2015.

 

La disparition de Kano 

 

Kano est un chien, un Welsh corgi qui est la mascotte du PDG d’une société de médias culturels. Or, un jour, il disparaît. La recherche du responsable est alors l’occasion d’investigations au sein de la société, qui en révèlent les aspects occultés en temps normal. En fait, le chien a été enlevé pour faire retomber la faute sur une employée un peu excentrique, pas très jolie, Pi Erjuan (皮二娟), que cherche à évincer l’assistant du directeur Shao Wei (邵维) qui n’arrête pas de se disputer avec elle.

 

Pi Erjuan est isolée et sert de bouc émissaire facile. Shao Wei est la seule personne à ressentir de la compassion pour elle. Elle finit par se suicider en se jetant du haut de l’immeuble de la société en lui criant son amour.

 

C’est une nouvelle très dure, qui traduit la perte d’humanité dans les rapports humains, au niveau de l’entreprise, mais de façon évidemment symbolique à un niveau social bien plus vaste. C’est le genre de problème que l’on attribue généralement à la croissance économique accélérée, et à sa déstabilisation des rouages sociaux traditionnels.

 

Mais, pour Li Qingyuan, ce n’est pas la modernité sous une forme ou une autre qui est en cause. Avec l’amélioration des conditions de vie, dit-il, on devrait au contraire être mieux à même de perpétuer les traditions socio-culturelles, en se rendant d’autant mieux compte que ce sont les seuls éléments capables d’assurer l’harmonie sociale.

这都是因为人与人之间缺乏了真诚,失去了宽容,没有了忍让,丧失了人格。

Tout cela est dû au fait que les rapports humains ont perdu toute sincérité… comme il n’y a plus ni générosité ni tolérance, il n’y a plus de dignité humaine.

 

Dans la nouvelle, c’est un chien qui a disparu, dans la vie ce sont les valeurs ; Kano est un symbole, et reflète une attitude, un état d’esprit …

 

La nouvelle a été très bien accueillie, et republiée en janvier 2015 dans le Mensuel de la fiction (《小说月报》).

 

La rédemption de Su Rang

 

La publication de « La rédemption de Su Rang »  (《苏让的救赎》) dans Dangdai a suivi quatre mois plus tard et a déclenché une réaction encore plus vive. Dans cette nouvelle, l’analyse des relations humaines est encore plus terrible car il s’agit, à la base, des relations entre père et fils.

 

Su Rang est l’un de ces innombrables étudiants venus des campagnes chinoises faire des études universitaires en ville, et qui ont du mal à s’intégrer dans le réseau urbain une fois leurs études terminées. Su Rang n’arrive pas à trouver un emploi stable, et a aussi beaucoup de mal dans ses rapports avec sa petite amie. Il ouvre finalement une petite librairie et vivote ainsi tant bien que mal.

 

Il a en outre un père détestable, égoïste et sans cœur, un homme plein de hargne qui ne cesse de lui créer des problèmes. Il a plus ou moins provoqué la mort de sa mère, et l’a ensuite enterrée comme un chien, à la suite de quoi il est allé vivre avec une veuve à laquelle il doit payer quinze mille yuans en cadeau de mariage pour l’épouser. C’est évidemment à Su Rang qu’il demande de trouver l’argent, et Su Rang, par un reste de piété filiale, emprunte la somme.

 

Mais il est alors appelé à l’aide par son oncle : son père s’est disputé avec la veuve, l’a battue, et il a été arrêté. Il faut à nouveau payer pour le faire sortir de sa garde à vue au poste de police. Finalement, c’est sa petite amie qui le sort d’affaire, ce qui lui permet d’apprécier ses qualités humaines…

 

Surtout, il apprend que les véritables intentions de son père en voulant épouser la veuve n’étaient pas celles que l’on pouvait penser : il espérait pouvoir toucher la moitié de l’héritage du premier mari, et pouvoir ainsi aider son fils. C’est quand la veuve a refusé de partager qu’il s’est retourné violemment contre elle…

 

La nouvelle est d’une bien plus grande profondeur dans l’analyse des rapports humains que la précédente car personne n’y est ni blanc ni noir, chacun a ses défauts et ses qualités, même si elles sont bien cachées. La famille, comme la société, est en apparence une jungle sans chaleur humaine ni sentiments, où chacun tente de survivre en tentant de sauver sa "face". Mais, en fait, les sentiments couvent sous ces apparences. La rédemption du titre est à la fois rachat de la dette du père et rédemption du fils par la même occasion.

 

On pense à Zhang Ailing (张爱玲) pour la peinture sans compromis d’une certaine cruauté et perversité humaines, Li Qingyuan lui-même en a invoqué la référence. Il a cité l’une de ses premières nouvelles [écrite et publiée pendant son séjour à Hong Kong en 1940] : « Rêve de talent » (《天才梦》), où elle écrit :

生命是一袭华美的袍,上面爬满了虱子

         « La vie est une robe splendide, sur laquelle grouillent des puces. »…….

 

« La rédemption de Su Rang » est difficile à lire, à cause de son style certes, mais surtout parce qu’elle est par moments pénible, voire insoutenable. C’est l’époque qui est ici fustigée.

 

L’œuvre a valu la célébrité à son auteur et donne envie de parcourir les autres récits qu’il continue de poster sur son blog.

 

 

Publications

 

Un roman

Mars 2006 « Un baiser à la terre » 《与土地亲吻》 publié dans Mangyuan 《莽原》

 

Nouvelles moyennes 中篇小说

Clair de neige 《雪晴》 publié dans Lettres du Sichuan 《四川文学》 juillet 2012.

Le vent d’Ouest souffle jusqu’à mon oreiller 《西风吹到枕边》 publié dans Tianxia 《天下》 avril 2014

Un fils 《儿子》 publié dans Lettres du Sichuan《四川文学》 novembre 2012

La disparition de Kano 《走失的卡诺》 publié dans Dangdai juin 2014

La rédemption de Su Rang 《苏让的救赎》 publié dans Dangdai mai 2015

Heureuse rencontre 《相见欢》 publié dans Dangdai mai 2015

Vingt ans 《二十年》 posté sur son blog septembre 2015

Spectacle de singe 《猴戏》 publié dans Lettres du Fujian 《福建文学》 décembre 2015.

 

Nouvelles courtes 短篇小说

Le spectateur 《旁观者》 publié dans Mangyuan 《莽原》 avril 2013

Veilleur de nuit 《守夜》 publié dans le Mensuel de la fiction 《小说月报》 septembre 2015

 

 

A lire en complément

 

Le spectateur 《旁观者》 (extraits)

 

  


[3] Poème de la seconde partie des « Chants de Chu », les Neuf Chants 《九歌》 - onze fragments en réalité – qui semblent avoir été des invocations à des esprits dans le cadre de pratiques chamaniques. Voir sur son blog : http://blog.sina.com.cn/s/blog_9a2c08560101fm8v.html

[4] Intitulé « J’ai un rêve » (《我有一个梦想》), l’essai rappelle instantanément le célèbre discours de 1963 de Martin Luther King exprimant son désir de voir un jour Noirs et Blancs vivre en parfaite égalité, donc en harmonie.

[5] Dictionnaire de rimes qui a remplacé sous l’empereur Zhensong des Song (au début 11ème siècle) le premier dictionnaire Qieyun de 601, source majeure de phonologie chinoise.

[6] Il continue en analysant le concept de fatalisme en lien avec le réalisme :

宿命论与正能量似乎都有点格格不入。但是谈到现实主义,与宿命论就有了血缘上的共通。宿命论作为社会规律在人们意识里的异化应照,对它的探讨与描写,本身也就体现着对社会弊病的揭发和批判。在某种情景下,宿命论是对社会现实的无奈反应,和对现实社会的绝望反击

 …fatalisme et "énergie positive" sont incompatibles. En revanche, réalisme et fatalisme ont des gênes en commun. Le fatalisme en tant qu’ensemble de règles sociales est un reflet de l’aliénation de la conscience humaine, il est aussi manière d’exposer et critiquer les maux de la société ; le fatalisme est une réponse à l’inexorabilité de la réalité sociale, une réaction désespérée à cette réalité. …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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