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Lai He 赖和 / Loa Ho  賴和

Présentation

par Brigitte Duzan, 15 février 2017 

 

Ecrivain taïwanais d’origine hakka, Lai He est considéré comme le père de la littérature moderne taïwanaise (台灣新文學之父). Tête de proue de la littérature de terroir des années 1920-1930, redécouvert à la fin des années 1970, il a alors influencé le développement d’une nouvelle littérature de terroir qui a pris son essor au début des années 1980.

 

Médecin poète

 

Il est né à Changhua (彰化市) en mai 1894. En 1909, à l’âge de seize ans, il entre à l’Ecole de médecine de Taihoku, comme était alors appelée Taipei, école qui avait été fondée par le gouvernement colonial pour enseigner la médecine occidentale. Lai He en sort en 1914, et va travailler comme médecin dans sa ville natale où, en 1917, il ouvre une clinique. Il devient vite réputé comme étant le meilleur

 

Lai He

médecin de l’île et comme, en outre, il vient en aide aux plus démunis, les gens le surnomment Matsu de Changhua, en référence à la déesse de la mer également réputée avoir sauvé de nombreuses vies. 

 

1992, création du prix Lai He, « le père

de la littérature taïwanaise moderne »

 

En même temps, il a une bonne formation littéraire et il écrit des poèmes chinois classiques ; lorsque Taiwan a été cédée au Japon par la dynastie des Qing, en 1895, en effet, la littérature taïwanaise ne consistait pratiquement que de poèmes, dans la grande tradition chinoise. C’est lorsque les Japonais ont amorcé le processus de modernisation de l’île qu’est apparue une nouvelle forme de littérature, devenue partie intégrante d’une phase de résistance

socio-politique contre le régime colonial japonais. Lai He a été une figure de proue du mouvement.

 

Ecrivain de la résistance anticoloniale

 

Rédacteur au Taiwan Minpao

 

Le 17 octobre 1921, plus trois-cents leaders taïwanais participent aux cérémonies d’inauguration du Taiwan Bunka Kyokai ou Association culturelle de Taiwan à Taihoku qui devait devenir le fer de lance du mouvement autonomiste taïwanais. L’un d’eux est Lai He.

 

Il venait de rentrer d’Amoy (aujourd’hui Xiamen) où il était parti en 1918 travailler dans un hôpital japonais. Pendant son séjour, il lit des œuvres d’auteurs chinois du mouvement du 4 Mai, Lu Xun en particulier, et constate l’immense influence du mouvement sur la culture et la société chinoises ; il se retrouve, comme Lu Xun étudiant en médecine au Japon, à disséquer les corps pour en conclure qu’il était bien plus urgent de soigner les esprits.

 

Quand il revient à Taiwan en 1920 après avoir démissionné, c’est donc avec l’intention de contribuer au développement 

 

Lai He jeune

de la scène culturelle locale. Il devient alors rédacteur de la page littéraire, éditée en chinois, du journal de l’Association, le Journal du peuple de Taiwan ou Taiwan Minpao (台灣民報). En même temps, il change le second caractère de son nom, de he rivière en son homophone he paix, harmonie. Cette page quotidienne en chinois a continué à être éditée jusqu’au déclenchement de la guerre sino-japonaise, le 7 juillet 1937. 

 

Poèmes et nouvelles critiques

 

Lai He médecin (à g.)

 

En même temps, Lai He ouvre une salle de lecture dans l’hôpital où il travaille, et y met à disposition des lecteurs des textes de la nouvelle littérature chinoise en baihua et des revues japonaises. Cette initiative lui permet de faire connaître les plus importants écrivains de la période coloniale dont il publie les écrits dans le Minpao. En 1925, il publie son premier poème dans un style nouveau, « Sacrifice conscient » (《覺悟下的犧牲》), en hommage aux cultivateurs de canne qui se sont élevés cette année-là contre les spoliations de terre et l’exploitation dont ils étaient victimes.

 

C’est une période d’intense réflexion et d’expérimentation sur la langue qui s’inscrivent dans la continuité des recherches sur le baihua. Pour son premier récit, « Exaltation » (《斗闹热/鬥鬧熱》), publié le 1er janvier 1926 dans le Taiwan Minpao, Lai He innove en transcrivant en

caractères chinois des expressions populaires taïwanaises qu’il insère dans les dialogues. Il est l’un des premiers à avoir exprimé l’idée que la transcription de la langue vernaculaire taïwanaise et des concepts propres qu’elle exprime nécessitait la création de caractères nouveaux, voire des emprunts à d’autres systèmes orthographiques. Le titre même de son roman est un exemple : Lai He transcrit dòunàorè 鬥鬧熱 là où le chinois aurait dit còurènào 凑熱 [1].

 

Mais l’élaboration de cette langue nouvelle est la base d’une écriture qui se veut conscience du peuple. Cette époque de la fin des années 1920 et du début des années 1930 est aussi celle où Lai He écrit des nouvelles qui s’inscrivent dans un courant de littérature nativiste, ou de terroir (鄉土文學), consistant en récits critiques du régime colonial japonais dont ils fustigent la brutalité et l’indifférence aux problèmes de la population, mais tout aussi sévères à l’égard de la passivité des intellectuels locaux.

 

Un manuscrit de Lai He

 

La balance

 

Publiée cette même année 1926, « La balance » (《一杆称仔) est l’une de ses nouvelles les plus célèbres ; inspirée du « Crainquebille » d’Anatole France [2], comme l’explique Lai He dans les lignes conclusives de son texte, l’histoire est celle d’un jeune garçon qui a perdu son père très jeune ; après avoir été gardien de buffles, il tente de devenir agriculteur mais sans trouver de terres à louer, il vit donc de petits boulots avec sa mère ; quand il a dix-huit ans, celle-ci le marie, il a un fils un an plus tard, puis une fille, sa mère meurt heureuse, mais, quatre ans plus tard, il contracte le paludisme.

 

Cependant, à l’approche des fêtes du Nouvel An lunaire, sa femme se fait prêter une épingle en or et la met en gage ; avec ce petit capital, il devient marchand de légumes en empruntant une balance à un voisin. Ses affaires marchent bien, il semble sur le point de se sortir d’affaire quand il est

pris à partie par un policier japonais qui tente de le racketter et l’accuse de tricher sur le poids. Le malheureux finit condamné à verser une amende que paie sa femme avec l’argent qui devait lui permettre de racheter l’épingle.

 

L’atmosphère festive ne l’empêche pas de ressentir toute l’injustice de son sort. La nouvelle se termine sur une phrase lapidaire : « une rumeur se répandit dans le marché qu’un policier avait été tué lors d’une patrouille de nuit » …

 

La nouvelle est brève, quelque six mille caractères dans sa version révisée, mais les personnages sont bien campés, et les coutumes décrites lui donnent de la profondeur. En même temps, elle évoque le contexte social de l’époque, la spoliation des terres et l’exploitation de la main-d’œuvre locale par les compagnies sucrières qui ont conduit, en 1925, à un mouvement de protestation durement réprimé auquel se réfère le premier poème de Lai He. « La balance » marque les débuts d’une nouvelle littérature qui est littérature vernaculaire de résistance anticoloniale.

 

La nouvelle « Fauteur de troubles» (《惹事》), publiée en 1932, en est un autre exemple. Ici c’est une femme qui est prise à partie par un policier qui l’accuse d’avoir tué un poulet lui appartenant ; un jeune homme s’interpose pour la défendre, et tente d’inciter un groupe de gens à protester contre le traitement injuste dont elle est victime, mais finalement ils se rétractent et l’accusent de hooliganisme. La critique est donc à la fois contre la violence du colonisateur et la couardise de ses compatriotes taïwanais qui préfèrent s’attaquer au jeune qui fomente la révolte plutôt que de se révolter eux-mêmes.

 

Prisonnier

 

L’activisme de Lai He croît dans le courant des années 1930. Il fait même des expériences d’écriture en hokkien taïwanais qui, si elles ne sont pas entièrement satisfaisantes,

 

Fauteur de troubles, rééd. 2005

ouvrent cependant la voie à l’émergence d’une conscience nationale taïwanaise qui sera très importante pour les écrivains de la génération suivante.

 

Son activisme politique le conduit cependant en prison [3]. En 1941 il est incarcéré pendant cinquante jours. A cette occasion, il écrit un « Journal de prison » (《獄中日記》) qui reflète une grande tristesse. Mais il y attrape une maladie qui lui sera fatale. L’interdiction d’écrire en toute autre langue que le japonais le force à stopper toute publication jusqu’à sa mort, le 31 janvier 1943, à l’âge de cinquante ans.

 

Lai He a exercé une influence déterminante sur les écrivains de la génération suivante, Yang Kui (楊逵) en particulier qui lui a soumis ses premiers récits, publiés ensuite dans le Taiwan Minpao. La redécouverte de Lai He à la fin des années 1970 a contribué à l’essor d’une nouvelle littérature de terroir à Taiwan.

 


 

Traductions en anglais

 

- The Advocate, nouvelle trad. par Rosemary Haddon, B.C. Asian Review n° 1, 1987 – repris dans Oxcart : nativist stories from Taiwan 1934 - 1977. Projekt-Verl. Dortmund 1996, pp. 59–72.

 

- Série de sept nouvelles publiées dans : Taiwan literature, English translation series, University of California, Santa Barbara n° 15, juillet 2004 :

The Steelyard 《一杆“称仔”, trad. Howard Goldblatt, reprise dans The Columbia Anthology of Modern Chinese Literature, Joseph S.M. Lau & Howard Goldblattes, Columbia Uiversity Press 2007, pp. 103-109.

Making Trouble 《惹事》/ A dissatisfying New Year 《不如意的過年》, trad. John Balcom

The Homecoming 《歸家》/ Returning from a Spring Banquet 《赴了春宴回來》, trad. Yingtsih Hwang

Progress 《前進》/ A Diary in Jail《獄中日記》, trad. Lloyd and Shu-ning Sciban.

 

- “Festival High Jinks” 《鬥鬧熱》 tr. Sylvia Li-chun Lin, Taiwan Literature: English Translations Series n° 19, 2006, 19-26.

 


 

A lire en complément

 

Lai Ho, Wu Cho-liu and Taiwan Literature, by K.C. Tu, Taiwan Literature: English Translation Series, April 2004.

http://www.eastasian.ucsb.edu/taiwancenter/sites/secure.lsit.ucsb.edu.east.d7_

taiwancenter/files/sitefiles/publications/15%20-%20Foreword%20in%20English.pdf

 


 

Bibliographie

 

Lecture minutieuse d’”Une balance” de Lai He, par Lin Ming-teh, dans : La littérature taïwanaise : état des recherches et réception à l’étranger, sous la direction de Chan Ning-ho, Joyce Liu Chi-hui, Peng Hsiao-yen, Angel Pino & Isabelle Rabut, éditions You Feng 2011, pp. 285-299.

[Lin Ming-teh analyse la nouvelle à la lumière de « L’affaire Crainquebille » dont elle est inspirée, en en soulignant les qualités spécifiques]

 

 


[1] Voir The Construction of National Identity in Taiwan’s Media, 1896-2012, by Hsu Chen-jung, Brill 2014, pp. 38-39.

[2] La nouvelle (《克兰比尔》), très populaire en Chine, n’a été traduite en chinois qu’en 1927, par la société Création à Shanghai et la bibliothèque de Lai He en avait d’ailleurs un exemplaire à sa mort, conservé dans le musée Lai He ; en 1925, il a donc dû lire la traduction en japonais.

[3] Il commence un poème – « En buvant de l’alcool » 《飲酒》 – en disant : je suis, hélas, né prisonnier. En effet, il est né juste avant la cession de l’île au Japon, et il est mort deux ans avant la fin de la guerre : sa vie recouvre donc exactement la période coloniale.

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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