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				Hong Ying  
				虹影 
				
				
				Présentation 
				
				par 
				Brigitte Duzan, 7 janvier 2012 
				  
				
					
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						Bien que des 
						traductions de trois de ses romans aient été publiées en 
						France, Hong Ying y reste largement méconnue. 
						
						
						C’est pourtant 
						une romancière qui a connu une brusque célébrité lorsque 
						parurent, au tournant du millénaire, 
						
						
						d’abord son 
						autobiographie, puis son roman sur les aventures en 
						Chine de Julian Bell, neveu de Virginia Woolf. 
						 
						
						
						   
						
						
						Ce fut, il est 
						vrai, une célébrité légèrement tapageuse, entachée d’un 
						scandale médiatisé, qui reste associée au nom de la 
						romancière. Et c’est dommage car c’est au détriment de 
						ses autres écrits, et ses nombreuses nouvelles, en 
						particulier.  
						
						  
						
						Fille de 
						batelier en quête des origines 
						
						  
						
						
						Hong Ying 
						(虹影) 
						est née à 
						
						Chongqing (重庆) 
						en 1962, sur les bords du Yangzi. Son grand-père 
						maternel y était coolie,   | 
						  | 
						
						 
						
						  
						
						Hong Ying  | 
					 
				 
				
				son père 
				batelier ; nombre de ses nouvelles sont nourries et colorées des 
				souvenirs du fleuve, tout comme son autobiographie : 
				  
				
				我的家在长江南岸。  
				
				南岸是一片丘陵地,并不太高的山起起伏伏,留下一道道沟坎。如果长江发千古未有的大水,整个城市统统被淹,我家所居的山坡,还会象个最后才沉没的小岛,顽强地浮出水面。这想法,从小让我多少感到有点安慰。 
				
				        
				Nous habitions sur la rive sud du Yangzi. 
				
				C’est 
				un endroit vallonné, dont les collines assez modestes  dessinent 
				des successions de crêtes et de vals. Les années de grandes 
				crues comme il y en a eu dans le passé, toute la ville est 
				submergée ; parce qu’elle est située à flanc de colline, la 
				maison semble alors le dernier îlot à devoir être englouti, et à 
				émerger encore obstinément des eaux. Dans mon enfance, cela m’a 
				souvent donné un sentiment de sécurité.  
				
				  
				
				Elle 
				décrit ensuite la montée pénible d’une vingtaine de minutes pour 
				parvenir du débarcadère du bac, sur le bord du fleuve, jusque 
				chez elle, et nous fait parcourir du regard la vue sur le fleuve 
				que l’on apercevait du seuil. Autant d’images et de souvenirs 
				aujourd’hui effacés : c’était avant le barrage des Trois-Gorges.
				 
				
				  
				
				Mais la 
				sécurité dont elle parle est toute relative… 
				
				  
				
				
				Enfance pauvre  
				  
				
					
						| 
						 
						  
						
						Fille de la faim (autobiographie)  | 
						  | 
						
						 
						
						Hong Ying est la sixième enfant de la famille. Ils 
						vivent dans la plus grande pauvreté, aggravée par les 
						conditions difficiles des lendemains du Grand Bond en 
						avant et de la famine qui en a résulté. 
						  
						
						
						Ses parents étaient arrivés là au début de 1951, avec un 
						enfant. Mais la politique de Mao Zedong, à l’époque, 
						
						
						raconte-t-elle d’un ton accusateur, était résolument 
						nataliste, l’accroissement démographique étant un des 
						éléments de sa volonté hégémonique. Ils se sont 
						finalement retrouvés avec six enfants (deux autres étant 
						morts prématurément) ; son père est bientôt atteint de 
						cécité, sa mère doit aller travailler comme coolie pour 
						nourrir la maisonnée. La faim est un autre des souvenirs 
						d’enfance de Hong Ying, qui hante son autobiographie, et 
						explique son titre : « Fille de la faim » (《饥饿的女儿》). 
						
						   
						
						Grandir 
						
						dans les années 1960 
						dans un 
						quartier déshérité de   | 
					 
				 
				
				
				Chongqing, noyé dans une misère sordide tout autant qu’un 
				brouillard persistant, n’est pas sans laisser de traces. Peu de 
				mentions de la Révolution culturelle dans ses écrits : la toile 
				de fond, ou plutôt le leitmotiv, est la lutte pour la survie, 
				une lutte serrée pour une survie spirituelle et morale autant 
				que physique.  
				  
				
				La 
				maison n’a qu’une pièce pour les huit personnes de la famille, 
				mais, pour couronner le tout, la sœur aînée se marie trois fois 
				et divorce trois fois, après avoir eu trois enfants ; à chaque 
				divorce, elle revient vivre chez ses parents, ce qui engendre, 
				forcément, des disputes sans fin avec leur mère, jusqu’à ce que, 
				n’y tenant plus, elle reparte au bout de quelques jours. 
				L’atmosphère invivable s’ajoute au dénuement pour donner à Hong 
				Ying un sentiment de culpabilité : celui d’être la bouche 
				supplémentaire à nourrir, celle dont on aurait bien pu se 
				passer. 
				
				   
				
				
				L’existence de Hong Ying est en outre voilée d’un autre 
				brouillard, aussi omniprésent que celui de Chongqing, et que son 
				sentiment de culpabilité : des zones d’ombre comme autant 
				d’énigmes sur  
				
				
				elle-même, ses parents et sa famille, nourrissant des 
				interrogations qu’elle n’a eu de cesse de raconter, nimbées de 
				fantasmes, dans ses premiers écrits, ses poèmes d’abord, puis 
				ses nouvelles et ses romans, y revenant sans cesse dans une 
				tentative que l’on sent désespérée, mais aussi un tantinet 
				exhibitionniste, d’exorciser le passé.  
				
				   
				
				Qui est 
				cet homme qui la suit à la sortie de l’école ? Pourquoi y a-t-il 
				une ‘anomalie’ dans le dossier officiel de son père, ce dossier 
				où étaient enregistrés les faits et gestes de chacun et qui 
				tenait lieu de carte d’identité dans la Chine d’alors ? Pourquoi 
				les voisins sont-ils hostiles ? Et pourquoi a-t-elle le 
				sentiment tenace d’être une étrangère dans sa propre famille ?
				 
				
				   
				
				
				Adolescence meurtrie 
				
				   
				
				Autant 
				de questions qui la rongent. Ses poèmes, alors, parlent de 
				désespoir et d’attente, attente d’un amour qui puisse lui 
				changer la vie, mais elle n’y croit guère. Elle dira qu’elle 
				avait l’impression que le noir de la société lui avait envahi le 
				cœur. Elle lit Tsvetaieva, s’identifie à la poétesse russe elle 
				aussi victime de la famine, à Moscou, après la révolution 
				d’Octobre, elle aussi victime d’une société bloquée où elle ne 
				trouve pas sa place, d’un système politique répressif qui la 
				pousse à l’exil et, une fois revenue en Union soviétique, à se 
				pendre… 
				
				   
				
				En fait, 
				Hong Ying a un 
				confident : son professeur d'histoire. Il a vingt ans de plus 
				qu’elle et lui ouvre de nouveaux horizons, et en particulier 
				l’incite à penser par elle-même, hors du discours établi. Ils 
				font l'amour, un soir, et ne se reverront plus. Aussitôt après, 
				en effet, 
				Hong 
				Ying apprend que 
				l'homme mystérieux qui la suivait est son vrai père : il a connu 
				sa mère pendant que son père était en prison, et c’est cette 
				liaison, interrompue à sa naissance, qui a contribué à jeter 
				l'opprobre sur la famille. Il a cependant obtenu le droit de 
				rencontrer sa fille le jour de ses 18 ans, en 1980.  
				
				   
				
				C’est un choc pour Hong 
				Ying qui tombe malade et ne va plus aux cours pendant quelques 
				jours. Quand elle revient en classe, elle apprend que son 
				professeur d'histoire s'est pendu, victime des pressions et 
				intimidations que lui valait son esprit indépendant et frondeur. 
				Elle se retrouve enceinte, obligée 
				
				d’avorter, sans 
				anesthésie.  
				
				  
				
				Suivent quelques années 
				chaotiques, loin des siens, pendant lesquels elle parcourt la 
				Chine en écrivant poèmes et nouvelles. 
				A partir 
				du début des années 1980, elle publie quelques poèmes, pour elle 
				c’est une aubaine. Elle a raconté qu’elle a touché trente yuans, 
				la première fois ; elle a emmené une amie au restaurant, cela 
				lui en a coûté six, elles ont chanté des poèmes et bu du mauvais 
				vin. Le reste de la somme lui a permis de ne pas crever de faim 
				jusqu’à la fin du mois. Ses poèmes lui servent ensuite de 
				pare-faim épisodique. 
				
				   
				
				Puis elle décide de 
				partir pour Pékin. Avant son départ, elle rend visite à ses 
				parents et apprend que son vrai père est mort, trois ans 
				auparavant. Sa mère lui remet un petit paquet : l'argent qu'il 
				avait épargné pour sa fille, toutes ces années-là… 
				
				   
				
				Découverte de Pékin 
				et désillusion 
				
				   
				
				Elle arrive à Pékin en 
				février 1989, et suit des cours d’écriture à l’académie Lu Xun (北京鲁迅文学院), 
				avant d’aller étudier à l’université Fudan, à Shanghai (上海复旦大学). 
				
				   
				
				Pékin, elle en avait 
				rêvé. C’était la ville où se trouvait le « soleil en or » comme 
				Versailles était la résidence  mythique du Roi soleil. Et puis, 
				aussitôt après son arrivée, ou presque, c’est le fameux 
				« Printemps de Pékin » qui se terminera noyé dans le sang place 
				Tian’anmen. Elle est là, au milieu des étudiants. Pour elle, 
				comme pour les autres, c’est au début une merveilleuse occasion 
				de s’exprimer, de se sentir libérée, avec cette étrange 
				sensation que tout pouvait brusquement changer, son destin comme 
				celui de la nation.  
				
				  
				
				Mais, a-t-elle raconté 
				plus tard dans « L’été des trahisons » (《背叛之夏》), 
				tout avait dégénéré, était allé beaucoup trop vite, la 
				démocratie ne pouvait être instaurée du jour au lendemain, et 
				beaucoup ont ensuite profité de la sympathie éveillée à 
				l’étranger… La trahison politique s’était ajoutée à toutes les 
				autres trahisons dont elle avait été victime. 
				
				  
				
				Elle reste encore deux 
				ans à Shanghai, mais rien de ce qu’elle écrit n’est publiable. 
				Elle a dû penser à Tsvetaieva qui se désespérait de voir ses 
				poèmes s’empoussiérer dans les bibliothèques : ils « seront 
				dégustés comme les vins les plus rares, quand ils seront 
				vieux », dit-elle dans un poème.  
				
				  
				
				Alors Hong Ying décide 
				de partir. 
				
				  
				
				Départ à Londres et 
				immersion dans l’écriture 
				
				  
				
				Elle quitte la Chine 
				pour Londres, en 1991. Et là, elle découvre la joie de pouvoir 
				écrire librement, d’avoir son propre bureau, et la joie de 
				s’installer enfin à deux dans l’existence.  
				
				  
				
				C’est le 
				genre d’existence dont on dit que c’est un roman. Hong Ying en a 
				fait toute une œuvre. Sa page d’écriture lui a tenu lieu de 
				divan de psychanalyse. Elle a raconté qu’elle écrivait par 
				terre, dans la minuscule maison de son enfance à Chongqing, sur 
				une pierre posée sur le sol ; elle n’a jamais, alors, songé 
				qu’elle pourrait avoir un jour une table à elle pour écrire, et 
				encore moins cette « room of one’s own » dont Virginia Woolf a 
				fait un des éléments essentiels de la libération de la femme, au 
				moins dans sa dimension d’écrivain.  
				
				  
				
				La 
				réalité la plus triviale, la plus terrible et la plus crue, a 
				longtemps nourri sa fiction, comme condition préalable de 
				survie. Loin de chercher une solution dans la fuite par 
				l’écriture, elle y a consigné ses cauchemars comme autant de 
				papillons de nuit épinglés sur un mur.  
				
				  
				
				
				Une œuvre d’où émergent poèmes et nouvelles 
				
				  
				
				Hong 
				Ying a commencé à publier des poèmes dès 1983, mais c’est de son 
				arrivée à Londres que datent ses premières publications de 
				fiction. Elle se met alors à écrire avec une frénésie qui laisse 
				pantois. Elle dit : ma vie consiste à couvrir des feuilles de 
				papier de caractères.  
				
				   
				
				A 
				room of her own 
				  
				
					
						| 
						 
						
						Ce qui a certainement exercé une immense influence sur 
						sa ‘production’ d’écrivain fut son mariage, à son 
						arrivée à Londres. Elle épouse alors un professeur de l’Oriental 
						School de l’université de Londres : 
						
						Zhao Yiheng (赵毅衡). 
						Ils 
						
						s’étaient connus en Chine dans les années 1980 : 
						Hong Ying commençait à publier des poèmes et lui était 
						critique littéraire. Quand elle le retrouve 
						
						à Londres, il fait des 
						traductions et des recherches sur la littérature 
						chinoise contemporaine ; on lui doit nombre d’études 
						publiées en Angleterre et aux Etats-Unis (en particulier 
						sur 
						
						Yu Hua). 
						 
						
						   
						
						Il apprécie ce 
						que Hong Ying écrit et l’encourage. Il inclura deux 
						nouvelles d’elle dans une anthologie de nouvelles, 
						poèmes et essais publiée aux Etats-Unis en septembre 
						2001,  « Fissures, 
						Chinese writing today » (4) : « Preparing his 
						  | 
						  | 
						
						 
						  
						
						Zhao Yiheng  | 
					 
				 
				
				
				biography » et « The Snuff Bottle », où elle montre comment une 
				histoire se transforme en circulant. 
				
				  
				
				A 29 
				ans, elle a enfin une chambre à elle, un bureau où écrire, et 
				une certaine sécurité, matérielle et affective.  
				
				  
				
				De 
				« L’été des trahisons » à « Fille de la faim » 
				
				  
				
				Dès 
				1991, elle écrit son premier roman, « L’été des trahisons » 
				(《 背叛之夏》). Elle est arrivée à Londres au début de l’année, elle commence à écrire 
				le livre au mois d’août, elle le termine en trois mois ; le 
				récit a jailli de sa plume. C’est un témoignage (personnel et à 
				peine romancé) sur ce qu’elle a vécu deux ans plus tôt, le 
				Printemps de Pékin. Par le biais d’une jeune poétesse de fiction 
				à laquelle elle prête ses propres poèmes, elle y décrit 
				l’enthousiasme des étudiants, la découverte de la liberté 
				
				d’expression, une sorte de griserie contagieuse, dégénérant bientôt en 
				hystérie collective, et en un bain de sang.  
				
				  
				
				La trahison est double, 
				politique et sentimentale, son personnage, après avoir fui la 
				place Tian’anmen ensanglantée, retrouvant son amant au lit avec 
				l’épouse dont il avait promis de se séparer. C’est assez typique 
				des romans de Hong Ying : la blessure affective est toujours 
				latente chez ses personnages, et le corps féminin érigé en 
				symbole du désir de libération.  
				
				   
				
				Mais 
				« L’été 
				des trahisons » 
				est surtout sur l’après-Tian’anmen, sur la reconstruction d’une 
				existence après un tel fiasco. Le désespoir amoureux qui est 
				venu doubler le désespoir politique va prendre le pas pour 
				devenir une force. Le temps n’est plus à l’espoir collectif, 
				tout le monde panse ses plaies ; sa poétesse retourne à la 
				solitude de son enfance misérable. L’utopie politique n’ayant 
				plus cours, et dans un monde où les anciens rebelles rentrent 
				dans le rang pour sauver leur peau, elle tente l’autre utopie, 
				la libération sexuelle, comme autre forme de résistance et de 
				révolte, individuelle celle-là.   
				
				  
				
				Le roman a été publié 
				en septembre 1992 à Taiwan. Il a évidemment rencontré un succès 
				quasi immédiat dans la plupart des pays occidentaux, le sujet 
				s’y prêtait. On lit, il est vrai, avec intérêt ses déclarations 
				sur les étudiants, leur idée illusoire de la démocratie à tout 
				prix et tout de suite, sa dénonciation indignée de l’incroyable 
				barbarie du pouvoir politique et des compromissions ultérieures, 
				de tous côtés. Mais ces dénonciations politiques et son histoire 
				sentimentale rappellent beaucoup d’autres écrits et films sur le 
				même sujet (1). Le roman est bien plus intéressant, au niveau 
				littéraire, par 
				
				l’éclairage qu’il donne 
				de son auteur. Son personnage est fictionnel, mais si peu !
				 
				
				  
				
				Lors d’une interview à 
				Libération lors de la sortie de la traduction du roman en France 
				(2), elle a dit de son personnage : 
				
				« Elle est 
				étudiante, comme moi, elle vient d'une ville au bord du fleuve 
				et d'une famille pauvre. Elle a un ami, qui ne veut pas qu'elle 
				aille sur la place Tian’anmen, j'avais le même. La nuit du 3 au 
				4 juin, elle est dans la rue, elle est sauvée de la même manière 
				que je l'ai été, elle se cache comme je me suis cachée. La 
				différence, c'est que je suis ici, et qu'elle est peut-être en
				 
				
				prison. » 
				  
				
					
						| 
						 
						  
						
						K (The English Lover)  | 
						  | 
						
						 
						La différence 
						est de taille. Hong Ying n’en finit pas de se raconter 
						pour tenter de trouver un sens à ses tribulations, et 
						surtout une issue qui leur donnerait un sens, justement. 
						C’est le cas de son second roman, paru à Taiwan 
						également, en 1994, c’est tout le sujet, surtout, de son 
						autobiographie, « Fille de la faim », parue en 
						1997 : elle y décrit avec poésie et une certaine 
						nostalgie les lieux de son enfance, puis dévoile avec 
						une incroyable franchise, voire impudeur, les aspects 
						sordides de cette enfance mais surtout de son 
						adolescence.  
						  
						
						Là encore, ce 
						n’est pas seulement pour se libérer du poids du passé, 
						mais pour montrer qu’il y a une issue possible et que la 
						lumière est au bout du tunnel. Mais cette sortie du 
						tunnel passe chez elle forcément par une vie affective 
						et sexuelle comblée : ces premiers personnages sont des 
						femmes qui se veulent sexuellement libérées, à la 
						recherche   | 
					 
				 
				
				d’un amour, sinon de 
				l’amour. C’est une matrice fictionnelle de base chez elle. 
				  
				
					
						| 
						 
						Le scandale 
						de « K » ou comment devenir célèbre 
						  
						
						Deux ans plus 
						tard, en mai 1999, toujours à Taiwan, elle publie un 
						roman sulfureux qui va déclencher un scandale en 
						Angleterre : « K ». Elle y décrit avec force détails 
						l’aventure amoureuse vécue par Julian Bell pendant son 
						séjour en Chine, fin 1935.  
						
						   
						
						Poète mineur 
						mais neveu de Virginia Woolf, Bell est arrivé en Chine à 
						l’automne 1935 pour enseigner l’anglais à l’université 
						de Wuhan. Il a 27 ans, une gueule d’archange, on 
						l’appelle « le jeune apôtre ». Il n’achève pas son 
						contrat et part en Espagne, comme ambulancier dans la 
						guerre civile espagnole. Il est tué en juillet 1937 lors 
						d’un combat, laissant parmi ses papiers des lettres 
						écrites à Wuhan à une jeune femme qu’il désigne de la 
						lettre "K" pour dissimuler son identité car elle était 
						mariée : onzième lettre de l’alphabet pour celle qui 
						était sa onzième amante.   | 
						  | 
						
						 
						  
						
						Julian Bell  | 
					 
				 
				  
				
					
						| 
						 
						  
						
						Ling Shuhua lors de son mariage  | 
						  | 
						
						 
						L’identité 
						véritable de "K" est toujours contestée, mais il semble 
						probable qu’il s’agit de Ling 
						Shuhua (凌叔华), romancière née en 1900 qui nous a laissé de superbes nouvelles. Elle 
						avait épousé en 1927 l’un de ses éditeurs, Chen Yuan (陈源), 
						professeur d’anglais à l’université de Pékin, qu’elle 
						avait ensuite, en 1929, accompagné à Wuhan lors de sa 
						mutation à l’université de cette ville.  
						
						   
						
						Hong Ying tombe 
						sur des lettres et des photos de Bell et de sa mère à la 
						bibliothèque de Londres, s’empare de l’histoire, la 
						passe au prisme de la sienne et de ses fantasmes, et en 
						fait un best-seller aussitôt comparé à « L’amant de Lady 
						Chatterley », avec un garde-chasse qui serait féminin et 
						chinois, mais des scènes érotiques tout aussi 
						explicites.  
						
						   
						
						Une petite 
						fille de Ling Shuhua prend la mouche, dénonce le livre 
						comme étant « insupportablement pornographique » et 
						traîne Hong Ying au tribunal. Non point en Angleterre, 
						il n’y a plus de loi britannique dont se prévaloir, 
						mais… en Chine ! Il y a en effet une loi chinoise qui 
						punit toute personne coupable d’avoir porté atteinte au 
						« droit à la 
				réputation   | 
					 
				 
				
				d’un 
				défunt » (死者名誉劝), 
				l’action en justice pouvant être intentée au nom dudit défunt 
				par ses descendants à la troisième génération.  
				  
				
					
						| 
						 
						C’est 
						effectivement ce qui s’est produit, en oubliant que la 
						loi avait été initialement conçue dans un but politique, 
						pour défendre les « droits à la réputation » … des 
						grands personnages de la révolution chinoise. Ironie 
						mise à part, Hong Ying est condamnée en 2002. 
						Imperturbable, elle réécrit son livre en l’édulcorant 
						quelque peu, le réédite en 2003 en le rebaptisant 
						« L’amant anglais » (《英国情人》) 
						et en fait un autre succès d’édition. Comme une revanche 
						sur son enfance et tout ce qu’elle a subi. 
						  
						
						Elle enchaîne 
						ensuite les romans : elle revisite encore les lieux de 
						son enfance avec « The Peacock Cries » (《孔雀的叫喊》), 
						en 2002, pour regretter la perte d’un patrimoine 
						millénaire en racontant une autre histoire de trahison 
						amoureuse, avec pour cadre la construction du barrage 
						des Trois-Gorges dont les eaux de retenue vont engloutir 
						la maison natale du personnage principal ; elle revient 
						sur certains épisodes particulièrement durs de sa propre
						  | 
						  | 
						
						 
						  
						
						The Peacock Cries  | 
					 
				 
				
					
						| 
						 
						tragédie 
						familiale avec « Good Children of the Flowers » (《好儿女花》) 
						; mais les trois romans précédents, regroupés sous le 
						titre « la trilogie de Shanghai », sont plutôt une 
						réflexion sur l’histoire, celle de Shanghai avant 1949. 
						Il faut bien reconnaître que tous ces romans n’ont pas 
						la force des premiers.  
						  
						
						Elle parvient 
						cependant, entre deux romans, à publier aussi des 
						recueils d’essais, de poèmes et de nouvelles, et c’est 
						là, malgré tout, le plus intéressant, les nouvelles 
						surtout. 
						
						   
						
						Une 
						floraison de nouvelles 
						  
						
						C’est dans ces 
						formes courtes que Hong Ying excelle. C’est là 
						qu’émergent les plus sensibles de ses souvenirs, le plus 
						profond de sa réflexion, dans un style forcément bien 
						plus soigné que dans ses romans. C’est là que l’on sent 
						vraiment son talent, et beaucoup moins son désir de 
						marquer des points. Reste sa rage de vivre et l’art de 
						le dire.  
						 | 
						  | 
						
						 
						  
						
						La trilogie de Shanghai  | 
					 
				 
				  
				
					
						| 
						 
						  
						
						Son livre de cuisine  | 
						  | 
						
						 
						Dans un de ses 
						rares entretiens où l’on sent vibrer sa fibre de poète 
						(3), elle a expliqué :  
						
						   
						
						« Tous les 
						jours, je m’assois à mon bureau avec joie… Lorsque 
						d’étranges oiseaux viennent chanter sur les trois vieux 
						arbres que je vois par la fenêtre, un flot de caractères 
						se met à couler de ma plume. Il y a un miroir 
						sur 
						mon bureau, dans lequel j’observe mes yeux : j’y vois 
						revivre d’anciennes histoires. Le lendemain matin, quand 
						je me réveille, je vois parfois un esprit facétieux 
						danser au milieu des caractères, mais, bien plus 
						souvent, je ne trouve qu’un tas de stupidités, inspiré 
						par un démon qui 
						
						m’observe 
						dans mon dos. 
						Je jette 
						alors très vite tout cela au feu. 
						Lutter contre 
						ce démon est ma pire épreuve quand 
						
						j’écris.   | 
					 
				 
				
				   
				
					
						| 
						 
						Plus de 
						temps passé à écrire signifie moins 
						
						d’amis. Ma 
						maison est entourée de terres désertées que l’on dit 
						hantées… Dans cette ville pluvieuse [Londres], on a le 
						sentiment de vivre dans un monde de spectres qui n’ont 
						pas besoin de contact humain… Ce sont en fait des gens 
						en conflit avec le monde des vivants. Chacun vit dans 
						son île personnelle, et je vais leur rendre visite en 
						bateau. La plage de sable est mon papier, et les traces 
						de pas mes caractères. » 
						    | 
						  | 
						
						 
						
						  
						
						Le pont du mystère《玄机之桥》(édition 1995)  | 
					 
				 
				
					
						| 
						 
						C’est ainsi que 
						l’on doit également lui rendre visite. Chaque nouvelle 
						est un accès à une île différente, peuplée de ses 
						souvenirs et d’ombres surgies du passé.  La plupart de 
						ces récits attendent d’être traduits. 
						  
						
						Et 
						maintenant ? 
						  
						
						Hong Ying n’a 
						pas supporté l’exil. A Londres, elle avait la liberté, 
						mais il lui manquait le public chinois ; elle aimait la 
						culture occidentale, mais avait du mal à s’y intégrer. 
						« Je me sens tout le temps étrangère, je flotte, » 
						a-t-elle dit. Finalement, quelques éditeurs chinois ont 
						commencé à éditer ses écrits, en 1999, et elle est 
						rentrée en Chine en 2001.  | 
						  | 
						
						   
						
						
						  
						
						Red Lipstick (édition 1999)  | 
					 
				 
				  
				
					
						| 
						 
						
						  
						
						The Little Girl  | 
						  | 
						
						 
						Elle a divorcé 
						en 2006. 
						En août 2009, 
						elle s’est remariée avec l’écrivain britannique Adam 
						Williams dans le petit village de Force, dans les 
						Marches, en Italie centrale, où le couple a une maison. 
						D’une famille avec une longue histoire en Chine, 
						Williams a
						
						travaillé pendant vingt ans à Pékin ; il est l’auteur de 
						trois romans sur fond d’histoire de Chine, inspirés de 
						l’histoire de sa famille : 
						
						The Palace of Heavenly Pleasure,
						
						
						The Emperor’s Bones 
						et 
						
						The Dragon’s Tail. 
						  
						
						Elle vient de 
						publier, en octobre 2011, un recueil de 57 nouvelles 
						très brèves sur son enfance, à nouveau, mais cette fois 
						en duo avec sa petite fille, Sybil, née en 2006. Le 
						recueil s’intitule 
						« The Little 
						Girl » (《小小姑娘》), 
						c’est encore l’histoire de la petite fille qu’était Hong 
						Ying, mais illustré par la petite fille qu’est 
						maintenant sa propre fille.  
						
						   
						
						Hong Ying sera 
						à la foire du livre à Taipei en février 2012. Elle 
						continue à avoir des liens privilégiés avec les premiers
						
				éditeurs qui ont bien 
				voulu la publier.  | 
					 
				 
				
				  
				  
				  
				
				
				Note 
				
				(1) En particulier le 
				film de 2006 de Lou Ye (娄烨) 
				« Une jeunesse chinoise » (《颐和园》) 
				a beaucoup de points communs avec son livre.  
				
				(2) Interview réalisée 
				en mai 1997. Voir ci-dessous les traductions en français des 
				romans de Hong Ying. 
				
				(3) Entretien d’avril 
				2001. 
				
				(4) Zephyr Press, 
				septembre 2001. Zhao Yiheng est l’un des co-éditeurs, et les 
				textes sont tirés de la revue littéraire Jintian (今天). 
				  
				 
				  
				
				Principaux romans 
				
				   
				
				1992 Summer of 
				Betrayal 《背叛之夏》 
				
				1994 Far Goes the Girl《女子有行》 
				 
				
				1997 Daughter of the 
				River 《饥饿的女儿》, 
				autobiographie 
				
				1999 K: The Art of 
				Love  《K》 
				
				         
				réédité en 2003 sous 
				le titre 
				《英国情人》 (The 
				English Lover) 
				
				2000《神交者说》 
				 
				
				2001 Ananda  
				《阿难》(阿难:我的印度之行) 
				
				2002 The Peacock Cries
				《孔雀的叫喊》  
				
				2003 Lord of Shanghai
				《上海王》* 
				
				2004 The Green Platye 
				《绿袖子》  
				
				2005 Death in 
				Shanghai  《上海之死》*
				 
				
				2007 
				The Magician from 
				Shanghai 
				《上海魔术师》*  
				
				2009  (Moi, douce aide 
				cuisinière)  《我这温柔的厨娘》                  
				 
				
				2010 Good Children 
				of the Flowers《好儿女花》 
				(suite de son 
				autobiographie) 
				 
				
				* 
				Les droits 
				d’adaptation de ce roman ont été achetés en 2003 par le 
				réalisateur 
				Sherwood Hu (Hu Xuehua 
				胡雪桦). 
				Il a annoncé en 2007 préparer un film qui s’appellerait 
				« Shanghai 1976 », mais le projet semble avoir été abandonné. 
				
				Les trois 
				livres de 2003, 2005 et 2007 ont été réédités ensemble en 2009 
				sous le titre « la trilogie de Shanghai » (《上海三部曲》). 
				  
				 
				  
				
				Principaux recueils 
				de nouvelles
				(小说集) 
				
				  
				
				Septembre 1994      
				《你一直对温柔妥协》 
				(tu vas droit vers un compromis à l’amiable)
				 
				
				Août 1995        
				     
				《玉米的咒语》 
				(les incantations de Yumi)  
				
				         
				《玄机之桥》 
				(le pont du mystère)  
				
				Février 
				1996           
				《 双层感觉》 (impression 
				de double épaisseur) 
				
				         
				《带鞍的鹿》 
				(le cerf à la selle) 
				;《六指》 (six 
				doigts) 
				
				Mai 1997
				               
				《风信子女郎》 
				(une jeune fille nommé Jacinthe) 
				
				1998                   
				  
				A Lipstick Called Red Pepper: Fiction About Gay and Lesbian Love 
				in China  
				
				                          
				 1993–1998,
				recueil de nouvelles publiées en anglais en Allemagne.
				 
				
				                        
				  
				 Puis 
				publié en chinois :      
				
				Janvier 
				1999           
				《辣椒式的口红》 (du 
				rouge à lèvres comme du piment rouge) 
				
				Avril 2003 
				             
				《火狐虹影》 
				(Hong Ying et le renard fauve) 
				
				Janvier 
				2005           
				《康乃馨俱乐部――虹影中短篇小说精选》 
				(Carnation Club, nouvelles choisies) 
				
				Juin 2005         
				     
				《大师,听小女子说》 
				(maître, écoutez la jeune fille parler)   
				 
				
				Février 
				2007           
				《我们时代的爱情》 
				(l’amour de notre temps) 
				
				Octobre 2011 
				       《小小姑娘》The 
				Little Girl 
				  
				 
				  
				
				
				Traductions en français 
				: 
				  
				
				L’été 
				des trahisons, traduction Sylvie Gentil, Seuil, avril 1997 
				
				Une 
				fille de la faim, traduction Nathalie Louisgrand, Seuil, 
				septembre 2000   
				
				Le livre 
				des secrets de l’alcôve, traduction 
				Véronique 
				Jacquet-Woillez, Seuil, janvier 2003 
				  
				 
				
				   
				
				A lire en 
				complément : 
				
				
				《小小姑娘》(虹影) « The Little Girl » (Deux 
				extraits) (Hong Ying) 
				  
				  
				  
				  
				  
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