The Little Girl
《小小姑娘》
Deux extraits
par
Brigitte Duzan, 10 janvier 2012
Les deux
textes ci-dessous, extraits du recueil
« The
Little Girl » (《小小姑娘》),
représentent parfaitement l’univers romanesque de
Hong Ying (虹影),
essentiellement autobiographique.
Le premier est
un condensé d’une histoire qu’elle a déjà racontée dans
« Fille de la faim » (《饥饿的女儿》 :
le traumatisme qu’a été pour elle la découverte brutale,
à dix-huit ans, qu’elle était née des amours
extra-conjugales de sa mère et, de ce fait, traitée en
paria, sans la moindre tendresse. Le second décrit, à
partir d’un épisode particulier, le sentiment
d’injustice qu’elle n’a cessé de ressentir, dans son
enfance, à cause de ce manque d’affection.
Ce qui est
intéressant dans les écrits de Hong Ying, malgré la
répétition des déboires personnels, c’est ce qui
transperce à travers le récit. Elle nous donne un aperçu
de la vie quotidienne dans la région de Chongqing au
milieu et |
|
Le livre |
à la fin des années soixante,
ici avec une esquisse de la vie du quartier, et, dans le
deuxième texte, la description d’un épisode local de la
Révolution culturelle, sans que celle-ci soit expressément
nommée : il est vu par les yeux d’une petite fille qui le
rapporte sans guère d’émotion ; ce qui lui importe, et dont elle
se souvient surtout, c’est l’injustice qui l’a affectée
personnellement.
那始终是个谜
Un
total mystère
重庆长江南岸野猫溪一带1,只有一个邮递员2,四十来岁,脸上有发水痘后留下的痘疤3,永远是绿衣服、绿帆布包4和一双军用球鞋。这人其貌不扬5,可很能笑,笑声能感染九三巷整条街。邮递员来到我家所在的六号院子时,父亲会和他说上几句,内容只和当天天气好坏有关。
整个院子订了一份《重庆日报》,订报人是我的父亲。从邮递员手中接过报纸,父亲蹲在地上,看了起来。
1
溪
xī
ruisseau
2
邮递员
yóudìyuán
facteur 3 水痘
shuǐdòu
varicelle
疤
bā
marque
4
帆布包
fānbùbāo
sac de
toile 5 其貌不扬
qímàobùyáng
d’aspect
peu attrayant
母亲走到父亲面前,低下身。报纸刊头上印着一段伟大领袖的语录1,天天一样,母亲从不看。那么她在看什么呢?原来她发现父亲握报纸的右手还夹着2一封信。她取过来,见上面写着她的名字,便撕开信封,读了起来。
1
语录
yǔlù
citation 2
夹
jiā
glisser, insérer
在巫山1插队落户2的大姐的信很短,说她将回重庆一段日子。
母亲眉头一挑,告诉父亲,大姐要回来。
父亲说巫山不好,回来虽然照旧是个穷,可是穷也比那夹皮沟强,一家人好歹在一起3。
母亲显得很烦躁4,说家里马上要多添一张嘴,怎么办?
母亲尚不知大姐这次回来还多带了一张嘴——大姐已怀孕八个月,准备生小孩。大姐关于
自己已结婚及快生孩子之事,在信里一字未提。
1
巫山
Wūshān
district de
Chongqing 2 插队
chāduì
être envoyé travailler
dans une équipe à la campagne
3
好歹
hǎodǎi
le bon et le
mauvais/ de toute façon 4
烦躁
fánzào
énervé, agacé
母亲在外做工,挣钱养活全家,只有周末才回家。一个星期我才能见母亲一次。她在我的记忆中似乎从没有真正地快乐过,所有关于她的记忆,哪怕是瞬间形象,都不曾有过开怀大笑1,或是默默的一笑。
1
开怀
kāihuái
de bon cœur,
joyeusement
我记不得母亲脸上幸福的模样。她从未很安心地1注视过什么,她总是在担心焦虑2,眼神也很紧张。但我从未见母亲哭,当着我们。父亲说:“你妈妈是一个打不垮的人3。”
几个哥哥姐姐也不爱哭,他们也不爱笑。父亲呢,更不爱笑,像是一块烧不化的冰4。母亲很少与父亲吵架。可我能感觉到母亲胸中窝着火苗5,火苗见我,会越升越高,随时都可烧毁我,这让我感到害怕。
1
安心
ānxīn
cesser de
s’inquiéter 2 焦虑
jiāolǜ
se faire du souci
3 打垮
dǎkuǎ
abattre
4
烧化
shāohuà
brûler, consumer 5 火苗
huǒmiáo
flamme, langue de
feu
假若父亲母亲打架呢?
我不会愿意母亲赢。这么一想就让我觉得痛快。可见我对母亲的失望到了何种程度。[…]。母亲她到底中了什么邪1,拒绝我整颗爱她的心,让我离她永远有距离,无法靠近她。看到别的母女那样亲热和欢悦,我很想母亲能亲我一下或紧紧地拥抱我。可是母亲连看都不肯多看我一眼。
这始终是个谜。
1
邪
xié mal
父亲,把我放在一边。我在他的视线里,又不在他的视线里。我从不敢反对他、不听他的话,他的话对我就是圣旨1。父亲几乎从不称赞我,他也从不对我多说一句话。我很小就清楚,父亲对我不亲热,说不出为什么。
这始终也是个谜。
1
圣旨
shèngzhǐ
édit impérial
小小的我,想解开这两个谜,怎么可能做到?
直到我十八岁生日那天,母亲带我去见了一个陌生的男人、我的生父,我才猛然明白,原来那个我天天见着的父亲并不是我的亲生父亲。母亲当年与这个年轻她十岁的男人相爱后生下了我,我是一个私生子。
Traduction
Dans la zone dite du
ruisseau du Chat sauvage, sur la rive sud du Yangzi, dans
l’agglomération de Chongqing, il n’y avait qu’un facteur ; d’une
quarantaine d’années, le visage marqué de restes de boutons de
varicelle, il portait un sempiternel uniforme bleu, une sacoche
de toile bleue et des baskets de l’armée. Il était d’un aspect
vraiment peu attrayant, mais il riait facilement, et son rire
était tellement contagieux qu’il avait le pouvoir de se
transmettre dans toute la rue et jusqu’aux petites ruelles
alentour. Quand il arrivait à la maison, la cour numéro six, mon
père échangeait quelques mots avec lui, uniquement sur le temps
qu’il faisait. Dans toute la cour où nous habitions, il n’y
avait qu’une personne abonnée au ‘Quotidien de Chongqing’, et
c’était mon père. Dès que le facteur lui remettait le journal,
il s’accroupissait par terre pour le lire.
illustration originale |
|
Ma mère, ce
jour-là, s’était approchée et penchée sur lui. Tous les
jours, en première page du journal, étaient
régulièrement publiées les citations des grands
dirigeants du pays, chose que ma mère ne lisait jamais.
Mais alors que regardait-elle ? En fait, ce qu’elle
cherchait à voir, c’était une lettre, glissée dans la
main droite de mon père, celle de laquelle il tenait le
journal ; voyant que, sur l’enveloppe, était inscrit son
nom, elle l’avait déchirée pour la lire.
C’était ma
sœur, qui écrivait de Wushan où elle avait été envoyée
travailler dans une équipe rurale, et sa lettre était
très courte : elle annonçait qu’elle allait revenir
passer quelques jours à Chongqing.
Ma mère haussa
les sourcils, et dit à mon père que l’aînée voulait
revenir. |
Mon père répondit que
Wushan n’était pas bien, qu’il était vrai qu’ils étaient
toujours aussi pauvres, mais que, au moins, comparé à ce trou de
Wushan, c’était mieux d’être dans sa famille.
Ce retour, de toute
évidence, causait du souci à ma mère. Elle dit que cela allait
faire une bouche de plus à nourrir, comment faire ?
Ma mère ne savait pas
encore que ma sœur aînée, cette fois-ci, ramenait bien plus
qu’une bouche à nourrir – elle était déjà enceinte de huit mois,
et se préparait à accoucher. Mais elle ne disait rien dans sa
lettre ni de son mariage ni de son accouchement proche.
Ma mère travaillait
pour nourrir toute la maisonnée et ne revenait à la maison que
les week-ends. De toute la semaine, je ne la voyais qu’une fois.
Aussi loin que je me souvienne, je ne l’ai jamais vue vraiment
joyeuse, je ne me souviens pas non plus l’avoir entendue rire de
bon cœur, même un court instant, ou même l’avoir vue rire en
silence.
Je ne me souviens pas
que ma mère ait jamais eu l’air heureux. Elle était toujours
préoccupée, toujours anxieuse, même son regard était tendu.
Pourtant je ne l’ai jamais vue pleurer, du moins pas en notre
présence. Mon père disait : « Votre mère est quelqu’un qui ne se
laisse pas abattre. »
Mes quelques frères et
sœurs n’avaient pas non plus l’habitude de pleurer, mais ils
riaient tout aussi peu. Quant à mon père, il riait encore moins,
on eût dit un pain de glace que même la chaleur ne réussissait
pas à faire fondre. Ma mère se disputait très rarement avec lui.
Mais je sentais que son cerveau abritait une flamme qui, quand
elle me regardait, montait et menaçait de m’anéantir ; cela me
terrorisait.
Et quand il arrivait à
mes parents de se disputer ?
Je ne souhaitais pas
que ma mère ait le dessus. Cette pensée me rendait joyeuse. Mais
j’avais atteint un certain degré de désespoir vis-à-vis de ma
mère. … En réalité, il y avait quelque chose de mauvais, dans
son attitude à mon égard : elle refusait que je l’aime
profondément et gardait toujours une certaine distance vis-à-vis
de moi, si bien que je n’ai jamais pu être proche d’elle. Quand
je voyais d’autres mères se montrer aussi affectueuses et
joyeuses, je désirais ardemment que ma mère me témoigne aussi un
peu d’affection, voire qu’elle me serre très fort dans ses bras.
Mais elle ne daignait même pas m’accorder un regard.
C’était pour moi un
mystère total.
Quant à mon père,
assise à ses côtés, j’étais sous ses yeux, et, en même temps, il
n’avait pas l’air de me voir. Je n’aurais jamais osé lui tenir
tête, lui désobéir, ce qu’il disait était pour moi parole
d’évangile. Mais il ne m’a jamais adressé le moindre éloge,
c’est tout juste s’il m’adressait un mot, à l’occasion. Depuis
toute petite, le manque de tendresse de mon père à mon égard
était quelque chose de très net, mais je n’arrivais pas à m’en
expliquer la raison.
Dès mon plus jeune
âge, je voulais donc percer ces deux mystères, mais sans savoir
comment faire.
Jusqu'au jour de mes
dix-huit ans ; ce jour-là, ma mère m’a emmenée voir un
étranger : mon vrai père ; alors seulement j’ai brutalement
compris que ce père que je voyais tous les jours n’était pas mon
père biologique. Née après que ma mère se soit amourachée de cet
homme qui avait dix ans de plus qu’elle, j’étais une enfant
illégitime.
一只瓷猫
Un
chat de porcelaine
记得小时候,北京时间晚上八点之前,我们六号院子的男女老少就会搬出自家的矮木凳,坐进一个50多平方米的堂屋里,听一个半导体收音机1。中央广播电台的《全国各地人民广播电台联播》八时播出,凡3伟大领袖的“最新最高指示”4,我们都从这儿听到。
1
半导体
bàndǎotǐ
transistor 收音机
shōuyīnjī
radio 2 联播
liánbō émission
3 凡
fán
tout
4
指示
zhǐshì
instruction
六号院子位于重庆南岸野猫溪与弹子石之间的半山腰上,算得上是整片贫民区最像模像样的房子1,这个1949年前有钱人家的大宅子2,屋顶和柱子雕有花3,显得古色古香4,现在里头住了十三户人家。宽大的堂屋在靠里的地方隔出一个杂物间,堆了些乱七八糟的东西5。后来隔间被拆,墙上露出毛主席的大头像,画像顶上用红纸黄字写着“我们最最敬爱的领袖、伟大统帅6、伟大舵手7毛主席万寿无疆8!”。画像左边写着“革命委员会好”,右边写着“四川很有希望”。画像底端有两个小红“忠”字,夹着一个大红“忠”字。
1
像模像样
xiàngmúxiàngyàng
décent, convenable 2
宅子
zháizi
demeure
3
雕花
diāohuā
sculpture 4
古色古香
gǔsègǔxiāng
qui sent le
bon vieux temps
5
乱七八糟
luànqībāzāo
désordre,
fouillis 6 统帅
tǒngshuài
commandant
en chef
7
舵手
duòshǒu
timonier 8
万寿无疆
wànshòuwújiāng
longue
vie !
每次听完伟大领袖的最新指示,人们便取了锣鼓1,甚至锅盆2,走出院子,在一条条巷子里游行欢呼庆祝3。
这种游行,母亲一概4不许我们参加。别人家里贴满了毛主席和林彪5副主席的画像,挂各种像章6,我们家墙上只有一张各族人民庆丰收的年画7。
上下午都有人在堂屋跳忠字舞,“您是我们心中的红太阳,我们有多少贴心的话要对您讲,我们有多少热情的歌儿要对您唱,千万颗红心向着北京,千万张笑脸迎着红太阳,敬祝领袖毛主席万寿无疆,敬祝领袖毛主席万寿无疆!”
1
锣鼓
luógǔ
tambours et gongs
2 锅盆
guōpén
casserole,
poêle/cuvette, pot
3
欢呼庆祝
huānhū qìngzhù
acclamer /
célébrer
4
一概
yígài
sans exception, catégoriquement 5
林彪
Lín Biāo
6
像章
xiàngzhāng
badge
(avec portraits) 7 庆丰收
qìng fēngshōu
célébrer la
moisson
年画
niánhuà
estampes / images
traditionnelles du Nouvel An
没隔几天,跳忠字舞的人越来越多,从堂屋延伸到天井1,全是热情澎湃的人2。后来院子外空地上也都是人,他们高唱着“万寿无疆,万寿无疆”,捧着语录书3,挥着手臂,扭动身体跳舞。
我家对门邻居陈婆婆一口假牙,拄着拐杖4站在那儿,嘴里轻轻唱着什么,像好些耗子5在一个宽阔的洞穴里6转悠。我问母亲,母亲说那是山歌,好听。
1
延伸
yánshēn
s’étendre 2 澎湃
péngpài
surgir,
enfler
3
语录书
yǔlùshū
le livre des citations
(de Mao) = le petit livre rouge
4
拐杖
guǎizhàng
canne 5
耗子
hàozi
souris 6
洞穴
dòngxué
grotte, tanière
我很为母亲担心,觉得她这么讲,早晚会被人抓走。
很快,就开始辩论1。街上出现大字报和穿军装扎皮带戴红袖章的红卫兵2。
那些被红卫兵抓走的人,叫牛鬼蛇神3。他们头上扣着尖尖帽,被红卫兵押着,经过我们街。他们大都是中学教师。游街后,他们被带到三十八中操场4的中心台子上。我跟着队伍到那儿,挤进人堆里,踮起脚尖5往台上看,红卫兵揪住6那些“尖尖帽”的脖子,高呼口号“无产阶级专政7万岁”!
不断有木块和砖头架到那些“尖尖帽”的背上。有个“尖尖帽”受不了,倒在地上。台上台下都没有人救他,直到那个人身体僵直8,死在台上,会才散掉。
1
辩论
biànlùn
critique 2
红卫兵
hóngwèibīng
Garde
rouge
3
牛鬼蛇神
niúguǐshéshén
esprits de
boeufs et de serpents = esprits malfaisants
4
操场
cāochǎng
terrain de sport, d’exercice, de parade
5
踮起脚尖
diǎnqǐ jiǎojiān
se dresser sur la
pointe des pieds
6
揪住
jiūzhù
saisir fermement,
serrer 7专政
zhuānzhèng
dictature
8
僵直
jiāngzhí
raide
第二天中午,我刚放下饭碗,就听到外面有人惊慌地1大叫:“三十八中起火了!三十八中起火了!”
院子里的大人闻声就往外跑,我跑得比他们还快。三十八中上空冒起浓烟。我爬上大坡石阶,走捷路2穿过一条巷子,来到中学的操场上。靠大门的一幢两层楼的教学楼左端,火焰燃烧得像龙起舞,势不可挡3。教学楼下是一座花园,入春开迎春花4、桃李花,夏天开玫瑰,冬天是腊梅5,那时玫瑰开得正艳,掺入了6这火花。
学校早因闹革命罢课了,只住了被关押的“尖尖帽”和留守的红卫兵。学校周围的居民用盆子、木桶往火上泼水,但火势没有减弱。消防队7赶来,截断了火源,才保住了大楼右端,左边楼烧得只剩下楼上楼下四间房。
这场大火一直烧了两个小时,火因不明,学校里保存的档案8全化成灰烬9。花园被烧毁了,到处是焦黑的柱梁、黑糊糊的桌椅柜子。
1
惊慌
jīnghuāng
effrayé 2
捷路
jiélù
raccourci
3
势不可挡
shìbùkědǎng
irrésistible, impossible à arrêter
4
迎春
yíngchūn
jasmin d’hiver 5
腊梅
làméi
calycanthe
6 掺入
chānrù
mélanger à 7 消防队
xiāofángduì
brigade de
pompiers
8
档案
dàng’àn
dossier 9
灰烬
huījìn
cendres
我在发烫的废砖烂瓦中小心地走着。不少居民在低头翻拣1有用的东西:一只杯子、一个黑水瓶、烧了一半或完全变成了炭2的木头。我拾到3一只小瓷猫,尾巴断掉,不过不仔细看,看不出来,仍是可爱。用袖口擦净后,我把猫捏4在手心里回家。进门时担心被大人看见,赶紧藏在裤袋里,却划破了手指。
母亲发现了,把云南白药洒在我的手指上。
对门邻居陈婆婆说:“那个‘尖尖帽’死得惨4,老天在报复呐!”
1
翻拣
fān jiān
tourner et retourner
pour choisir 2 炭
tàn
charbon de bois
3
拾
shí
ramasser 4
捏
niē
tenir à deux mains 4
惨
cǎn
tragique / cruel,
atroce
那天天黑得早,整个南岸停了电,一片漆黑。六号院子公用厨房的灶前点着小煤油灯。冷风一吹过,人影投在墙上像庞然怪物1。我不害怕,因为那是母亲,她在做饭。
我的五哥和四姐瞄准了时间回家吃饭。
房里煤油灯的火光映着我们的脸。瓷猫从我口袋里掉到地上,四姐比我先捡到,告诉父亲:“她偷东西!”
父亲脸沉了下来,五哥见势一把夺走我的饭碗。我对父亲说,猫不是偷的,是在三十八中的火堆里拾的。四姐冷笑,骂我编瞎话2。
父亲说:“不管是哪里的,只要不是你的,就不该要。”
1
庞然怪物
pángrán
guàiwù
monstre énorme
2
编瞎话
biān xiāhuà
raconter
des histoires, débiter des mensonges
我不说话。母亲侧过脸来看我。我拿着瓷猫走到院外垃圾坑前,站在那儿,舍不得扔。回头看院内,隔了好一阵子,才松开手。
我回到家时,他们已把碗筷收了。我只有倒水洗脸。
母亲一边做事一边念叨1:“真是不争气2,我怎么会养你这种专让我操心的女儿!”
我把洗过脸的水倒进木盆,慢慢洗脚,心里充满委屈,真弄不懂自己怎么会成了母亲的眼中钉、肉中刺3?我多么希望她能爱我一些,至少稍稍关心我一点呀!我这么一想,眼泪就哗啦哗啦流了下来。
1
念叨
niàndao
rabâcher 2
不争气
bùzhēngqì
décevant
3
眼中钉、肉中刺
yǎnzhōngdīng,
ròuzhōngcì
litt. : un clou dans l’œil, une épine/écharde dans la chair
上阁楼睡觉时,我注意到四姐手里有个瓷猫。见我看到了,她有点不好意思地说:“肚子饿不饿?”我肚子饿得咕咕直叫,但我不想说饿。
煤油灯微弱的光亮,仿佛在一点点升高。火光映在墙上,我的身影也映在墙上,显得四周鬼气森森。我起身吹熄了它。月光从瓦片的缝隙间漏下来1,屋子里反倒添了不少温暖。
1
缝隙
fèngxì
fente
漏
lòu
fuir (eau) / laisser
filtrer
十年后阁楼没了,整个老院子都化为尘土,那块地上建了新房子。若不是手指上至今还有淡淡的伤痕,我很难相信那只猫曾经存在过。
Traduction
Quand j’étais petite,
je me souviens que le soir, un peu avant vingt heures, heure de
Pékin, tous les habitants de notre cour, jeunes et vieux, hommes
et femmes, se réunissaient dans une grande salle de plus de
cinquante mètres carrés, en apportant chacun son petit
tabouret ; c’était pour écouter sur un transistor l’émission de
vingt heures de la radio nationale diffusée sur tout le
territoire qui transmettait les « dernières
instructions suprêmes » de notre grand leader.
Notre cour, au
numéro six, se trouvait à mi pente, dans la zone de la
rive sud, à Chongqing, entre les quartiers Yemaoxi
et Danzishi (1), dans une zone d’habitations
pauvres, mais décentes ; avant 1949, c’étaient des
maisons de riches, aux toits et piliers sculptés, qui
conservaient quelque chose de la beauté des anciennes
demeures ; on y avait logé une trentaine de familles
(2). La grande salle jouxtait une remise où étaient
entassés pêle mêle les objets les plus hétéroclites.
Elle fut ensuite démolie, et le mur de la |
|
La rive sud, dans l’agglomération de
Chongqing,
avec le quartier Danzishi |
salle arbora dès lors
un grand portrait du président Mao surmonté d’une inscription en
lettres jaunes sur fond rouge : « Longue vie à notre dirigeant
le plus vénéré, à notre grand commandant en chef, notre grand
timonier ! ». Le portrait était aussi entouré de deux
inscriptions parallèles : à gauche « Vive le comité
révolutionnaire », et à droite « Le grand espoir du Sichuan ».
Dans la partie inférieure du portrait étaient peints à l’encre
rouge deux gros caractères signifiant « fidélité » avec un plus
petit au milieu.
A la fin de chaque
émission des dernières instructions de notre grand leader, les
gens prenaient gongs et tambours, et même plats et casseroles,
et sortaient dans la cour pour aller défiler dans les ruelles en
hurlant vivats et acclamations.
Affiche de 1968 montrant Mao
et Lin Biao
place Tian’anmen,
avec dans le bas l’inscription :
我们心中最红最红的太阳毛主席和我们心连心
Unis, cœur à cœur, avec le
président Mao,
le soleil le plus rouge, le plus rouge
(collection Landsberger) |
|
Ma mère ne
nous permettait pas de participer à ces défilés. Chez
les autres, les murs étaient couverts de portraits du
président Mao et du vice-président Lin Biao, et des
badges portant leurs effigies y étaient suspendus. Chez
nous, il n’y avait au mur qu’une estampe du Nouvel An
célébrant la moisson.
Il y avait
toute la journée dans gens dans la grande salle qui
sautaient et dansaient en proclamant leur loyauté et
fidélité. « Vous êtes un soleil rouge dans notre cœur,
nous avons tellement de choses gravées dans le cœur à
vous dire, nous avons tellement de chants passionnés à
vous chanter, un million de cœurs rouges sont dirigés
vers Pékin, un million de visages souriants sont tournés
vers son soleil rouge, longue vie à notre vénéré leader,
le président Mao, longue vie à notre vénéré leader, le
président Mao ! »
Les gens
proclamant en dansant leur fidélité et loyauté furent de
jour en jour plus nombreux ; surgissant de la grande
salle, le flot s’en répandait dans la cour avec une
ferveur croissante. L’espace de la cour en fut bientôt
noir ; en chantant « Longue vie, longue vie ! »,
on brandissait
|
le Petit Livre rouge, on
agitait les bras et l’on se trémoussait en dansant.
La vieille voisine
toute édentée de la maison en face de chez nous, la mère Chen,
était plantée là, appuyée sur sa canne, en marmonnant tout bas
une chanson, comme une souris perdue dans un immense trou. Quand
je demandai à ma mère ce qu’elle disait, elle me répondit que
c’était une chanson de la montagne, quelque chose de très beau.
Les propos de ma mère
m’inquiétaient, je craignais que tôt ou tard elle ne fût
arrêtée.
Les critiques ont
commencé très vite. Dans la rue apparurent des affiches en gros
caractères et des gardes rouges vêtus d’uniformes militaires
avec ceintures de cuir à la taille et brassards rouges au bras.
Ils arrêtèrent des
gens qu’ils appelaient des « esprits de bœufs et de serpents ».
Ils leur mirent de grands chapeaux pointus, et les emmenèrent en
passant par notre rue. C’étaient pour la plupart des professeurs
de lycée qu’ils conduisirent sur l’estrade centrale du terrain
d’exercice du lycée 38. J’y suivis mon équipe, et, me glissant
au milieu de la foule, me dressai sur la pointe des pieds pour
mieux voir ce qui se passait sur l’estrade : les gardes rouges
tenaient tous ces « chapeaux pointus » en leur serrant le cou et
en hurlant le slogan « Vive la dictature du prolétariat ! ».
On leur accrocha
bientôt dans le dos des panneaux de bois et des briques. A bout
de forces, l’un des hommes s’effondra. Personne, ni sur
l’estrade ni ailleurs, ne se porta à son secours ; ce n’est que
lorsqu’on vit qu’il était mort, le corps déjà raide sur
l’estrade, que la foule se dispersa.
Le lendemain à midi,
alors que je rentrais déjeuner, j’entendis dans la rue des gens
affolés crier : « Le lycée 38 est en feu ! ». A ce cri, les
habitants de notre cour se précipitèrent pour aller voir, mais
je courus encore plus vite. Il s’échappait une épaisse fumée de
la partie supérieure du lycée. Je m’élançai sur les marches de
pierre, le long de la pente qui y montait, prit un raccourci par
une ruelle, et arrivai au terrain d’exercice. L’aile du bâtiment
de deux étages, à gauche de la porte centrale, était la proie de
flammes qui s’élevaient dans une sorte de danse du dragon et
n’étaient déjà plus maîtrisables. Au pied du bâtiment en flammes
était un petit jardin où fleurissaient des fleurs de jasmin à la
fin de l’hiver, des pruniers et des pêchers au printemps, des
roses en été, et des calicanthes en hiver ; couvert de superbes
roses en cette saison, il était lui aussi dévoré par les
flammes.
A cause des troubles
de la révolution, les cours étaient suspendus, et il n’y avait
là que les « chapeaux pointus » emprisonnés, et les gardes
rouges qu’on avait laissés pour les garder. Les voisins
tentèrent de lutter contre l’incendie avec des bassines et des
seaux d’eau, mais le feu ne faiblit pas. Lorsque la brigade de
pompiers arriva, ils réussirent à circonscrire l’incendie, mais
ne purent sauver que l’aile droite du bâtiment ; de l’aile
gauche ne restèrent que quatre salles.
L’incendie fit rage
pendant deux heures, et, comme le feu n’est pas regardant, il
réduisit en cendres tous les dossiers scolaires. Le jardin fut
aussi totalement détruit ; tout ce qui restait du bâtiment était
noir comme du charbon, noires aussi étaient tables, chaises et
armoires.
|
illustration originale |
|
J’errai au milieu des
amas de briques et tuiles calcinées. Quelques personnes,
penchées sur les décombres, retournaient quelques objets pour
voir ce qui pouvait être récupéré : une tasse, une thermos
noire, un morceau de bois partiellement ou totalement carbonisé.
Je suis tombée sur un petit chat de porcelaine ; il avait la
queue cassée, mais je n’y ai pas fait attention, cela ne se
voyait pas, il était toujours aussi mignon. Je l’ai essuyé avec
ma manche, et l’ai emporté à la maison en le tenant dans le
creux de la main. En franchissant la porte de la cour, de peur
de me faire remarquer par un adulte, je l’ai vite fourré dans la
poche de mon pantalon, mais je me suis écorché un doigt.
Ma mère le vit et me
passa du désinfectant.
La voisine d’en face,
la mère Chen, lui dit : « La mort de ce « chapeau pointu » était
une atrocité, le ciel se venge. »
La nuit tomba très
tôt, ce soir là ; comme il y eut une coupure de courant dans
tout le quartier du sud du fleuve, nous fûmes plongés dans
l’obscurité. Il ne resta qu’une petite lampe à huile allumée
devant l’âtre de la cuisine collective. Un vent froid soufflait,
une ombre projetée sur le mur semblait un monstre énorme, mais
je n’avais pas peur, car je savais que c’était ma mère qui
préparait le dîner.
Mon quatrième frère et
ma cinquième sœur étaient rentrés à temps pour manger.
La lueur de la lampe à
huile se reflétait sur nos visages. Le chat en porcelaine tomba
de ma poche, ma quatrième sœur le ramassa avant moi et dit à mon
père : « Elle vole, maintenant ! »
Le visage de mon père
se rembrunit, et mon cinquième frère en profita pour me prendre
mon bol. J’expliquai à mon père que je n’avais pas volé le chat,
que je l’avais ramassé dans les décombres du lycée, mais ma
quatrième sœur eut un rire sarcastique et m’accusa de raconter
des mensonges.
« Où que tu l’aies
trouvé, dit mon père, il n’est pas à toi, donc tu ne peux pas le
prendre. »
Je n’ai rien répondu.
Ma mère me regarda de travers. Je pris donc le chat et sortis
dans la cour : j’hésitai devant le tas de détritus, n’osant pas
le jeter. Ce n’est qu’au bout d’un long moment que je finis par
ouvrir la main.
Quand je suis rentrée,
ils avaient terminé de ranger bol et baguettes. Je n’ai eu que
de l’eau pour me laver la figure.
Ma mère bougonnait
tout en s’activant : « Tu ne finiras jamais de me décevoir,
comment pourrai-je élever une fille comme toi qui ne me donne
que du souci ! »
Je versai l’eau avec
laquelle je m’étais lavé le visage dans une bassine de bois et
me lavai lentement les pieds, submergée par un profond sentiment
d’injustice ; je n’arrivais pas à comprendre comment je pouvais
être une écharde dans la chair de ma mère. Je désirais tellement
qu’elle m’aimât un peu, ou au moins qu’elle prît un peu soin de
moi ! A cette pensée, je me mis à pleurer à chaudes larmes.
Au moment de
m’endormir, dans la mansarde du haut, je vis que ma quatrième
sœur tenait le chat de porcelaine. Voyant que je l’avais
remarqué, elle me dit d’un ton embarrassé : « Tu n’as pas
faim ? ». Je crevais de faim, mais je n’avais aucune intention
de le lui dire.
La lampe à huile
jetait une lueur de plus en plus faible, avec des sursauts de
temps à autre. La lueur de la flamme dansait sur le mur, où se
reflétait aussi mon ombre, comme si nous étions cernées par une
foule d’esprits. Je me soulevai pour éteindre la lampe. La lueur
de la lune filtra à travers une fente du toit, ajoutant de la
chaleur à l’atmosphère de la pièce.
Dix ans plus tard, la
mansarde a disparu, toute la vieille cour est devenue poussière,
on a construit là de nouvelles habitations. Si je n’avais pas
conservé une cicatrice à peine visible au doigt, j’aurais du mal
à croire que ce chat de porcelaine ait jamais existé.
Notes
(1) Danzishi
fut le premier quai au bord du Yangzi construit à Chongqing, il
y a quelques deux cents ans. C’était un quartier en déshérence
il y a peu de temps encore, qui fait aujourd’hui l’objet d’un
plan d’aménagement.
(2 Hong Ying a souvent
des petites phrases assassines contre la politique nataliste de
Mao à cette époque qui a eu ensuite des conséquences
désastreuses, en particulier au niveau du logement, comme ici.
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