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Gu Cheng 顾城

1956-1993

Présentation

par Brigitte Duzan, 12 juin 2023

 

 

Gu Cheng

 

 

Célèbre poète, essayiste et romancier, mais aussi dessinateur et calligraphe, Gu Cheng (顾城) a été, au lendemain de la Révolution culturelle, l’un des principaux membres du courant dit de « poésie obscure » (Ménglóng Shī 朦胧诗) autour de la revue Jīntiān (《今天》) fondée en 1978 par Bei Dao (北岛) et Mang Ke (芒克).

 

Une vie tragique

 

Né en septembre 1956 à Pékin (à l’hôpital proche du dagoba blanc du centre de la capitale [1]), Gu Cheng était le fils d’un poète de l’armée, fidèle membre du Parti : Gu Gong (顾工). Il avait une sœur aînée baptisée Xiang (), la campagne ; lui fut nommé Cheng (), la ville, selon le slogan de Mao : la campagne doit encercler la ville.

 

Quand il a douze ans, les Gardes rouges débarquent chez eux et vident les étagères des livres qu’ils emportent dans des gros sacs de jute. Gu Cheng s’assoit désemparé devant les étagères vides et s’aperçoit qu’ils ont laissé un livre : les « Souvenirs entomologiques » de Jean-Henri Fabre [2].

 

Ses parents sont ensuite envoyés dans le Shandong élever des porcs. Gu Cheng a prétendu avoir appris la poésie là, directement au contact de la nature, à l’écart des villes, comme il le dit dans un texte de 1981 :

 

« … Là-bas, le ciel et la terre forment un cercle parfait, de pure beauté. Il n’y a ni montagne ni arbre, ni de ces constructions géométriques fabriquées par l’homme que sont les maisons… J’aime aller souvent tout au bord de la société. Des herbes, des nuages, la mer s’offrent devant moi : une nature verte, blanche et bleue. Ces couleurs pures qui ont effacé la poussière flottante des villes agitées ont permis à mon cœur de retrouver ses sentiments intimes. Serais-je immergé dans un souvenir ? Oui, certainement, car avant de devenir un homme, j’étais un élément parmi tout cela … simple comme une feuille, semblable à du plancton, insignifiant et heureux, libre comme un nuage… »

 

A l’âge de onze ou douze ans, il est captivé par le scintillement des gouttes de pluie et commence à écrire :

« À onze, douze ans, je commence à noter à l’aide de bribes de phrases les sentiments et les révélations qui me viennent du monde naturel. Est-ce là mon premier langage poétique ? » [3] 

 

Avec son père, tout en s’occupant des porcs, il écrit des poèmes qui finissent brûlés comme ceux de son père dans le fourneau où ils font cuire la nourriture pour les bêtes.

 

Il revient à Pékin au bout de cinq ans et reprend alors l’école, mais doit bientôt la quitter pour travailler, de petit boulot en petit boulot. Puis, le 5 avril 1976, ce sont les manifestations place Tian’anmen à la mémoire de Zhou Enlai décédé trois mois plus tôt.

 

« Au milieu des cris de joie, mon désir ardent de sacrifice atteint son apogée : j’applaudis, je crie, je veux couper les tuyaux des pompes à incendie, je veux, avec le peuple, mettre à feu ces instants les plus obscurs... Les haut-parleurs retentissent. Je suis jeté à terre par une troupe de robustes soldats et en heurtant le sol dur réalise soudain le sens de toute ma vie... » [4]

 

Désormais, il va se consacrer à la poésie. En 1978, il s’associe au mouvement de « poésie obscure » ; il envoie ses poèmes à des revues qui les publient. Il devient vite connu, dès le début des années 1980. On vient l’écouter. Il écrit aussi de la prose. Il est traduit, en particulier en France, et invité à l’étranger.  

 

En 1979, il rencontre, dans un train, la poétesse shanghaïenne Xie Ye (谢烨) qu’il épouse en août 1983. Ils font un premier séjour en Allemagne puis décident de quitter la Chine. En 1987, Gu Cheng obtient un poste pour enseigner le chinois à l’université d’Auckland, en Nouvelle Zélande. Le couple s’installe à Rocky Bay, un petit village sur l’île Waiheke, au large d’Auckland. Gu Cheng démissionne pour cultiver la terre, comme l’y prédisposait son prénom qu’il voyait, en le décomposant en ses deux éléments, la promesse d’un retour à la terre. Pour vivre, ils se lancent dans l’élevage des poules comme il le raconte dans le récit « Rêve dans le poulailler rouge » (赤鸡岁月), écrit comme un journal, avec un humour décapant annoncé dès le titre. Il cherche à vivre au plus près de la nature, comme quand il était dans le Shandong. Il y trouve un équilibre certes précaire, mais une certaine harmonie. Il revisite en rêve le Pékin de son enfance, et ses rêves alimentent ses poèmes.

 

 

Gu Cheng et Xie Ye

 

 

En 1992, le couple fait un séjour d’un an en Allemagne. Gu Cheng y entreprend la rédaction d’un roman à caractère autobiographique, « Ying’er » (英儿), dont la revue hongkongaise « The Nineties » publie des extraits dans son numéro de septembre 1993 [5].

 

En octobre 1993, alors que le couple était revenu à Auckland et que Gu Cheng sombrait peu à peu dans la dépression, Xie Ye fait ses bagages pour repartir. Mais Gu Cheng la persuade de rester. Finalement, il la tue d’un coup de hache et se pend à un arbre.

 

On se souviendra de Chantal Chen-Andro annonçant, encore sous le choc, la nouvelle qu’elle venait d’apprendre alors qu’elle était venue présenter dans une librairie parisienne les poèmes qu’elle avait traduits pour un numéro spécial de la revue Po&sie.

 

La poésie de Gu Cheng

 

Son poème le plus célèbre est celui intitulé « Une génération » (一代人), devenu emblématique de la génération des jeunes de la Révolution culturelle :

黑夜给了我黑色的眼睛     La nuit noire m’a donné des yeux noirs
我却用它寻找光明         et pourtant je m’en sers pour chercher la lumière.

  

Ce qui distingue sa poésie, c’est « l’écriture du moi ». Mais c’est un moi qui n’a rien à voir avec le « moi » de la génération précédente, comme il l’a dit à son père qui tentait de comprendre ce qu’il écrivait :

 

我是用我的眼睛,人的眼睛来看,来观察。
我所感觉的世界,在艺术的范畴内,要。比物质的表象更真实。艺术的感觉,不是皮尺,不是光谱分析仪,更不是带镁光的镜头。

我不是在意识世界,而是在意识人,人类在世界上的存在和价值。” 

表现世界的目的,是表现。你们那一代有时也写,但总把我,写成铺路的石子’‘齿轮’‘螺丝钉。这个,是人吗?不,只是机械!”
只有自我的加入,自我对生命异化的抗争,对世界的改造,才能产生艺术,产生浩瀚的流派,产生美的行星和银河……”

« J’observe, je vois avec mes yeux, des yeux humains. »

« Le monde tel que je le ressens est du domaine de l’art, et il est ainsi bien plus réel que le monde des apparences matérielles. Le sentiment artistique n’est pas un étalon, ce n’est pas un instrument de mesure spectrale, et encore moins un objectif doté d’un éclairage au magnésium. » 

« Je ne suis pas dans le monde de la conscience, mais dans le monde des hommes, avec les problèmes d’existence et de valeurs dans le monde. »

« Le but, en exprimant le monde, est d’exprimer le "moi". Vous et votre génération, il vous arrive d’écrire le "moi", mais c’est comme des " pavés" sur la route, des "embrayages" et des "écrous". Ce "moi"-là, est-il un moi humain ? Non, c’est juste une machine. » 

« Ce n’est qu’en partant du "moi", avec le combat du "moi" contre l’aliénation de la vie et pour sa transformation que l’on peut produire de l’art, que l’on peut créer de vastes courants, de superbes planètes et galaxies… » 

 

C’est son père d’ailleurs qui nous livre la meilleure introduction à sa poésie, et à son auteur, en cherchant à comprendre comment se l’expliquer : il a livré son désarroi, ses questionnements et ses tentatives d’explication dans un essai intitulé « Deux générations » (两代人).

 

Il a laissé au total plus de deux mille poèmes dont bien peu sont traduits. Et ses textes de prose le sont encore moins.

 


 

À lire en complément

 

Compte rendu de la séance du club de lecture de littérature chinoise du 21 juin 2023 qui était consacrée à l’œuvre de Gu Cheng.

 


 

Traductions en français

 

Deux recueils de poésie et de prose parus en 2021 :

- Spectre en Ville suivi de Ville, trad. du chinois par Yann Varc’h Thorel et Liu Yun, Les Hauts-Fonds, 124 p.

Les 9 poèmes de « Spectre en ville » (鬼进城, 1992) et les 53 poèmes, plus introduction de l’auteur, de la série « Ville » (, 1991-1993).

 

 

Spectre en Ville

 

 

- Sur l’île. Six textes choisis et traduits du chinois par Yann Varc’h Thorel et Liu Yun. Les Hauts-Fonds, 166 p. [6]

 

 

Sur l’île

 

 

Séquences autobiographiques 顾城文选/ Rêve dans le poulailler rouge 赤鸡岁月/ Rencontre fortuite 奇遇 / Qui va dans le sens de la lumière est éternel 与光同往着永驻/ Cueillette des feuilles de mûrier / Le moi sans but : esquisse d’une philosophie naturelle (communication à un colloque à Francfort, juin 1993).

Suivis d’un recueil de contes illustrés de la main de l’auteur :

- Illustres contes illustrés de l’île aux eaux tumultueuses激流岛话画本, trad. et postface Yann Varc’h Thorel et Liu Yun, La Barque, 2022, 48 p. Dix-huit contes illustrés d’un dessin réalisé au stylo à bille par Gu Cheng en 1990. [7]

 

 

Contes illustrés de l’île aux eaux tumultueuses, 2022

 

 

Divers poèmes dans des anthologies et des revues :

DOC(K)S n°41 « Poèmes & art en Chine : les non-officiels », hiver 1981-82 :  textes chinois originaux et traductions de poèmes des principaux poètes « obscurs » publiés par le poète-voyageur Julien Blaine. 

- Dans les revues Europe (avril 1985), Po&sie n° 65 et Neige d’août n° 10.

- Quatre poètes chinois, trad. Chantal Chen-Andro et Annie Bergeret Curien, Ulysse Fin de Siècle, 1991, 128 p. 

   (Bei Dao, Gu Cheng, Mang Ke et Yang Lian)

- Dans l’anthologie Le Ciel en fuite, édité par Chantal Chen-Andro et Martine Vallette-Hémery, Circé 2004.

(près de 300 poèmes de poètes de Taiwan et du Continent représentatifs de la poésie chinoise de la deuxième moitié du XXe siècle, dont Gu Cheng)

 


 

Traductions en anglais

 

Sea of Dreams: Selected Writings of Gu Cheng translated and edited by Joseph Allen, New Directions, 2005.

Selected Poems by Gu Cheng edited by Sean Golden and Chu Chiyu, Renditions Paperbacks, 1990.

 


 

Poèmes en ligne et traductions

https://lyricstranslate.com/fr/gu-cheng-%E9%A1%BE%E5%9F%8E-lyrics.html

Extraits de l’anthologie de La Pléiade

http://www.francopolis.net/Vie-Poete/Gu-Cheng-MaiJuin2019.html

 


 

Réflexions sur le poète et son œuvre, à lire en ligne :

 

- Reflections of the West on Gu Cheng’s Life and Poems, by Anna Simona Margarito, in Asian and African Studies XVI, 2 (2012), pp. 3–19

https://web.archive.org/web/20141129022828/http://ftp.ff.uni-lj.si/fakulteta/ZalozbaInKnjigarna

/Zaloznistvo/KatalogPublikacij/Azijske%20in%20afri%C5%A1ke%20%C5%A1tudije/AAS_2012

_let_XVI_st_2.pdf

 

- Gu Cheng, la disparition d’un poète, par Annie Curien, Perspectives chinoises, 1993 / 19, pp. 49-50 :

https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_1993_num_19_1_1729

Hommage au poète avec la traduction de trois de ses poèmes : Falaises, L’homme de bronze, Toutes ces heures.

 


 

Film hongkongais

 

Après son suicide, un film sur Gu Cheng a été réalisé et produit à Hong Kong en 1994 par le réalisateur Casey Chan, avec l’acteur Stephan Fung dans le rôle principal : « A Poet » (《顾城别恋》). Le film a été présenté en 1998 au festival de Toronto.

C’est une sorte de biographie romancée où les personnages sont interprétés par des acteurs. Le scénario aligne les caricatures, mais l’actrice qui interprète le rôle de Xie Ye a bien rendu l’évolution du caractère de son personnage, de jeune Shanghaïenne vive et délurée à épouse tolérante et légèrement désillusionnée. L’argument central illustre ce qui, aux yeux du Parti, ne peut être que l’inévitable tragédie de ceux qui poursuivent l’illusion de la démocratie.

 

 

[1] Dagoba blanc du temple de Maoying (妙應寺白塔) érigé par Kublai Khan au début de la dynastie des Yuan. C’était le centre d’un vieux quartier de hutong depuis 2013 en cours de « rénovation ».

[2] Dont il existe plusieurs traductions en chinois, dont la première (Notes sur les insectes 《昆虫记》) était célèbre en Chine : l’ouvrage a été commenté avec admiration par Ba Jin (巴金), Lu Xun (鲁迅) et son frère Zhou Zuoren (周作人) .

[3] Extrait du recueil « Sur l’île » (séquence autobiographique 10).

[4] Id.

[6] Présentation des deux recueils

- par le poète et traducteur Claude Mouchard, rédacteur en chef adjoint de la revue Po&sie :

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/06/02/enigme-gu-cheng/

- sur le site du Club de Mediapart :

https://blogs.mediapart.fr/jean-claude-leroy/blog/031121/decouvrir-gu-cheng-poete-singulier-parmi-les-flous

- par Jacques Josse sur Remue.net : https://remue.net/spectre-en-ville-sur-l-ile

- par Timour Muhidine dans Le Monde diplomatique (juillet 2022) :

https://www.monde-diplomatique.fr/2022/07/MUHIDINE/64840

[7] Textes originaux avec les illustrations : http://www.gucheng.net/gc/Special/jld/

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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