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Chen Kaihong 陈开红 (nom de plume Xue
Mo 雪漠)
Présentation 介绍
par Brigitte Duzan, 11 janvier 2010
Chen Kaihong est né en
1963 à Liangzhou, dans la province du Gansu
(甘肃凉州),
au nord-ouest de la Chine. Membre de l’Association
nationale des écrivains chinois, il est considéré
aujourd’hui comme l’un des meilleurs représentants de la
littérature de l’Ouest chinois, ce qui lui a valu d’être
parmi les écrivains invités au
colloque littéraire franco-chinois en novembre dernier à
Paris. Par ailleurs, bouddhiste pratiquant,
ses écrits sont profondément marqués par une grande
compassion envers la misère humaine et un désir de
purification morale et spirituelle, symbolisé par son
nom de |
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plume
雪漠 xuěmò, le désert
enneigé, ou le désert de neige. Ce sont là les deux
caractéristiques essentielles – et complémentaires - de cet
écrivain original et de son œuvre.
A/ L’écrivain de l’Ouest chinois
Xue Mo a suivi des cycles de perfectionnement à
l’institut de littérature Lu Xun (鲁迅文学院)
et commencé à écrire en 1988. Sa première œuvre est une nouvelle
« de taille moyenne » (中篇小说)intitulée
《长烟落日处》chángyān luòrìchù … C’est
ainsi que sont généralement décrits ses débuts
d’écrivain dans
la plupart de ses biographies, mais cela gomme la difficile
genèse de ses premiers écrits.
1) Une lente et difficile genèse
Il a lui-même raconté qu’il s’est d’abord exercé
à écrire « en aveugle » (我第一个阶段是盲目地练笔).
C’est à 21 ans, alors qu’il était instituteur dans une école
primaire de campagne, qu’il a commencé à écrire. Tous les
dimanches, il allait à la ville acheter des magazines, et lisait
les nouvelles qu’il y trouvait, qu’il qualifie aujourd’hui de
"垃圾", des choses qui méritent la poubelle,
mais il n’avait alors aucune idée de ce qui faisait la qualité
d’une nouvelle. En même temps, comme il n’avait ni le temps ni
l’argent pour faire de la cuisine, il se nourrissait de soupes
aux nouilles instantanées, ce qui lui valait une gastro
récurrente. Il décrit donc ainsi ces années d’écrivain en herbe
:
那几年的生活就是拉肚子、读垃圾、练武功、写小说。
Ces années-là de ma vie se résument à des
maux de ventre, des lectures insipides, des exercices d’arts
martiaux et des pages d’écriture.
Mais ce qui était le plus dur pour lui, c’était
de n’avoir ni guide ni conseils : il n’avait pas de professeur,
pas d’amis, il n’avait même pas de bons livres parce que c’était
une denrée rare dans son trou paumé du Gansu au début des années
1980. Il a cependant continué à écrire, des pages et des pages,
jusqu’à ce que, en 1988, il rencontre par hasard le rédacteur en
chef de la revue littéraire 《飞天》 : Ran Dan
(冉丹)(1). Celui-ci lui conseilla, entre
autres, de lire « Cent ans de solitude » de l’écrivain colombien
Gabriel García Márquez. (《百年孤独》). Il le
trouva difficilement, mais ce fut une révélation (2). Il écrivit
d’un trait sa première nouvelle, qu’il envoya aussitôt à Ran
Dan. Publiée en août 1988 dans 《飞天》, bien
accueillie par la critique, elle fut couronnée en 1991 du prix
littéraire annuel décerné par la province du Gansu
(甘肃省优秀作品奖).
Xue Mo avait 25 ans, et c’étaient ses premiers pas dans le monde
littéraire. Il se lança alors dans ce qui devait être, à
l’origine, une autre nouvelle « de taille moyenne », mais devint
finalement la première partie d’une trilogie qui est son œuvre
maîtresse.
2) La trilogie du désert
(“大漠三部曲”)
Ce fut aussi une longue et difficile genèse.
D’abord, il avait un salaire de misère, quelques dizaines de
yuans mensuels, pour faire vivre une famille de trois personnes.
Il fit alors une recherche sur le «Jianghu» (3) qui déboucha sur
la publication à Shanghai, en 1991, d’un ouvrage intitulé
《江湖内幕黑话考》(étude sur l’argot utilisé dans les
réseaux du Jianghu) ; cela lui rapporta mille yuans qui lui
permirent de se mettre à écrire.
a)《大漠祭》dàmòjì : le
sacrifice au désert.
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Il recommença à écrire des
pages et des pages, à les reprendre et les corriger,
sans succès. Ses personnages lui semblaient manquer de
vie. Alors il se mit à lire, cherchant chez les grands
écrivains le secret de la réussite. Les auteurs qui
l’influencèrent alors furent des Russes : Nekrasov et
ses poèmes pleins de compassion pour la paysannerie
russe, Dostoïevski et son roman épistolaire « Les
pauvres gens », Tolstoï et la première partie de son
autobiographie, «Enfance».
Dostoïevski avait aussi 25 ans quand il
écrivit « Les pauvres gens », qui fut sa première œuvre
publiée, en 1846. C’était une création d’un réalisme
brutal, une écriture novatrice qui dévoilait sans fard
les conditions de vie misérables d’un vieux
fonctionnaire et de sa nièce à Saint-Petersbourg. Xue Mo
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dit que le caractère tout entier de
l’œuvre à venir était déjà en filigrane dans ce roman,
et il se remit à travailler pour peaufiner son style à
lui, cherchant à obtenir ce souffle spirituel qu’il
trouvait dans
les œuvres de ses modèles (那种“大气”).
Le roman ne progressait que lentement. De 1989 à 1998,
il écrivit aussi des nouvelles, dont 《黄昏》huánghūn
(le crépuscule),《月晕》yuèyùn
(le halo de lune), et《新疆爷》Xīnjiāng
yé (le grand-père du Xinjiang) qui fut couronné d’un
prix littéraire
(甘肃作家小说大奖赛二等奖).
《大漠祭》fut finalement publié en 2000, à
Shanghai, faisant sensation auprès des critiques et
recevant une kyrielle de prix, dont le prix Fen Mu. Il
fit même, en 2002, l’objet d’une adaptation à la
télévision, en une série de 20 épisodes, sous le même
titre. C’est un roman réaliste, qui décrit la vie,
pendant une année, d’une famille paysanne pauvre, la
famille du vieux Shun (老顺一家), dans
le corridor du Gansu, le fameux 河西走廊
Héxīzǒuláng, le « corridor à l’ouest du fleuve » qui
servit de voie de passage sur la Route de la Soie
pendant des siècles. Le livre fut acclamé tout de suite
pour sa description vivante et colorée de la vie dans
cette région désertique ; c’est une histoire de survie,
imprégnée d’une profonde empathie pour la misère de ces
paysans dont il emprunte même les expressions
dialectales, en un style sobre, simple, vif et direct.
b) 《猎原》lièyuán
: la plaine des chasseurs
Le deuxième roman de
la trilogie, 《猎原》, fut publié en 2003, à Pékin, et fut
également primé. L’histoire est ici plus complexe,
construite autour d’une lutte entre des braconniers et
des familles de pasteurs nomades, toujours dans la même
région. Pendant les quelque dix ans de préparation, il a
vécu avec ces familles de paysans, de pasteurs et de
chasseurs, en les a interrogeant et en partageant leurs
drames. Le livre est ainsi une réflexion sur le mode de
vie traditionnel de ces paysans, une sorte de poème sur
les rapports de l’homme et de la nature, et les luttes
entre les hommes, dans cette zone désertique. |
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c) 《白虎关》báihǔguān :
la passe du tigre blanc
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Cette dernière partie de
la trilogie a été terminée en septembre 2007 et publiée,
à Shanghai à nouveau, en août 2008. L’histoire a évolué,
de même que le style. 《白虎关》décrit
l’évolution de la société locale pendant les années de
réforme et d’ouverture, et les grands bouleversements
qu’elle a entraînés. Une mine d’or est découverte à la «
passe du tigre blanc », les gens affluent comme des
mouches, le village devient une petite ville, la vie
traditionnelle s’en trouve complètement transformée, les
uns
s’enrichissent tandis que les autres restent pauvres
comme devant, les différences qui se creusent suscitant
rancoeurs et haines …
Au total, il se sera écoulé vingt ans
entre le moment où Xue Mo commença à écrire sa trilogie
et le moment où la dernière partie a été publiée. L’œuvre reflète l’évolution
de la famille Shun tout
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autant que celle de l’écrivain
tout au long de cette période. Le style a changé,
passant du réalisme sobre et direct de la première
partie, à un réalisme empreint de symbolisme dans la
troisième partie. Le tigre blanc symbolise l’ouest,
tandis que l’or symbolise l’instabilité, celle à
laquelle doivent faire face les gens de la région qui
luttent pour préserver leurs traditions, leur culture,
leur esprit. Le roman est centré sur trois personnages
féminins qui représentent, de leur côté, « la vérité, le
bien et la beauté »
(“真、善、美”).
Xue Mo se place en effet résolument du côté de la
recherche de valeurs nouvelles, tentant de faire surgir
du fond de la civilisation rurale une sorte de modèle de
survie pour les temps à venir. Cette trilogie a fait de
Xue Mo l’écrivain désormais emblématique de l’Ouest
chinois, de son peuple et de ses valeurs ; un critique
l’a décrite ainsi :
有生之艰辛、爱之甜蜜、病之痛苦、死之无奈。小说告诉你,曾经有一群西部农民曾这样活着,曾这样很艰辛、很无奈、很坦然地活着。
Il y a [là] les épreuves de la vie, les douceurs de l’amour,
les souffrances de la maladie,
l’impuissance devant la mort.
Ce roman nous dit qu’il y a et a toujours eu dans l’Ouest
[de la Chine] un peuple paysan qui vit ainsi, affrontant les
mêmes épreuves et soumis à la même impuissance, mais vivant
avec la même imperturbable tranquillité.
B/ Un écrivain bouddhiste
Cette œuvre ne serait certainement pas ce qu’elle
est si elle n’était illuminée de l’intérieur par la foi dans les
grandes valeurs véhiculées par le bouddhisme, et en particulier
la compassion pour les misères du monde et un intense désir de
pureté intérieure. Car Xue Mo est bouddhiste, pratiquant, et il
a écrit des livres sur le sujet qui sont l’objet d’études dans
de grandes universités chinoises, à Liangzhou, mais aussi, entre
autres, à l’université Fudan, à Shanghai.
Dans la préface à l’un de ses recueils de nouvelles, il explique
sa conversion, au départ, par la recherche d’un sens à donner à
ce monde en présence de la mort. Il dit que, en naissant dans un
village, comme lui, dans l’Ouest de la Chine, on ne peut éviter
d’être confronté à la mort, il y a toujours quelqu’un qui pleure
un disparu ; la vie urbaine est trop bruyante pour qu’on puisse
en entendre le son, le son ténu et funèbre de la mort. Or, c’est
quelque chose qu’il faut écouter attentivement, parce que cela
modère les désirs matériels.
Il a eu dès l’enfance peur de la mort, qu’il voyait comme un
immense trou noir au bord duquel on était obligé de vivre,
tremblant à l’idée qu’il pût y avoir dans le monde une chose
pareille. Ce genre
d’expérience débouche inévitablement sur la
recherche du sens de l’existence. Il l’a trouvé dans le
bouddhisme, dans une vie spirituelle à même de transcender ses
doutes, sa peur, sans doute, et qui éclaire en même temps tout
ce qu’il écrit, car son éveil religieux a été parallèle à la
lente genèse de son écriture, tout au long des vingt années qui
l’ont conduit de sa première nouvelle à aujourd’hui, ce qui a
sans doute été un facteur de la lenteur de cette genèse,
justement.
En ce sens, on peut dire
qu’il rejoint une longue tradition inhérente à la
culture du Gansu qui a été pendant longtemps rattaché au
Tibet, et où le bouddhisme tibétain s’est diffusé très
tôt (4). Le principal traité de Xue Mo est intitulé 《大手印实修心髓》(l’essence
de la recherche du vrai dans la tradition du Grand
Sceau). 大手印
dàshǒuyìn (le Grand
Sceau ou mahāmudrā) fait référence à l’un des systèmes
de techniques de libération propre au bouddhisme
vajrayāna, amenant progressivement à la nature ultime de
l’esprit : la vacuité. (5)
Ce n’est pas pour rien que Xue Mo a été qualifié d’ «
enfant vertueux et fililal de Liangzhou » (凉州贤孝
Liángzhōu xiánxiào). Toute son œuvre et toute sa
pensée sont |
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imprégnées de l’histoire et de la
vie de ce bout de terre aride et désolée, aux confins du monde
chinois, qu’il a su dépeindre de manière tellement vivante et
émouvante qu’il ne peut laisser indifférent. Sa trilogie
rejoint, dans l’histoire de la littérature, les grandes sagas
familiales devenues emblématiques, celle de García Márquez en
particulier. Xue Mo rejoint là son modèle initial, auquel il a
su donner le style et le souffle qui en font une œuvre à part.
Notes
(1) 《飞天》fēitiān (Apsara) : revue
créée en 1950, publication officielle de l’Union des écrivains
du Gansu.
(2) Pour lui comme pour tant d’autres : le livre, qui date de
1967, consacrait ce qu’on a appelé le
« réalisme magique », et a
influencé toute une génération d’écrivains dans le monde entier.
L’influence de García Márquez crût encore, et en Chine en
particulier, après 1982, quand il se vit décerner le prix Nobel
de littérature. La première traduction chinoise date de 1984
(上海译文出版社).
(3) Jianghu (江湖) : contexte historique et
fictionnel des nouvelles et films dits de ‘wuxia’
(武侠). Le concept remonte au 14ème siècle, et fut
forgé à partir du roman « Au bord de l’eau » (《水浒传》).
Il est traditionnellement lié à une période historique de
troubles, et peut être étendu à la période moderne, avec ses
triades et sociétés secrètes.
(4) Le Gansu, et en particulier le « corridor du Hexi » a
toujours été une région stratégique très disputée, et l’un des
passages obligés de la Route de la Soie qui véhiculait les idées
autant que les marchandises. La présence du bouddhisme est
attestée dès les débuts de la diffusion de la religion en Chine,
les grottes de Mogao, en particulier remontant au début du
quatrième siècle, lorsque le moine Le Zun grava la première
grotte pour célébrer une vision qu’il avait eue là. La province
a ensuite longtemps fait partie de l’ère tibétaine.
(5) Xue Mo se rattache à la tradition Kagyupa (噶举派
gájǔpài, qui signifie « transmission orale »),
l’une des
cinq grandes traditions du bouddhisme tibétain – née de la
seconde phase de traduction des textes bouddhiques indiens au
Tibet, au 11ème siècle. Il s’agit cependant d’une
branche qui avait disparu au seizième siècle, mais a été
relancée au début du vingtième siècle, la branche Shangpa Kagyu
(香巴噶举), née d’une autre traduction que les
autres branches kagyu.
A lire en complément :
《新疆爷》
« Le grand-père du Xinjiang »
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