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« The Banquet Bug », de
Yan Geling : un succès en Chine
par
Brigitte Duzan, 8 février 2010
Installée aux
Etats-Unis depuis quelque vingt ans,
Yan Geling (严歌苓) a écrit,
avec « The Banquet Bug », son sixième roman, mais c’est
le premier à avoir été rédigé directement en anglais.
Publié en 2006, il a connu un succès immédiat aux
Etats-Unis, et a été couronné « meilleur roman de
l’année » par
l’association des libraires
sino-américains.
Traduit en
chinois, par un romancier et dramaturge taiwanais, John
Sheng Kuo
(ou
Guo
Qiangsheng 郭强生),et
publié en Chine, il y est devenu un succès de librairie
sous le titre
《赴宴者》fùyànzhě
(celui qui court les banquets). De manière
significative, il a été publié aux éditions de
l’université normale du Shaanxi
(陕西师范大学出版社),
celles-là même qui ont publié les nouvelles légèrement
détonnantes de
Zhu Wen, par exemple…
Une satire des travers de la société chinoise…
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Le héros de
l’histoire, Dong Dan (董丹),
est un chômeur à la recherche
d’un emploi qui se rend un jour dans un hôtel cinq étoiles, à
Pékin, pour un entretien d’embauche. Mais il est pris pour un
journaliste, et se retrouve dans une immense salle de banquet où
il découvre que les gens autour de lui sont des journalistes
régulièrement invités à ce genre de festins plantureux par
divers organismes officiels qui, non contents de les régaler,
leur offrent en outre une rétribution monétaire « pour le
déplacement », en fait dans l’attente, en retour, d’articles qui
leur soient favorables.
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Dong perd vite
son innocence d’ouvrier mal dégrossi qui, pour écrire,
copie les caractères sur un vieux dictionnaire. Il se
fait faire une fausse carte de presse, puis carrément de
journaliste freelance, grâce à quoi il voit s’ouvrir les
portes des palaces. Il devient ainsi ce « banquet bug »
du titre, littéralement
宴会虫 yànhuì
chóng
(en
Angleterre, le livre est sorti sous le titre « The
uninvited »). Ceci nous vaut évidemment un florilège de
descriptions des plats les plus exquis, les plus
baroques, et les plus à la mode, de la poudre aux yeux
pour le pauvre Dong qui se souvient avoir été nourri de
gruau de sorgho mélangé à de l’écorce d’arbre pendant
les années noires du Grand Bond en avant.
Cependant, cet
intrus dans un monde qui n’est pas le sien, jonglant
avec sa double identité, se retrouve bientôt dépositaire
de secrets entendus lors de ses agapes, et malgré lui
entraîné dans des aventures plus ou moins |
surréalistes, et
scandaleuses, qui sont autant d’occasion pour la romancière de
dresser un tableau au vitriol de la société chinoise et de ses
escrocs enrichis, dont l’un des plus savoureux est ce promoteur
immobilier qui construit des immeubles pas chers dont les
plafonds sont très bas « afin que les ouvriers, ainsi, se
sentent comme des géants supportant le ciel ».
C’est
finalement une société où tout le monde se vend et où
tout le monde fait semblant, chacun portant un masque et
une identité trompeuse, Dong Dan, bien sûr, mais tous
les autres aussi : les prostituées posent en
collégiennes vierges, des masseurs soi-disant aveugles
enlèvent leurs lunettes noires pour regarder la
télévision quand leurs clients sont partis, et les
pauvres font de la figuration au cinéma en jouant des
cadavres. Comme dit l’un des personnages : en Chine,
tout dépend de la manière dont on interprète les choses,
et de la personne qui les interprète. Mais Dong Dan,
finalement, est un Candide au cœur pur, dont l’idéal est
d’acheter à sa femme un appartement avec des toilettes…
… plus vraie que vraie
Si le tableau
est aussi percutant, c’est qu’il repose sur la réalité.
Tout est parti d’un reportage à la télévision dont a
parlé un jour à Yan Geling son |
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amie l’actrice et
réalisatrice Joan Chen (ou Chen Chong
陈冲),
lui suggérant d’écrire un roman sur le sujet. Un peu plus tard,
elle lut un article qui expliquait que, à chaque banquet, il y a
effectivement plusieurs dizaines de gens qui s’infiltrent sans
être invités. Elle en fit d’ailleurs elle-même l’expérience,
pour voir. L’imagination ensuite a fait le reste, mais, si on la
suit dans ses développements loufoques, c’est qu’on sent bien
qu’elle brode à peine, juste de quoi amuser un peu ; le rire est
jaune.
Finalement, Yan Geling
réussit là une de ces comédies douces-amères pleines d’un humour
légèrement cynique qui se sont multipliées dans la littérature
chinoise ces dernières années, et que la censure laisse passer,
sans doute parce que cela permet au pouvoir de conforter ainsi
l’image pieuse de pourfendeur de la corruption et
d’ « harmonisateur » social qu’il veut se donner.
On peut prédire une
prochaine parution du livre en français ; une adaptation au
cinéma est aussi prévue, par Huang Jianxin (黄建新)
, dit-on, celui
qui a co-réalisé l’an dernier le film phare du soixantième
anniversaire de la République populaire : « The founding of the
Republic » (《建国大业》).
En attendant, outre ce roman, il est intéressant
de lire les autres œuvres d’un écrivain qui est l’auteur, entre
autres, de trois recueils de nouvelles dans des styles très
différents…
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