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Un recueil de
nouvelles de Taiwan, aux éditions Magellan
par
Brigitte Duzan, 6 avril 2018
En ce début de mars 2018, ce sont six nouvelles
d’auteurs contemporains taïwanais que nous proposent les
éditions Magellan dans un nouveau recueil de leur
collection Miniatures.
Comme l’explique Pierre-Yves Baubry dans son
avant-propos, ce sont des nouvelles écrites après l’an
2000. Ce qui frappe dès l’abord, c’est la liberté et la
diversité de ton qui marquent ces textes relativement
courts. Derrière cette diversité perce cependant une
double thématique : la mer d’une part, qui semble
presque omniprésente, et la vie de l’île d’autre part,
vue sous l’angle quotidien, et personnel.
L’histoire est absente de ces narrations, oblitérée, dit
Tong Wei-ger (dans « Le lâcher de pigeons »), car
personne « n’est plus capable de continuer à vivre cette
vie tout en la transmettant », comme si le quotidien
était tellement présent qu’il avait éliminé l’histoire.
Mais elle est remplacée |
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Nouvelles de Taiwan |
par le poids de la légende, des contes et des traditions
populaires, qui semble dès le départ donner leur cadre, leur
toile de fond à ces récits, avec l’histoire de la Grand-Mère
Nouilles qui en est une véritable encyclopédie.
L’autre toile de fond, c’est la mer, ouverture sur le large, sur
l’autre, source de ressources, mais aussi d’enfermement. La mer
comme un « désert d’azur », dit Tong Wei-ger. On est pêcheur
quand on ne peut rien faire d’autre, à Taiwan, mais aujourd’hui
là aussi s’ouvre la manne touristique qui permet de s’évader de
la galère de la pêche, justement. On ne pêche plus au filet mais
à la ligne, on pêche comme on médite, seul devant le bouchon,
dans une attitude un peu autiste, semble dire Tsai Suh-fen.
On frôle le fantastique, parfois, dans ces histoires, mais il
tourne vite au dérisoire : quand quelqu’un s’enferme dans un
réfrigérateur, il suffit de débrancher l’appareil pour que
l’expérience tourne court. On est souvent aussi au bord de la
folie ; le pêcheur touriste disparaît dans la mer sans que l’on
sache trop s’il s’y est jeté ou s’il y est tombé par mégarde. Et
surtout il y a cette nouvelle horrible qui suggère, laisse
entrevoir la vérité derrière la boulimie tragique d’une femme,
folie avérée, délire obsessionnel qui tourne au monstrueux.
Est-ce la marque emblématique d’une société malade et de ses
angoisses, d’une difficulté de vivre qui se traduit ainsi comme
elle se traduit aussi bien par le désir de s’enfermer dans un
frigo ?
En tout cas, comme le dit Pierre-Yves Baubry, ces nouvelles sont
la marque de traditions diverses qui ont forgé l’identité des
habitants de l’île, des histoires à partager pour mieux la
comprendre.
Nouvelles de Taiwan,
éd. Magellan & Cie, coll. Miniatures dirigée par Pierre Astier,
2018, 178 p., avec un avant-propos de Pierre-Yves Baubry et des
notes biographiques sur les auteurs et les traducteurs.
Les six nouvelles :
- Le cinéma de Grand-Mère Nouilles, de
Kan Yao-ming (甘耀明),
trad. Coraline Jortay
- Le frigo, de Ko Yu-fen (柯裕棻),
trad. Matthieu Kolatte
- Le pêcheur, de Tsai Suh-fen (蔡素芬),
trad. Lucie Modde
- Les dégustations, de Sabrina Huang (黃麗群),
trad. Coraline Jortay
- Lâcher de pigeons, de
Tong Wei-ger (童偉格),
trad. Coraline Jortay
- Moustique et Mer,
Kao Yi-feng (高翊峰),
trad. Gwennaël Gaffric
A lire en complément
Interview de Sabrina Huang par Pierre-Yves Baubry :
« Mes nouvelles sont comme des maisons de poupée ».
https://lettresdetaiwan.com/2018/03/13/sabrina-huang-mes-nouvelles-sont-comme-des-
maisons-de-poupees/
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