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Feng Jicai  contre Wolfgang Kubin : la culture est de structure pyramidale

par Brigitte Duzan, 27 mars 2010

 

 

Ecrivain et artiste célèbre, auteur d’innombrables nouvelles et essais de toutes sortes, Feng Jicai (冯骥才) a passé une bonne partie de sa vie à défendre le patrimoine culturel chinois, et en particulier les arts populaires (1). Comme il exerce nombre de fonctions officielles, littéraires, artistiques et politiques (il est en particulier vice-président du Comité central de l'Association chinoise pour la démocratie et membre permanent du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois ou CCPPC), ses déclarations sont toujours largement diffusées et commentées.

 

Il s’est récemment élevé contre la tendance excessive, aujourd’hui en Chine, à considérer la culture comme un vulgaire produit marchand,

soumis aux lois du marché. C’est le site Beijing Information qui a retransmis son allocution, prononcée à Pékin le 6 mars dernier, sous le titre français sensiblement plus polémique que l’original chinois : « Halte à la marchandisation de la culture . » (文化过度商业化的问题十分严重)

 

« 现在很多地方都说要把文化做大做强,但我觉得应该说成把文化做精做细做深才对。想要搞好文化事业,不是简单地通过建几个大文化公园或搞几个大文化节就能实现的。 »

« Aujourd'hui, le mot d'ordre est de rendre la culture plus grande et forte, mais pourquoi ne pas la faire plus raffinée et profonde ? Le développement culturel ne se fera pas en construisant des parcs ou en organisant des festivals ». (traduction Beijing Information)

 

Reprenant les termes du rapport d’activité gouvernemental pour 2010 récemment présenté par le premier ministre Wen Jiabao, il a rappelé que « la culture constitue l'âme et l'essence spirituelle d'une nation » et constitue donc un facteur essentiel dans le développement de ses forces créatives. « Sans le développement d'une culture d'avant-garde et l'amélioration de la formation culturelle et morale de notre nation toute entière, nous n'arriverons jamais à assurer la modernisation du pays ».

 

Ceci n’est pas nouveau, mais Feng Jicai y apporte une nuance supplémentaire. Pour lui, le problème essentiel est que la Chine manque de politiques culturelles spécifiques,  d’une « structure culturelle stratégique » qui devrait être fondée sur le principe d’une structure pyramidale de la culture, avec à la base la culture populaire, au milieu une culture moyenne, disons « grand public », et au sommet une culture supérieure, représentée par les grands maîtres littéraires et artistiques, passés et présents, et matérialisée dans le patrimoine culturel national et les grands établissements culturels nationaux

 

« Nous mélangeons culture et industrie culturelle. L'industrie est destinée à la consommation populaire, base de la structure pyramidale de la culture. Elle ne peut pas tout inclure. Le sommet culturel d'une nation ne peut pas être industrialisé. » Ce qui est effectivement de plus en plus le cas de la littérature, avec, en particulier, le développement des bestsellers issus de la littérature sur internet. (2)

 

En ce sens, Feng Jicai semble en accord avec la position martelée par le sinologue allemand Wolfgang Kubin, fustigeant le faible niveau de la littérature chinoise contemporaine (voir article précédent). Mais Kubin ne considérait que le haut de la pyramide (et encore de façon très étroite, et selon ses propres critères). La pensée de Feng Jicai, fruit de longues années de réflexion et de travail sur le terrain, est autrement nuancée. Le sommet de la pyramide culturelle, chez lui, n’est pas seulement le fait d’une élite intellectuelle, elle repose sur la base de la culture populaire, extrêmement riche et diversifiée. C’est très net dans tous les domaines artistiques, où les arts populaires régionaux sont une source constante d’inspiration, mais en particulier dans le domaine littéraire, où les formes narratives du roman et de la nouvelle sont nées de l’ancien art populaire des conteurs.

 

C’est en 2007, lors d’un colloque international « chez lui », à Tianjin, sur le thème : « L'esprit universitaire et l'éducation humaniste », qu’il a posé clairement les premières bases de cette réflexion : « La Chine a commencé sa réforme et son ouverture après avoir traversé la Révolution culturelle. Lorsque celle-ci s’acheva, de nombreux éléments de la culture chinoise, tant vénérés de génération en génération, avaient été balayés et emportés. L'économie de marché qui a suivi la réforme et l'ouverture a mis à mal ce colosse sans ossature qui ne pouvait aucunement résister à la culture commerciale. »

 

La culture immatérielle a dès lors cédé la place à celle des biens matériels, dont les livres font partie :

到了今天,当图书出版被彻底市场化、书籍成了物化的商品.. 

aujourd’hui, le secteur de l’édition est devenu totalement commercial, faisant des livres de purs produits marchands.

Feng Jicai en appelle donc à la « renaissance de l’esprit humaniste », la solution n’étant pas de raser les bases de la pyramide, mais au contraire de les revaloriser.

 

(1) Voir biographie

(2) Voir l’article sur « Shanda literature ».

 

 

 

 

   

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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