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La Chine aux Equateurs
par
Brigitte Duzan, 4
décembre
2014
En ce jeudi 4 décembre sort – aux éditions des Equateurs
- un livre qui apporte un éclairage original sur un
épisode méconnu de l’histoire de Shanghai, sous
l’occupation japonaise. On connaissait déjà bien des
histoires sur le courage de divers Occidentaux,
diplomates ou missionnaires, qui ont réussi à sauver
bien des vies chinoises dans les Concessions de la
ville. On n’en connaissait pas de Français jusqu’à
maintenant.
Or, voici que ce livre nous apporte un témoignage,
étonnant à plus d’un titre, sur un épisode de ce genre
dont le héros est un officier de la Marine française.
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Scènes de la vie en Chine, le livre |
L’histoire est étonnante, d’abord, parce qu’elle tient de la
chasse aux trésors. Elle serait restée dans les limbes de
l’Histoire, celle avec un grand H, si un journaliste – Ivan
Macaux - n’était un jour allé fouiller dans
la maison
familiale, au Sud de la France,
et n'y avait découvert une petite malle recouverte
d’un tissu de soie. La soie est inhabituelle
dans un tel contexte, et attire forcément le regard, d’autant plus quand on
est journaliste.
Intrigué, il soulève le tissu, ouvre la malle, et découvre
stupéfait une kyrielle de petites figurines en bois, comme des
ancêtres de playmobil avant l’invention du plastique. Il les
compte : il y en a cent neuf exactement, cent neuf statuettes,
minuscules mais d’une précision étonnante dans l’expression,
représentant des scènes de la vie quotidienne en Chine, une
peinture de la société chinoise immémoriale, figée dans le
fusain.
Après investigations familiales, il s’avéra que la malle a son
histoire, qui remonte à la guerre sino-japonaise : elle fut
offerte en 1938 à l’arrière-grand-père d’Ivan Macaux, l’amiral
Jules Le Bigot, commandant en chef des forces navales
d’Extrême-Orient. Envoyé à Shanghai en 1937, par un de ces
hasards qui laissent toujours songeurs, il débarqua dans la
ville au moment où les Japonais l’envahissaient.
Femme au rouet : la figurine et son
modèle dans la vie |
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Offusqué par la brutalité du nouvel occupant qu’il voit
mettre à feu et à sang la ville abandonnée par les
troupes chinoises après trois mois de violents combats,
il donne l’ordre à son escadre de protéger la Concession
française et réussit à assurer la sécurité de
l’orphelinat jésuite situé à Xujiahui (徐家汇).
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Or cet orphelinat était un centre artisanal réputé, dont la
mémoire est aujourd’hui préservée dans un musée, le musée
Tushanwan (土山湾)
- également connu dans la transcription du shanghaïen :
Tousèwè : on y apprend que le centre a été fondé par les
Jésuites en 1864, et qu’en sont sortis de nombreux artistes.
Les orphelins étaient en effet recrutés, au départ, pour être
formés aux métiers du bois, à la peinture et à la sculpture,
pour décorer les églises que les Jésuites voulaient construire.
Mais les pères avaient aussi une imprimerie, qui a publié de
nombreux ouvrages connus des sinologues. Les œuvres produites
par les enfants étaient vendues au profit de l’orphelinat, et
elles ont fait l’objet d’expositions à l’étranger, et en
particulier aux quatre Expositions universelles qui ont eu lieu
de 1900 à 1939.
Un exemple de personnage célèbre issu de cet orphelinat est
Zhang Chongren (张充仁),
l’ami d’Hergé qui l’a aidé lors de la rédaction du Lotus bleu et
lui a inspiré le personnage de Tchang… et qui
termina sa carrière comme directeur de l'Institut des Beaux-Arts
de Shanghai.
C’est pour remercier l’amiral de les avoir sauvés des
Japonais que les orphelins lui ont offert cette malle à
son départ de Shanghai. C’est une illustration de leurs
formidables capacités artistiques. Chaque figurine
représente un métier, une occupation, un trait
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Le barbier : la figurine et un barbier à
Shanghai à l’époque |
spécifique de la vie à Shanghai dans les années 1930, châtiments
compris. Le tout forme un ensemble qui rappelle les tableaux de
la vie pékinoise de
Lao
She (老舍),
ou la description colorée des petits métiers à Tianjin dans les
nouvelles de
Feng Jijai (冯骥才).
La Chine est en guerre, Shanghai est occupée, mais la vie
continue…
Le livre est le fruit de la rencontre d’Ivan Macaux avec
Christian Henriot, professeur à l'Université de Lyon 2, membre
de l'Institut d'Asie Orientale, qui est un spécialiste de
l’histoire de Shanghai (1) et s’est tout de suite passionné pour
ces figurines et ce qu’elles représentent. L’ouvrage est
somptueusement illustré et argumenté, et les textes, comme
autant de petits essais accompagnant les figurines et les
replaçant dans leur contexte historique, photos à l’appui, sont
présentés en version bilingue.
C’est le cas, en particulier, de la préface, rédigée par
l’historien Ma Jun, membre de l’Académie des sciences sociales
de Shanghai. Il y rend hommage à l’amiral Le Bigot, en replaçant
son action dans le contexte de l’action des forces navales
françaises à Shanghai :
« Non seulement il
s’est abstenu de coopérer avec l’armée japonaise, il a aussi
ordonné un peu plus tard à la Marine française d’aller assurer
la sécurité des réfugiés et de toute la zone de Xujiahui. Bien
qu’on ne puisse faire l’éloge de la politique française à
l’égard de la Chine depuis le XIXe siècle
siècle et que la présence des forces navales françaises dans la
ville ait visé avant tout la protection des intérêts français,
les actions de l’amiral LeBigot
pendant la période des combats ont incontestablement protégé une
partie de la population de Shanghai…. »
Le moulin à grains à traction animale :
la figurine et une photo d’un moulin semblable |
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On peut y voir une initiative personnelle, mais c’est
une initiative courageuse qui mériterait peut-être
d’être un peu plus connue, alors que sont surtout cités
les épisodes de barbarie « coloniale » des Français en
Chine, tel le Sac du Palais d’été…. |
C’est donc bien à plus d’un titre que cet ouvrage est
intéressant : intérêt historique, artistique, politique et
littéraire. Il est un premier pas des éditions des Equateurs
dans le domaine de l’histoire et de la culture chinoises, la
littérature devrait suivre…L’avenir, aux Equateurs, paraît plein
de promesses.
Scènes de la vie en Chine, les figurines de bois de T'ou SèWè,
d’Ivan Macaux et Christian Henriot,
éditions des Equateurs, décembre 2014, 304 p.
La sortie du livre est accompagnée d’une exposition au Musée des
tissus et des arts décoratifs, 34 rue de la Charité à Lyon
(jusqu’au 11 janvier 2015)
Note
(1) Il est le concepteur de la plate-forme d’histoire numérique
« Virtual Shanghai » :
http://www.virtualshanghai.net/
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