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Yi Wa : A la
recherche de l’histoire de ma mère
par
Brigitte Duzan, 1er juin 2015
Ce texte est une introduction au
livre de
Yi Wa (依娃)
publié fin décembre 2014, et consacré à l’histoire des
femmes et enfants qui ont fui la Grande Famine qui
sévissait dans le Gansu, pire qu’ailleurs, au début des
années 1960 : « A la recherche des femmes et des
enfants qui ont fui la Grande Famine » (《寻找逃荒妇女娃娃》).
Elle explique dans ce texte introductif le choc qu’a été
pour elle la découverte d’un secret familial dont elle
n’avait aucune idée jusqu’alors. Née et élevée au
Shaanxi, elle ne pouvait pas imaginer que sa mère venait
du Gansu, et dans quelles conditions elle en était
partie : pour fuir la famine qui avait déjà fait cinq
victimes dans sa famille.
《寻找母亲的历史》
« A la recherche de l’histoire de ma mère » |
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Yi Wa présentant son livre |
国家有历史,伟人有历史。一个大字不识,没有文化,种了一辈子地,生养了几个娃娃的母亲哪有什么历史?
Les nations ont une histoire, les grands hommes ont une
histoire. Mais une mère illettrée, sans éducation, qui a passé
sa vie à cultiver la terre et élever quelques enfants, quelle
histoire a-t-elle ?
很多年来,我心里多少有些轻看母亲,觉得她事事不如人。既没有隔壁春芳嫂的心灵手巧,会剪窗花会织布,也远没有邻居孔雀妈的泼辣能干,吃苦耐劳,一次能拔回来两大笼羊草。我的母亲性情笨拙,身体瘦弱,只会做饭刷锅,洗衣缝补。普通得就像地里的一块土疙瘩。
四十多岁后,渐渐觉得,我不了解母亲,不了解母亲的过去,更是不了解母亲是怎么样的一个人。我想,我的脐带曾经连接着她的身体,那么她的过去一定是和我有关系的。我对母亲,产生出一种从未有过的好奇心,促使着我开始探究母亲的历史,我觉得寻找母亲的历史,就是寻找我自己的历史。
母亲是从哪里来的?这么多年,我没有问过这个问题……
Yi Wa et sa mère aujourd’hui |
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Pendant des
années, je l’ai considérée comme quelqu’un de peu de
valeur, sans guère d’intérêt. Elle n’avait pas le talent
de la voisine qui savait tisser ou faire des découpages
pour décorer les fenêtres, et encore moins l’attitude
hardie de l’autre voisine, une maison plus loin ; elle
travaillait et supportait tout sans rien dire… Maigre,
elle n’était ni très futée ni très forte, et ne savait
que faire la cuisine, laver le linge et le repriser.
Elle était aussi ordinaire qu’une motte de terre fondue
dans le sol.
Mais, quand
j’ai eu quarante ans, j’ai peu à |
peu réalisé que je ne savais rien d’elle ni de son passé et ne
savais pas qui elle était. Je me suis dit que j’avais un jour
été liée à elle par mon cordon ombilical et que son passé devait
me concerner aussi. Alors je suis soudain devenue curieuse, j’ai
commencé à explorer son histoire, et, en retrouvant son
histoire, à trouver la mienne.
D’où venait-elle ? Tout au long de ces années, je ne le lui
avais jamais demandé…
我细致地回想着儿时和母亲在一起的时光,琢磨着以往被我疏忽的蛛丝马迹。我想起来,小时候家里人围着小饭饭桌吃饭的时候,小队长成林坐在边上开玩笑;“你是甘肃人,来我们陕西弄啥?咋不回去哩?”母亲窘迫的两颊红红的像个新媳妇,只是笑笑,说不出话来。
Je
me suis remémorée dans les moindres détails les moments où nous
étions ensemble, et j’ai recherché toutes les clefs que j’avais
négligées. Je me suis rappelé que, quand j’étais petite, un jour
que tout le monde était à table, le chef de la brigade du
village avait dit en riant : « Tu es du Gansu, qu’est-ce que tu
es venue chercher chez nous, au Shaanxi ? Pourquoi tu n’es pas
repartie ? » Ma mère, embarrassée, avait rougi jusqu’aux
oreilles comme une jeune mariée et s’était contentée de rire,
sans rien répondre.
“咱是个叫花子。”“咱是个叫花子。”
我们陕西人把乞丐、要饭的称作叫花子。其实,这句话在母亲嘴边挂了好几十年,但是我从不在意,想母亲在抱怨日子的熬煎。长大些后,我隐隐约约地知道,母亲不是陕西本地人,但是怎么来的?为什么来?我一点也不清楚。
« On est ce qu’on appelle des maraudes. » Autrement dit
des mendiantes. Ce mot, je l’ai souvent entendu dire par ma
mère, mais je n’y ai jamais fait attention, je pensais que
c’était juste une manière pour ma mère d’exprimer sa colère dans
l’existence. En grandissant, j’ai réalisé, plus ou moins
consciemment, que ma mère n’était pas du Shaanxi, mais sans
savoir d’où elle venait, ni pourquoi.
“妈,你的老家在哪里呀?”
“甘肃,秦安县,远得很,山区,苦焦得很。”
“那你咋来的陕西?谁领你来的?哪一年来的?”
“问这弄啥?”
“我是你的娃,我想知道嘛。给我说一说。”
“那些年,没有吃的,饿死人哩。是一个人贩子领着我,还有你外婆、你舅舅坐火车来的,不出来饿死了……。我们是六一年跑出来的,那一年,我十七岁了。”
« Maman, d’où
est originaire ta famille ?
« Du Gansu. Du
district de Qin’an, c’est très loin, dans les montagnes,
un endroit misérable. »
« Mais pourquoi
es-tu venue au Shaanxi ? Qui t’a emmenée ? C’était
quand ? »
« Pourquoi me
demandes-tu cela ? »
« Je suis ta
fille, c’est normal que je veuille savoir, dis-moi. »
« Cette
année-là, on n’avait plus rien à manger, les gens
mouraient de faim. Alors un passeur m’a emmenée, il y
avait aussi ta grand-mère, et ton oncle, on est venus en
train ; si nous ne l’avions pas fait, nous serions morts
de faim… C’était en 61, j’avais 17 ans. »
2011年的6月,在我的坚持下,我跟随母亲回到了她离别了整整五十年的老家___甘肃省秦安县王堡乡罗店大队下店湾村。我没有想着寻找素材,没有想着写作这码子事。我就想看看,外婆的老家,母亲的老家在哪里?到底是什么样子?还有,她们逃荒前发生了什么事情?她们怎么逃出来的?……。我的脑子里冒出无数的问号,需要解答。作为一个女儿,我想知道母亲以前所经历的事情。
En juin 2011,
comme j’insistais, je suis revenue avec ma mère dans le
district de Qin’ai, au Gansu, voir la famille
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Yi Wa vue par Hu Jie(illustration du
livre)
我的父亲是陕西农民,母亲是甘肃逃荒女子,我是逃荒者的后代 Mon père est un paysan du
Shaanxi, ma mère est venue du Gansu en fuyant la famine,
et moi je suis la génération des survivants de la
famine. |
qu’elle avait quittée cinquante ans auparavant… Je ne pensais
pas alors chercher des renseignements pour écrire ce livre. Je
voulais juste voir où était la famille de ma mère et de sa mère,
et savoir ce qui s’était passé avant qu’elles partent pour fuir
la famine. Je me posais une foule de questions et cherchais les
réponses. Je voulais savoir ce qui était arrivé à ma mère.
“这就是咱老家,这么多年了,没有啥变化。”下了汽车,母亲站在山梁梁上说,山下是被田地和树木围绕着的村子。一路上,我不断的询问母亲,才得知解放前她家的家境富裕,有上百亩地和一个大庄子,还雇佣有伙计。土改那年,被政府划为富农成分,村里的积极分子把她爷爷,也就是我的曾外祖父吊在房梁上,拷问着:“银元埋在哪里?说!说!”外曾祖父被吊得昏死过去,口吐白沫,随后就疯癫了。家里的地没收了,粮食搜光了,银元、骡子和布匹都被拿去了。“咱眼看着让人家拿,一句话都不敢说,晚上灯都不敢点,巡夜的看见灯以为我们转移什么好东西,就敲门查哩。我们把灯放在斗里,外面看不见。”
« Après toutes ces années, rien n’a changé » dit ma mère en
descendant du train ; au pied de la montagne, le village était
entouré de champs et d’arbres. En chemin, je n’ai pas cessé de
lui poser des questions ; j’ai ainsi appris que, avant la
Libération, sa famille était prospère ; ils possédaient plus de
cent mude terres et une grande demeure ; ils avaient même
un employé. L’année de la réforme agraire, ils ont été classés
paysans riches ; les activistes du gouvernement, au village, ont
pendu son grand-père à une poutre et l’ont torturé pour savoir
où il avait enterré son argent. Le grand-père a perdu
connaissance, et il est devenu fou. La famille n’a pas reçu de
terres, on leur a pris tout ce qu’ils avaient, leurs provisions,
leur argent, les mules et les tissus. « On les a regardés tout
prendre sans oser dire un mot ; le soir, on n’a pas osé allumer
de lumière, on aurait pu penser qu’on voulait profiter de la
nuit pour déménager quelque chose de précieux ; on a camouflé
les lampes pour qu’on ne les voie pas de l’extérieur. »
原来,我蒙童时兴高采烈和小伙伴们唱的儿歌:“打倒土豪,打倒土豪,分田地,分田地,我们要做主人,我们要做主人,真欢喜,真欢喜!”是以全国枪毙了有上百万“恶霸地主”,吊打了包括我曾祖父在内无数的富农,暴力掠夺他们的全部财产为代价的。
« Quand j’ai commencé l’école, les gamins chantaient une
chanson : « A bas les propriétaires terriens, ces exploiteurs,
partageons les terres, partageons les terres, nous voulons être
les maîtres, alors nous serons vraiment ravis ! » Dans tout le
pays, plus d’un million de « mauvais propriétaires terriens »
ont été exécutés, on a battu d’innombrables paysans riches comme
mon arrière-grand-père et on les a dépossédés de leurs biens. »
“妈,慢些走。”我提着大包小袋,叮嘱着母亲。从山梁上去村里的路只有一尺宽,有的地方非常陡峭,但是年近七十的母亲毫不费力,小跑着下山。“小时候走惯的路,闭上眼睛都能摸回来。”
« Maman, pas si vite. » lui ai-je dit car je portais un gros
sac. Le chemin qui menait du pied de la montagne au village
n’avait qu’un tiers de mètre de large, et certains endroits
étaient très escarpés, mais ma mère qui avait près de 70 ans
dévalait la pente en courant. « C’était mon chemin habituel
quand j’étais petite, je pourrais le suivre les yeux fermés. »
到老家的第二天,母亲准备了冥纸、香、水果和馍馍,说要领我去给外爷上个坟。我是近年才知道,我还有个外爷,名字叫牛志恒,在我出生的前五年就去世了,那时候他才四十二岁,还人在壮年……。母亲走在前面,我跟在后面,小路边田地里种着包谷、胡麻,一片片苜蓿盛开着雪青色的花,我顺手摘了一把苜蓿花,要带给外爷。
Yi Wa avec l’une des femmes interrogées
pour son livre |
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Le lendemain,
ma mère a préparé de l’encens, du papier à brûler pour
les morts, des fruits et des petits pains, et m’a dit
qu’elle allait m’emmener sur la tombe de mon grand-père
paternel. J’ai alors appris son existence : il
s’appelait Niu Zhiheng, et il est mort cinq ans avant ma
naissance, dans la fleur de l’âge ; il n’avait que 42
ans …. Ma mère est partie devant et moi derrière sur le
chemin ; des deux côtés il y avait des champs de maïs,
de sésame et de luzerne en fleur, de couleur mauve ;
j’en ai cueilli en passant, pour apporter au grand-père. |
“妈,你记得外爷是怎么死的吗?”
“记___得!我到死都不得忘。那是五八年,就是人民公社成立那一年,不知道为啥,不让人在自己家做饭,家家户户的粮食都上交到公共食堂,统一吃。把锅都给拔了,摔成几片,上交大闹钢铁去了,不让个人家冒烟。你外婆藏下一个小锅,做了点饭,让干部发现了,连锅都端着去了。你外婆哭着撵着把锅要回来了……。不知道咋的,食堂吃了半年,也吃不成了,一天一个人就是两碗水汤,清得能看见鼻子眼睛的水汤,那能吃饱吗?你外爷个子大得很,饭量也好,吃不上,四十岁个人走路还要拄拐棍哩。饿着饿着就病倒了,脸肿得比脸盆大,腿上皮涨裂一个劲儿流黄水。”
“不能问队里要些粮吗?”
“人家不给,没有人管。那时候不让在自己家住,把我们撵出来了,我们的大庄子被公家占了,我们一家子这里几天,那里几天,咱成分不好……。你外爷是饿死的,我记得清清楚楚。那天早晨下了点雪,我早晨醒来,看见他肩膀露在外面,我就想,平时他把自己盖得严严的,今天怎么了?我去给他盖被子,他人已经硬了,可能半夜就死了。”
« Maman, tu te rappelles comment est mort grand-père ? »
« Oh oui, je me souviens ! Je ne l’oublierai jamais, jusqu’à ma
mort. C’était en 58, c’est-à-dire l’année de la création des
communes populaires. Je ne sais pas pourquoi, mais on
interdisait aux gens de faire la cuisine chez eux, donc toutes
les céréales devaient être remises à la cantine collective, et
tout le monde mangeait ensemble. Les casseroles ont été envoyées
pour faire de l’acier. Mais ta grand-mère a caché une petite
casserole, et elle a continué à faire un peu à manger ; quand
les responsables s’en sont rendu compte, ils ont emporté la
casserole ; la grand-mère a pleuré …. On passait la moitié du
temps à manger à la cantine, et on n’était jamais rassasié.
Chacun avait droit à deux bols de soupe par jour, mais c’était
une soupe très claire, on ne pouvait pas se rassasier avec. Ton
grand-père était très grand, et il avait bon appétit ; il
n’avait pas assez à manger ; à 40 ans, il marchait en s’appuyant
sur une canne. Faute de manger à sa faim, il a fini par tomber
malade, il avait le visage boursouflé comme une cuvette ; ses
jambes enflées avaient la peau crevassée et il en coulait un
liquide jaunâtre. »
« Vous ne pouviez pas demander un peu plus à manger ? »
« Il n’y avait
personne à qui demander. A cette époque, on n’habitait
plus chez nous, on nous avait expulsés, notre grande
demeure était occupée par les gens de la commune
populaire, alors nous passions quelques jours dans un
endroit, quelques jours dans un autre, nous avions un
très mauvais statut de classe. … Ton grand-père est mort
de faim, je m’en souviens très, très bien. Ce jour-là,
il a un peu neigé, tôt le matin ; quand je me suis
réveillée, j’ai vu qu’il avait les épaules découvertes,
pourtant d’habitude il se couvrait bien… je suis allée
lui remonter sa couette, mais il était déjà raide, il
avait dû mourir au milieu de la nuit. » |
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Dessin satirique stigmatisant
les rapports gonflant la production |
母亲带领我来到外爷坟前,只不过是荒芜旷野上的一个小土堆,没有墓碑,没有松柏,上面长满了杂草。母亲点燃纸钱,撒向坟头,“大,我给你送些钱,你花上。”我默默地陪伴着母亲,给外爷供上水果、点心,我给外爷磕了三个头,对他说:“爷爷,我们回来看你,我们回来看你。”山间的风刮起了烧成黑色的纸钱,飘向远处。
Ma
mère m’a emmenée devant sa tombe, mais ce n’était qu’un petit
tumulus dans un endroit sauvage, il n’y avait pas de stèle, ni
pin ni cyprès, et le tertre était couvert d’herbes. Ma mère a
brûlé quelques billets de papier, en disant : « Tiens, voilà de
l’argent, dépense-le » J’ai fait de même sans dire un mot, ai
donné au grand-père les fruits et les gâteaux en lui disant
« Regarde, on est revenues te voir ». Le vent s’est mis à
souffler de la montagne, emportant au loin les morceaux de
papier calcinés.
本家亲戚让我和母亲睡在上房,给我们找出干净的被褥,我和母亲并排躺下,虽然跑了一天,爬山下沟的,却怎么也睡不着。我看着母亲,却好像不认识母亲。
La
famille nous a invitées à dormir, nous a sorti des draps et des
couettes propres, je me suis couchée à côté de ma mère, mais,
bien qu’ayant marché toute la journée dans la montagne, je
n’arrivais pas à dormir. Je regardais ma mère, avec le sentiment
de ne pas la connaître.
“妈,外爷死的时候,你哭了吗?”
“没哭,饿瓜(傻)了,不知道哭,没有力气哭,那几天啥都没有吃,连喝的水都没有,我和你舅舅每天就唆几块外面的冰块块,就那么挨着,活一天算一天,还知道哭?……你外爷可怜,死的时候,连一副棺材都没有,人饿得没有力气给挖坑,就那么浅浅埋了。”
« Maman, quand grand-père est mort, tu as pleuré ? »
« Non, j’étais hébétée par la faim, je ne pouvais pas pleurer,
je n’en avais pas la force, cela faisait quelques jours que je
n’avais pas mangé, je n’avais même pas d’eau à boire ; avec ton
oncle, on léchait des morceaux de glace dehors ; on en était
arrivés à ce point que vivre un jour, se préparer au lendemain,
c’était déjà beaucoup, comment pleurer en plus ? … Ton
grand-père, le pauvre, quand il est mort, il n’a même pas eu de
cercueil, en plus les gens étaient tellement affaiblis par la
faim, personne n’avait la force de creuser, alors il a été
enterré à même la terre, dans un trou très peu profond.
在老家短短的那么几天,我跟随着母亲东家西家的走亲戚。进了门,总是被让着上炕,先是喝茶,然后是麻利媳妇们端来热呼呼的,呛着绿葱花的桨水面,酸溜溜的,吃上特别解乏。几个老妇人吃着饭,嘴却是不闲的,虽然是地方口音,但我听懂没有问题。我坐在炕角,偷偷的听她们唠家常。
Gravure de Hu Jie : frapper résolument
les criminels en fuite 坚决打击流窜犯 |
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Pendant ces
quelques jours, j’ai accompagné ma mère à droite et à
gauche, pour rendre visite à la famille. Dès qu’on
passait la porte, on nous invitait à nous asseoir sur le
kang et à prendre un verre de thé, puis on nous
apportait un potage brûlant aux oignons verts, d’un goût
aigre, très revigorant, une spécialité locale. En
mangeant, les vieilles femmes ne restaient pas sans rien
dire, et bien que ce fût dans le dialecte local, je
comprenais sans problème.
“你还有一个妹子也是饿死的,叫个啥?叫个佛黛吗?”一个老姑回忆到,她是母亲小时候的玩伴儿,她说的佛黛是我从未见过面的小姨。“娃娃死的前一天,我还在地里见了,啊呀,把娃娃饿的,拔一颗苜蓿吃一口,拔一颗吃一口,消化不好,屁股里一直流绿水。我看着就不得活了,怕是那一天回去就死了,才十四岁。”
« Tu as aussi
une petite sœur qui est morte de faim, comment
s’appelait-elle, déjà ? Fodai, non ? » Une vieille
tante se rappela que c’était la compagne de jeu de ma
mère, |
quand elle était petite ; c’est une petite sœur de ma mère que
je n’ai jamais connue. « La veille du jour où elle est morte, je
l’ai vue par terre, comme elle avait faim, elle ramassait des
brins de luzerne, un à un, pour manger, mais elle digérait mal,
elle avait un filet d’eau verte qui lui coulait du derrière ;
quand j’ai vu cela, j’ai su qu’elle ne vivrait pas longtemps.
Elle avait 14 ans. »
“妈,你以前为啥不给我说这些?”我插话责备母亲。
“说这些干啥?那些年。咱这里饿死的人多了,我走在路上就看见过死人。人出门要饭走着走着,摔到就死了,坐下歇就死了……你老姑说的是我妹子佛黛,你要叫姨哩。娃回来睡在炕上,就说苜蓿怎么是红的?苜蓿怎么是红的?娃渴得很,要喝水,我就和你外婆去泉上抬水,你舅舅看着她,她在炕边爬,要往水缸边上爬,还没有爬到水缸边,就载下炕,我和你外婆一进门,赶紧给她灌水,就没有灌过来。眼看着找不上一口粮食,娃就给咽气了。”
“那我佛戴姨是怎么埋的?”
“我记得是我和我四爸把娃用个棍子抬出去,扔掉了。”
« Maman, pourquoi ne m’as-tu jamais parlé de cela auparavant ? »
« Cela aurait servi à quoi ? Il y a beaucoup de gens qui sont
morts de faim, ces années-là, j’en voyais tout le temps au bord
du chemin. Les gens sortaient de chez eux pour essayer de
trouver à manger, ils marchaient, marchaient, tombaient et
mouraient, s’asseyaient pour se reposer un peu et mouraient….
Celle dont vient de parler ta tante, ma petite sœur Fodai, c’est
ta tante. Quand elle est rentrée, elle s’est étendue sur le
kang, pour dormir, et elle m’a demandé pourquoi la luzerne était
rouge : comment se fait-il que la luzerne soit rouge ? Elle
avait très soif, elle voulait de l’eau. Alors je suis allée lui
en chercher à la source avec ta grand-mère. Ton oncle la
surveillait ; elle se traînait le long du kang, en essayant de
se glisser près de la cuve d’eau… Quand nous sommes arrivées, ta
grand-mère et moi, nous nous sommes précipitées pour lui donner
à boire, mais c’était trop tard. Elle avait déjà rendu l’âme.
Et
comment a-t-elle été enterrée ?
Je
me souviens que mon quatrième oncle moi, nous l’avons emportée
attachée sur un bâton, et nous l’avons abandonnée dans un champ.
母亲的过去劈头盖脸地向我砸来,让我毫无防备。听到这里,我震惊和悲伤极了,刹间眼泪井喷般的冒出,心疼如绞。母亲说的是我的姨姨,她才十四岁,还是个小姑娘,还没有长大成人,就被活活饿死了,犹如一朵从没有盛开过的花骨朵儿。更让我难过不已的,是我当时只有十五岁的母亲得抬着妹妹的尸体扔出去,我不敢想象这样的画面,我不愿意接受人间这样悲惨的场景。可是,这就是我的母亲曾经经受的苦难,从我知道的那刻,就一块红通通的烙铁一样烙在我的心上,让我疼痛的难以忍受。我低下头,用双手捂住脸,任泪水流泻,嘴里喊着:“妈,妈呀……!”我为死去的小姨哭,为去世的外婆哭,为母亲哭。
Le passé de ma
mère m’éclatait en plein visage, sans prévenir. J’étais
choquée et atterrée, je ne pouvais plus retenir mes
larmes, j’avais le cœur serré en entendant l’histoire de
cette petite tante morte de faim à 14 ans qui n’avait
pas eu le temps de devenir adulte, comme une fleur
fauchée avant d’avoir pu s’ouvrir. Mais celle qui me
faisait encore plus pitié, c’est ma mère, qui avait
quinze ans à l’époque, et qui a dû emporter le cadavre
de sa petite sœur et l’abandonner en pleine nature. Je
n’arrivais pas à me l’imaginer. Je ne voulais pas
imaginer des images aussi atroces. Mais c’est ce
qu’avait vécu ma mère, et ce moment entrevu de sa vie me
brûlait le cœur comme la pointe rougie d’un fer à
souder, c’était insupportable. Tête baissée, appuyée sur
mes deux mains, je me suis effondrée en pleurs, en
bredouillant : « Ah maman, maman …. ! ». Je pleurais
pour la petite tante morte, pour le grand-père mort, et
pour ma mère.
“不哭,不要哭了。都是上辈子人的老故事,我们老年人好不容易见个面,就说这些。”老姑劝着我。
“咱不说,下一代的娃就不知道,一说,娃又难过。” |
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Illustration de l’une des histoires du
livre par Hu Jie (l’histoire d’une petite fille qui a
fui en s’accrochant à l’extérieur d’un train) |
« Ne pleure pas, ce n’est pas la peine de pleurer, c’est une
histoire révolue, l’histoire de la génération passée. Nous les
vieux, ce n’est pas facile de nous revoir et de parler de tout
cela. » me dit ma vieille tante pour me consoler.
« Si on ne dit rien, les enfants de la génération suivante ne
sauront rien, mais si on parle, c’est dur pour eux. »
这一趟甘肃返乡之行,在母亲断断续续的讲述下,我慢慢打问清楚,在那几年,母亲家饿死了我的外曾祖父,外祖父,一个十四岁的姨姨,一个八岁的小舅,还有一个尚没有取名的小姨一共饿死了五口人。村里人说:“那时候是十室九空,好多都关门绝户了。那个了不得。”我后来从有关书籍中知道,秦安县饿死了好几万人,甘肃省饿死了一百三十万人,全中国五年之间饿死了3600__4500万人,大多数是种地的农民。
Pendant ce voyage de retour au Gansu, tandis que ma mère
continuait de raconter, il m’est lentement apparu très nettement
que, pendant ces quelques années, dans la famille de ma mère
étaient morts mon arrière-grand-père et mon grand-père
paternels, une petite tante de quatorze ans, un petit oncle de
huit ans, et encore une autre petite tante à qui on n’a même pas
eu le temps de donner un nom : au total cinq personnes sont
mortes de faim. Selon les gens du village : « A l’époque, sur
dix maisons, neuf étaient vides. Beaucoup de portes étaient
fermées, les familles fauchées, sans descendance. C’était
terrible. » Par la suite, j’ai trouvé dans un livre que des
dizaines de milliers de gens sont morts de faim dans le district
de Qin’an ; dans la province du Gansu, il en est mort 1,3
million. Dans toute la Chine, en cinq ans, il y a eu entre 36 et
45 millions de victimes, et la grande majorité sont des paysans.
一镢头能挖出红薯,但一镢头挖不完母亲的历史。于是,随后的几年我都抽空回到母亲身边,坐在小凳上择韭菜的时候,拉着她的手散步的时候,夜晚躺在炕上歇凉的时候,我就慢慢地问母亲是怎么逃荒的?怎么到这个村子来的?又是怎么嫁给父亲的?……母亲就像一棵老树,我是她身上的一条枝桠,母亲的一切都和我有关系,我都想知道。
Avec une bêche on peut déterrer des pommes de terre, mais on ne
peut pas exhumer le passé de ma mère. Alors, les années
suivantes, chaque fois que j’ai pu, je suis revenue la voir.
Assise sur un petit tabouret, en triant des feuilles de ciboule,
en se promenant avec elle en la tenant par le bras, ou encore,
dans la fraîcheur du soir, étendue avec elle sur le kang, je
l’ai peu à peu interrogée sur sa fuite du Gansu : quand tu as
fui la famine, comment as-tu fait ? Que s’est-il passé quand tu
es arrivée dans le village du Shaanxi ? Et comment as-tu épousé
mon père ? …. Ma mère est comme un vieil arbre, et moi une
petite branche, sur le côté ; tout ce qui lui est arrivé me
concerne, je veux le savoir.
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