Textes divers

 
 
 
     

 

 

Extraits de la préface du deuxième volume des « Mémoires décousus » de Yang Jiang

杨绛 :《杂忆与杂写(1992-2013)》(代前言)

Par Wang Lei, 16 décembre 2024

 

À l’appui de ses notes de lecture préparées pour la séance du Club de lecture consacrée à l’écrivaine Yang Jiang (杨绛), Wang Lei a traduit des extraits de la préface introduisant le deuxième volume des « Mémoires décousus » (1992-2013), texte qui ne figure pas dans la traduction française publiée chez Bourgois [1].

  

 

 

 

Tirés d’une interview de l’écrivaine figurant dans cette préface, les extraits choisis illustrent sa personnalité.

 

1. Aimer et observer la vie 热爱生活,观察生活

树上的叶子,叶叶不同。花开花落,草木枯荣,日日不同。我坐下细细寻思,我每天的生活,也没有一天完全相同,总有出人意外的事发生。。。即使没有大的意外,我也能从日常的生活中得到新体会。。。。因此,我的每一天都是特殊的,都有新鲜感受和感觉。

 « Les feuilles sur l’arbre, elles ne sont pas toutes identiques. Les fleurs s’épanouissent et se fanent, l’herbe se flétrit et renaît, chaque jour est différent. Je m’assois pour réfléchir attentivement et me rends compte que ma vie quotidienne, elle aussi, n’a jamais été identique d’un jour à l’autre. Il se passe toujours des choses inattendues […] Même en l’absence d’événements marquants, je peux tirer de nouvelles leçons de la vie quotidienne […] Ainsi, chacune de mes journées est unique, apportant son lot d’expériences et de sentiments nouveaux. »

 

2. Attitude positive, confiance en l’humanité et en la culture 积极正面,信仰人性和文化

我的 向上之气来自于信仰,对文化的信仰,对人性的信赖。总之,有信念,就像老百姓说的:有念想。

« Mon énergie positive découle de ma foi : ma foi en la culture et en la nature humaine. En somme, il faut avoir des convictions, comme le dit la maxime populaire : il faut avoir des idées qui vous tiennent à cœur. » 

 

我从自己卑微屈辱的 牛鬼境遇出发,对外小心观察,细细品味,一句小声的问候,一个 善意的鬼脸、同情的眼神、宽松的管教、委婉的措辞、含蓄的批语,都是信号。我惊喜地 发现、人性并未泯灭,乌云镶着金边。

«  Réduite à la condition, basse et humiliante, de “démon-fantôme”, j’ai observé avec circonspection ce qui m’entourait, en savourant les détails les plus infimes. Une salutation discrète, un sourire complice, un regard compatissant, une autorité bienveillante, une parole pleine de tact, une critique voilée, tout cela était autant de signaux. J’étais agréablement surprise de constater que l’humanité n’était pas éteinte et que les nuages sombres étaient bordés d’or. » 

 

文化大革命,支撑我驱散恐惧,度过忧患痛苦的,仍是对文化的信仰,是我得以面对焚书坑儒悲剧的不时发生,忍受抄家、批斗、羞辱、剃阴阳头、种种对精神和身体的折磨。我绝对不相信,我们传承几千年的宝贵文化会被暴力全部摧毁于一旦,我们这个曾创造如此灿烂文化的优秀民族,会泯灭人性,就此沉沦。

« Pendant la Révolution culturelle, ce qui m’a permis de surmonter mes peurs et de traverser les épreuves, c’est encore ma foi en la culture. Elle m’a donné la force de faire face aux tragédies comme la destruction des livres ou la persécution des intellectuels, la force de supporter les perquisitions, les séances de critique publique, les humiliations, le rasage de mes cheveux en coupe yin-yang [2], ainsi que toutes sortes de souffrances physiques et morales. Je refusais de croire que notre précieuse culture transmise depuis des millénaires pourrait être détruite en un instant par la violence, ou que notre peuple, créateur d’une civilisation si brillante, pourrait sombrer dans l’inhumanité et la déchéance. »

 

3. Prendre l’homme pour fondement et chérir tous les êtres 以人为本 [3],怜爱大众

“( 您认为)人是有灵性,有良知的动物。人生一世,无非是认识自己,洗练自己 。。。在《走在人生边上》的自问自答中,您得出的结论是 天地生人,人为万物之灵。神明的大自然,着重的该是人,不是物;不是人类创造的文明,而是创造文明的人。只有人类能懂得修炼自己,要求自身完善这个苦恼的人世,恰好是锻炼人的处所,经过锻炼才能练出纯正的品色来。

(vous pensez que ) [4] « L’être humain est un animal doté de spiritualité et de conscience morale. Vivre, c’est essentiellement apprendre à se connaître et à se perfectionner. » […] et dans « Marcher sur les bords de la vie », en réponse à vos propres questions, vous avez conclu : « Le ciel et la terre ont donné naissance à l’homme, faisant de lui l’esprit parmi toutes les créatures. La nature divine doit reposer en priorité sur l’homme, non sur les choses ; sur ceux qui créent la civilisation, non sur la civilisation elle-même. Seuls les êtres humains savent se perfectionner et aspirer à l’excellence. » Ce monde tourmenté est précisément un lieu d’entraînement pour l’homme : c’est à travers les épreuves que l’on se forge une nature véritablement pure. »

 

我要求自己待人更宽容些,对人更了解些,相处更和洽些。

« J’ai pour exigence d’être plus tolérante envers les autres et de mieux les comprendre afin de vivre plus en harmonie avec eux. » 

 

我喜欢和人民大众一气的作家,如杜甫,不喜欢超出人民大众的李白。李白才华出众,不由人不佩服,但是(和李白)比较起来,杜甫是我最爱的诗人。

« J’aime les écrivains proches du peuple, comme Du Fu, et beaucoup moins Li Bai qui le dépasse. Le génie de Li Bai est incontestablement prodigieux et ne peut qu’inspirer l’admiration. Pourtant, de ces deux poètes, c’est Du Fu que je préfère. »

 

4. Patience, tolérance et liberté忍生活之苦,保其天真)

(« supporter les douleurs de l’existence tout en gardant son innocence »

 

我这也忍,那也忍,无非是为了保持内心的自由、内心的平静。你骂我,我一笑置之。。。。所以含忍是保护自己的盔甲、抵御侵犯的盾牌。我穿了隐身衣,别人看不见我,我却看得见别人,我甘心当个,人家不把我当个东西,我正好可以把看不起我的人看个透。这样,我就可以追求自由,张扬个性。所以我说,含忍和自由是辩证的统一。含忍是为了自由,要求自由得要学会含忍。

« Je supporte une chose et une autre, dans nul autre but que de préserver ma liberté et ma paix intérieure. Si quelqu’un m’insulte, je réponds par un sourire […] Ainsi, la patience et la tolérance deviennent une armure protectrice, un bouclier contre l’agression. Je porte une “cape d’invisibilité” : les autres ne me voient pas, mais moi, je les vois. Je consens à être un “zéro” ; si les autres ignorent mon existence, cela me permet de mieux comprendre ceux qui me méprisent. De cette façon, je peux poursuivre la liberté et affirmer ma personnalité. C’est pourquoi je dis que patience et liberté forment une unité dialectique : la patience et la tolérance visent à atteindre la liberté, et pour obtenir la liberté, il faut apprendre à être patient et tolérant. »


 

[1] « Mémoires décousus » de Yang Jiang, traduits et annotés par Angel Pino et Isabelle Rabut, Christian Bourgois, 1997. Les textes traduits couvrent la seule période 1984-1991.

[2] Coupe de cheveux humiliante qui consistait à ne raser que la moitié de la tête.

[3] Précepte qui a pour origine le « Guanzi » (《管子》), le livre de Guan Zhong, premier ministre et conseiller du duc Huan de Qi (Qi Huangong 齐桓公) au 7e siècle avant J. C., avant d’être repris par Mencius…. Ce principe ambigu a en fait permis à Guan Zhong d’encadrer la population en centralisant le pouvoir, selon un principe autoritaire repris par … le Parti communiste. Au sens de Guan Zhong, on devrait plutôt traduire « Le peuple pour fondement », c’est un principe de gouvernement ; au sens de Mencius c’est plutôt « L’homme pour fondement » et c’est aussi ce qu’entend Yang Jiang. (note Brigitte Duzan).

[4] Ce passage reprend la forme du dialogue de l’interview.

 

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.