Textes divers

 
 
 
     

 

 

Yan Lianke :

Le drame de la littérature chinoise, c’est que beaucoup s’en sont faits les bourreaux

阎连科:中国文学的悲哀是许多人充当了文学的刽子手

par Brigitte Duzan, 15 avril 2020 

 

Dans cet essai, publié le 20 mars 2020 [1], Yan Lianke déplore non tant la mort que l’agonie de la littérature chinoise, mais il le fait dans des termes extrêmement recherchés qui rendent le texte particulièrement difficile à comprendre et à traduire, d’autant plus qu’il procède par allusions subtiles.

 

Le texte est à replacer dans le contexte de l’épidémie de coronavirus qui, de Wuhan, a frappé la Chine, puis le monde entier. A travers allusions, symboles et métaphores, en partant du constat de l’état dramatique de

 

Yan Lianke (photo weixin)

la littérature chinoise à la suite de l’épidémie (littérature exsangue, démunie et impuissante 疫劫之下,无力、无助和无奈的文学), Yan Lianke a construit son essai autour de deux images symboliques qui font figure de leitmotiv :  

- d’une part, l’idée de la nécessité, pour avoir une littérature digne de ce nom, d’une « voix différente » : yì yīn 异音 – autre manière de dire « autres voix » bùtóng shēngyīn (不同声音), comme on a dit de celles qui se sont élevées au sein de l’épidémie et ont été chaleureusement saluées avant d’être étouffées ;

- d’autre part, la métaphore superbe du froid comme facteur de gel des esprits, mais dont il convient de ne pas trop se protéger pour pouvoir écrire valablement.

 

C’est l’un des grands textes de réflexion littéraire que Yan Lianke nous a livrés ces dernières années, c’est aussi l’un des plus pessimistes.

 

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我一向怀疑今天的文学有人们说的那种大意义。
这缘由来自两个起源点:一是伟大的文学早已浩如烟海,该写的似乎已被前人写出或写尽;二是伟大的文学,必然产生于适宜它产生的时代里。而今天,这时代属于网络与科技,属于别的什么,文学只是这个时代的边缘与配角,而非自十八世纪末到二十世纪七十年代那样儿,文学是世界舞台上的一角文化立柱和主演。
产生伟大文学的时代已经过去了。除非天才才可以得到上天之眷顾,写出逆世横生、惊天动地的伟大作品来。至少在中国,产生伟大作品的时代已经悄然结束了,如今的现实和情势,是我说的难以产生伟大作品的时代吧。

 

J’ai toujours douté que la littérature, aujourd’hui, ait l’importance qu’on lui attribue, et ce pour deux raisons : d’une part, la grande littérature, depuis les origines, est un monde si vaste que, lorsqu’on veut écrire quelque chose, on a le sentiment qu’un autre l’a déjà écrit avant vous ; et d’autre part, la grande littérature doit naître à une époque qui lui soit favorable. Or, l’époque actuelle est celle de l’internet et de la technologie, pas celle de la littérature ; de nos jours, elle est donc marginale et n’a qu’un rôle secondaire, contrairement à la période qui va de la fin du 18e siècle aux années 1970 : la littérature était alors, sur la scène mondiale, un acteur majeur et un pilier porteur de la culture.

 

Mais l’ère de la grande littérature appartient au passé. Ce n’est que lorsque le talent est un don du ciel que l’on peut écrire une œuvre intemporelle et débordante de vie ; c’est ainsi que naissent les œuvres les plus marquantes. Au moins en Chine, l’époque des grandes œuvres littéraires est malheureusement terminée. La situation actuelle, la réalité de notre temps, c’est ce que j’appelle l’époque des vaches maigres en littérature.


世界文学已经有了十九和二十世纪二百年一整体的光耀与辉煌,人类历史已经对得起文学了。余下作家该做的事,就是尽力要把配角演出光彩来。
在许多的小说、电影、戏剧里,配角的光彩是胜过主角的——
我们不懈不懈地探求和写作,大约也就是为了这点意外吧。为了意外的伟大而写作,但我们也不会忘记主角终归是主角,配角终归是配角的扮演和历史分工这档儿事。
默认文学的边缘不是一件坏事情,它让我们知道在这个时代作家仅仅是作家。知道作家在这个时代里,他(她)想干什么和他们只能干什么。
新冠肺炎到来了。

 

La littérature mondiale a connu une brillante période de gloire pendant les deux cents ans du 19e et du 20e siècle ; l’histoire de l’humanité a alors été à la hauteur de la littérature. Tout ce que peuvent faire les écrivains qui restent, c’est faire de leur mieux pour rendre ce rôle secondaire aussi brillant que possible.

 

Dans beaucoup de romans, de films, de pièces de théâtre, l’éclat des rôles secondaires surpasse celui des rôles principaux – si l’on ne cesse de faire des recherches et d’écrire, c’est sans doute en raison même de ce point inattendu, pour écrire une œuvre dont la grandeur tienne de ce fait inattendu. Cependant, il ne faut pas pour autant en oublier que le plus important, en fin de compte, reste le rôle principal ; les rôles secondaires ne sont que des rôles d’appoint dans la division du travail de l’histoire.

 

Ce n’est pas une mauvaise chose d’accepter tacitement le caractère marginal de la littérature ; cela permet d’être conscient que l’écrivain, à notre époque, n’est qu’un écrivain. Mais cela permet aussi de savoir, en regard de ce que l’écrivain(e) veut faire, les limites de ce qu’il peut faire.

 

Et puis le nouveau coronavirus est arrivé.


它果真如不该有的一场战争却又突然枪声四起样,不光是武汉、湖北和中国,乃至全世界,都一步步地被拖陷入了这场灾难里。中国的内陆城市——武汉是这场疫劫的中心点,疫疾和死亡的劫难宛若海啸的中心朝着四周和世界推延和卷袭。人类可能没想到,我们会以这种方式来证明“人类是一个共同体”。荒谬与倒错,永远都是人类史的一部分。在这荒谬与倒错中,逝者的生命还没有闭上眼,哀嚎的哭声和眼泪,都还漫滚在城镇的街道和乡村百姓的屋檐下。中国数万的医护人员们,抛家离子地轮番着朝武汉、湖北奔涌去救治。在医护人员用生命抵抗疫情和死亡时,许多医护人员自己也成为了逝者中的一部分。
毫无疑问说,无论疫源的起点在哪儿,而疫情的蔓延是从中国特色的社会结构的漏隙爆发出来的。但自武汉封城后,整个中国很快结为一体了,仿佛一片散柴被迅速捆绑在一起燃烧着。因此间,人性的丑恶如潮柴黑烟在我们中间缭绕和漫卷;而人性的光辉与纯正,也如耀眼之火光,温暖、照亮着世界、天地、人群和一个民族最民间的根须和草芥。

 

En fait, cela n’aurait pas dû être une guerre, et pourtant on a tout de suite entendu des coups de feu de tous côtés, non seulement à Wuhan, dans le Hubei et en Chine, mais le monde entier a lui aussi été peu à peu englouti dans la catastrophe. Wuhan en était le centre, le centre de l’épidémie et de la mort se propageant comme un tsunami aux quatre coins de la terre et déferlant sur le monde en son temps en son heure. Les hommes n’ont peut-être pas compris que c’est une manière de montrer que « l’humanité est une communauté ». L’absurdité et la confusion ont toujours fait partie de l’histoire de l’humanité. Et au sein de cette absurdité et de cette confusion, les morts n’ont pas encore fermé les yeux, les larmes et les lamentations funèbres résonnent à tout va dans les rues des villes et des bourgades et sous les auvents des paysans dans les campagnes. Des dizaines de milliers de médecins et d’infirmiers ont quitté leur foyer et se sont précipités à Wuhan et dans le Hubei pour soigner les malades. Ayant offert leur vie pour lutter contre l’épidémie, beaucoup d’entre eux sont à compter au nombre des victimes.

 

Il ne fait aucun doute que, quel que soit le point de départ de l’épidémie, sa propagation explosive a été due à une faille dans le système du socialisme aux caractéristiques chinoises. Après la « fermeture » de Wuhan, la Chine entière s’est très vite retrouvée unie, comme si du bois mort épars avait été rassemblé à toute vitesse et lié en un fagot, prêt à être brûlé. C’est pourquoi la rancœur couve à petit feu, comme du bois humide dégageant une fumée noire une fois allumé ; mais la splendeur et la pureté de la nature humaine sont comme un feu éblouissant qui réchauffe et illumine le monde, le ciel et la terre, les hommes et jusqu’aux racines et aux plus humbles fétus de paille au sein du peuple.


这也就是所谓的民族力量吧。
也就是我们说的民族之望吧。
在这之力、之望间,在文学淡远与疫劫切近的激荡处,我们再一次感受到了文学面对汹涌袭来的浩劫的无力与无助。它既不能变为口罩被送到疫区去,也不会真正成为医用的一套防护服。需要食饮时,它不是牛奶和面包;需要蔬菜时,它不是萝卜、白菜和青芹。甚至人们在不安的恐慌、焦虑中,它也不能成为一支一管的安慰剂。

 

Et puis, il y a ce que l’on appelle la puissance nationale.

Et ce que l’on dit être l’espoir national.

Entre cette puissance et cet espoir, dans l’espace de turbulence entre la littérature perdue dans un lointain flou et l’épidémie toute proche, on ressent encore une fois combien la littérature est faible et démunie face à cette attaque dévastatrice. On ne peut en faire un masque à offrir aux zones atteintes par l’épidémie, ni une tenue protectrice pour les équipes médicales. Quand on a besoin de manger et de boire, elle n’est ni lait ni pain ; quand on a besoin de légumes, elle n’est ni radis ni chou ni céleri. Et quand les gens sont effrayés et angoissés, elle ne peut même pas leur offrir de consolation : ce n’est pas un placebo.

 

为什么中国的部分官方媒体和几乎全部有思考的民间声音里,都不约而同地把封城的武汉称为奥斯维辛呢?为什么总是要把奥斯维辛和联系在一起?
因为武汉和新冠肺炎已经成为隐喻了。因为在这场突如其来的劫难里,中国社会再次体会了包容异音的重要性。也再次用生死去证明,在奥斯维辛中能写诗时还是要写诗。因为这时的诗,它不是诗,它是异音、传递和活着。

 

Pourquoi certains médias officiels chinois et la quasi-totalité des voix populaires, quand ils réfléchissent sur le sujet, sont-ils unanimement d’accord pour comparer Wuhan confiné à Auschwitz ? Et pourquoi Auschwitz est-il généralement associé à la poésie ?

 

Parce que Wuhan et le nouveau coronavirus sont devenus des métaphores. Parce que, dans cette soudaine catastrophe, la société chinoise a de nouveau réalisé concrètement l’importance de tolérer des voix différentes. Il a été démontré encore une fois qu’au seuil de la mort il est important d’écrire de la poésie, comme on en a écrit à Auschwitz. Parce que la poésie que l’on écrit dans ces circonstances, ce n’est pas tant un poème qu’une voix différente, une voix vivante qui se transmet.


如果当年在奥斯维辛中还有人能写诗,并将那诗传出来,那么奥斯维辛就不会持续那么久,不会有那么多无辜的生命蝼蚁般被法西斯踩在脚下还要被拧着的脚掌走过去。
战争中如果没有以真为命的战地记者在,那是真正的愚蠢和可怕。
人类在劫难面前没有异音的存在才是最大的劫难吧。
在战争和疫劫到来时,是有作家甘愿成为战士记者
的。他们的声音会比枪声响得还要远。那异响的声音许多时候能让对面的刺刀收回去,让对方的炮声哑下来,如同巴别尔和海明威,诺曼·梅勒、辛格和奥威尔。
不是说作家一定要在战争中成为记者才是好作家,而是说,一个作家在战争中看不到死亡、听不到枪声是多么残酷、荒谬的事。甚或说,他明明看到死亡了,听到枪声了,又要把那枪声说成是凯旋将至的鞭炮声,那将是更为荒谬得比战争和疫情更为可怕的事。

 

Si, à Auschwitz, à l’époque, on avait pu écrire de la poésie et la transmettre au dehors, Auschwitz n’aurait pas duré aussi longtemps, il n’y aurait pas eu autant d’existences innocentes piétinées et écrasées comme des fourmis sous les pieds des fascistes.

 

En temps de guerre, s’il n’y a pas sur le front des journalistes soucieux de dire la vérité au péril de leur vie, c’est vraiment désastreux et effrayant. Confrontée à une catastrophe, si l’humanité ne dispose pas de voix autres pour en rendre compte, c’est là la pire des catastrophes.

 

En temps de guerre ou d’épidémie, il y a des écrivains qui se font « reporters de guerre » et « journalistes ». Leurs voix peuvent porter plus loin que le bruit de l’artillerie. Bien souvent, ces voix détonnantes peuvent faire baisser les baïonnettes de l’adversaire, faire taire le canon ennemi, comme celles de Babel, d’Hemingway, de Norman Mailer, d’Isaac Singer et de George Orwell.

 

Cela ne veut pas dire qu’un écrivain ne peut devenir un bon écrivain que s’il devient reporter de guerre ; ce que je veux dire, c’est que, si en temps de guerre un écrivain ne voit pas de morts, n’entend pas de coups de feu, c’est barbare et absurde. Ou encore, s’il a bien vu les morts, entendu les coups de feu, mais s’il dit ensuite que ce sont des pétards pour fêter la victoire, il y a là quelque chose d’absurde bien plus effrayant que la guerre ou une épidémie.


虽然卡夫卡在他的日记中写过上午战争爆发,下午去洗澡,但我们一定不能忘记他是对荒谬最为敏感并真正写出荒谬的人。而我们,却往往是会把枪声当成鞭炮的人,甚或会拿起自己的笔,去证明荒谬的正常如枪声确实就是鞭炮声。
没有谁有权力苛责在一片哭声中,有人成为呐喊者和振臂高呼的人;也不应该苛责在无数真相不明时,就有诗人、作家、教授和知识分子在政治正确的选择上,早早地宣告了他的选择、立场和判断。
世界上很少有人能理解中国作家的怯弱和无奈,一如南极羸弱的企鹅们,只能在寒冷中才可以活下去。这也就是中国人和中国作家的境遇吧。境遇往往决定了作家与作家、文学和文学的高下和截然之不同。

 

Bien que, dans son journal [2], Kafka ait écrit « Ce matin la guerre a éclaté ; cet après-midi je suis allé aux bains-douches », il ne faut cependant pas oublier qu’il est le plus sensible à l’absurde, et qu’il est celui qui a le mieux écrit sur le sujet. Mais nous, nous avons souvent tendance à considérer les coups de feu comme des pétards, voire à prendre notre plume pour prouver que le côté ordinaire de l’absurde, c’est que les coups de feu sont effectivement des pétards.

 

Il n’y a personne qui ait droit de réprimande quand, au milieu des pleurs, il y a quelqu’un qui lance un cri d’alerte et nous admoneste en agitant les bras. Il ne faut pas non plus, en des temps où la vérité n’est pas claire, blâmer le poète, l’écrivain, le professeur et l’intellectuel qui, défendant des choix politiques corrects, ont très tôt proclamé leurs choix, leur position et leur jugement.

 

Bien peu nombreux dans le monde sont ceux capables de comprendre combien les écrivains chinois sont timorés et impuissants ; tels les pingouins de l’Antarctique, ils ne peuvent survivre que dans un froid glacial. C’est exactement la situation des Chinois et des écrivains chinois. Ce sont les circonstances qui font la différence entre écrivain et écrivain, littérature et littérature, et la supériorité relative des uns et des autres.

 
在中国,有人完全可以那样讲,但允许别人这样去说就是问题了。甚或说,伟大的作品本身就一定是异音。没有异音就没有文学吧,更别说会有伟大作品了。允许异音的存在远比意外产生了一部、几部伟大的作品更为急迫和重要。
没有人能理解中国作家的无力、无助和无奈。也没有人能理解,中国作家并不十分珍惜和需要你可以那样、我可以这样的包容和自由。
人类都有天冷了大家都冷、天暖了大家都暖那众皆同一之心理。然而真的能众皆同一吗?就作家、文坛这一散淡的群体言,事实是在寒冬真的到来时,真的天冷了,我还比你多一件人家派发、奖励的棉袄在身上。

这也就是今天中国作家和文学的微妙、尴尬和悲凉。因为在一片真真正正的寒冷中,大多作家都还比别人多着一件御寒的棉袄哪。

 

En Chine, s’il y a quelqu’un pour tenir tel genre de discours, le problème, c’est qu’il faudrait que soit permis à quelqu’un d’autre d’en tenir tel autre. Une grande œuvre littéraire est nécessairement une voix différente. Sans voix différente, pas de littérature, et plus encore pas de grandes œuvres. Autoriser ces voix différentes est bien plus important, bien plus urgent, que de produire accidentellement un ou deux grandes œuvres.

 

Personne ne peut comprendre combien les écrivains chinois sont faibles, démunis et impuissants. Personne ne peut même comprendre que les écrivains chinois n’apprécient et ne nécessitent aucunement que vous et moi puissions jouir d’autant de tolérance et de liberté.

 

Quand le temps est froid, tout le monde a froid ; quand le temps se réchauffe, tout le monde, réchauffé, adopte un état d’esprit du même ordre. Mais se peut-il vraiment que tout le monde réagisse à l’identique ? De fait, les écrivains, et le monde littéraire dans son ensemble, voient leur parole, leurs actions collectives se figer quand arrivent les grands froids, et moi, j’enfile une veste ouatée supplémentaire qui m’a été décernée en récompense.

Telle est aujourd’hui la situation délicate, malaisée et affligeante de la littérature et des écrivains chinois. Car, dans la véritable vague de froid actuelle, la grande majorité des écrivains, plus encore que le reste de la population, enfilent une bonne doudoune pour se protéger des frimas.


在第一、第二次世界大战中,并不是所有的作家都到了前线和战场上,都像巴别尔、海明威和奥威尔一样在枪声中、战场上也还握着笔。但我想,每一个写作的人,都知道托尔斯泰如果没有当过兵,他如何去写《战争与和平》?雷马克没有在一战中参战并负伤,他如何去写《西线无战事》?
至于约瑟夫·海勒与他的《第二十二条军规》、冯古内特与他的《冠军早餐》等,还有加缪与《鼠疫》,若泽·萨马拉戈与《失明症漫记》等,他们都是作为异音存在的。这些异音相关战争的,前者都曾经是空军的士兵或俘虏;而后者,则都对人类的疾疫有着极深的了解和感受。
从这个角度说,今天的境况是轮到中国作家该写些什么了。轮到中国作家该写出最疼痛异化的人、最荒谬不堪的历史和最独有创见的作品了。中国作家在中国的现实和历史中,亲历、目睹了太多的荒谬、死亡和灾难;亲历、目睹了疾疫的爆发、死亡和劫难遗忘后的再爆发。

经历了这些后,我们会像加缪和萨马拉戈一样去思考人的孤独、记忆和人类困境吗?会像他们那样去面对人、现实和世界的真相而用创见去抵达更深切的某种真实吗?会写还是不会写?写了又会写出一些什么呢?

 

Lors des deux premières guerres mondiales, tous les écrivains ne sont pas allés au front ou au combat ; seuls certains comme Babel, Hemingway et Orwell ont pris la plume sur le champ de bataille, dans le bruit des balles. Mais tous ceux d’entre nous qui écrivent savent bien que si Tolstoï n’avait pas été soldat il n’aurait certainement pas pu écrire « Guerre et paix ». Et si [Erich Maria] Remarque n’avait pas participé aux combats et été blessé, comment aurait-il pu écrite « A l’Ouest, rien de nouveau » ?

 

Quant à Joseph Heller et « Catch 22 » [3], Kurt Vonnegut et « Breakfast of Champions » [4], mais aussi Camus et « La Peste », José Saramago et « L’aveuglement » [5], ils existent tous comme voix différentes. Tous sont des voix en lien avec la guerre : les premiers étaient dans l’armée de l’air ou prisonniers, mais les seconds avaient une compréhension très profonde des maladies épidémiques de l’humanité et y étaient particulièrement sensibles.  De ce point de vue, dans les circonstances actuelles, qu’incombe-t-il aux écrivains chinois d’écrire ? C’est à leur tour de dépeindre les personnages les plus aliénés et les plus torturés, d’écrire l’histoire la plus absurde et les œuvres les plus originales. Dans l’histoire chinoise aussi bien qu’à l’époque actuelle, les écrivains chinois ont été témoins d’innombrables absurdités, hécatombes et catastrophes qu’ils ont personnellement vécues ; ils ont vu et vécu l’explosion d’épidémies, puis une nouvelle explosion une fois oubliés les morts et les désastres.

 

Après avoir vécu tout cela, pourrons-nous nous aussi, comme Camus et Saramago, réfléchir sur la solitude, la mémoire et la détresse de l’homme ? Pourrons-nous comme eux affronter la vérité de l’homme, de la réalité présente et du monde pour déboucher sur une vérité bien plus profonde et plus intime ? Le pourrons-nous ou pas ? Et si on le fait, que va-t-on écrire ?

确真、实在地说,在中国,有太多的作家才华横溢了。而中国文学的症结并不完全在于人家让我们写什么和不让写什么,还在于我们自己知道应该写什么却偏偏不去写什么。
混沌苟活是一件事,不得不苟活是另外一件事。但清醒而自愿地苟活就是另外中的另外了。我知道我是苟活者,但却能从苟活中获得幸福和快乐,这是今天中国人的一种秉性和文化,是一种遗传和特质。
文学是无力、无助和无奈的,但作家不仅不为这无力、无助、无奈去思考,却可能还会用自己的笔墨、声音和权力,去为造成荒谬、死亡、哭泣的现实谱曲唱出赞美诗。会为了苟活和正确,就拿英雄的鞋只去覆盖在通往死者坟茔的脚印上,这就让文学不仅无力、无助和无奈,而且让文学变得恶为了。

让文学不是文学了。

 

À dire vrai, il y a énormément d’écrivains en Chine qui débordent de talent. Mais le drame de la littérature chinoise tient à un point essentiel : qu’on dicte aux écrivains ce qu’ils doivent écrire ; or c’est à nous de voir ce que nous devons écrire et pas écrire.

 

Mener une vie chaotique, au jour le jour, est une chose, avoir à vivre ainsi en est une autre. Mais le faire volontairement et en toute lucidité, c’est tout à fait autre chose. Je sais que je suis fait pour ce genre de vie et que je peux y trouver joie et bonheur ; c’est aujourd’hui en Chine une sorte de culture et de disposition naturelle qui est pour les Chinois à la fois un héritage et une qualité propre.

 

La littérature est sans force, démunie et impuissante, mais les écrivains ne se contentent pas d’y réfléchir ; ils en viennent à utiliser leur plume, leur voix et leur force d’écriture pour composer un poème lyrique chantant l’absurdité du réel, la mort et les pleurs d’aujourd’hui. Et pour vivre une vie frugale et correcte, les chaussures de héros qu’ils ont prises ne peuvent les mener que sur les traces conduisant au bord des tombes des morts, et cela non seulement rend la littérature sans force, démunie et impuissante, mais cela engendre en plus quelque chose de malsain.

 

Cela pousse la littérature à la limite où elle n’est plus littérature.


可怕的不是文学在历史中的角色更替和边缘,而是作家明知它无力、无助和被边缘,还为这无力、无助鼓着掌,为无力、无助的写作大声地喊着好!好!好!将文学最后的尊严和体面剥下来,看着文学倒下死去后,以为自己是拯救文学的作家和楷模。
这也就是当今中国文学的一种吧,是作家自己去充当了文学的刽子手。中国文学的悲哀在于许多作家在寒冷中,都比别人多有一件棉袄穿。而出路,也在于人们都在寒冷中,那些多穿一件棉袄的人,能否把自己的棉袄脱下来。不然文学就是无望的,甚或就是恶为的。

 

Ce qui est à craindre, ce n’est pas que, du point de vue de l’histoire, la littérature devienne encore plus marginale, c’est que, l’écrivain étant conscient qu’elle est faible, démunie, et marginale, il aille applaudir cette faiblesse, célébrer cette écriture sans force ni recours par un immense cri : Bien ! Bien ! Bien ! Alors, après avoir dépouillé la littérature de son ultime dignité, de sa dernière honorabilité, et la voyant tombée au rang des morts, l’écrivain pourra penser qu’il en est le sauveur modèle.

 

Il en est ainsi de la littérature chinoise aujourd’hui. Ce sont les écrivains eux-mêmes qui en sont les bourreaux. Le drame de la littérature chinoise vient du fait que, dans la vague actuelle de froid, les écrivains chinois sont couverts bien plus chaudement que d’autres. Alors la solution serait que, dans ce froid, il y ait certains de ces individus bien couverts qui enlèvent l’une de leurs vestes ouatées. Sinon, il n’y a pas d’espoir pour la littérature, elle est même vouée à être mauvaise.

 


 


[2] Les journaux de Kafka (Kafkas Tagebücher), en trois volumes, ont été publiés après sa mort et couvrent la période 1909-1923.

[3] Catch 22, best-seller publié en 1961, est une satire féroce de la Seconde Guerre mondiale où l’armée apparaît comme un monde de fous.

[4] Breakfast of Champions est une autre satire, de la vie américaine, de la politique et de la littérature, publiée en 1973.

[5] Intitulé Ensaio sobre a cegueira, littéralement Essai sur la cécité, le roman de Saramago, publié en 1995, a un thème qui rappelle à la fois celui « La mort du soleil » de Yan Lianke et l’épidémie du coronavirus : une épidémie de cécité foudroyante se déclare dans un pays, on commence par mettre les premières victimes en quarantaine sur une base gardée par l’armée, mais bientôt tout le pays est aveugle…

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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