Textes divers

 
 
 
     

 

 

Un village plus grand encore que le monde

一个比世界更大的村庄

par Yan Lianke 阎连科

 

Discours de réception du prix Newman, 16 mars 2021

Traduit par Brigitte Duzan

 

 

Yan Lianke prononçant son discours à Pékin

 

 

[女士们、先生们,尊敬的评委]

在这特殊的新冠岁月里,我们以如此独特的方式,进行纽曼文学奖的颁奖活动,这将成为我们大家日后独有的记忆,印刻在我们彼此的文学生涯里。是这样,在我的文学生涯中,纽曼华语文学奖的意义,注定将与我的生地、生存一样独有与关键。因为这个奖中的“华语”两个字,它标志着一种语言,离开它的母地故乡后,有另外那些最敏感、乃至更懂这种语言微妙的人,来对这种语言和它所创造的文学的评估和认知。也正缘于此,我以为这个来自俄克拉荷马的文学奖,每届的颁奖,都有华语写作的俄底修斯在《奥德赛》中的回归之意义。

Tenue ainsi de manière inédite, en ces temps insolites d’épidémie de covid, la cérémonie de remise du prix Newman restera pour tous ceux présents ici aujourd’hui un souvenir unique qui restera gravé dans nos vies littéraires respectives. Il en est ainsi pour moi : dans ma propre vie littéraire, le prix Newman de littérature chinoise [Newman Prize for Chinese Literature] a une signification destinée à être aussi importante et personnelle que l’endroit qui m’a vu naître. Le terme de « chinois » que comporte l’intitulé de ce prix renvoie en effet à une langue chinoise qui, éloignée de son terreau maternel, est étudiée et évaluée, avec la littérature qu’elle a permis de créer, par des personnes d’une grande sensibilité qui ont de ce fait une meilleure compréhension de leurs subtilités. C’est précisément pour cette raison qu’à mes yeux, ce prix littéraire qui nous vient de l’Oklahoma est, pour chacune des œuvres chinoises primées, un peu comme, dans L’Odyssée, le retour d’Ulysse dans sa patrie.   

 

如同树必有根、文学必有故乡样,语言与作家,是有独属于他的母地故乡的。在全世界的文学创作中,我们看到了许多失去语言故乡的“故乡创作”,如上世纪生活在美国的纳博科夫和如今还生活在法国的昆德拉,以及今天生活在海外用法语和英语写作的高行健、哈金、李翊云等中国作家们,他们每个人都写出了许多杰出的作品,但种种原因,当他们都不得不放弃母语写作时,其所付出的努力和艰辛,也非我们可以想象和比拟。比起他们言,我的写作是异常幸运的。因为我不仅拥有语言之故乡,还拥有更为实在的母地之故乡——即便世界上有成千上万拥有这双重拥有的作家们,然除却大家都必有的语言外,在论及彼此更具体、切近的母地故乡时,世界上再也难有哪个作家的故乡,可与我的故乡相提并论了。

因为那是一个大于世界的故乡和村庄。 

De même que l’arbre a besoin de racines, la littérature a besoin d’un terreau natal et la langue tout comme l’écrivain appartiennent à la terre maternelle qui leur est propre. Dans la littérature mondiale, on voit souvent des écrivains qui ont perdu leur terre et leur langue natales se créer un « pays natal » [en en adoptant la langue] ; c’est le cas, par exemple, de Nabokov parti vivre aux Etats-Unis au siècle dernier, de Kundera aujourd’hui installé en France, mais aussi de Gao Xingjian, Ha Jin et Li Yiyun qui vivent maintenant à l’étranger et écrivent l’un en français, les autres en anglais. Ils sont tous auteurs d’œuvres remarquables, mais ce qu’ils ont souffert et le travail qu’ils ont dû faire en abandonnant leur langue maternelle dans leur création littéraire, il est difficile de l’imaginer ou d’en trouver des analogies. En comparaison, je m’estime exceptionnellement heureux : non seulement je possède encore mon pays natal et sa langue, c’est en outre un pays d’une grande authenticité ; même s’il y a dans le monde d’innombrables écrivains qui ont aussi cette double appartenance, si je veux comparer plus précisément les mérites réciproques des pays natals de chacun, en laissant de côté la question de la langue qui est forcément l’apanage de tout le monde, je crois qu’il serait difficile d’en trouver un dans le monde entier qui soit aussi digne de considération que le mien.

Car ce pays qui est le mien, c’est un village plus grand encore que le monde.

 

在那个村庄里,中国的过去和今天,所有发生过和正在发生的一切,那个村庄都曾经发生和正在发生着。帝王、战争、灾难、贫穷、革命、饥饿、富有和人性源远流长的丰沛和复杂,在那个村庄都可以找到对应的发生和存在。从某种意义上说,那个村庄就等同于是中国的过去和今天。是过去和今天,中国全部的历史、文化和现实的一个浓缩版。是中国的现实、历史和“中国人”在今天最生动的存在和发生。

Tout ce qui est arrivé jadis en Chine, et tout ce qui s’y passe aujourd’hui, tout cela, passé et présent, est arrivé dans ce village et s’y passe actuellement. L’empire, la guerre, les désastres, la pauvreté, la révolution, les famines, les infinies complexités et richesses de la nature humaine, on peut trouver un écho de tout cela dans les événements correspondants arrivés dans ce village. En un sens, ce village est équivalent au passé et au présent de la Chine. Tant pour le passé que pour le présent, c’est un véritable condensé de l’histoire, de la culture et de la réalité de la Chine tout entière. C’est ce qu’il y a aujourd’hui le plus vibrant de l’histoire et de la réalité de la Chine et du « peuple chinois », dans son existence et son quotidien.

 

中国人自古认为中国是世界之中心,中原是中国之中心,而我说的那个母地和村庄,又是中原之中心。在那个村庄和村庄周边的土地上,左一点是中国最早的神话《山海经》中相当一部分神话的发源地,右一点是中国的第一部诗歌总集《诗经》中许多诗歌起生的苗圃和园林。少年时,我随便出门爬一座山,那山上就留有李白的脚迹和诗句,随便涉水过一条河,白居易就曾在那河边有过仰望和长叹。那时候,因为我年少无知,不相信中国就是世界之中心,中原就是中国之中心,而我的家乡,又是中原之中心,甚至看到范仲淹的墓,就在那个村落不远处,中国的理学大师程颖和程颐,就是我家的邻居之邻居。

Depuis l’aube des temps, les Chinois ont pensé que la Chine était le centre du monde et que la plaine centrale était le centre de la Chine ; or, ce village dont je viens de parler, qui est mon pays natal, est justement au centre de la plaine centrale. C’est là, dans ce village et ses environs, que se trouvent, un tout petit peu à gauche, la source d’une partie des légendes du plus ancien classique de mythologie chinoise, le Shanhaijing ou Livre des monts et des mers, et, un tout petit peu à droite, les pépinières et les jardins qui sont le cadre de nombreux poèmes du premier classique de poésie chinoise, le Shijing ou Livre des poèmes. Quand j’étais enfant et que j’allais traîner dans la montagne, c’était un pan de montagne qui portait les traces des pas et des poèmes de Li Bai, et quand je traversais à gué une rivière, c’était un cours d’eau sur les rives duquel Bai Juyi avait soupiré en languissant [1]. A cette époque-là, j’étais jeune et ignorant, alors je n’étais pas certain que la Chine soit le centre du monde, ni que la plaine centrale soit le centre de la Chine, encore moins que le village familial soit le centre de la plaine centrale, ni même que la tombe de Fan Zhongyan [2] se trouve non loin de là, ou que les deux grands maîtres de l’école rationaliste néo-confucéenne Cheng Hao et Cheng Yi aient habité à deux pas de la maison [3].

 

我觉得这些太不可思议了。是一种不可能和不真实。是一个村庄的虚构和传说。而今天,作为一个小说家,我相信这些了;坚信这些了。因为我相信并坚信,真正伟大的文学,是不需要虚构的,甚至连假设也不允许其存在。因为在所有伟大的写作中,虚构都是对生活中那部分看不见的真实之发现。别人看不见的你见了,别人不能发现的你独自发现了,而当你以最个人的方式和语言,把这些发现呈现出来时,别人便称此为虚构;而在你,那却是百分之百的真实、现实和存在。我不在文学中虚构任何的假设之存在,我只在生活中尽力发现所有看不见的存在和真实。正是基于这一点,我发现、确认了我母地上的那个小村庄,它确实是中国的中原之中心,而中原又是中国之中心,中国又确实是世界之中心——一句话,那个村庄不仅是中国之中心,也是世界之中心。于是我全部的生活和写作,便都是在有意、无意地觉悟和发现这一点,不断地证明这一点。都是在向读者、世人反复地用文学去证实那个村庄就是一个完整的中国。整个的中国,就在那个村庄内。

Tout cela me semblait inconcevable, impossible et fallacieux : une légende locale, inventée par les gens du village. Aujourd’hui en revanche, devenu romancier, je le crois, et en suis même fermement persuadé. Parce que je suis intimement persuadé que la grande littérature n’a pas besoin d’invention : elle n’autorise même pas les hypothèses. En effet, tout ce que l’on prend pour de la fiction chez un grand écrivain n’est autre qu’une part de la vie réelle que personne n’a remarquée jusque-là. Il s’agit de voir ce que les autres n’ont pas su voir, de découvrir par soi-même ce que les autres n’ont pas été capables de découvrir. Cependant, quand vous racontez ces découvertes de la manière et dans la langue qui vous sont propres, c’est considéré comme de la fiction ; et pourtant, pour vous, c’est cent pour cent la réalité, la réalité vraie, palpable. Dans mes écrits, je n’invente rien, je ne fais que révéler avec autant de force que possible les aspects ignorés de la vie que je découvre. C’est ainsi qu’il m’est apparu que ce petit village de mon pays natal était effectivement le centre de la plaine centrale chinoise, cette plaine centrale étant elle-même le centre du « pays du milieu » et celui-ci le centre du monde – en un mot donc, ce petit village n’est pas seulement le centre de la Chine, mais bien aussi le centre du monde. Ainsi toute ma vie et mon œuvre entière n’ont-elles été que la révélation et la réalisation plus ou moins consciente de ce point particulier, puis inlassablement son authentification. Mon seul désir a été de prouver et de prouver encore aux lecteurs du monde entier que ce village est le centre de toute la Chine, et donc que la Chine tout entière est contenue dans ce village.

 

你要想认识中国,去认识那个村庄就够了。

你认识了那个村庄,也就真正懂得中国了。

倘若你想更深层、更深刻地了解中国和中国人,那么你就跟随华语到那个村庄走一走,住下来,和他们同吃、同住、谋事、计生,乃至于同恶与同善,如此你就更深层、更深刻地了解、把握了中国和中国人。

Si vous voulez connaître la Chine, il suffit de connaître ce village.

Une fois que vous connaissez ce village, vous avez réellement compris la Chine.

Si vous voulez approfondir, avoir une compréhension plus poussée de la Chine et des Chinois, il vous faut venir faire un tour dans ce village en vous laissant guider par la langue chinoise : venez manger, vivre et travailler avec les gens, partager leurs problèmes de planning familial, les bons et les mauvais côtés de leur existence, c’est le meilleur moyen de bien comprendre, de saisir en profondeur ce que sont la Chine et les Chinois.

 

当然间,在我母地的那个村庄内,当你相信整个的中国就等同于那个村庄时,你却又同时会发现,那个村庄不仅是中国的,是华语世界的,也是今天整个人类世界的。它是人类世界的一部分。是这个世界最有活力的细胞和心脏。它的每一次脉冲和跳动,每一缕生活纹理的来去和延展,都和这个世界的脉冲、跳动相联系,慢一步或者早一步,但从来没有脱离开这世界的脉冲、跳动而独立存在过。在这个村庄里,天空、气候、环境、善爱、良知和恨恶,还有人们的思维和价值观,人的心性和德性,人们对宗教的认知、尊崇和漠然,无不和人类世界上的任何地方、任何民族、任何人群相联系,它们既有高度的相似性与趋同性,又有令人惊异的隔膜和反动性。人类的所有奥秘和常识,都遍布在这个村落里;人类所有的无知和迷茫,也都遍布在这个村落的大街小巷上。人类人性中的最幽暗和最良善,都鲜明地刻写在这个村落每个人的脸上、内心和行为中。

Alors, bien sûr, une fois que vous aurez acquis la conviction que ce village de chez moi est l’équivalent de la Chine entière, vous réaliserez en même temps qu’il n’est pas seulement partie intégrante de la Chine, mais qu’il appartient aussi au monde de la langue chinoise partout où elle est parlée, et à l’humanité du monde entier d’aujourd’hui. C’est une partie du monde humain. Une cellule des plus vitales, un cœur du monde. Chacune de ses pulsations, chacun de ses battements, au gré de ses artères vitales, est en lien avec les pulsations et les battements du monde ; ils peuvent avoir un temps d’avance ou un temps de retard, mais jamais ils ne rejettent ce lien pour tenter de prendre un rythme autonome. Dans ce village, le ciel, l’atmosphère et l’environnement, la bonté, la conscience et la haine, mais aussi bien le mode de pensée et le sens des valeurs des gens, leur nature et leur probité, leur rapport à la religion, qu’il soit de vénération ou d’indifférence, tout cela est en lien avec les peuples du monde entier, quel que soit l’endroit, quelle que soit la nationalité : on trouve partout des analogies et des convergences, mais aussi de surprenantes incompréhensions et oppositions. Tous les mystères et le sens commun de l’humanité se trouvent dans ce village ; mais toute l’ignorance et la confusion du monde se cachent aussi dans ses rues et ses ruelles. Les côtés les plus sombres et les plus lumineux de l’espèce humaine apparaissent nettement gravés sur les visages et les cœurs de ces villageois et se lisent dans leurs attitudes.

 

1978年,我20周岁参军离开这个村落后,在我26年的军旅生涯中,我的大伯在我每年探亲回家时,都会与我促膝长谈,推心置腹地问:“连科,你说我们能真的解放台湾吗?中国和美国打仗能打过美国吗?”我大伯是2006年谢世的,这个一成不变的问题,他一连问了我28年。之后在那个村庄里,我以为不会再有人关心这些了,然在二年前,我又回到那个村庄时,有个给我叫哥的邻居,专门到我家闷头做了大半天,等到家里没有他人安静时,他很郑重地轻声问我道:“哥,你说一个核弹头丢下去,能真的让一个国家消失吗?”在我朝他点头并做了解释后,他又非常不解地大声质问我说:“既然核弹头这么厉害,那么中国为什么不趁全世界都毫无防备时,朝所有的国家都丢一个、几个核弹头,然后这个世界上,就没有别的国家只有我们中国了。”

我为我邻居的思考惊慌并愕然。

En 1978, j’avais vingt ans ; je me suis enrôlé dans l’armée et j’ai quitté ce village. Dans les vingt-six années suivantes de ma carrière militaire, je suis revenu chaque année rendre visite à ma famille et chaque fois le frère aîné de mon père est venu discuter longuement avec moi ; s’ouvrant à moi de ses préoccupations dans la plus grande sincérité, il me demandait : « Lianke, tu crois qu’on va vraiment pouvoir libérer Taiwan ? Si la Chine entre en guerre avec les Etats-Unis, tu crois qu’on va pouvoir les vaincre ? » Mon oncle est mort en 2006, et tout au long de ces vingt-huit années il n’a cessé de me poser ces mêmes questions. Après sa mort, j’ai pensé qu’il n’y aurait plus personne pour se préoccuper de ces problèmes. Or, il y a deux ans, quand je suis à nouveau retourné au village, un voisin qui m’appelle « frère » est venu à la maison et s’est éternisé là sans ouvrir la bouche ; il a attendu que tout le monde soit parti et que la maison soit retombée dans le calme pour me demander sérieusement, à voix basse : « Dis-moi, frère, si on largue une bombe atomique, est-ce que ça peut vraiment rayer un pays de la carte ? » J’ai opiné de la tête et lui ai donné quelques explications, sur quoi, l’air perplexe, il m’a demandé en haussant la voix : « Mais alors, si la bombe atomique est aussi terrible, pourquoi la Chine ne prend-elle pas tout le monde par surprise en lâchant des bombes sur tous les pays ? Comme ça, il ne resterait plus dans le monde entier d’autre pays que notre Chine. »

Cette réflexion de mon voisin m’a laissé effrayé et stupéfait.

 

那时候我呆在他面前,哑口无言到天长与地久。现在我在这儿说这些,并不是为了讨论人和那个村庄里的善与恶,而是说世界上所有的虚妄都在那个村人的内心里;人类世界上所有发生的事,即便在那个村庄没有发生过,也都在那个村庄识字、不识字的人的内心存在、思虑过。当然不能说,那个村庄一定就等于全世界。但至今,世界上很少有什么事情在那个村庄没有被思想,能和那个村庄无联系。高科技、网络虚拟世界和人类最传统、极致的宗教般的爱,在那个村庄的现实之今天,都如荒野中的荆木、花草一般繁荣共生着。他们一边渴望有一天,可以到上帝家里去做客,能和上帝攀谈结亲戚;又一边崇拜美国的科学狂人埃隆.马斯克。一边在那儿存在着深刻的嫉妒、谋算和仇怨,又一边充满着上帝所渴望的人与人之间的爱。

J’en suis resté éberlué, incapable d’articuler un mot pendant un long moment. Et si j’en parle ici aujourd’hui, ce n’est pas pour discuter du bien et du mal dans l’esprit de ces villageois, mais pour dire qu’ils ont en eux toute l’absurdité virtuelle du monde ; tous les événements du monde entier, même s’ils ne sont pas arrivés dans ce village même, ont quand même une existence virtuelle dans l’être et la pensée de ces villageois, même illettrés. Bien sûr, on ne peut pas dire que ce village est forcément à l’égal du monde entier, mais, jusqu’ici, il a très peu de choses intervenues dans le monde qui n’aient pas eu d’écho dans la pensée locale, n’y soient pas de l’ordre du possible ou n’y aient un lien quelconque. Dans la vie réelle du village, aujourd’hui, les technologies de pointe et le monde virtuel de l’internet vont de pair avec le sens de l’amour le plus traditionnel et le plus proche du religieux, comme se mêlent dans une même splendeur sauvage les ronces dans les bois et les fleurs dans les prés. D’un côté, ils aspirent à voir le jour où ils seraient admis à rendre visite à Dieu et à lui parler en tête à tête, et de l’autre ils vénèrent un Américain fou de technologie comme Elon Musk. D’un côté, on trouve là de profonds sentiments de jalousie, des histoires de magouilles et des désirs de vengeance, mais d’un autre côté, on y trouve aussi à profusion l’amour universel que Dieu souhaite voir régner entre les hommes.

 

就超越各种人与人、文化与文化的关系言,在中国,再也没有中国人对日本人的情感更为复杂了。就在这百来年的恩知仇怨中,在那个村落里,有位母亲七十多年来,无论是在电视上或是村人的谈论里,当大家看到或谈到中国与日本的仇杀历史时,那位母亲总会记起1945年,日本军队从中国败退时,一位穿着破烂、身上挂彩的日本士兵,拄着拐杖从口袋里摸出一颗小糖给了她。这位母亲说,这是她人生第一次吃到的糖,知道了世界上有一种叫糖的东西,竟然那么甜。所以她终生记住了糖的味道和那张流血的日本士兵的脸,终生都渴望还给那个日本士兵一些什么去。2014年,我把村里这位母亲的心愿带到了日本去,从此有了更多的日本读者和老人,都渴望到这个村庄走一走,渴望见到这个村里的人。

爱,是可以化解一切的。

Pour parler en termes de relations dépassant les individus et les cultures, il n’y a pas dans toute la Chine de sentiments plus complexes envers les Japonais que dans ce village. Si l’on considère la haine et le ressentiment accumulés au cours du siècle écoulé, il y a là une vieille mère de quelque 70 ans qui se rappelle aussitôt l’année 1945 quand elle voit des émissions à la télévision ou entend des conversations évoquant la haine et les tueries qui abondent dans l’histoire sino-japonaise : cette année-là, au moment de la retraite de l’armée japonaise, un soldat japonais blessé appuyé sur des béquilles, dans un uniforme en haillons, s’était arrêté pour sortir de sa poche un bonbon et le lui donner. Cette vieille femme ajoutait que c’était la première fois de sa vie qu’elle mangeait un bonbon, qu’elle découvrait qu’il existait dans le monde quelque chose du nom de bonbon, et que c’était aussi bon. Aussi de sa vie n’avait-elle pu oublier ni le goût du bonbon ni le visage ensanglanté du soldat japonais, et toute sa vie avait-elle souhaité pouvoir lui offrir quelque chose en retour. En 2014, je me suis rendu au Japon en me chargeant du vœu de cette vieille femme du village. Par la suite, beaucoup de lecteurs et de personnes âgées ont souhaité venir voir le village et ses habitants.

L’amour peut tout résoudre.

 

人类一切有价值的东西的价值都不会超过爱。当我们在那个村庄看到有人渴望中国用核武毁掉人类时,也看到那个村庄最柔软、博大的内心在爱着人类和世界,希望这个世界的角角落落都充满爱。我庆幸我出生在那个村庄里;庆幸至今我几乎所有的至亲都还生活在那个村庄里;庆幸我不仅拥有那片村庄和土地,而且我还是那个村庄不可分的一部分。我的本身就是那个村庄之本身。我今天所有的努力和写作,都不是为了给那个村庄积累和增添,而是为了发现那个村庄本身就有的它与人类世界共有、共存的互生、互动之关系。

Rien de ce qui relève du genre humain n’a une valeur supérieure à l’amour. Il y a dans le village un individu qui souhaite que la Chine largue une bombe atomique pour décimer l’humanité, mais il y a là aussi, en même temps, un immense cœur plein de tendresse et d’amour envers les hommes et le monde, qui voudrait le voir partout débordant d’amour. Je me réjouis d’être né là, dans ce village, me réjouis que toute ma famille ou presque y vive encore, et que non seulement il m’appartienne, que cette terre soit la mienne, mais en outre que j’en sois une partie inséparable. Tout mon être est lié à celui du village. Tout ce que j’écris aujourd’hui, tous mes efforts, ce n’est pas pour ajouter à ce qu’il est ou le magnifier, c’est pour découvrir ce qu’il a en commun avec le monde, quels sont les rapports et les interactions entre l’un et l’autre.

 

村庄不等同于是世界,村里人却几乎等同于是人类所有的人。村人不等同于是人类,但那个村庄在许多地方、许多时候,却比人类世界还要大,比我们所知的人类更为复杂和丰富。在这个中国中原最中心的村落里,那里的人相信共产主义就在明天的隔壁等候着,可却也相信天堂在头顶,地狱在脚下,神灵就在自己的门口和内心。他们绝多、绝多的人,没有读过《神曲》是怎样一本书,然而在那个村庄的房檐风里却吹佛着和《神曲》中的“地狱”、“炼狱”、“天堂”相类似的寓言和传说。他们没有人读过《荷马史诗》和奥维德的《变形记》,可对来自古希腊、古罗马的神话,却都能说出一、二、三,且有时说得比荷马、奥维德说得更为形象和生动。他们从来没有见过安娜.卡列尼娜是谁,但在那个村街上,却经常晃动着安娜的身影和说话声,以及每年、每天都不消失的对爱玛.卢欧的议论声。格里高尔和他的父母与妹妹,都还健康地活在那个村庄里;《尤利西斯》中爱尔兰的大街和小巷,都铺展在那个村落每户人家的房前和屋后。那里的人,既深知柴米油盐对活着的重要性,又不断地谈论宇宙间的神秘和不可知。他们相信共产党、社会主义和共产主义的伟大和神圣,却又不断有人向我探问道:“美国、欧洲和资本主义,真的如传说中那么美好吗?”

Le village n’est pas l’équivalent du monde, mais les gens du village sont peu ou prou équivalents aux gens du monde entier. Non qu’ils soient identiques, mais à bien des moments, en de nombreux endroits, le village a été plus grand que le monde humain, bien plus riche et complexe que tout ce que nous savons de l’humanité. Dans ce coin au centre de la plaine centrale de la Chine, les gens sont persuadés que le communisme est pour demain ; en même temps, ils croient que le paradis est au-dessus de leur tête, l’enfer sous leurs pieds, et que les esprits sont à leur porte et en eux-mêmes. La grande, grande majorité n’a jamais entendu parler de La Divine Comédie, pourtant dans le vent qui souffle sous les auvents du village circulent des mythes et légendes du même ordre que l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis de Dante. Ils n’ont lu ni L’Odyssée ni Les Métamorphoses d’Ovide, pourtant ils pourraient vous raconter des légendes qui ne le cèdent en rien à celles des Grecs ou des Romains, et qui plus est bien plus imaginatives et vivantes que les histoires d’Ovide et d’Homère. Ils ne savent pas qui est Anna Karénine, mais son ombre passe souvent dans les rues, sa voix y résonne, et les discussions sur Emma Rouault s’y poursuivent sans fin. Gregor Samsa est là, en pleine forme, avec ses parents et sa sœur. Les grandes rues et petites ruelles irlandaises d’Ulysse, on les trouve sur le devant et à l’arrière de chaque maison du village. Les gens y sont tous bien conscients que le petit bois, le riz, l’huile et le sel sont essentiels à la vie quotidienne, mais cela ne les empêche pas de discuter sans cesse des mystères insondables de l’univers. Ils ont foi dans le parti communiste, dans la grandeur et le caractère sacré du socialisme et du communisme, pourtant ils ne cessent de me demander : « Les Etats-Unis, l’Europe et le capitalisme, c’est vraiment aussi bien qu’on le dit ? »

 

实在说,那儿确确实实就是一个村,人口只有数千人,然而那儿又确确实实是完完整整的中国和世界,且许多时候还是大于中国和世界的浓缩和存存。实在说,我一生的写作都将立足在那个村庄里,也只能立足在那个村庄里,然那立足之目的,却不单单是为了文学的创造和发明,而更多是为了对那个村庄的发现和证明。就我言,就我这一生的写作言,我所幸那个村庄说到底它不是一个村,它是中国和世界的最中心,是完整的中国和世界。是一个大于世界的村庄和世界。在这儿,我要郑重地谢谢那片土地和村庄;谢谢值得信任和敬重的纽曼文学奖的评委们;也郑重地谢谢今天所有参与颁奖的同仁们!

希望大家沿着语言的路,有一天能同我一道到那个村庄和我家里去做客!

C’est juste un village, c’est vrai, de quelques milliers d’habitants tout au plus, mais c’est vrai aussi que c’est la Chine entière et le monde entier, et même, à bien des égards, un condensé des deux plus grand qu’eux. Durant toute mon existence, c’est vrai, ce que j’ai écrit a ses fondements dans ce village, et ne peut avoir ses fondements que là, mais mon but n’est pas simplement de créer une fiction littéraire, c’est bien plus d’aller à la découverte de ce village et de l’authentifier. Ainsi, pour moi, et pour mon œuvre, je suis heureux que ce village, au bout du compte, ne soit pas juste un village, mais qu’il soit le centre même de la Chine et du monde, qu’il soit la Chine entière et le monde entier. Et que ce soit même un monde en soi plus grand encore que le monde. Je tiens donc ici à remercier solennellement le village, ainsi que les respectables jurés du prix Newman et tous ceux qui ont aujourd’hui participé à cette cérémonie de remise du prix.

J’espère que vous tous, en suivant le chemin de la langue, pourrez un jour venir jusque chez moi, au village, où je serai ravi de vous recevoir.

 

2021226 

26 février 2021

 


 

À écouter :

Le discours prononcé par Yan Lianke

lors de la cérémonie de remise du prix à l’Université du peuple à Pékin (à 29’55)

 

 

 

 


[1] Yan Lianke cite ici deux poètes célèbres : le poète Li Bai (701-762) a beaucoup voyagé, et c’est à Luoyang, ancienne capitale historique située dans le Henan, qu’il aurait rencontré l’autre grand poète des Tang, Du Fu. Bai Juyi (772-846), qui appartient à la génération suivante, est né à Xinzheng (新郑) dans le Henan.  

[2] Fan Zhongyan (989-1052) : lettré, poète et homme politique de la dynastie des Song qui s’est distingué en particulier par des réformes mises en place en 1043. En 1011, il a commencé des études dans le Henan, et en 1030, il est devenu préfet de Kaifeng, ancienne capitale située à l’est du Henan.

[3] Les deux frères sont deux éminents représentants du néoconfucianisme de la dynastie des Song. Le plus jeune, Cheng Yi, est né et a vécu et enseigné à Luoyang où les deux frères ont travaillé ensemble.

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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