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Lu Wenfu « Un monde de rêve »
陆文夫《梦中的天地》
par Brigitte Duzan, 13 janvier 2015,
actualisé 5 décembre 2025
我也曾到过许多地方,可是梦中的天地却往往是苏州的小巷。我在这些小巷中走过千百遍,度过了漫长的时光;青春似乎是从这些小巷中流走的,它在脑子里冲刷出一条深深的沟,留下了极其难忘的印象。
Je suis allé dans
bien des endroits, mais celui qui revient le plus souvent dans
mes rêves, c’est le monde des ruelles de Suzhou. Je les ai
parcourues un nombre incalculable de fois, j’y ai vécu de très
longues années, j’ai le sentiment que c’est de là que s’est
envolée ma jeunesse. Il m’en est resté un très profond sillon à
jamais gravé dans mon cerveau, et des impressions inoubliables.
三十八年前,我穿着蓝布长衫,乘着一条木帆船闯进了苏州城外的一条小巷。这小巷铺着长长的石板,石板下还有流水淙淙作响。它的名称也叫街,但是两部黄包车相遇便无法交会过来;它的两边都是低矮的平房,晾衣裳的竹竿从这边的屋檐上搁到对面的屋檐上。那屋檐上都砌着方形带洞的砖墩,看上去就像古城上的箭垛一样。
C’est il y a
trente-huit ans que, vêtu d’une longue robe de coton bleu, j’ai
débarqué d’un bateau à voile dans une ruelle des faubourgs de
Suzhou. C’était une ruelle pavée de longues dalles de pierre
sous lesquelles on entendait le gargouillis de l’eau qui
s’écoulait. Elle était certes dénommée rue, mais deux pousses
auraient été bien incapables de s’y croiser. Des deux côtés,
elle était bordée de maisons basses de plain-pied, et au-dessus,
d’un avant-toit à l’autre, couraient des perches de bambou pour
mettre le linge à sécher. Ces avant-toits formaient des sortes
de créneaux carrés en briques, tels ceux des murs d’enceinte des
villes, autrefois.
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Avant-toit d’un bâtiment d’un jardin de Suzhou avec
ses « créneaux » |
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转了一个弯,巷子便变了样,两边都是楼房,黑瓦、朱栏、白墙。临巷处是一条通长的木板走廊,廊檐上镶着花板,雕刻都不一样,有的是松鼠葡萄*,有的是八仙过海*,大多是些“富贵不断头”,马虎而平常。也许是红颜易老吧,那些朱栏和花板都已经变黑、发黄。那些晾衣裳的竹竿都在雕花的檐板中躲藏,竹帘低垂,掩蔽着长窗。我好像在什么画卷和小说里见到过此种式样,好像潘金莲在这种楼上晒过衣裳。那楼下挑着糖粥担子的人,也像是那卖炊饼的武大郎。
Après une
courbe, cependant, la ruelle changea d’aspect : elle était
maintenant bordée de maisons à étage, aux tuiles noires, aux
balustrades rouges et aux murs blancs. Du côté de la rue, il y
avait de longues galeries aux planchers en bois et aux
avant-toits ornés de sculptures sur les thèmes les plus
variés comme celui des écureuils et du raisin*, ou des huit
immortels traversant la mer**, mais, le plus souvent, c’étaient
de simples motifs décoratifs du type « prospérité sans fin »***,
courants et sans guère d’originalité. Le rouge étant sans doute
une couleur qui passe facilement, les balustrades et décorations
avaient noirci et jauni. Les perches de bambou sur lesquelles
était accroché le linge se dissimulaient dans les avant-toits
sculptés, et des rideaux de bambou masquaient les longues
fenêtres. Il me semblait avoir déjà vu un tel tableau dans une
peinture, ou en avoir lu la description dans un livre ; c’était
sans doute dans une demeure de ce genre que Pan Jinlian mettait
son linge à sécher. Et cet homme, en bas de la rue, qui portait
du gruau de riz sucré à la palanche, ressemblait à Wu Dalang, le
vendeur de galettes.
*
松鼠葡萄
sōngshǔ pútao
Les
écureuils et le raisin : motif décoratif sur les miroirs de
bronze et l’argenterie de la période Tang puis populaire sur la
porcelaine des dynasties Ming et Qing ; le raisin abondant
symbolise « une nombreuse progéniture » et l’écureuil la branche
terrestre zǐ (子)
du cycle sexagésimal chinois, qui renforce le caractère
auspicieux du motif. Il a été repris par les peintres modernes.
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Écureuils et raisin sur un plat de porcelaine bleue
et blanche |
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**八仙过海
bāxiān guòhǎi
Les huit
immortels traversent la mer : légende taoïste dont il existe de
multiples versions (dont des pièces de théâtre zaju et un
manuscrit de
Pu Songling) ;
elle relate comment les Huit immortels, au retour, un peu
éméchés, d’un banquet – au Jardin des pêchers de la Reine Mère
de l’Ouest selon certaines sources – traversent l’océan en
unissant leurs forces et en utilisant leurs « armes »
personnelles – une feuille de bananier pour l’un, une fleur de
lotus pour l’autre, etc… – suscitant la fureur du Roi Dragon de
la Mer de l’Est et tuant deux de ses fils dans leur bataille ;
le conflit est finalement résolu grâce à la médiation de
Guanyin.
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Les
huit immortels traversant la mer |
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***
Motifs « prospérité sans fin »
“富贵不断头” |
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这种巷子里也有店铺,楼上是住宅,楼下是店堂。最多的是烟纸店、酱菜店和那带卖开水的茶馆店。茶馆店里最闹猛,许多人左手搁在方桌上,右脚翘在长凳上,端起那乌油油的紫砂茶杯,一个劲儿地把那些深褐色的水灌进肚皮里。这种现象苏州人叫作皮包水,晚上进澡堂便叫水包皮。喝茶的人当然要高谈阔论,一片嗡嗡声,弄不清都是谈的些什么事情。只有那叫卖的声音最清脆,那是提篮的女子在兜售瓜子、糖果、香烟。还有那戴着墨镜的瞎子在拉二胡,哑沙着嗓子唱什么,说是唱,但也和哭差不了许多。这小巷在我面前展开了一幅市井生活的画图。
Dans ce genre
de ruelle, il y avait aussi des boutiques : à l’étage étaient
les habitations, au-dessous les magasins. La plupart étaient des
boutiques de tabac et de papier, de légumes à la sauce au soja,
et des maisons de thé qui vendaient aussi de l’eau bouillie.
C’étaient celles-ci les plus animées ; ils étaient nombreux,
ceux qui fréquentaient ces maisons : la main gauche posée sur
l’une des tables carrées, le pied droit levé, calé sur le banc,
tenant de l’autre main une tasse de grès d’un noir de jais, ils
la levaient soudain pour avaler d’un coup le liquide d’un brun
sombre, et le faire ainsi descendre jusque dans les replis de
leur ventre. C’est ce qu’évoquent les habitants de Suzhou quand
ils parlent de « la peau qui enveloppe l’eau » ; le soir, en
revanche, quand ils vont aux bains publics, ils disent que
« l’eau enveloppe la peau ». Les buveurs de thé, bien sûr, sont
des bavards impénitents, et il régnait un tel bruit de fond dans
ces boutiques qu’il était impossible de distinguer la teneur
précise des discussions. Les sons que l’on entendait le mieux
étaient les cris des vendeuses qui offraient à l’envi dans leurs
paniers graines de pastèques, bonbons ou cigarettes, mais il y
avait aussi le chant de l’aveugle aux lunettes noires qui
s’accompagnait à l’erhu, un chant modulé d’une voix
rauque qui ressemblait bien plus à un sanglot qu’à un chant. La
ruelle déroulait ainsi sous mes yeux comme une peinture de
scènes de la vie urbaine.
就在这图卷的末尾,我爬上了一座小楼。这小楼实际上是两座,分前楼与后楼,两侧用厢房联在一起,形成了一个口字。天井小得像一口深井,只放了两只接天水的坛子。伏在前楼的窗口往下看,只见人来人往,市井繁忙;伏在后楼的窗口往下看,却是一条大河从窗下流过。河上橹声咿呀,天光水波,风日悠悠。
Puis, tout au
bout de ce rouleau de peinture, je me suis glissé dans une
petite maison. C’étaient en fait deux bâtiments, l’un devant et
l’autre derrière, reliés par des pièces latérales qui formaient
un carré. La cour au milieu, aussi étroite que l’ouverture d’un
puits profond, ne contenait que deux jarres pour collecter l’eau
de pluie. En regardant par la fenêtre du bâtiment de devant, on
ne voyait qu’un flot incessant d’allées et venues, une intense
animation de jour de marché. Par la fenêtre du bâtiment de
derrière, en revanche, on découvrait le long canal qui passait
en contrebas. On entendait le bruit des godilles dans l’eau où
se reflétait la lumière du ciel, sous un soleil très doux et une
brise légère.
河两岸都是人家,每家都有临河的长窗和石码头。那码头建造得十分奇妙,简单而又灵巧,是用许多长长的条石排列而成的。那条石一头腾空,一头嵌在石驳岸上,一级一级地扦进河床,像一条条石制的云梯挂在家家户户的后门口。洗菜淘米的女人便在云梯上凌空上下,在波光与云影中时隐时现。那些单桨的小船,慢悠悠地放舟中流,让流水随便地把它们带走,那船上装着鱼虾、蔬菜、瓜果。只要临河的窗内有人叫买,那小船便箭也似的射到窗下,交易谈成,楼上便垂下一只篮筐,钱放在篮筐中吊下来,货放在篮筐中吊上去。然后楼窗便吱呀关上,小船又慢慢地随波漂去。
Sur les deux
berges, chaque maison avait de grandes fenêtres et un quai de
pierre donnant sur le canal. Ces quais étaient construits de
manière extrêmement curieuse, à la fois simple et raffinée, de
nombreuses rangées de pierres tout en longueur qui, d’un côté,
se détachaient du vide, et de l’autre étaient encastrées dans le
rocher de la rive, formant une série de marches dans le lit du
canal, comme de grandes échelles de pierre accrochées aux
entrées à l’arrière des maisons. Les femmes qui venaient là
laver le riz et les légumes semblaient flotter entre terre et
ciel, apparaissant et disparaissant au gré des reflets de l’eau
et de l’ombre des nuages. Les petits bateaux à rame unique
passaient lentement en se laissant porter par le courant,
chargés de poissons et de crevettes, de légumes, de pastèques et
autres fruits. Il suffisait alors que quelqu’un crie de l’une
des fenêtres pour qu’un bateau file comme une flèche vers cette
fenêtre ; une fois le marché conclu, un panier descendait de
l’étage avec l’argent et remontait avec la marchandise. La
fenêtre se refermait et le bateau reprenait tranquillement son
chemin au fil de l’eau.
在我后楼的对面,有一条岔河,河上有一顶高高的石拱桥,那桥栏是一道弧形的石壁,人从桥上走过,只有一个头露在外面。可那桥洞却十分宽大,洞内的岸边有一座古庙,我站在石码头上向里看,还可以看见黄墙上的“南无……”二字。有月亮的晚上可以看见桥洞里流水湍急,银片闪烁,月影揉碎,古庙里的磬声随着波光向外流溢。
La maison où
j’habitais faisait face, à l’arrière, à une bifurcation du
canal ; il était surmonté là de l’arche très haute d’un pont de
pierre bordé, en guise de balustrades, de murs de pierre en
forme d’arabesques* si bien que, lorsque quelqu’un y passait, on
ne voyait dépasser que sa tête. Cependant, à la base du pont, la
rive du canal était assez large pour abriter un vieux temple. En
l’observant du quai de ma maison, je pouvais distinguer deux
caractères peints sur le mur jaune : « Namo… »
.
Les soirs de lune, on pouvait voir couler sous la voûte du pont
le flot rapide de l’eau, étincelant d’un éclat argenté ; le
reflet de la lune dans l’eau se brisait au passage d’un nuage,
mais le son des carillons de pierre
du vieux temple accompagnait le courant ininterrompu de l’eau.
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* Un
pont de pierre dans le Jardin
du
Maître des filets à Suzhou (苏州网师园) |
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那些悬挂在波光和月色中的石码头上,捣衣声啌啌地响成一片,“长安一片月,万户捣衣声”,小巷的后面也颇有点诗意。翻身再上前楼,又见巷子里一片灯光,黄包车辚辚而过,卖馄饨的敲着竹梆子,卖五香茶叶蛋的提着带小炉子的大篮子。茶馆店夜间成了书场,琵琶叮咚,吴语软侬,苏州评弹尖脆悠扬,卖茶叶蛋的叫喊怆然悲凉。我没有想到,一条曲折的小巷竟然变化无穷,表里不同,栉比鳞次的房屋分隔着陆与水,静与动。一面是人间的苦乐与喧嚷,一面是波影与月光,还有那低沉回荡的夜磬声,似乎要把人间的一切都遗忘。
Sur les quais
suspendus au milieu des reflets de l’eau et de la lumière de la
lune, l’air retentissait du bruit sourd des vêtements que l’on
battait pour les laver : « À Chang’an sous la lune, de dix
mille foyers bruit des vêtements battus… »
.
De la ruelle à l’arrière de la maison se dégageait un sentiment
vraiment poétique. Mais, dès qu’on revenait de l’autre côté de
la maison, on était de nouveau assailli par les lumières de la
rue et le roulement continu des pousses, les vendeurs de
huntun
frappaient
leurs claquettes de bambou et ceux d’œufs parfumés cuits
dans le thé passaient en portant les grands paniers où ils
transportaient leurs petits réchauds. La nuit venue, les maisons
de thé se transformaient en théâtres de conteurs où résonnaient
les pipas accompagnant les douces intonations du dialecte de Wu
ainsi que les voix aiguës et claires du pingtan de Suzhou
.
Les cris des vendeurs d’œufs étaient empreints d’une triste
désolation. Je n’aurais jamais imaginé qu’une petite ruelle
puisse se transformer autant en passant juste un tournant, avec
une différence aussi marquée entre le côté intérieur et
l’extérieur, les maisons alignées en rangs serrés marquant la
limite entre la terre et l’eau, l’agitation et le calme. D’un
côté le vacarme du monde humain avec ses joies et ses peines, de
l’autre les ombres sur l’eau et la lumière de la lune, sans
oublier l’écho assourdi des carillons de pierre du temple, comme
pour tout faire oublier du reste de l’humanité.
Puis il
dépeint une autre sorte de ruelles, bordées de hauts murs, aux
portes verrouillées, où les passants au contraire étaient
rares : le monde clos des jardins des familles riches de Suzhou.
[…]
Il revient
ensuite vers l’autre genre de ruelles, les ruelles populaires,
avec, à l’entrée, un puits public concentrant la vie du quartier
– deux paragraphes amorçant la description au début de sa
novella « Le Puits » (井)
de 1985.]
比较起来我还是欢喜另一种小巷,它有浓厚的生活气息,在形式上也是把各种小巷的特点都汇集在一起。既有深院高墙,也有低矮的平房;有烟纸店、大饼店,还有老虎灶。
Mais, toute
proportion gardée, ce que je préférais, en fait, c’était une
autre sorte de ruelles, celles qui, tout en dégageant une
impression de vie intense, offraient un condensé des
caractéristiques de toutes les autres : de hauts murs et des
cours profondes, certes, mais aussi des maisons basses, de
plain-pied ; on y trouvait des boutiques vendant tabac et
papier, d’autres de larges galettes, mais aussi des « fourneaux
du tigre »
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Un
vieux « fourneau du tigre » |
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那石库门里住着几十户人家,那小门堂里只有几十个平方。巷子头上有公用的水井,巷子里面也有只剩下石柱的牌坊。这种巷子也是一面临河,却和城外的巷子大不一样,两岸的房子拼命地挤,把个河道挤成一条狭窄的水巷。“古宫闲地少,水巷小桥多”,唐代的诗人就已经见到过此种景象。
Dans ces maisons de
pierre aux cours carrées – les shikumen – vivaient des
dizaines de famille, et pourtant les minuscules pièces de séjour
ne dépassaient guère quelques dizaines de mètres carrés.
A l’entrée de ces ruelles,
il y avait un puits public, et au milieu, quelque arche
dont il ne restait plus que les piliers de pierre. D’un côté,
ces ruelles bordaient un canal, mais il y avait une grande
différence avec celles des faubourgs : les maisons se faisaient
face en rangs serrés des deux côtés du canal, ne laissant entre
elles qu’une étroite voie d’eau. C’est un tableau qu’un poète
des Tang a ainsi décrit :
“古宫闲地少,水巷小桥多”
Rare, l’espace
libre au sein des vieux palais ; nombreux, les petits ponts sur
les canaux.
»
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Des
vieux paifang de Suzhou |
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夏日的清晨,你走进这种小巷,小巷里升腾着烟雾,巷子头上的水井边有几个妇女在那里汲水,慢条斯理地拉着吊桶绳,似乎还带着夜来的睡意,还穿着那肥大的、直条纹的睡衣。其实整个的巷子早就苏醒了。退休的老头已经进了园林里的茶座,或者是什么茶馆店,在那里打拳、喝茶、聊天。也有的老头足不出户,在庭院里侍弄盆景,或者是呆呆地坐在藤椅子上,把一杯杯的浓茶灌下去。家庭主妇已经收拾了好大一气,提篮走进那个喧嚷嘈杂的小菜场里。她们熙熙攘攘地进入小巷,一路上议论着菜肴的有无、好丑和贵贱。直等到垃圾车的铃声响过,垃圾车渐渐地远去,上菜场的人才纷纷回来,结束清晨买菜这一场战斗。
En pénétrant
dans ce genre de ruelle au petit matin, les jours d’été, on
voyait monter la brume ; à l’entrée, quelques femmes puisaient
de l’eau au puits en remontant sans se presser un seau attaché à
une corde, encore vêtues de leurs larges pyjamas à rayures comme
si elles n’étaient pas encore totalement sorties de la torpeur
de la nuit. C’est toute la ruelle, en fait, qui s’éveillait
alors. Les petits vieux à la retraite s’étaient déjà installés
dans les jardins ou les maisons de thé où ils jouaient à la
mourre et bavardaient tout en prenant leur thé. Mais il y en
avait aussi qui préféraient ne pas sortir et rester dans leur
cour à s’occuper de leurs fleurs ou, calés dans un fauteuil de
rotin, à avaler tasse sur tasse d’un thé très fort. Les
maîtresses de maison avaient déjà dépensé pas mal d’énergie à
ranger les affaires et partaient panier au bras faire leurs
courses au petit marché aux légumes déjà bourdonnant d’un
brouhaha de bruits divers. Elles partaient en troupes animées
dans la ruelle, en pérorant en chemin sur les légumes qu’elles
allaient trouver, leur fraîcheur et leur prix. Il faillait
attendre qu’ait retenti la sonnette de la charrette à ordures et
que celle-ci se soit peu à peu éloignée, pour que les dernières
femmes venues faire leur marché finissent par repartir l’une
après l’autre, mettant un terme à ce combat du petit matin pour
acheter les légumes.
买菜的队伍消散了,隔不多久,巷子里的活动就进入了高潮。上班的人几乎是在同一个时间内拥出来的,有的出巷往东走,有的入巷往西去,背书包的蹦蹦跳跳,抱孩子的叫孩子和好婆说声再见,只看见那自行车银光闪闪,只听见那铃铛儿响成一片。小巷子成了自行车的竞技场,展览会,
技术不佳的女同志只好把车子推出巷口再骑。不过这种高潮像一阵海浪,半个小时后便会平息。
Les troupes
des femmes du marché s’étaient à peine dispersées que la ruelle
atteignait le summum de son activité. Ceux qui devaient aller
travailler sortaient presque tous en même temps, quittant la
ruelle dans un sens ou dans l’autre. Les enfants qui avaient
cartable à l’épaule partaient en gambadant ; d’autres que l’on
portait dans les bras faisaient des au revoir à leur grand-mère.
Ce n’était plus alors qu’une marée de vélos étincelants, un
charivari assourdissant de sonnettes. La ruelle était
transformée en vélodrome, un vrai spectacle, mais
les femmes qui n’avaient pas la technique adéquate devaient se contenter de
pousser leur vélo jusqu’au bout de la ruelle avant de pouvoir
l’enfourcher. Cette marée ne durait cependant pas plus longtemps
qu’une vague en mer : au bout d’une demi-heure, tout avait
retrouvé son calme.
[Lu Wenfu
consacre un bref développement aux personnes âgées qui
reviennent tranquillement chez eux sans se presser, en imaginant
tout ce que chacun a vécu, y compris telle vieille femme aux
cheveux blancs qui a joué dans un opéra.
L’été, tout
le monde s’installait le soir devant les portes pour prendre le
frais, en colportant les événements de la ruelle, même les plus
secrets… Mais peu à peu, les gens qui sortaient prendre le frais
ont diminué, préférant rester à l’intérieur regarder la
télévision…]
面对着大路你想驰骋,面对着高山你想攀登,面对着大海你想远航。面对着这些深邃的小巷呢?你慢慢地向前走啊,沿着高高的围墙往前走,踏着细碎的石子往前走,扶着牌坊的石柱往前走,去寻找艺术的世界,去踏勘生活的矿藏,去倾听历史的回响……
La grand-route
donne envie de partir à toute allure, la montagne d’escalader
ses pentes, l’océan de voguer au long cours. Et la profondeur
des ruelles, alors ? Là, il faut avancer lentement, avancer le
long des hauts murs, en foulant les éboulis de pierres, en
s’appuyant au passage sur les piliers des arches, pour aller à
la recherche de tout un monde artistique, aux sources les plus
secrètes de la vie, en tendant l’oreille aux échos de son
histoire….
1983年10月于苏州
Suzhou,
octobre 1983.
Réédité en
2007 dans le recueil « Les essais de Lu Wenfu » (陆文夫散文,
人民文学出版社
2007-3).
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