Textes divers

 
 
 
     

 

 

Lin Juemin 林觉民

Lettre d’adieu à mon épouse  《与妻诀别书》

par Brigitte Duzan, 20 mai 2012

 

Présentation

 

Lin Juemin est né en 1887 dans une famille de lettrés de Minhou (aujourd’hui Fuzhou), dans le Fujian (福建闽侯).

 

Il reçoit une éducation classique, dans la tradition familiale, et, à treize ans, passe le premier degré des examens impériaux, mais il fait déjà preuve d’un tempérament rebelle : il écrit une seule phrase sur sa copie, un vers de sept caractères :

少年不望万户侯

[万户侯 wànhùhóu  noble possédant un fief de dix mille âmes, soit haut fonctionnaire impérial]

         Le jeune que je suis n’envisage pas de devenir haut fonctionnaire.

 

Il est alors confié à un oncle, professeur dans le nouveau collège du Fujian (全闽大学堂), établissement moderne où le

 

Lin Juemin

jeune Lin Juemin découvre les idées libérales modernes : démocratie, liberté, égalité…. Il écrit des articles et prononce des discours remarqués.

 

Chen Yiying

 

En 1905, il épouse Chen Yiying (陈意映), mais ils n’ont pas le temps de vivre longtemps ensemble. L’année suivante, Lin Juemin part au Japon où il étudie la philosophie, le japonais,

l’anglais et l’allemand. Il est gagné par les idées révolutionnaires, se lie avec Huang Xing (黄兴) et devient membre de la ligue du Tongmenghui (同盟会), créée en 1905 par fusion de la ligue de Sun Yat-sen avec diverses autres ligues révolutionnaires dont celle de Huang Xing.

 

Fin 1910, à Penang, en Malaisie, Sun Yat-sen et quelques autres membres du Tongmenghui se réunissent pour planifier un soulèvement à Canton. Après avoir été repoussé plusieurs fois, celui-ci débute le 27 avril 1911. Lin Juemin en fait partie. Le but était d’investir la résidence du gouverneur du Guangdong et du Guangxi afin de frapper

les esprits et ouvrir la voie à un mouvement national contre la dynastie mandchoue.

 

Le ralliement de la garnison n’ayant pas eu lieu comme espéré, les jeunes révolutionnaires menés par Huang Xin sont décimés par des forces bien supérieures. On relèvera 86 cadavres, dont 72 seront identifiés à l’époque : ce sont les « 72 martyrs de Huanghuagang » (黄花岗七十二烈士), le « Mont aux fleurs jaunes » où se trouve leur mausolée.

 

Lin Juemin fut blessé et fait prisonnier ; refusant de se rallier, il fut exécuté. Il compte parmi les 72 martyrs. La veille, comme beaucoup de ses camarades, sachant qu’il n’y

 

Le mausolée de Huanghuagang

avait aucune chance de survivre vu le rapport de forces, il écrivit une lettre à son épouse restée célèbre ; elle figure dans les manuels scolaires chinois. Elle témoigne de l’idéalisme

d’une génération et du talent d’un jeune homme qui avait tout pour devenir un grand écrivain. Il avait vingt quatre ans.

 

Liens littéraires

 

Après sa mort, sa famille déménagea par crainte de représailles ; sa maison natale fut rachetée par Xie Luan’en (谢銮恩), grand-père

 

La maison natale de Lin Juemin à Fuzhou

de (Xie) Bingxin (谢冰心) qui grandit dans cette maison et dont bien des écrits gardent le souvenir. Mais Lin Juemin avait aussi un cousin aîné, Lin Changmin (林长民), père d’une autre célèbre femme de lettres : Lin Huiyin (林徽因).  

 

Regarder en complément

 

 

Documentaire de CCTV sur Lin Juemin (sous-titré en anglais)

 


 

La lettre

 

Le texte original est en langue classique, et fut écrit sur un carré de tissu, comme on le voit dans l’une des dernières séquences du film « La révolution de 1911 » :

 

 

Scènes de “La révolution de 1911” (辛亥革命), avec Hu Ge (胡歌) dans le rôle de Lin Juemin

 


 

Texte original 

 

意映卿卿如晤:

 

吾今以此书与汝永别矣!吾作此书时,尚是世中一人;汝看此书时,吾已成为阴间一鬼。吾作此书,泪珠和笔墨齐下,不能竟书,而欲搁笔,又恐汝不察吾衷,谓吾忍舍汝而死,谓吾不知汝之不欲吾死也,故遂忍悲为汝言之。


吾至爱汝,即此爱汝一念,使吾勇于就死也。吾自遇汝以来,常愿天下有情人都成眷属;然遍地腥云,满街狼犬,称心快意,几家能够?司马春衫,吾不能学太上之忘情也。语云:仁者老吾老,以及人之老;幼吾幼,以及人之幼。吾充吾爱汝之心,助天下人爱其所爱,所以敢先汝而死,不顾汝也。汝体吾此心,于啼泣之余,亦以天下人为念,当亦乐牺牲吾身与汝身之福利,为天下人谋永福也。汝其勿悲!

汝忆否?四五年前某夕,吾尝语曰:与使吾先死也,无宁汝先吾而死。汝初闻言而怒,后经吾婉解,虽不谓吾言为是,而亦无词相答。吾之意盖谓以汝之弱,必不能禁失吾之悲,吾先死留苦与汝,吾心不忍,故宁请汝先死,吾担悲也。嗟夫!谁知吾卒先汝而死乎?

吾真不能忘汝也
!回忆后街之屋,入门穿廊,过前后厅,又三四折,有

 

Le corridor de la maison

de Lin Juemin et Chen Yiying

小厅,厅旁一室,为吾与汝双栖之所。初婚三四个月,适冬之望日前后,窗外疏梅筛月影,依稀掩映;吾与汝并肩携手,低低切切,何事不语?何情不诉?及今思之,空余泪痕。又回忆六七年前,吾之逃家复归也,汝泣告我:望今后有远行,必以告妾,妾愿随君行。吾亦既许汝矣。前十余日回家,即欲乘便以此行之事语汝,及与汝相对,又不能启口,且以汝之有身也,更恐不胜悲,故惟日日呼酒买醉。嗟夫!当时余心之悲,盖不能以寸管形容之。

吾诚愿与汝相守以死,第以今日事势观之,天灾可以死,盗贼可以死,瓜分之日可以死,奸官污吏虐民可以死,吾辈处今日之中国,国中无地无时不可以死,到那时使吾眼睁睁看汝死,或使汝眼睁睁看我死,吾能之乎?抑汝能之乎?即可不死,而离散不相见,徒使两地眼成穿而骨化石,试问古来几曾见破镜能重圆?则较死为苦也,将奈之何?今日吾与汝幸双健。天下人之不当死而死与不愿离而离者,不可数计,钟情如我辈者,能忍之乎?此吾所以敢率性就死不顾汝也。吾今死无余憾,国事成不成自有同志者在。依新已五岁,转眼成人,汝其善抚之,使之肖我。汝腹中之物,吾疑其女也,女必像汝,吾心甚慰。或又是男,则亦教其以父志为志,则我死后尚有二意洞在也。甚幸,甚幸
!

吾家后日当甚贫,贫无所苦,清静过日而已。

吾今与汝无言矣。吾居九泉之下遥闻汝哭声,当哭相和也。吾平日不信有鬼,今则又望其真有。今人又言心电感应有道,吾亦望其言是实,则吾之死,吾灵尚依依旁汝也,汝不必以无侣悲。

吾平生未尝以吾所志语汝,是吾不是处;然语之,又恐汝日日为吾担忧。吾牺牲百死而不辞,而使汝担忧,的的非吾所忍。吾爱汝至,所以为汝谋者惟恐未尽。汝幸而偶我,又何不幸而生今日之中国
!吾幸而得汝,又何不幸而生今日之中国!卒不忍独善其身。嗟夫!巾短情长,所未尽者,尚有万千,汝可以模拟得之。吾今不能见汝矣!汝不能舍吾,其时时于梦中得我乎!一恸!

辛未三月念六夜四鼓,意洞手书。

家中诸母皆通文,有不解处,望请其指教,当尽吾意为幸。

 


 

Transcription en langue moderne

 

意映卿卿如晤  Yìyìng qīngqīng rúwù  (ancienne formule de politesse entre époux)

Ma très chère Yiying,

 

我现在用这封信跟你永远分别了!我写这封信时,还是人世间一个人;你看这封信时,我已经成为阴间一鬼了。我写这封信,泪珠和笔墨一齐落下,不能够写完信就想放下笔,又怕你不体察我的心思,说我忍心抛弃你去死,说我不知道你不想让我死,所以就强忍着悲痛给你说这些话。

 

Je t’envoie cette lettre pour te dire adieu à jamais. A l’heure où je l’écris, je suis encore au nombre des vivants ; mais, quand tu la liras, je serai un esprit au royaume des ténèbres. Tandis que j’écris, mes larmes se mêlent à l’encre de mon pinceau ; je suis tenté de le poser et de ne pas terminer, mais j’ai peur que tu te méprennes sur mes intentions et penses que je suis assez cruel pour t’avoir abandonnée et être allé mourir, comme si je ne savais pas que tu n’as aucun désir de me voir mourir. C’est pourquoi je surmonte ma douleur pour achever ces mots.

 

 我非常爱你,也就是爱你的这一意念,促使我勇敢地去死呀。我自从结识你以来,常希望天下的有情人都能结为夫妇;然而遍地血腥阴云1,满街凶狼恶犬,有几家能称心满意呢?江州司马2同情琵琶女的遭遇而泪湿青衫,我不能学习那种思想境界高的圣人而忘掉感情啊。古语说:仁爱的人“尊敬自己的老人,从而推及尊敬别人的老人,爱护自己的儿女,从而推及爱护别人的儿女”。我扩充3我爱你的心情,帮助天下人爱他们所爱的人,所以我才敢在你之前死而不顾你呀。你能体谅4我这种心情,在哭泣之后,也把天下的人作为自己思念的人,应该也乐意牺牲我一生和你一生的福利,替天下人谋求永久的幸福了。你不要悲伤啊!

 

1. 血腥阴云 xuèxīng yīnyún bains de sang et sombres nuages
2. 江州司马 Jiāngzhōu Sīmǎ Jiangzhou est l’ancien nom de Jiujiang (九江), dans le Jiangxi (江西), où fut exilé le poète Bai Juyi en 815 ; c’est lui qu’évoque ici Lin Juemin : un soir, dans son exil, ayant entendu un très beau chant accompagné au pipa, le poète apprit que la chanteuse était une ancienne célébrité de la capitale qui

 

Le chant de la joueuse de pipa, calligraphié par Wen Zhengming

avait perdu sa renommée en vieillissant et avait été obligée d’épouser un marchand. Il l’invita, la fit jouer pour ses amis, et, pris de pitié, écrivit ensuite un long poème empreint de tristesse intitulé « Le chant de la joueuse de pipa » (琵琶行).
3. 扩充 kuòchōng étendre, élargir 4. 体谅 tǐliàng  montrer de la compréhension envers.
 

Je t’aime profondément, et c’est cet amour qui me donne la force de mourir. Depuis que je t’ai rencontrée, j’ai toujours souhaité aux gens qui s’aiment de pouvoir former des couples heureux ; hélas, il

n’y partout que scènes de carnage et sombres perspectives, et, rôdant de par les rues, loups féroces et chiens sanguinaires ; quelle famille pourrait se dire heureuse ? Je suis comme le poète Bai Juyi qui versa des larmes sur le sort de la joueuse de pipa, incapable de rester, comme les saints, dans un monde éthéré,  insensible au malheur des hommes. Les anciens disaient : l’homme de bien « respecte ses aînés et étend son respect aux aînés des autres, il chérit ses enfants et étend son affection aux enfants des autres ». De même, j’étends mon amour pour toi envers les autres, afin que tous, ici bas, puissent chérir ceux qu’ils aiment ; c’est cela qui me donne la force de mourir avant toi, malgré la douleur que je vais te causer. Si tu comprends ce que je ressens, après avoir pleuré, tu vas devoir toi aussi penser aux autres et être prête à sacrifier le bonheur qui devait être le nôtre dans cette existence pour concourir au bonheur des hommes pour l’éternité. Ne sois pas triste ! 


你还记得不?四五年前的一个晚上,我曾经对你说:“与其让我先死,不如让你先死。”你刚听这话就很生气,后来经过我委婉1的解释,你虽然不说我的话是对的,但也无话可答。我的意思是说凭你的瘦弱身体,一定经受不住失去我的悲痛,我先死,把痛苦留给你,我内心不忍,所以宁愿希望你先死,让我来承担悲痛吧。唉!谁知道我终究比你先死呢?我实在是不能忘记你啊!回忆后街我们的家,进入大门,穿过走廊,经过前厅和后厅,又转三四个弯,有一个小厅,小厅旁有一间房,那是我和你共同居住的地方。刚结婚三四个月,正赶上冬月十五日前后,窗外稀疏的梅枝筛下2月影遮掩映衬3;好我和你并肩携手4,低声私语,什么事不说?什么感情不倾诉呢?到现在回想起当时的情景,只剩下泪痕。又回忆起六七年前,我背着家里人出走又回到家时,你小声哭着告诉我:“希望今后要远走,一定把这事告诉我,我愿随着你远行。”我也已经答应你了。十几天前回家,就想顺便把这次远行的事告诉你,等到跟你面对时,又不开口,况且因你怀孕了5,更怕你不能承受悲伤,所以只天天要酒求得一醉。唉!当时我内心的悲痛,是不能用笔墨来形容的。
 

1. 委婉 wéiwǎn doux, plein de tact  2. shāi filtrer

3. 遮掩 zhēyǎn obscurcir, cacher   映衬 yìngchèn ressortir sur

4. 并肩携手 bìngjiān xiéshǒu  être côte à côte / se tenir la main

5. 怀孕 huáiyùn être enceinte

 

Te souviens-tu ? Un soir, il y a quatre ou cinq ans, je t’ai dit : « Plutôt que moi, je préfèrerais que ce soit toi qui meures en premier. » Tu t’es d’abord fâchée, mais je t’ai expliqué doucement le sens de mes paroles, alors, sans aller jusqu’à dire que tu étais d’accord, tu n’as plus élevé d’objection. Ce que je voulais dire, c’est que, connaissant ta constitution fragile, tu aurais du mal à supporter la douleur causée par ma disparition ; je n’avais pas le cœur à mourir en premier et te laisser toute la peine. Hélas ! Qui aurait pu croire que ce serait moi qui partirais le premier ? Maintenant, je ne peux oublier ! Je revois la maison où nous habitions, dans la contre allée : j’entre par la porte principale, traverse le corridor, la salle de devant puis celle de derrière, fais encore deux ou trois détours, trouve une petite salle à côté de laquelle il y a une chambre : c’est là que nous avons vécu ensemble. Trois ou quatre mois après notre mariage, vers la mi-novembre, on pouvait voir par la fenêtre quelques rares branches de prunier qui ressortaient comme des ombres obscures sur la lueur de la lune ; nous regardions côte à côte, en nous tenant la main et en échangeant à voix basse des pensées intimes. Nous nous disions tout, aucun sentiment ne restait inexprimé. Quand j’y pense maintenant, il ne me reste que les traces de mes larmes. Je me rappelle encore, il y a six ou sept ans, un jour que j’étais revenu à la maison après avoir déserté la maison, tu m’as dit en pleurant doucement : « J’espère que, quand tu voudras t’en aller loin, la prochaine fois, tu me préviendras, j’aimerais partir avec toi. » Je te l’ai promis. Il y a une dizaine de jours, quand je suis revenu, j’ai voulu te parler de ce long voyage que j’allais entreprendre, mais, quand je me suis retrouvé devant toi, je n’ai rien dit : les circonstances ne s’y prêtaient pas car tu étais enceinte, et j’avais peur que tu puisses encore moins supporter cette douloureuse nouvelle ; alors j’ai demandé du vin à longueur de journée pour m’enivrer. Ah, jamais je ne pourrai exprimer l’affliction qui me serrait alors le cœur.


  我确实愿意和你相依为命直到老死,但根据现在的局势来看,天灾可以使人死亡,盗贼可以使人死亡,列强1瓜分中国的时候可以使人死亡,贪官污吏2虐待百姓3可以使人死亡,我们这辈人生在今天的中国,国家内无时无地不可以使人死亡。到那时让我眼睁睁看你死,或者让你眼睁睁看我死,我能够这样做呢?还是你能这样做呢?即使能不死,但是夫妻离别分散不能相见,白白地使我们两地双眼望穿,尸骨化为石头,试问自古以来什么时候曾见过破镜能重圆的?那么这种离散比死要痛苦啊,这将怎么办呢?今天我和你幸好双双健在,天下的不应当死却死了和不愿意分离却分离了的人,不能用数字来计算,像我们这样爱情专一的人5,能忍受这种事情吗?这是我敢于索性6去死而不顾你的缘故啊!我现在死去没有什么遗憾,国家大事成功与不成功自有同志们在继续奋斗。依新7已经五岁了,转眼之间就要长大成人了,希望你好好地抚养他,使他像我。你腹中的胎儿,我猜她是个女孩,是女孩一定像你,我心里非常欣慰。或许又是个男孩,你就也教育他以父亲的志向作为志向,那么我死后还有两个意洞8在呀。太高兴啦,太高兴啦!我们家以后的生活该会很贫困,但贫困没有什么痛苦,清清静静过日子罢了。
 

1. 列强 lièqiáng (anc) les grandes puissances

2. 贪官污吏 tānguānwūlì  fonctionnaires cupides et corrompus

3. 虐待百姓 nüèdài báixìng maltraiter, pressurer le peuple

4. 重圆 chóngyuán reformer un cercle = se réunir après une longue séparation

5. 专一 zhuānyī  être concentré exclusivement sur une chose

6. 索性 suǒxìng  simplement, (faire) aussi bien  7. 依新 Yīxīn prénom de leur fils

8. 意洞 Yìdòng  nom personnel de Lin Juemin

 

Mon vœu le plus cher était, assurément, que nous vieillissions ensemble jusqu’à la mort, mais, dans les circonstances actuelles, les calamités naturelles peuvent nous emporter, les voleurs et les bandits nous tuer, de même que les puissances étrangères qui se partagent notre pays ou les fonctionnaires corrompus qui pressurent le peuple ; les jeunes de notre génération qui vivent dans la Chine d’aujourd’hui peuvent être tués à tout moment. Faudrait-il que je supporte de te voir mourir sous mes yeux ou que tu me voies mourir sous tes yeux ? Et toi, veux-tu avoir à le supporter ? Même si nous arrivions à survivre, nous risquerions d’être séparés à jamais, ce serait en vain que nous nous userions les yeux à chercher à nous revoir, nos os deviendraient pierre avant d’y être parvenus ; je te le demande, a-t-on jamais vu un miroir brisé retrouver sa forme pleine ? Ce genre de séparation est pire que la mort, que peut-on faire ? Aujourd’hui, nous sommes heureux d’être tous les deux en vie, mais il y a sur cette terre tellement de gens qui ne voulaient pas mourir et qui sont morts, tellement de gens qui ne voulaient pas être séparés et l’ont été, ils sont innombrables ; nous qui mettons l’amour au-dessus de toute autre chose, pouvons-nous supporter cela ? C’est la raison pour laquelle c’est aussi bien que je donne ma vie, même au prix du mal que je te fais. Je ne regrette absolument pas d’aller mourir, maintenant, le succès ou l’échec du mouvement national dépendra ensuite de la continuation de la lutte par nos camarades. Yixin a déjà cinq ans, dans très peu de temps, il sera déjà un adulte, éduque le bien pour qu’il devienne comme moi. Quant au bébé à naître, j’ai l’intuition que ce sera une fille ; si c’est le cas, elle te ressemblera et je serai comblé. Si c’est un autre garçon, cependant, élève le aussi dans la poursuite de mes idéaux, il y aura ainsi deux Yidong pour prendre ma relève. Je serai ravi ! Notre ménage sera certainement très pauvre quand je ne serai plus là, mais il ne faut pas se laisser chagriner par la pauvreté, il faut vivre paisiblement, c’est tout.


  我现在跟你再没有什么话说了。我在九泉之下1远远地听到你的哭声,应当也用哭声相应和。我平时不相信有鬼,现在却又希望它真有。现在又有人说心电感应有道,我也希望这话是真的。那么我死了,我的灵魂还能依依不舍地伴着你,你不必因为失去伴侣3而悲伤了。

 

1. 九泉 jiǔquán les Neuf Sources = l’au-delà, le royaume des morts

2. 依依不舍 yīyībùshě  hésiter à se séparer  3. 伴侣 bànlǚ  partenaire, compagnon.

 

Je n’ai plus rien à ajouter. Si je t’entends pleurer de très loin, au royaume des morts, je ne pourrai que te répondre par mes propres pleurs. Je ne croyais pas aux esprits, normalement, mais maintenant, j’espère qu’ils existent. Il y a aussi des gens qui prétendent que la télépathie est possible, j’espère également que c’est vrai. Quand je serai mort, cependant, mon esprit t’accompagnera sans se résigner à se séparer de toi, tu n’auras donc pas à t’affliger d’avoir perdu ton compagnon.


  我平素不曾把我的志向告诉你,这是我的不对的地方;可是告诉你,又怕你天天为我担忧。我为国牺牲,死一百次也不推辞1,可是让你担忧,的确不是我能忍受的。我爱你到了极点,所以替你打算的事情只怕不周全。你有幸嫁给了我,可又为什么不幸生在今天的中国!我有幸娶到你,可又为什么不幸生在今天的中国!我终究不忍心只完善自己。唉!方巾短小情义深长,没有写完的心里话,还有成千上万,你可以凭方巾领会2没写完的话。我现在不能见到你了,你又不能忘掉我,大概你会在梦中梦到我吧!写到这里太悲痛了!辛未年三月二十六日深夜四更,意洞亲笔写。

 

1. 推辞 tuīcí  décliner (une offre), repousser  2. 领会 lǐnghuì comprendre

 

Je ne t’ai jamais beaucoup parlé de mes ambitions, j’ai eu tort ; mais c’est que j’avais peur que tu te fasses du souci pour moi à longueur de journée. Je peux me sacrifier pour le pays, mourir cent fois sans jamais renâcler, mais te faire souffrir, ça, je ne le supporterais pas. Je t’aime d’un amour suprême, qui me fait toujours craindre de ne pas avoir pensé à tout pour toi. Tu as eu le bonheur de m’épouser, mais le malheur de naître dans la Chine d’aujourd’hui ! Et je peux en dire autant de moi ! Je ne peux pas me satisfaire de chercher le perfectionnement personnel. Hélas ! Ce carré de tissu est bien petit pour tout ce que j’ai à dire, il me reste encore des milliers de choses à exprimer, mais, avec ce que j’ai déjà écrit, tu pourras comprendre ce que je n’ai pas fini d’écrire. Je ne te reverrai plus, et toi, ne m’oublie pas, tu pourras peut-être me voir en songe. Que c’est douloureux d’écrire ces lignes !

26 mars 1911, écrit par Yidong à minuit passé.

 

家中各位伯母、叔母1都通晓2文字,有不理解的地方,希望请她们指教。应当完全理解我的心意是好。

1. 伯母 bómǔ tante (femme du frère aîné du père)  叔母 shūmǔ la femme du frère cadet du père

2. 通晓 tōngxiǎo  avoir une parfaite connaissance de.

 

Dans la famille, toutes mes tantes sont versées dans l’étude du chinois ; s’il y a des choses que tu ne comprends pas, n’hésite pas à leur demander de t’expliquer. Il est bon que tu comprennes parfaitement ce que j’ai voulu dire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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