Textes divers

 
 
 
     

 

 

Du Qinggang 杜青钢

只能弯腰

On ne peut que courber l’échine

par Françoise Josse et Brigitte Duzan, 12 février 2022 

 

      千禧年过了三个月,我用法语写了一部小说,取名《主席逝世》,主讲文革期间我在外校学法语的故事。合同签订后,法方派德沃做编辑。此君在巴黎教历史,出了两部小说,文思泉涌,笔力深厚。围绕文稿,我们你争我辩,写了197封信。有一个改点我印象特别深。

 

      第六章,我写道:饿了,我摘一条黄瓜。 法语用的cueillir,隐含一景:植物挂在高处,摘取要直腰伸手。德沃却改成ramasser (弯腰拾取,捡)。我不以为然,直硬说:此处,我不同意你的意见,我们种黄瓜,要搭架子,高高在上,必须伸手。

 

Du Qinggang (photo sohu)

 

      德沃更直白,几近横蛮:告诉你,我奶奶捡黄瓜,我妈捡黄瓜,周末去农村,我也捡黄瓜。在巴黎出书,面对法国读者,你只能弯腰,不能伸手。 入乡必须随俗,这是硬道理,我只能妥协。 

 

Trois mois après le passage du millénaire, j’ai écrit en français un roman intitulé « Le président a quitté ce monde » [1], dans lequel je raconte principalement des histoires liées à mon apprentissage du français à l’École des langues étrangères durant la période de la Révolution culturelle. Une fois le contrat signé, la partie française a chargé Devaux de l’édition. Ce monsieur qui enseigne l’histoire à Paris a publié deux romans témoignant d’une imagination féconde et écrits dans un style vigoureux.

 

Bataillant autour du manuscrit, nous avons échangé 197 lettres. Un point de modification m’a laissé une profonde impression. Au chapitre 6, j’avais écrit : « Affamé, j’ai cueilli un concombre. » En français, cueillir évoque implicitement une situation bien précise : la plante est suspendue en hauteur, pour l’attraper il faut redresser le buste et tendre la main. Or Devaux a changé le verbe et l’a remplacé par  “ramasser” (c’est-à-dire récolter, le buste courbé). Je n’étais pas d’accord et le lui ai dit fermement : « Sur ce point, je ne partage pas ton avis. Chez nous, quand on cultive des concombres, on les fait pousser en les étayant, ils sont donc en hauteur, il faut tendre la main pour les attraper. »

 

Devaux a été plus direct encore, presque péremptoire : « Sache que ma grand-mère récolte des concombres, ma mère récolte des concombres, en fin de semaine, je vais à la campagne et je récolte moi aussi des concombres. Le livre sort à Paris, face à des lecteurs français, tu ne peux que te courber, tu ne peux pas tendre la main. » Il convient de se conformer aux usages du pays où l’on se trouve. C’était un argument implacable, je n’ai pu que transiger.

 

      20019月,书已印出,我应邀去巴黎参加首发式,还要签售,讲座,接受媒体采访,忙得不亦乐乎。两年后,小作有幸被评为法国近五年20部最佳图书。我排名第九,十二年后获诺贝尔文学奖的莫迪亚诺排在十七位。

 

      只可惜,我经不起行政化的福利诱惑,随后在高校当了个小干部,一周开三四个会,填不完的表,天天催论文,做梦都在争项目。还要保先,八荣八耻,几学几做。如果那时我静下来继续写小说,现在很可能是另一个景观。也有可能,混的更差。进入文字后,我自控力巨弱,胡乱写,一般会被抓。

 

En septembre 2001, le livre étant sorti des presses, j’ai été invité à Paris pour la cérémonie de lancement, avec également des séances de dédicace, des conférences, des interviews avec les journalistes, je n’ai pas eu un moment à moi. Deux ans plus tard, le roman a eu la chance d’être élu parmi les vingt meilleurs livres des cinq années précédentes en France. J’ai même été classé neuvième, devant celui qui allait obtenir le prix Nobel de littérature douze ans plus tard, Modiano, qui n’arrivait qu’en 17e position.

 

Mon seul regret est de ne pas avoir résisté à l’attraction des avantages liés aux promotions dans l’administration : par la suite, je suis devenu petit cadre universitaire, avec trois ou quatre réunions par semaine, des formulaires à remplir sans fin, et chaque jour des mémoires à faire avancer ; même mes rêves n’’étaient plus que batailles pour avoir des projets retenus. Et il faut encore conserver ses titres, se conformer aux « huit honneurs et huit disgrâces » [2], autant de méthodes à apprendre que de façons de faire. Si à l’époque j’avais ralenti le rythme pour continuer à écrire des romans, il est fort probable que la situation serait aujourd’hui différente. Mais elle pourrait aussi être bien pire. À mes débuts en littérature, en effet, ma capacité d’autocontrôle était faible, j’écrivais à tort et à travers, et j’avais de manière générale de fortes chances de  me faire prendre.
 

      在巴黎办完正事,我随德沃去他父母家小住。经过农田时,德沃说:那儿有我家的菜园,看一眼,如何?我连连点头。园圃有两百多平米,全种绿色蔬菜。番茄又酸又甜,是几十年前的味儿。口不由己,我一连吃了三个,暗中感叹:华夏有南山,法国有菜园。

 

      在菜地的东脚,我发现一溜爬架植物,定眼一看,是黄瓜,个儿偏小,几乎爬地长,支架最高一尺五,要摘取,必须弯腰。德沃微微一笑,我摘了一条黄瓜,感慨良多。德沃高声嚷:可喜可贺,杜教授也弯腰捡黄瓜了,在文字里,他将伸手摘更硕的果。

 

Une fois les activités officielles à Paris achevées, j’ai accompagné Devaux pour un court séjour chez ses parents. Comme nous passions à travers champs, il m’a dit : « Le potager de ma famille est par là, ça te dit d’y jeter un œil ? » J’ai opiné plusieurs fois de la tête. Le jardin de 200 et quelques mètres carrés était entièrement planté de légumes verts. Les tomates étaient à la fois acidulées et sucrées, d’une saveur que l’on ne connaît plus depuis des décennies. Insatiable, j’en ai avalé trois à la suite, en soupirant en douce : la Chine ancienne avait la Montagne du Sud [3], la France a son potager.

 

Sur la bordure est des carrés de légumes, j’ai découvert une rangée de plantes grimpantes ; en les observant de plus près, j’ai vu que c’étaient des concombres, d’une taille plus petite que la normale, rampant littéralement sur le sol, sur des tuteurs de 50 cm tout au plus : pour les récolter, il fallait effectivement se courber. Devaux esquissa un sourire tandis que je « cueillais » un concombre, avec un soupir plein d’émotion. Il s’écria d’une voix forte : « Félicitations, le professeur Du a dû lui aussi courber l’échine pour ramasser un concombre ; en littérature, il lui faudra tendre la main pour cueillir des fruits bien plus grands. »

 

      托他吉言,回国后,我既弯腰又伸手,加倍努力。奋笔十春秋,又写了一部小说,近20万字,题为《一凡教授》,已由海天出版。主讲我十二年间在武汉大学奋斗的故事。却淡了自传色彩,我一米七不到,教了四十年法语。主角刘一凡是中国现当代文学的教授。谢峰教法语,又一米八九,一头卷发,比我威武漂亮得多,勾引女孩的能力强我百倍。

 

    身体高出二十厘米,写法就变了样。此中心得很有趣,日后再细叙。用罗兰·巴特的话说,我努力从自己走向他人。一如既往,我信奉极简主义,追求精炼,一语多义,注重可读性。多余的字,一个也不留。借助文字的玄妙,我说出了几句不容易说的话。也想为汉语做点贡献,说到底,文学是语言的艺术。

 

    在这本不厚的小说里,还有一座山,一条蛇,一只狐狸。如同《红楼梦》的太虚境,真真假假,虚虚实实。池莉评说:既现实又魔幻,既嘻哈又严肃,写的大学,更是社会。笑中含泪 一凡已走来,请各位多指点,多抬庄。在读者面前,我只能弯腰,再拱一拱手。教授写教授,也许有些意思。

 

Fort de ses vœux de succès, après mon retour en Chine, j’ai non seulement courbé l’échine, j’ai aussi tendu la main, en  redoublant d’efforts. Écrivant avec fougue pendant dix ans, j’ai rédigé un nouveau roman de près de 200 000 caractères, intitulé « Professeur Yifan » , qui a été publié aux éditions Haitian. J’y dépeins essentiellement mes douze années de lutte au sein de l’université de Wuhan. Il a cependant une pâle coloration autobiographique : je ne fais pas 1,70 mètre et j’ai enseigné le français pendant quarante ans. Le personnage principal, Liu Yifan, est professeur de littérature chinoise contemporaine. [Son ami] Xiefeng enseigne le français, mesure 1,89 mètre, il a la tête couverte de cheveux bouclés, il est nettement plus beau que moi et cent fois plus capable de séduire les jeunes femmes.

 

Quand on fait 20 cm de plus, on n’écrit pas de la

 

« Professeur Yifan » (2021)

même manière. Ce ressenti a beaucoup d’intérêt, on en reparlera plus en détail à l’avenir. Pour reprendre les mots de Roland Barthes : « Partir de soi-même pour aller vers l’autre. » Aujourd’hui comme hier, je professe le minimalisme, je recherche la concision, les diverses acceptions d’un même mot et je mets l’accent sur la lisibilité. Pas un seul caractère en trop ne subsiste. Recourant à des termes subtils, je réussis à faire passer des messages difficiles à énoncer. Je pense apporter une contribution à la langue chinoise. En fin de compte, la littérature est l’art de la langue. 

 

Dans ce roman peu volumineux, il y a en outre une montagne, un serpent et un renard. C’est comme le domaine de la Suprême Vanité dans « Le Rêve dans le pavillon rouge », mêlant le vrai et le faux, le vide et le plein. Chi Li a livré ce commentaire : « Réalité mais aussi magie [4], éclats de rire mais aussi gravité, bien plus que l’université, c’est la société qui y est décrite. Au milieu du rire, on contient ses larmes. » Maintenant que Yifan est arrivé, j’invite chacun à me donner des conseils, à m’apporter son soutien. Face aux lecteurs, je dois me courber et saluer respectueusement les mains jointes. Un professeur qui écrit sur un professeur, cela peut avoir son intérêt.


(
武大杜青钢 2021-7-27)

(Du Qinggang, université de Wuhan, 27-7-2021)

 

Texte traduit en complément de la séance du club de lecture consacrée à Du Qinggang.

Traduction Françoise Josse

(relecture et annotations Brigitte Duzan)


 

 


[1] Paru en français sous le titre « Le président Mao est mort ».

[2] 八荣八耻 bā róng bā chǐ : « huit honneurs et huit disgrâces », ou « Concepts socialistes sur les honneurs et les disgrâces » (shèhuìzhŭyì róng rŭ guān社会主义荣辱观), code d’éthique promulgué par le président Hu Jintao (胡锦涛) le 4 mars 2006. Il devait être « le nouvel étalon moral » guidant le travail et la conduite des responsables du Parti communiste. C’est l’une des multiples tentatives pour lutter contre la corruption dans le Parti.  Son successeur Xi Jinping (习近平) est passé à la manière forte avec le lancement de sa campagne anti-corruption.

Texte chinois des huit maximes et traduction : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ba_rong_ba_chi

[3] Huaxia (华夏) : terme désignant la nation chinoise par référence à une culture ancestrale commune du noyau d’origine du peuple han tel que décrit par Sima Qian comme héritier de Yu le Grand. Le caractère huá est utilisé aujourd’hui dans les termes désignant les Chinois d’outre-mer (huaqiao 华侨) et les Républiques tant de Taiwan que de Chine continentale.

Nanshan (南山), la montagne du sud, est ici une référence aux mont Qinling (秦岭), au sud du Shaanxi, qui forment la frontière traditionnelle entre le nord et le sud de la Chine en divisant les zones de drainage du Yangtsé et du fleuve Jaune. Frontière géographique, historique et culturelle.

[4] 现实又魔幻 xianshi you mohuan : réalité et magie. Chi Li joue elle aussi sur les termes : elle décompose l’expression 魔幻现实主义 mohuan xianshizhuyi désignant le « réalisme magique » latino-américain qui est l’une des grandes inspirations de la littérature chinoise depuis que les écrivains chinois l’ont découverte, en traduction, surtout à partir des années 1990.

 

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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